Une institution de la "Blue Note" à
Paris - Le Jazz-Club Lionel Hampton
Depuis 1975, l'Hôtel Méridien
Etoile, de la Porte Maillot à Paris, offre la possibilité
à ses clients et aux amateurs de musiques Afro-américaines
de se retrouver, dans des conditions parfaites, afin d'y voir et entendre
les meilleures formations de Jazz et de Blues actuelles.
Au menu : musiciens légendaires,
cocktails maison et entretien exclusif avec Jean-Pierre Vignola
directeur artistique (aux côtés de Didier Tricard)
et gardien de ce Temple légendaire où plane encore l'ombre
du batteur de Jazz et fantaisiste Moustache.
Monsieur Vignola, vous êtes une figure emblématique
des musiques Afro-américaines en France. Pouvez-vous me parler
de votre cursus ?
J'étais un amateur de ces musiques. Le premier album que j'ai possédé
était un 33 tours de Charlie Parker. J'avais aussi, à cette
époque, la chance d'être le voisin d'un grand musicien français,
à savoir le saxophoniste ténor Alix Combel.
Ce dernier m'a fait découvrir beaucoup de morceaux et m'a présenté
énormément de musiciens comme, par exemple, Hubert Rostaing,
Stéphane Grapelli et bien d'autres.
Il m'a aussi incité à organiser des concerts dans ma ville
de Mantes-la-Jolie, en banlieue parisienne.
C'est ce que j'ai fait avec mes copains d'école et j'ai immédiatement
trouvé la chose plaisante.
Par la suite c'est devenu mon métier car j'ai intégré
une compagnie de disques qui organisait des tournées. Je suis,
ainsi, devenu " chauffeur-livreur " et j'allais de ville en
ville avec les musiciens afin de leur porter les valises, d'installer
la sono, de vendre les albums à l'entracte, de remballer le matériel
etc
Ceci m'a permis de côtoyer des personnalités telles que Muddy
Waters, Lionel Hampton, Luther Allison, Lucky Peterson etc
Cette société de disques a aussi travaillé en collaboration
avec une agence américaine, c'était celle de George Wein
qui fondait la Grande Parade du Jazz à Nice. A partir de ce moment
là, au lieu de conduire ma camionnette j'accompagnais BB King,
Miles Davis, Herbie Hancock, George Benson et tant d'autres
Du coup, nous nous déplacions en avion
Il me faudrait, en fait, plusieurs jours pour vous donner une liste complète
d'artistes que j'ai accompagné.
Entre temps j'avais sympathisé avec un Monsieur qui était
Moustache (batteur de Jazz, amuseur public et comédien, décédé
brutalement en 1987 à l'âge de 59 ans, Nda) qui était
chargé d'animer le Hall, qui était à proximité
du Bar, à L'Hôtel Méridien. C'était dans les
années 70 et l'ambiance y était d'une grande tristesse.
Moustache y a décidé de faire de l'animation musicale en
jouant, dans un premier temps, lui-même avec un petit groupe qu'il
avait monté. C'est comme ça que le Jazz-Club est né.
Nous y avons, dans un premier temps, programmé quelques artistes
américains qui étaient accompagnés par cet orchestre,
puis par des groupes complets. C'est devenu le Jazz-Club Lionel Hampton
Depuis, 365 jours par an, nous y proposons de la musique. Aussi bien du
Jazz que du Blues et parfois du Funk.
Je ne résiste pas à la tentation
de vous faire parler de votre expérience au sein du label "
Black & Blue "
C'est un bordelais, Jean-Marie Monestier, qui a fondé le label
" Black & Blue ". Il était disquaire à Bordeaux
et a commencé par organiser des petites tournées. Pour cela
il recherchait des musiciens qui étaient tombés dans l'oubli.
C'était une entreprise " artisanale " et il profitait
de ces moments pour les enregistrer. C'est ainsi que des artistes tels
que Milt Buckner, Roosevelt Sykes et même John Lee Hooker ont enregistré
pour Black & Blue.
Petit à petit ça a grandit, Monestier a eu des collaborateurs
comme Jean-Pierre Tahmazian puis Didier Tricard et moi-même. Nous
avons continué quelques années et si Black & Blue n'enregistre
plus, il y a toujours des tournées et des ré-éditions
d'albums qui sortent.
