Joel Williams,
du sang dans les plumes
et de la musique dans le sang
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Joel Williams, du sang dans les plumes et de la musique dans le sang

Le livre, comme s’il me tendait les bras, est posé en évidence au centre d’un étal consacré aux nouvelles parutions littéraires. Sans même prendre le temps de décrypter la superbe photo de couverture (deux avant-bras tendus, sortant de cellules mitoyennes afin de jouer aux échecs sur un plateau installé dans le couloir d’une prison) je le saisi et me rend vers la caisse.
C’est en effet spécialement pour lui que je me suis précipité chez mon libraire, le jour même de sa sortie… ce 23 mai 2012.
Entre mes mains, je tiens enfin « Du Sang Dans Les Plumes ».

Quand on est amateur de littérature américaine, on suit forcément de près l’actualité de la maison d’édition 13ème Note…
Quand, en plus, on a été marqué, à l’adolescence, par les récits d’auteurs condamnés (Caryl Chessman, Edward Bunker…), ont ne peut être que curieux de découvrir ce premier recueil de nouvelles signé Joel Williams.

Ce dernier, fruit d’une histoire d’amour sans romance entre une mère amérindienne (issue de la tribu shoshone-païute) et un père blanc (au passif affectif inexistant et qui réfugie son mal être dans l’alcool, en faisant preuve d’une violence extrême vis-à-vis de ses proches) est actuellement détenu dans une prison de haute sécurité, en plein cœur de la Californie, Mule Creek State Prison (MCSP).

Il y croupi (né en 1964, il a été condamné à perpétuité à l’âge de 21 ans après avoir plaidé coupable) pour, un jour, avoir décidé de mettre un terme à des années de souffrances et d’humiliations, en tuant ledit père.
Tuer pour s’échapper d’un étau le compressant et se fermant de plus en plus…

Joel Williams a pourtant tout essayé (drogues, alcool et pratique assidue de la boxe…) pour que sa tête n’explose pas… et pour oublier les journées douloureuses, que l’on débute la peur au ventre et que l’on termine blessé dans son âme et, parfois même, dans sa chair.

Au fil des pages on découvre l’homme à travers ses errances, ses obsessions, ses interrogations et surtout sa quête perpétuelle de « normalité » et de considération. On y discerne un écrivain qui, d’histoire en histoire, consigne ses maux et son environnement avec une plume qui n’est pas sans rappeler  celles de ses références littéraires (Charles Bukowski, Raymond Chandler, Ernest Hemingway, John Fante, Tennessee Williams etc…).

Enfin, on apprend que Joel Williams est également un grand amateur de musique(s) et un guitariste passionné.

Un aspect de sa personnalité qui, évidemment, m’a donné l’envie d’en savoir encore plus sur lui, qui reste aussi privé de tout accès à internet.
J’ai donc, à mon tour, décidé de prendre la plume afin de lui adresser une missive. Une lettre lui proposant d’évoquer cet autre lui, cette autre facette artistique de sa personnalité… qui ne trouve résonnance, pour le moment, qu’entre les 4 murs de sa geôle.

Quelques jours plus tard, six feuillets de réponses m’attendaient dans ma boite aux lettres…
Joel Williams m’a longuement écrit, avec un grand intérêt et cette petite dose d’humour qu’il continue de cultiver.
Voici donc retranscrit cet entretien à distance, afin de patienter jusqu’à ce que ce talentueux auteur nous fasse découvrir de nouveaux récits.
En attendant, surtout, qu’une prochaine demande de mise en liberté conditionnelle soit enfin acceptée et que tous ses admirateurs puissent l’accueillir… en lui tendant les bras.

joel

Joel, de quelle manière s’est développée ta passion pour la musique ?
Cela remonte à mon enfance, alors que j’entendais la musique qui était diffusée dans la maison familiale. Mon père écoutait et passait, sur sa chaine stéréo, des disques des Beatles et de groupes classés aujourd’hui dans le registre « classic rock ».
C’est à l’âge de 14 ans que j’ai acheté, d’occasion, mon premier disque. Il s’agissait  de « Night At The Opera » de Queen.
Ce n’est que lorsque j’ai commencé à jouer de la guitare que j’ai développé un goût pour une musique différente que celle qui était dans la « norme » à l’époque. Ainsi je me suis plongé dans l’univers du jazz.

