Le Montreux Jazz Festival offre à Ahmet Ertegun
son plus bel hommage
Déjà présent au " Tribute to Sun Records
" en 2001, Ahmet Ertegun était de retour sur les bords
de Lac Léman en Juillet 2006 afin d'y recevoir le plus bel hommage
de toute sa carrière.
C'est en 1947 que l'histoire d' Atlantic Records commença
lorsque le jeune Ahmet Ertegun (alors âgé de 24 ans et
fraîchement diplômé de Philosophie), son frère
Nesushi (décédé en 1989) et Herb Abramson
décidèrent, par pure passion, de fonder ce qui deviendra
l'un des labels les plus marquants de l'histoire de la musique.
Pour anecdote, sachez que l'obstacle financier fut rapidement franchi
grâce au dentiste d'Ahmet qui accepta de lui prêter 10.000
dollars.
L'aventure pouvait commencer.
Dès le départ, Atlantic se démarqua par sa capacité
à ouvrir les frontières de la musique et à faire
sauter les clivages raciaux (à l'instar d'un Sam Philips à
Memphis avec Sun Records et son jeune poulain Elvis Presley).
Ainsi toute une génération de gamins blancs a découvert
le Rythm and Blues des Coasters et des Drifters.
Alors que Nesushi se consacra entièrement à la production
de disques de Jazz, Ahmet, quant à lui, continua le brassage des
genres, découvrant celui qui deviendra " son ami de 50
ans ", Ray Charles.
Le succès sera énorme et permettra, s'il en était
besoin, au label de partir à l'assaut du monde entier.
Le mixage de la musique blanche et des rythmes noirs continuera de déferler,
faisant du jeune fils de notable diplomate (le père Ertegun
était, en effet, l'ambassadeur de Turquie aux USA) le précurseur
de la Pop Music.
Ahmet Ertegun signa quelques-uns des plus grands noms de la musique noire
(Solomon Burke, Otis Redding, Wilson Pickett, Ben E. King, Aretha Franklin
etc.), des fers de lance du Rock blanc (Led Zeppelin, Rolling Stones,
Cream, Yes, AC/DC, etc.), mais aussi des géants de la Pop (ABBA,
The Bee Gees, Chic etc.); les qualités de producteur du bonhomme
masquant à peine l'impressionnant homme d'affaires mais aussi le
fin compositeur.
C'est donc dans le cadre prestigieux de l'Auditorium Stravinsky, que
son ami Claude Nobs décida de l'honorer lors de la soirée
d'ouverture du 40ème Festival de Jazz de Montreux. L'organisateur
suisse précisant, dans un sourire malicieux, que les 40 ans du
Festival additionnés aux 60 ans d'Atlantic Records nous permettraient
de vivre un centenaire de rêve.
Il ne pensait pas si bien dire, laissant la parole pour 10 bonnes minutes
à Ahmet Ertegun qui nous offrit un savoureux discours ponctué
d'humour.
Un petit film retraçant la carrière de ce dernier ne voulant
pas démarrer, c'est par le concert que se poursuivit directement
la soirée.
Pour la première partie, le groupe d'accompagnement n'était
autre que The Soul Survivors constitué par Les Mc Cann
(piano/chant), Cornell Dupree (guitares), Ronnie Cuber (saxophone),
Buddy Williams (batterie), soit une véritable " dream
team musicale " musicale.
Très vite, Georges Duke remplaça Les Mc Cann aux
claviers. Peu après, un jeune chanteur écossais, Paolo
Nuttini, se révéla au public, encouragé par Ahmet
Ertegun voyant en lui " une future Star ".
Ce fut alors à Ben E King de fouler la scène, tout
en élégance, interprétant à un public déjà
conquis quelques-uns de ses plus grands tubes ; " Spanish Harlem
", " Save the last dance for me " (aussi l'occasion
de célébrer le talent de deux des plus grands auteurs-compositeurs
de cette période, à savoir Doc Pomus et Mort Shuman)
et l'inévitable " Stand by me ".
