
L'Exposition Rock'n'Roll 39-59 à la Fondation Cartier
Considéré très longtemps comme un Art mineur, le
Rock'n'Roll est aujourd'hui réhabilité grâce à
une impressionnante exposition à la Fondation Cartier à
Paris.
Du Blues au Boogie-Woogie et de la musique
Hillbilly au Rythm and Blues toutes les racines de ce genre sont représentées
à travers des centaines d'objets et documents.
Deux niveaux permettant aux visiteurs d'apprendre à travers un
parcours didactique et enrichissant l'apport de cette musique dans la
société. Entre film (Rock'n'Roll: The Early Days de Patrick
Montgomery et Pamela Page), concerts (Heavy Trash, Tav Falco etc
)
et conférences (Buddy Holly par Greil Marcus etc
) ce voyage
dans le temps nous permet de revivre ces années durant lesquelles
l'insouciance des Teenagers faisait des pieds de nez permanents aux conflits
générés par leurs aînés.
Isabelle Gaudefroy, commissaire de l'exposition, nous explique plus en
détail les tenants et aboutissants de cette passionnante rétrospective.
Madame Gaudefroy, quelles sont les raisons qui
ont poussé la Fondation Cartier à s'intéresser à
un art tel que le Rock'n'Roll ?
Nous pensons que le Rock'n'Roll est aussi une forme d'Art contemporain,
par ailleurs la Fondation a toujours été ouverte à
toutes les formes d'Art. Dans le passé, par exemple, nous avions
déjà fait, en 1991, une exposition sur Andy Warhol et le
Velvet Underground où la musique était très présente.
Il y a aussi eu beaucoup d'expos de design avec des cinéastes tels
que David Lynch
C'est donc un peu dans notre culture de balayer tous les horizons de la
création contemporaine.
Ce qui est plus atypique pour nous est d'être, actuellement, dans
une exposition plus historique où une période est retracée.
Seules les années 60 avaient déjà été
mises en avant dans le passé.
Ce qui nous a poussé à travailler sur cette thématique
est l'envie de montrer à quel point le Rock'n'Roll des années
50 était révolutionnaire. Il est arrivé dans une
société extrêmement rigide, conformiste et raciste.
C'est une donnée que l'on oublie souvent en Europe où on
associe souvent le Rock et la révolution aux années 60.
On a un regard plus nostalgique sur les années 50...
On ne se rend pas compte que les gens qui ont fait découvrir le
Rock'n'Roll durant cette décennie ont, véritablement, bouleversé
une civilisation entière.
Outre la musique, quels sont les domaines plus
" sociaux " qui sont abordés ici ?
Une problématique que nous mettons vraiment en avant est la problématique
raciale
Un des apports majeurs du Rock'n'Roll, en termes d'impact politique et
de répercutions sociales, est que cette musique a été
un des coups de boutoir principaux apportés à cette fracture
raciale.
En 1954 il commençait à y avoir une légère
prise de conscience aux USA du fait que la ségrégation était
une chose peu admissible. Cette année-là, la Cour Suprême
américaine a décidé d'interdire la ségrégation
dans les écoles. Il était, enfin, anti-inconstitutionnel
de séparer les noirs des blancs
La même année, le Rock'n'Roll explosait avec le premier disque
d'Elvis Presley et " Rock Around the Clock " de Bill Haley.
Cette concomitance de phénomènes a fait que l'on peut lier
la problématique raciale à la question du Rock'n'Roll.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour préparer
un tel évènement et réunir tous les objets exposés
?
Nous avons travaillé dessus un an en ce qui concerne la partie
recherche et documentation.
Les six derniers mois ont été consacrés, en partie,
à réunir les différents matériaux qui constituent
l'exposition. C'est, en fait, assez court compte tenu du nombre de documents
(plus de 600 entre les photos, affiches, lettres etc
) rassemblés.
Nous avons beaucoup travaillé avec des interlocuteurs américains
qui sont des grands collectionneurs et qui nous ont beaucoup aidés
en nous fournissant des documents extrêmement rares et importants.
S'agit-il de collectionneurs privés ou
avez-vous eu recours à des Musées américains ?
C'est principalement des collectionneurs privés bien que deux Musées
(le Rock'n'Roll Hall of Fame de Cleveland et l'Experience Music Project
à Seattle) nous ont prêté beaucoup d'objets.
Parmi ces collectionneurs il y a, quand même, pas mal d'européens
dont quelques français qui possèdent de nombreux disques,
magazines et documents papier.
Pour les objets plus rares et spectaculaires, comme les guitares (anciens
instruments d'Elvis Presley, Buddy Holly ou Carl Perkins par exemple),
ils appartiennent à des collectionneurs privés.
Quels sont les autres temps forts de l'exposition
?
Nous avons souhaité mettre l'accent sur l'art graphique de l'époque
avec des affiches des années 50 qui sont exceptionnelles. Aussi
bien du point de vue du contenu que de l'aspect visuel. C'est, par exemple,
la première fois que des musiciens blancs et noirs figuraient sur
la même affiche
Ce phénomène était encore impossible quelques années
auparavant.
