Nda : Le groupe Jim Murple Memorial a, dès sa création, permis à un nouveau public de découvrir les rythmes nord-américains et caribéens en France. L’abnégation de son fondateur, Romain Dallaine, permet à l’ensemble de continuer à se produire et à enregistrer malgré de nombreux changements de personnels, des départs volontaires et des disparitions tragiques. C’est donc entouré de sa fille Célia Dallaine (chant), Alban Le Goff (claviers), Jiu Bass (contrebasse), Matthieu Tarot (trompette), Xavier Bizouard (saxophone) et Ben Vanhove (guitare) que le batteur porte à bout de bas ce projet devenu mythique et qui poursuit sa route coûte que coûte. Rencontre avec cette personnalité attachante, qui a tant œuvré pour la défense de la musique live dans notre pays.
Romain, depuis les débuts du groupe, de nombreux musiciens différents s’y sont succédé. Etait-ce une volonté définie dès le départ, afin d’explorer un maximum de territoires musicaux ?
Non, pas du tout. Le groupe s’est formé en décembre 1995, il y a près de 20 ans. Cela passe très vite et représente mille et une aventures. De ce fait, il y a eu un bon nombre d’allées et venues dans son l’histoire…
Peux-tu, justement, revenir sur la création du Jim Murple Memorial ?
Bien sûr ! Cela s’est passé dans les années 1990, c’est-à-dire au XXème siècle. C’était à l’époque !Il faut donc remettre les choses dans le contexte pour ceux qui, à l’époque, avaient encore la conscience du « woack’n’woll ». A cette époque-là, les gens ne connaissaient pas encore beaucoup la musique jamaïcaine originelle. De plus, en France, il y avait une scène alternative qui émergeait bien. L’arrivée du CD, et surtout sa démocratisation, a été une aubaine pour les groupes tels que le nôtre. Avant, l’industrie du vinyle était très onéreuse…ce qui impliquait de se compromettre avec des multinationales pour pouvoir exister. Ces années ont été une espèce d’état de grâce pour les gens comme nous car nous pouvions, enfin, pouvoir produire nous-mêmes nos albums et les distribuer assez facilement. Les amateurs de musique aimaient également posséder des albums un peu originaux, chez eux, afin de pouvoir les faire écouter à leurs amis. Nous n’étions pas encore à l’heure de la profusion culturelle, infinie mais pas éternelle...
Le nom du groupe est un hommage direct à un certain Jim Murple, artiste totalement méconnu. Peux-tu me parler de ce personnage ?
Jim Murple est, à lui seul, un cours d’ethnomusicologie du XXème siècle. Nous avons, au sein du groupe, réalisé une synthèse entre toutes les musique que nous aimons. Nous nous sommes aperçu qu’elles sont toutes inspirées par la black music. Cette dernière représente le début de la fusion entre les genres humains. C’est au XXème siècle que tous les humains se sont rencontrés en ne partageant plus exclusivement la haine et le commerce, mais aussi leurs cultures respectives. Nous avons eu la chance de découvrir, un peu tardivement, des musiciens et chanteurs extraordinaires qui dans l’aventure musicale d’après-guerre étaient tous des grands artistes. Ils incarnaient un véritable art de vivre musical, global et total. C’est ce qui a permis d’entendre des choses formidables. La plupart de ces grands artistes n’ont eu aucune reconnaissance dans nos contrées car lorsque nous les avons découverts ils étaient, bien souvent, morts ou très âgés. Si tu veux, ces musiciens-là ont inspirés toutes les grandes vedettes que nous connaissons aujourd’hui… qu’il s’agisse des Rolling Stones ou de Bob Marley. Nous voulions donc rendre hommage à ces gens inconnus, qui ont permis à d’autres de devenir connus…
Nous avons choisi Jim Murple, qui était le plus inconnu de tous, car nous l’avons inventé de toutes pièces. Il représente, à lui tout seul, tous ces gens merveilleux qui ont heureusement été enregistrés un jour par des passionnés. Cela, au-delà de tout concept mercantile. Ces collecteurs de sons nous ont permis, à nous humains, de pouvoir partager ensemble nos cultures et de pouvoir nous nourrir des plus belles choses que l’être humain a pu réaliser.
Depuis quelques temps, Célia a intégré le groupe en tant que chanteuse. Appartenant à une nouvelle génération, a-t-elle apporté quelque chose de nouveau, d’un point de vue artistique (ainsi que ses propres influences musicales), au Jim Murple Memorial ?