La fête n'aurait pas été complète si "
The King of Soul " lui-même, à savoir Solomon
Burke, ne s'était pas déplacé. En quelques titres
et clins d'oeil à Otis Redding ou Wilson Pickett il souleva une
déferlante Rythm and Blues à travers le public qui n'arrêtera
plus de manifester sa joie.
Pour la deuxième partie, The Soul Survivors cédèrent
la place à Chic et à leur leader Nile Rodgers.
Ce dernier commença son set en déclarant que nous devions
à Ahmet Ertegun " un demi-siècle de musique Black
& White " avant de survoler la période Woodstock en
compagnie de Stevie Nicks (qui offrit une pointe d'émotion
au concert, déclarant en larmes à Ahmet Ertegun qu'elle
lui devait " les plus belles années de sa vie ")
et de Kid Rock.
Puis le moment le plus " fort " de la soirée vint par
l'intermédiaire de Steve Winwood (organiste génial,
membre-fondateur des groupes Spencer Davis Group, Traffic et Blind Faith
aux côtés d'Eric Clapton) avec son interprétation
solo à l'orgue Hammond d'un " Georgia on my mind "
anthologique.
Ray Charles continua d'être à la fête avec la venue
de Robert Plant. Le chanteur de Led Zeppelin (très convaincant
par rapport à sa prestation de 2001 pour le tribute à Sun
Records) reprenant par exemple " Lonely Avenue ",
" I got a woman " et d'autres pépites durant lesquelles
les jolies chanteuses du groupe Chic se prirent pour les " Raelettes
".
Le moment vint de célébrer Aretha Franklin (malheureusement
absente) à travers la convaincante Chakha Khan qui interpréta
" Natural Woman " et " Respect ".
Kid Rock revint sur scène pour une séquence qui le laissa
s'exprimer plus librement et dans un répertoire très personnel.
Après un premier titre interprété à la guitare
sèche en duo avec sa batteuse, il offrit l'étendue de son
talent dans un registre bien plus contemporain avec une inoubliable démonstration
de scratch. Si j'avoue porter peu d'intérêt à ce genre,
le charisme du bonhomme m'a étonné. Il pourrait bien devenir
l'exemple type du rocker du 21ème siècle.
Après
cela le groupe Chic nous ramena vers une indigeste soupe disco avant de
mettre Led Zeppelin à l'honneur avec une version de " Rock'n'roll
" (avec Kid Rock et Stevie Nicks mais sans Robert Plant !)
qui a dû faire sortir le Lac Léman de son lit. Robert Plant
revint cependant interpréter " Don't play
that song for me " avec le créateur du titre, Ben E King.
Le déluge de décibels reprit de plus belle avec l'armada
de tubes du groupe Chic qui déclenchèrent l'hystérie
dans la salle " The Freak ", " We are Family
" etc.
Une jam session monumentale commença alors, réunissant tous
les protagonistes de la soirée, la scène se transformant
en un véritable " dance floor ".
Même Ahmet Ertegun, du haut de ses 83 ans, trouva la force de rejoindre
tout ce beau monde et de chanter, dans les choeurs, une deuxième
version de " Family ".
Le concert fini, il resta sur scène pour remercier les artistes
et l'organisation qui venaient de lui offrir, selon lui, le plus bel hommage
de toute sa vie.
Pas facile de relater en quelques mots une telle soirée.
Un moment unique au monde qui a réuni des artistes différents
(et de ce fait, des publics différents), prouvant une fois de plus
que seule la musique a cette capacité de réunion.
Une chose que Ahmet Ertegun avait comprise, il y a 60 ans déjà.
Isabelle Rambaud & David BAERST
Remerciements: Montreux Jazz Festival Foundation
Liens utiles :
http://www.montreuxjazz.com
http://www.atlanticrecords.com/
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