Parmi tous les artistes que vous avez rencontré,
quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ? De plus, petite cerise
sur le gâteau, auriez-vous une anecdote marquante à me conter
?
Il y a des anecdotes qui ne sont pas racontables (rires), donc on passe
dessus
Parmi les musiciens qui m'ont le plus marqué il y a Muddy Waters,
c'était un homme très gentil avec un grand cur. Nous
jouions aux cartes tous les soirs. C'était la première vedette
que j'accompagnais, donc j'étais très intimidé. La
première fois nous sommes restés six semaines ensemble,
c'était terrible
La tournée s'appelait alors " Newport in Europe ", au
même programme il y avait Sonny Rollins et McCoy Tyner. Un soir
Mick Jagger est venu voir le concert à Londres et avait invité
Muddy Waters au restaurant avec ses musiciens. J'étais le road
manager, le larbin
C'est Muddy Waters qui a insisté pour que je les accompagne en
disant " Si Jean-Pierre ne vient pas, je ne viens pas ".
J'ai donc été invité au restaurant par Mick Jagger,
c'était en 1975. Depuis je l'ai revu plusieurs fois et lorsque
je lui rappelle cette anecdote, il ne s'en souvient pas
George Benson m'a marqué au même titre que Herbie Hecock
et Count Basie. On pense que la plupart de ces grosses vedettes sont intouchables
alors que ce sont des êtres humains comme les autres.
BB King est aussi un type fantastique, son concert à Paris le 17
septembre 2006 sera une de ses dernières apparition européenne,
j'en profiterai pour lui souhaiter sont anniversaire qui aura lieu le
16
Nous avons vécu de très bons moments ensemble.
Benny Carter qui était un très grand saxophoniste et chef
d'orchestre et avec qui j'ai fait sa dernière tournée en
1997 était le parrain de mon fils.
Les choses ne sont plus les mêmes aujourd'hui. Les jeunes passent
par les écoles et possèdent une technique faramineuse, ils
peuvent lire la musique les yeux fermés ou dans le noir. Leurs
aînés ne savaient pas forcément lire la musique et
avaient connu la ségrégation, les souffrances. Ils se plaignaient,
pourtant, moins et offraient souvent des concerts plus généreux
qui pouvaient durer 3 heures avec 45 minutes de bis.
Il y avait quand même quelques fous comme Chuck Berry, par exemple.
Faisant des misères à tout le monde et jouant 55 minutes.
Ces artistes là jouent le même répertoire depuis des
décennies mais remplissent toujours les salles, donc ce sont de
mythes. Miles Davis était aussi peu parlant
Les bluesmen, souvent peu considérés
aux USA, devaient être, en tout cas, très émus de
l'accueil que leur réservait la France
Oui, les artistes de Jazz et de Blues, en dehors de ceux qui avaient une
grande réputation internationale, étaient très surpris
de l'accueil.
Il faut savoir que, par exemple, Fred Below (immense batteur de Blues
de Chicago, Nda) était éboueur à la ville de
Chicago et prenait ses vacances pour tourner en Europe.
Lorsqu'il retournait à Chicago, jouer le soir dans des clubs
pour 4 ou 5 dollars l'affiche à l'entrée précisait
qu'il revenait de tournée européenne, ce qui lui permettait
de gagner 1 ou 2 dollars de plus
Ils étaient étonnés de voir que tant d'amateurs les
connaissaient ici et avaient leurs disques.
Ils aimaient la France pour cela
Pour en revenir au Jazz-Club, comment s'est déroulé
l'" après Moustache " ?
Lorsque Moustache est décédé, nous étions
plusieurs à reprendre le Club et à en assurer la programmation.
Malheureusement peu après je me suis fait remercier.
Par la suite l'Hôtel et le Jazz-Club ont été rénovés
et Didier Tricard et moi-même avons été re-contactés,
depuis nous sommes deux à programmer. Nous programmons depuis 2000
et avons commencé par un hommage à Moustache car il nous
manque toujours, le " gros ". Il incarnait la joie de vivre,
c'était un faiseur de fêtes incroyable
Nous essayons de conserver son esprit et " son ambiance ". Si
nous sommes toujours là, aujourd'hui, c'est que ça tourne
!