Quand as-tu, précisément, débuté la pratique de la guitare ?
J’ai eu mon premier instrument peu après avoir assisté, dans un cinéma local, à une séance de minuit de « Song Remains The Sames » du groupe Led Zeppelin. Ce film m’a poussé à acheter ma première guitare, une copie d’une Gibson Les Paul, dans un magasin nommé Sears. J’ai alors commencé a apprendre la plupart des chansons du groupe. Si je ne prenais pas de leçons à ce moment là, je puisais mes connaissances en observant d’autres guitaristes.

Depuis, quels sont les musiciens qui ont eu le plus d’influence sur toi ?
Au fil des ans mes influences pouvaient varier, les voici : Jimmy Page, Eric Clapton, Jimi Hendrix, Stevie Ray Vaughan, Big Bill Broonzy, Mississippi John Hurt, Hubert Sumlin, divers artistes de bluegrass adeptes du pickin’, Wes Montgomery, Joe Pass, J.S Bach, quelques musiciens cubains et portoricains, Charlie Christian, Louis Armstrong, John Coltrane, Miles Davis, Benny Goodman, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Tom Waits, Django Reinhardt et j’ai découvert il y a peu de temps Bireli Lagrene, Jimmy Rosenberg, Stochelo Rosenberg, Angelo Debarre, Tchavolo Schmitt, Romane, Jon Larsen et Andreas Oberg.

Tu apprécies particulièrement Django Reinhardt, que tu cites même dans ton livre. Comment l’as-tu découvert ?
J’avais remarqué, au fil des années, que son nom était souvent mentionné dans les magazines consacrés à la guitare. Il y était considéré comme un grand innovateur de l’histoire de la musique. J’ai aussi, à maintes reprises, entendu des guitaristes tels que Willie Nelson et Eddie Van Halen le citer comme une influence majeure. Cependant, je ne l’avais jamais réellement entendu…
Il y a environ dix ans, j’ai eu la chance de pouvoir acheter un CD regroupant quelques une de ses chansons, enregistrées avec son quintet. Là, j’ai compris son génie…
Rien qu’avec des instruments acoustiques et dépourvu de tout batteur, il a bouleversé ma compréhension de la musique.
 La sienne représente la joie, la virtuosité, la tendresse et aussi une véritable force… le tout avec un groove imparable.

Avant d’être emprisonné, as-tu eu la possibilité de jouer avec des groupes ?
Oui, j’ai joué dans différents groupes avant d’être emprisonné. Nous répétions dans des garages avec des amis. Nous faisions semblant d’être Led Zep ou Cream…
J’ai aussi eu des formations de punk rock et de heavy metal des années 1980, avec lesquelles nous interprétions des morceaux de Dio, Ozzy Osbourne, Black Sabbath etc…
Lorsque j’ai commencé a être lassé de ce registre et que mes conditions de vie me l’ont permis (après avoir arrêté de boire et de vivre dans la rue), je me suis inscrit dans un collège communautaire à Whittier, en Californie. C’était en 1984 et j’y ai étudié la musique. Cela m’a offert la possibilité de jouer dans des orchestres de jazz avec tout un tas d’anciens camarades. Nous reprenions différents standards du genre.

As-tu la possibilité de t’exercer régulièrement en prison ?
Oui, je peux m’exercer tous les jours si je le décide. Bien que j’écris cinq jours par semaine de 07h30 à midi, la possibilité m’est donnée de bénéficier d’une vraie « cour » où je peux m’entrainer entre 8h30 et 15h30.

Y a-t-il des instruments pour les détenus, arrives-tu à jouer avec d’autres prisonniers ?
Il n’y a pas d’autres instruments que des guitares classiques pourvues de cordes en nylon. On peut les commander dans un magasin, situé à l’extérieur de la prison, et les garder dans nos cellules. Elles sont assez « cheaps » et j‘ai un peu « retravaillé » la mienne.
Je fais régulièrement des jams avec un autre musicien incarcéré. Il s’agit de Jason qui est assez courageux puisqu’il me permet de le conduire dans cette voie du jazz manouche. Il joue la rythmique alors que je me charge de la guitare soliste.
Il n’y a pas de groupe en prison, uniquement nous deux…
Chaque année, nous sommes sélectionnés afin de jouer de la musique dans le cadre d’une cérémonie de remise de diplômes qui se déroule au parloir. Ainsi, nous nous produisons pour les étudiants, les professeurs, les visiteurs et les gardiens. C’est l’unique concert de la ville…

Connais-tu beaucoup de musiciens d’origines amérindiennes ?
Je m’intéresse beaucoup aux artistes amérindiens, bien que je ne sois en contact avec aucun d’entre eux. J’essaye de me tenir particulièrement au fait de l’actualité de Robbie Robertson et Robben Ford qui, il ne faut pas l’oublier, sont d’origine amérindienne.