Célia vient juste d’arriver, cela date de 10 mois. C’est la fille que j’ai eu avec Nanou et elle est née l’année de la création de Jim Murple Memorial. Ce groupe a été à deux doigts de s’arrêter, l’an passé, quand Nanou a décidé de mettre un terme à notre collaboration. En tant que chanteuse, elle personnifiait ce projet. Elle en était l’âme et la voix…
Nous avons aussi eu à déplorer la disparition de notre chanteur-guitariste Cédric « Little Ced » Zaczek qui est parti des suites d’une maladie très grave, alors qu’il était d’accord pour reprendre le flambeau. Nous étions sur le point de tout arrêter, Jim Murple c’était fini…
Il se trouve que Célia, qui a toujours baigné dans ce climat, était très attachée à ce projet. Etant en rupture scolaire, puisqu’elle n’a pas trouvé sa place dans le cursus traditionnel qui nous est proposé par la république laïque, elle s’est sentie l’âme de continuer cette aventure avec nous. Actuellement, nous créons de nouvelles chansons et c’est vraiment une nouvelle page qui commence à s’écrire. Nous pourrons évaluer tout cela ensemble, lorsque notre prochain album sortira…
Entre calypso, soul, reggae, rocksteady et blues on a du mal à classifier votre musique…une chose probablement volontaire. A tire personnel, comment la définirais-tu ?
La musique, c’est du son. Ce son est lié à une facture instrumentale qui n’a eu de cesse d’évoluer. En formant ce groupe, nous avons remarqué (avec un grand contrebassiste, le regretté Fabrice Lombardo décédé en 2003) que, dans l’itinéraire de la musique de danse, l’histoire de la contrebasse s’est arrêtée lorsque Leo Fender a inventé la basse électrique. A partir de ce moment-là, le son de la musique de danse a changé puisque la basse électrique a amené plus de dynamique, donc plus de volume et la possibilité de faire de la musique de masse (c’est-à-dire jouer dans des salles de plus en plus grandes). C’est toute la musique des années 60 à 90 qui en a été bouleversée. On ne voyait plus, qu’à de rares exceptions près, de contrebasses dans le paysage musical. A partir des années 1990, ont enfin été mis au point des systèmes d’amplification pour cet instrument. Une chose qui a permis au Jim Murple Memorial de relancer l’histoire de la contrebasse dans la musique de danse. Ce n’est pas un détail, car cela change vraiment la couleur sonore de l’orchestre ainsi que le jeu de la batterie. C’est ce qui nous a permet de créer notre emprunte sonore…
Sinon, notre musique est grand mélange de tout ce que l’on aime. Nous essayons d’incarner, en chansons, l’histoire des gens qui composent ce groupe. Tout cela en produisant des mélodies qui sonnent, qui font du bien et qui rendent heureux…tout simplement.
Ne trouves-tu pas que l’on assiste, actuellement, à un renouveau de la musique dite populaire (dans le sens noble du terme) ?
Si ce mode de vie réapparait, nous n’en sommes qu’au redémarrage du train… D’un côté il y a le grand public (qui est complètement collé aux médias et à la publicité) qui ne cherche pas à découvrir des talents par lui-même. Il va là où on lui dit d’aller.
D’un autre côté, il y a les gens qui sont vraiment mélomanes et qui recherchent d’autres musiques. Les musiciens qui vivent vraiment leur art, qui le partagent dans de vraies histoires de groupes et qui essayent de rendre cette activité viable d’un point de vue professionnel connaissent des difficultés. La situation est très difficile car ils sont en concurrence avec « la musique en surgelé », les DJ. Il va devenir de plus en plus difficile de subsister pour les groupes. Ce sera comme dans les entreprises qui demandent beaucoup de main d’œuvre, il faudra réduire le personnel. Si ça continue, ce sera bientôt karaoké pour tout le monde…c’est dommage. Il faut que les gens prennent conscience que s’ils aiment la musique live et les groupes, il faut aller les voir et les encourager. Sinon, il ne restera bientôt plus que les vainqueurs des émissions de télé-réalité.
Puisque tu parles de médias. Le nom de Jim Murple Memorial est connu de beaucoup de gens alors que le groupe n’a jamais fait la une des tabloïds et des grands shows télévisés. Cela est-il lié à un bouche à oreille qui a bien fonctionné, suite à vos prestations scéniques ?