Comment vous répartissez-vous la tâche
?
Didier est le spécialiste du Blues, moi je suis plus Jazz Moderne,
Bee Bop, Grandes Formations
Nous travaillons main dans la main en nous informant des tournées
qui passent par l'Europe et souvent nous faisons spécialement venir
des groupes des Etats-Unis.
J'ai toujours aimé le pianiste Ramsey Lewis, un père du
Funk. Je ne l'avais jamais vu en concert et puisqu'il faisait une tournée
il y a deux ans, nous l'avons fait venir. C'était le seul moyen
pour moi de le voir et de l'écouter enfin (rires).
Les deux concerts étaient archi-complets, nous avons refusé
du monde
Pouvez-vous me dire de quelles infrastructures
vous disposez puisque je crois que vous êtes l'un des Clubs les
mieux pourvu en termes de matériels et que vous offrez d'excellentes
prestations aux artistes ?
En tant qu'amateurs nous avons toujours aimé assister à
des concerts dans de bonnes conditions. La moindre des choses était
donc de donner de bonnes conditions de travail aux artistes afin qu'ils
puissent s'exprimer le mieux possible.
Nous voulons aussi que le public reçoive un bon accueil et qu'il
dispose d'un excellent confort d'écoute.
La direction a, ainsi, mis à notre disposition une grande sono,
une belle scène, des éclairages et la possibilité
d'accueillir des Big Bands.
Pour l'instant tout le monde nous félicite
Des gens comme BB King ou Solomon Burke se sont
produits ici, auriez vous encore un rêve concernant la venue d'un
artiste ?
Oh là là
il y en a de moins en moins
J'aimerais faire venir George Benson avec qui j'en ai discuté
Il a un vieux rêve, celui de faire un spectacle autour de l'uvre
de Nat King Cole. Pour cela il cherche un petit lieu, pourquoi pas chez
nous ?
Il faut préciser que nous avons aussi eu Cab Calloway et Lionel
Hampton. C'étaient des soirées folles avec une queue de
spectateurs jusqu'au trottoir
Il y a eu tant de vedettes
Charles Brown par exemple
J'aimerais aussi avoir Etta James, avoir à nouveau Buddy Guy, s'il
joue un peu moins fort
Nous sommes contents de ce que nous programmons et seront fiers de recevoir
à nouveau Jimmy McCracklin qui est rare en Europe et qui restera
4 jours avec nous, nous donnant une lueur de jeunesse
J'aurais bien aimé programmer le Johnny Otis Show, qui était
la base du Rythm and Blues et du Rock'n'Roll. Cela n'a pas pu se faire
et aujourd'hui Johnny Otis est bien vieux et il a du mal à refaire
ce qu'il a fait.
Depuis quelques temps vous avez ouvert votre scène
au Rock'n'Roll, jusqu'à quelle musique seriez-vous prêt d'aller
?
Êtes-vous touché, par exemple, par la mouvance Hip Hop Blues
?
Pour l'instant non, nous faisons du funk mais nous ne sommes pas prêts
pour aller au delà. Je préfère rester traditionnel,
il ne faut pas oublier les racines. Aujourd'hui tout est mélangé
dans certains Clubs et dans les Festivals. Nous préférons
nous en tenir ici au Jazz, au Blues et aux apparentés directs.
Il ne faut pas que le public des habitués perde ses repères,
au même titre nous ne programmons pas de Free-Jazz ou de Fusion.
Il y a d'autres établissements, chacun doit avoir sa particularité.
Vous parliez du public, quel est-il au Jazz-Club
Lionel Hampton puisque c'est un établissement très prestigieux
et luxueux ?
Dans l'Hôtel il y a 1035 chambres, c'est le plus grand de France.
De ce fait nous avons des clients dans notre public mais aussi des gens
de passage et des amateurs de musique. C'est un endroit pour tous.