As-tu la possibilité d’écouter de la musique dans ta cellule ?
J’ai un combiné radio/lecteur CD mais je n’arrive pas à capter de bonnes stations en raison de la localisation géographique de la prison. Je me fie davantage au lecteur CD et essaye de mettre la main sur chaque disque intéressant qu’il m’est possible de me procurer. Cela ne fait, par exemple, que très peu de temps que j’ai commencé à pouvoir me procurer des enregistrements de jazz manouche.
Si la prison est un endroit qui est physiquement isolé, elle est aussi isolée culturellement…
Je m’estime déjà chanceux de pouvoir me procurer ce que je peux…

As-tu déjà écrit des chansons ?
Oui, j’ai écrit quelques chansons au fil des ans, principalement des musiques. Une seule possède un texte. Il s’agit de « Without You », qui est un bluegrass. Je t’ai recopié ce texte sur une feuille annexe, que tu trouveras dans le présent courrier (voir ci-dessous, nda).joel

 

Envisages-tu, un jour, d’enregistrer ta musique ?
Si j’en ai la chance et la possibilité, il est certain que j’enregistrerai ma musique un jour. Pour le moment, cette opportunité m’est totalement impossible.

Continueras après ta sortie de prison ?
Oui, je jouerai certainement davantage lorsque je sortirai d’ici… et avec de meilleurs musiciens !

Quels sont tes souhaits artistiques ?
De m’exprimer au maximum, écrire, jouer de la guitare, crier, pleurer, gémir, chuchoter et aussi sortir de ce désert culturel dans lequel je me suis moi-même exilé…

Qu’aimerais-tu ajouter pour conclure ce questionnaire ?
J’envoie mes salutations sincères à tous les autres artistes… ceux qui nous lisent, quelque soit la manière dont-ils expriment leurs talents. Je les transmets également à ceux qui ont moins de chance, les loosers et les perdants magnifiques. Chapeau bas à vous tous !

Nda : La musique entretien des liens étroits avec l’univers carcéral. Certains musiciens ont déjà eu la possibilité de donner des concerts dans des pénitenciers (voire d’y enregistrer des disques tels que « Johnny Cash At Folsom Prison » et « BB King Live At San Quentin » pour ne citer que les plus connus) et beaucoup d’autres y ont séjourné plus ou moins longuement.
Le blues y puise aussi certaines de ses origines comme l’ont démontré les ethnomusicologues John et Alan Lomax qui, dans la première moitié du siècle dernier, ont enregistré « sur le terrain » des prisonniers (comme Leadbelly, qu’ils ont découvert en 1933).
Cet univers particulièrement rude et violent est encore, malheureusement, le quotidien de Joel Williams, un écrivain (et musicien) dont le talent est en passe d’exploser à la figure du monde. Il se bat, aujourd’hui, pour que la nature de sa peine soit réexaminée (en vertu d’une nouvelle loi américaine qui reconnait des circonstances atténuantes aux individus ayant tué leur agresseur).
N’hésitez pas à le lire à votre tour et, pourquoi pas, à le soutenir dans sa difficile lutte pour retrouver la liberté. Il vous invite a lui écrire ou à lui laisser un mot (qui lui sera transmis) sur le livre d’or du site


www.joelwilliams-hard-boiled-fiction.com
David BAERST

Remerciements : Anissa Henderson (visiteuse de Joelle et créatrice de son site internet) , Eric Vieljeux (13ème Note Editions) &…Joel Williams !

-Du Sang Dans les Plumes - Joel Williams (Traduction : Nathalie Beunat et Patrice Carrer) - 13e Note Editions (Collection Pulse), 2012 – 237 pages – 8€

www.joelwilliams-hard-boiled-fiction.com
http://www.13enote.com
http://www.13enote.com/auteurs.php?id=31

 

 
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