Quand les Stones cherchaient leur mojo à Chicago
Du 23 au 25 novembre 1981, l’immense salle du Rosemont Horizon (qui comme son nom l’indique est située à Rosemont, dans la banlieue de Chicago, Illinois) accueille la nouvelle tournée américaine des Rolling Stones (50 dates à travers tout le pays), associée à la sortie de l’album « Tattoo You » le 24 août de la même année.
Fraichement débarqués de Saint-Paul, Minnesota où ils se produisaient la veille, trois membres du mythique groupe anglais (Mick Jagger, Keith Richards & Ron Wood) décident de mettre à profit leur soirée « off » du 22.
Ceci dans le but d’arpenter les rues glacées de la « Ville des Vents », une idée précise en tête…
Un parcours (cousu de fil blanc ?) qui guide naturellement les musiciens et leur cour vers le 5210 S.Harper Avenue. C’est-à-dire à l’adresse du légendaire club (appartenant alors à Buddy Guy et LC Thurman) le Checkeboard Lounge, créé en 1972 et qui a définitivement fermé ses portes en 2003 pour des raisons de sécurité.
Visiblement attendue (une grande table est dressée devant la minuscule scène de l’endroit), la fine équipe déboule en plein concert de Muddy Waters dont, faut-il le rappeler, la chanson « Rollin’ Stone (Catfish Blues) » est directement liée au choix du nom du combo qui nous intéresse ici.
Qu’ils regrettent ou pas d’avoir raté le début du set, mené tambour battant par le groupe du créateur de « Mannish boy » (une véritable « dream team » constituée de John Primer à la guitare et au chant, Rick Kreher à la guitare, Lovie Lee au piano et au chant, George « Mojo » Buford à l’harmonica, Ray Allison à la batterie, Earnest Johnson puis Nick Charles à la basse), il s’avère que les artistes anglais signent leur entrée peu de temps après que Muddy Waters soit à son tour monté sur scène.
Aux yeux, aussi malicieux que brillants, de ce dernier… on devine que quelque chose se trame.
Cette arrivée d‘ailleurs, curieux hasard, se déroule au rythme de « Baby please don’t go »…
Keith Richards débouche une première bouteille, qu’il « déguste » d’emblée au goulot, au moment même où Mick Jagger répond aux injonctions de Muddy et du public. Le second « glimmer twin » cité se voit propulsé sur scène.
Tout le monde reste scotché… l’histoire peut commencer à s‘écrire.
L’atmosphère devient de plus en plus enfumée et on devine que les Stones présents avaient davantage l’idée d’assister à un bon concert de blues qu’à y participer. Pourtant Keith Richards ne tarde pas à rejoindre (en marchant sur la table) son complice chanteur (ce dernier vêtu d’un horrible survêtement rouge me faisant presque regretter ma vieille cassette VHS pirate, enregistrée à l’époque en noir et blanc faute d’adaptateur Pal/Secam) avant que Ron Wood ne saisisse lui aussi une guitare.
C’est qu’on ne l’a fait pas à « l’ancêtre » de Chicago, si tu es musicien… ta place est sur scène !
Dès lors, la soirée gagne logiquement en spontanéité ce qu’elle perd en coordination. Soit, le petit rien qui fait qu’un concert s’inscrit dans la légende, foutoir compris…
Plus tard, Waters cède la place à Buddy Guy ainsi qu’à (un très inspiré) Junior Wells et retourne s’installer à sa table d’où il continue de scruter ses petits camarades… d’un œil avisé, amusé et, peut être, un brin fatigué.
Une équipe musicale consolidée par l’arrivée du pianiste Ian « Stu » Stewart, le « Stone » écarté mais jamais oublié ainsi que par le chanteur-guitariste Lefty Dizz.
Ce dernier, injustement méconnu aujourd‘hui, déploie ses qualités de showman mais a vite tendance à en faire de trop. Une attitude que semble remarquer Muddy qui décide de mettre un terme au joyeux bordel ambiant. Il remonte sur scène et conclue de la plus belle manière qui soit, par une magistrale interprétation de « Clouds in my heart » puis par un « Champagne and reefer » qui évite définitivement de se poser LA question. McKinley Morganfield (a.k.a Muddy Waters) est bien l’artiste le plus emblématique de l’histoire du Chicago blues !
Un peu plus de 30 ans après les faits, Eagle Rock Entertainment (et sa division vidéo Eagle Vision) décide de faire vivre ce moment d’anthologie au plus grand nombre en proposant, enfin, une version officielle de ce concert.
Coutumier des rééditions luxueuses (y compris du groupe anglais avec le remarquable documentaire « Stones in Exile », ainsi que les magnifiques enregistrements en public « Ladies & Gentlemen » et « Some Girls : Live In Texas’78 »), le label a mis les petits plats dans les grands en confiant le mix audio à Bob Clearmountain.
Le résultat final se décline aujourd’hui sous la forme d’un CD, d’un DVD et d’un très beau (et économique qui plus est) packaging regroupant à la fois les deux galettes numériques, ainsi que la prise audio transformée en deux vinyles 33 tours.
Comme il se doit, l’emballage met en exergue le fameux damier rouge, blanc, noir qui ornait la façade du Checkeboard Lounge à sa grande époque.
De ces pérégrinations nocturnes des Stones, il découle donc un document brut et exceptionnel. Il a le mérite de dévoiler aux plus jeunes admirateurs de rock (ainsi qu’à un large public) une facette essentielle de l’histoire des musiques afro-américaines. Celle des clubs où soir après soir des milliers de musiciens ont, au prix de leur sueur, fait de Chicago la capitale mondiale du blues électrique. La Mecque d’un genre intemporel qui ne cesse de perdurer et qui gagnera encore, via cette parution, bien des fervents.
D’un autre côté, après avoir bu à une telle source un soir de novembre 1981, les Rolling Stones méritaient bien de repartir à l’assaut des plus grandes arènes internationales.
En tout cas, en 2012 et au bout de 50 ans de carrière, on ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir payer leur dû…
David BAERST
PS/La version vidéo du concert contient deux bonus :
-La chanson « You’re gonna miss me when I’m gone » dévoilant un John Primer (guitare, chant) comme à son habitude impérial.
-Le plus anecdotique titre « Black Limousine », extrait d’un concert de la tournée US des Stones en 1981. Pour ce morceau, une qualité d’image assez médiocre est à déplorer.
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