Nous ne sommes pas un vrai Club mais un Bar qui le soir se transforme
en Club. Donc parfois les clients du Bar restent
Rien n'est défini. Il est certain que l'endroit est très
luxueux et que l'Hôtel appartient à une certaine catégorie
mais nous n'avons jamais mis de barrières et vous pouvez venir
en " jeans-baskets " sans problème, il suffit d'être
correct.
Les spectateurs ici sont de tous les âges et de tous les m ilieux
sociaux, leur point commun est de vouloir passer une bonne soirée.
L'entrée est libre, seule la première consommation est un
peu plus chère.
Il faut savoir qu'il y a quand même, chaque soir, deux sets différents
de chacun une heure et demi. Les gens peuvent rester 3 heures en ne prenant
qu'un seul café. Ceci n'est pas excessif donc il faut oser venir
nous voir !
Pouvez-vous me dire quel est le plus beau compliment
qu'un artiste vous a fait ?
Il y a des artistes qui ont dit qu'ils m'aimaient et qu'ils souhaitaient
revenir jouer au Club. Je garde aussi des contacts avec beaucoup d'entre
eux, ils m'envoient des cartes postales lorsqu'ils sont en tournées.
L'Orchestre de Count Basie m'a écrit un morceau qui s'intitule
" Vignola Express "
(JP Vignola m'avouera hors micro
que la première fois qu'il a entendu ce morceau il n'a pas pu retenir
ses larmes, Nda).
Buck Clayton a écrit un morceau qui porte le prénom de ma
fille, ce qui m'a aussi touché.
Le trompettiste Harry Edison, aujourd'hui disparu, était né
un 10 octobre, comme mon fils, de ce fait il me téléphonait
tous les ans à la même date, qu'il se trouve aux USA ou au
Japon, afin de souhaiter l'anniversaire à ce dernier. Souvent sans
se soucier du décalage horaire
Je fais partie de la famille de certains d'entre eux, il n'y a rien d'autre
à dire
. Le petit blanc français faisant parti de la
grande famille des jazzmen noirs américains
et ça
j'en suis fier (M.Vignola est à ce moment là visiblement
très ému, Nda) !
Qu'auriez-vous manqué dans votre vie sans
la musique ?
Je venais du bâtiment qui est une belle profession.
Mais la musique m'a permis de rencontrer beaucoup de gens fantastiques
que ce soit à Maubeuges, Valanciennes, Munster, Stockholm ou Madrid.
Cela a été une aventure humaine fantastique et si c'était
à refaire je le referai même avec les erreurs.
(long blanc d'émotion)
Pour conclure je veux dire qu'il ne faut pas enterrer le Jazz et le Blues
car quand on voit à la télévision la Star Ac' et
compagnie on peut se dire qu'on est mal barrés
Il y avait une émission de Jazz sur M6 animée par Philippe
Adler, qui valait ce qu'elle valait, mais qui avait au moins le mérite
d'être la seule émission régulière sur le Jazz.
Je ne sais pas pourquoi on nous l'a supprimé
Maintenant nous n'avons plus rien du tout, donc il faut continuer à
défendre ces musiques qui sont à la base de tout ; de la
Pop, du Rock
Bref tout vient du Jazz et du Blues.
Oui tout vient du Blues donc il faut défendre cette musique et
on peut te remercier d'avoir une émission comme la tienne et remercier
des fous furieux comme Michel Hauser à Munster qui tous les ans
à l'ascension fait un Festival où il y a du Jazz et du Blues.
J'y suis encore allé cette année, j'y ai bu un Tokay "
Vendanges Tardives ", j'y ai vu les cigognes et c'était fabuleux
(rires) !
Difficile d'écrire une conclusion suite
aux propos, si complets et souvent très touchants, de Jean-Pierre
Vignola.
La passion intacte, il continue de livrer jour après jour un combat
sans merci face à la "musique préfabriquée".
En "petit artisan", il démontre au quotidien que le genre
qu'il aime et défend peut plaire au plus grand nombre tout en conservant
sa personnalité et son authenticité.
Loin des a priori, le Jazz Club Lionel Hampton est un endroit ouvert et
chaleureux où il fait bon se détendre en écoutant
de la bonne musique toutes les nuits de l'année de 22h30 à
02h00.
David BAERST
www.jazzclub-paris.com (programmation,
historique, visite virtuelle...)
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