Je pense que c’est ça !Aujourd’hui, arriver dans un endroit un peu improbable, aller voir des artistes que tu ne connais pas, les découvrir par toi-même et être touché est un véritable cadeau. C’est dans l’intitulé du groupe, c’est quelque chose de mémorable car il y a une implication réelle des musiciens dans ce projet, ainsi qu’une manière inédite de faire vivre et respirer l’orchestre. Tous les musiciens et la chanteuse sont mis en valeur. Nous sommes un vrai groupe !
Si nous ne sommes jamais rentrés dans un contexte commercial de masse c’est, justement, parce que nous sommes un groupe. Cela fait déjà pas mal de temps que les gens qui produisent de la musique, et veulent gagner de l’argent avec, comprennent qu’il est plus difficile de gérer une somme de personnalités plutôt qu’un artiste seul (pour lequel on embaucherait des employés). Cette démarche est, en gros, comme monter une affaire. Ce sont deux histoires qui n’ont rien à voir en réalité…
Malgré de nombreux changements dans son line-up, le groupe a toujours su garder une certaine constance dans ses compositions. Comment avez-vous su conserver cette ligne directrice ?
A partir du moment où tu créés quelque chose qui sort un peu des sentiers battus, un son qui te sois propre, c’est un peu comme une signature. Un groupe c’est, avant tout, un son !
A chaque fois que nous avons accueilli un nouveau membre, il a fallu lui faire comprendre notre émotion musicale qui est très spécifique (et cela est, encore une fois, lié à l’utilisation d’une contrebasse au sein d’un groupe amplifié). Nous pouvons aussi bien nous produire sur de très grosses scènes comme dans de petits clubs. De ce fait, chacun d’entre nous doit suivre une démarche qui lui permette de comprendre ce projet. C’est la manière de la jouer qui donne sa spécificité à la musique… Si tu interprètes une musique que tu n’as pas créée, il faut être humble et l’apprendre. C’est quand tu en as compris les caractéristiquesque tu peux commencer à t’exprimer. C’est comme un langage… Il faut se plonger dans le vocabulaire très précis des différents styles que nous jouons, comme le ska jamaïcain originel. C’est une musique très chaloupée, très groovy, qui sonne à merveille. Elle représente le début de la modernité dans la musique. On y trouve une synthèse, dans l’orchestration, qui permet à chaque musicien de jouer fort et de monter le son. Un jour les gens comprendront que tout vient de là…
Les deux Lloyd (Brevett et Knibb) du groupe The Skatalites sont, à mon sens, les papas de la rythmique moderne. Pendant que les autres faisaient une musique très binaire, eux ont inventé un genre complètement original. Pour cela, eux aussi, se sont inspirés de la musique qu’ils aimaient.Ils sont à l’origine de ce chaloupé et de cet after beat qui sont si caractéristiques de la musique des années 1970 et 80…jusqu’à aujourd’hui. C’est ce qui rend encore notre musique actuelle et écoutable aujourd’hui. Tout le monde s’y retrouve, y compris les jeunes…c’est incroyable !
Avec l’arrivée de Célia, le groupe semble renaitre et trouver un nouveau souffle. Quels sont vos projets les plus immédiats ?
Nous venons d’enregistrer deux ou trois morceaux dans le but de sortir un EP. Nous en avons mis un en ligne sur notre site internet. Il s’agit de la chanson « C’est pas sérieux » (à l’origine « Theme for a dream » créée par Cliff Richard, nda) qui date des années 1960 et qui avait déjà été reprise par Dick Riverset Les Chats Sauvages à cette période. Nous l’avons adaptée d’une manière plus originale, pêchue et groovy. J’invite tout le monde à aller sur notre site afin de l’écouter… Par ce biais, on peut aussi entrevoir tout le talent de la nouvelle chanteuse du Jim Murple Memorial.
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Tout simplement que tout cela est une sacrée aventure ; le rock’n’roll, la musique, les rencontres, le partage et ces concerts durant lesquels nous mettons le feu… J’espère que les gens qui organisent des manifestations culturelles continueront de penser à nous. C’est une putain d’aventure qu’il faut cautionner !
Remerciements : Benoit Van Kote (Au Camionneur)
http://www.jimmurplememorial.com
https://www.facebook.com/JimMurpleMemorial
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