Nous avons aussi reconstitué un studio d'enregistrement des années
50 avec le matériel de l'époque. C'est un univers dans lequel
les spectateurs aiment beaucoup se plonger. Ce studio sert aussi de lieu
d'exposition puisque y figurent des photographies de l'immense artiste
américain, William Egglestone.
Ce dernier avait pris des clichés du studio de Buddy Holly (qui
appartenait en fait à Norman Petty, également auteur de
chansons pour B.Holly, Nda) à Clovis (Nouveau-Mexique). Ce
lieu est resté inchangé depuis les années 50...
Parmi ces objets y-en a-t-ils qui sont exposés
pour la première fois ?
De nombreuses choses sont exposées pour la première fois
Etant un centre d'Art nous avons beaucoup appréhendé cette
exposition à travers la photographie.
Ainsi une large section présente des clichés d'Elvis Presley
par Alfred Wertheimer. Il y en a une soixantaine dont de nombreux inédits.
Autour de cette exposition, de nombreuses manifestations
sont mises en place. Pouvez-vous m'en dire plus ?
Nous avons un programme de performances et de spectacles qui s'appelle
les Soirées Nomades dans le cadre duquel nous allons organiser
de nombreux concerts ainsi que des conférences.
A titre d'exemple, il y aura un concert de John Spencer et beaucoup d'autres
personnalités issues de la scène Rock américaine
et qui sont très influencées par le Rock'n'Roll des années
50.
Il y aura aussi des évènements plus ludiques comme un bal
Rock'n'Roll du 14 juillet ou encore le Championnat de France de Air Guitar.
Cette manifestation a-t-elle déjà
suscité la curiosité de quelques artistes de Rock'n'Roll
?
A cette date (enregistrement réalisé le 22 juin 2007, Nda)
nous en sommes qu'au début de la médiatisation.
De surcroît, nous préférons choisir nous-même
les artistes avec lesquels nous travaillons.
Avec notre recul des années 2000, quelles
sont les grandes leçons que nous pouvons tirer de ces années
et de cette explosion culturelle ?
Ce qui est étonnant est que ce mouvement est né de manière
très spontanée par le biais de gens qui ne savaient pas
très bien ce qu'ils faisaient, à quel point cela était
révolutionnaire et nouveau.
Depuis le Rock'n'Roll est devenu un " mot clé " qui est
énormément utilisé.
A titre d'exemple j'ai, dernièrement, entendu que lorsque l'on
reçoit une Freebox le code pour y accéder est Rock'n'Roll

Ce terme est, aujourd'hui, cuisiné à toutes les sauces,
c'est devenu un vrai label alors qu'au départ il s'agissait d'une
lame de fond qui a causé un mouvement de société.
Aujourd'hui le Rock'n'Roll est un produit de marketing même s'il
existe encore plein de choses nouvelles et extraordinaires dans les productions
récentes.
Même si la vitalité perdure je pense que le côté
révolutionnaire originel n'est plus forcément dans le Rock'n'Roll.
Est-ce qu'à titre personnel, le fait de
travailler depuis de si nombreux mois sur ce projet vous a apporté
un enrichissement personnel. En avez-vous tiré quelque chose ?
J'ai appris énormément de choses car il s'agit d'une exposition
historique.
Quand on travaille sur une période de l'histoire on s'y plonge
entièrement. Même en ayant des connaissances sur le sujet,
on apprend des choses
Cela en dit long, aussi, sur la culture contemporaine car l'explosion
du Rock'n'Roll dans les années 50 a été la base d'un
changement culturel qui a balayé toute la civilisation occidentale.
On prend, de ce fait, conscience de beaucoup de phénomènes
culturels actuels.
Souhaiteriez-vous donner une suite, décennie
par décennie, à cette exposition ?
Non, je crois que ce n'est pas le principe de travail de la Fondation
Cartier.
Nous nous attaquons à un thème lorsque nous estimons que
le moment est mûr pour le faire et surtout lorsque nous avons envie
de le faire. Il faut qu'il y ait du désir, nous n'aimons pas les
choses systématiques.
Lorsque nous avons fait, dans les années 80, une expo sur les
années 60, c'était pertinent car personne ne s'intéressait
à cette décennie. De la même manière, aujourd'hui,
personne ne s'intéresse au Rock'n'Roll des origines alors qu'il
y a un vrai " revival " de cette musique. Il suffit de voir
l'influence qu'elle a sur les jeunes groupes
Il y a un vrai parallèle entre la société où
est né le Rock'n'Roll dans les années 50 et la société
dans laquelle nous vivons aujourd'hui.
L'exposition Rock'n'Roll 39-59 se déroule
du 22 juin au 28 octobre 2007 à la Fondation Cartier pour l'Art
Contemporain - 261, Boulevard Raspail - 75014 PARIS
Entrée: 7,50€. Tarif réduit: 5,50 €. Tous les
jours sauf les lundis de 10h à 20h. Nocturne les mardis jusqu'à
22h
David BAERST
www.fondation.cartier.com
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