Nda : C’est quelques jours avant la sortie française de son album « Bleu Bizarre » (Moi J’Connais Records) que le groupe helvétique Adieu Gary Cooper a foulé, pour la première fois, les planches de l’hexagone (en première partie de Mama Rosin).
Une tournée faisant écho à des critiques particulièrement élogieuses et permettant aux cinq musiciens (Perrine Berger aux guitares ainsi qu’à la lap steel, Paul Becquelin aux guitares et au mellotron, Gérald Monier à la batterie et Nicolas Scaringella au chant, aux claviers et à l’harmonica) de dévoiler, à un nouveau public, un répertoire qui s’adapte parfaitement bien aux conditions du live.
Bref, une surprise aussi bien discographique que scénique à côté de laquelle il aurait été dommage de passer. De ce fait, c’est au rythme d’un coureur de demi-fond que j’ai traversé Colmar (ville étape de l’ultime concert de cette tournée) afin de tendre mon micro à un Nicolas Scaringella, profitant du soleil en terrasse… et sur le point de rejoindre ses complices pour leur soundcheck. Des essais de son, certes, réalisés dans la langue de Molière mais attestant que les fameuses relations bilatérales entre la Suisse et les USA n’ont rien d’une légende.
Nicolas, même si je pense que l’on a déjà du te poser la question mille fois, peux-tu revenir sur le choix du nom de ce groupe. Est-ce un hommage appuyé à Romain Gary, qui a sorti le roman « Adieu Gary Cooper » en 1964 ?
C’est, bien sûr, directement une référence à Romain Gary…mais cela a aussi à voir avec deux autres choses. La première, est que nous sommes basés entre Genève et Lausanne en Suisse (l’action du roman se déroulant à Genève et dans les Alpes suisses), ce qui permet de localiser les origines géographiques du groupe. La deuxième est que le thème du livre est une sorte d’adieu aux héros américains (le refus de participer à la guerre du Vietnam par exemple…).C’est un aspect que, d’une certaine manière, nous cherchons à véhiculer à travers notre musique. Si cette dernière est très influencée par des rythmes venus des USA nous avons, malgré tout, fait le choix de nous exprimer en français. C’est une manière de dire « au revoir » à l’Amérique. Même si sa culture nous imprègne totalement, nous nous revendiquons francophones…
Le héros de ce bouquin, Lenny, est un désengagé social, politique et affectif. Cet anticonformisme est-il à la base de vos créations musicales ?
Oui et non… Nous souhaiterions être politiquement engagés mais il est difficile d’élaborer des chansons dans cette optique, même si nous flirtons parfois avec. J’aimerais réussir à écrire des textes politiques mais, pour cela, il faudrait que je puisse faire comme Dylan. En effet, il a su trouver une forme subtile…qui n’est pas du premier degré.
En tout cas l’ouvrage « Adieu Gary Cooper » est un livre phare des années 1960. S’agit-il d’une période qui vous est chère ?
Nos influences incluent tout un pan de la culture musicale de cette décennie. Nous la connaissons de manière assez détaillée. Ceci dit, nous écoutons plein de choses différentes. J’entends par là du vieux blues-folk-country du début du XXème siècle, de la musique des années 1950 à 70, puis des choses plus actuelles. Il y a, de nos jours, de superbes groupes qui se produisent dans des registres variés. Nous sommes même branchés jazz et rap… Nous ne voulons donc absolument pas être référencés « musique des sixties » où que les gens continuent de nous dire que nous avons un son « vintage ».
Peux-tu revenir sur la genèse du groupe ?
Ce groupe est né des cendres d’un précédent combo dont nous étions les membres. Ce dernier se produisait dans un registre plus garage-punk et s’exprimait, également, en français. Il s’appelait Perrine et les Garçons, en référence au groupe lyonnais Marie et les Garçons. Pour différentes raisons, nous avons splitté et certains d’entre nous ont souhaité se retrouver dans un registre un peu plus tranquille. Après deux ans les répétitions se sont accentuées. Nous avons « trainé » dans notre local et, il y a environ un an, on est rentré en studio (sous la houlette de Robin du groupe Mama Rosin) où nous avons enregistré un disque. Nous sommes donc vraiment actifs depuis une année.
Avant de vous connaitre, avez-vous vécu beaucoup d’expériences musicales différentes ?
Perrine, notre guitariste, est la vraie musicienne du groupe. Elle joue depuis son adolescence et a intégré différents groupes, elle gratte à fond !Paul, notre autre guitariste et multi-instrumentiste, a commencé avec notre ancien groupe. Géraldet moi-même venons de « nulle part ». Nous n’avons jamais appris la musique et avons juste envie d’en faire. Nous sommes donc sujets à des limites techniques mais possédons une grande envie qui nous pousse.
Votre premier album s’intitule « Bleu Bizarre ». Est-ce en clin d’œil à votre musique qui est ancrée dans la grande tradition de la « note bleue », tout en explorant des horizons très variés ?
L’album porte principalement ce nom car, lorsque nous sommes entrés en studio, nous voulions un son « bleuté ». Ceci pas forcément pour le blues, même si certaines choses dans le disque y font référence, mais dans sa production (choix des échos, de la réverb’). Nous nous imaginions quelque chose de bleu, donc nous avons utilisé ce terme. « Bleu Bizarre » fait aussi référence à l’album « Le Beau Bizarre » de Christophe et à « Bleu Pétrole » de Bashung. C’est un peu Bashung/Christophe …Ce sont aussi des artistes francophones qui possèdent une culture américaine (que nous possédons également) tout en faisant de la chanson française. C’est un filon sous-exploité qui nous intéresse.
Dans quelles conditions avez-vous enregistré ce disque ?
Il a été enregistré en quatre jours, de manière live. Les morceaux ont été captés en direct et nous y avons ajouté quelques petits overdubs. Nous n’avions pas beaucoup de jours de studio devant nous. Nous avons donc répété en amont même si, pendant les sessions, certains morceaux ont pris une direction très différente par rapport à celle qui était prévue au départ. Nous avons fait des choses auxquelles nous n’avions pas pensé. Le travail en studio est une chose superbe !
Le choix de vous exprimer en français est-il murement réfléchi, aviez-vous fait des tentatives en anglais avant de concevoir l’album ?
Il y a très longtemps, en tant que « petits jeunes », nous avions fait des trucs en anglais. Cependant, nous sommes rapidement passés à des textes en français. Si nous prétendons bien parler l’anglais, il faut se mettre à l’évidence…il ne s’agit pas de notre langue maternelle. Je m’intéresse beaucoup aux textes et il y a des artistes francophones que j’admire vraiment même si, parfois, leur musique est un peu « craignos ». Je possède des disques français qui me plaisent pour différentes raisons mais je n’en ai pas un seul qui me plaise autant qu’un album du Velvet Underground. Il y a donc encore beaucoup de choses à faire en français. Puis quand j’entends des groupes francophones qui chantent en anglais avec un accent pourri, je ne trouve pas cela mignon comme le pensent certaines personnes. Je trouve cela nul car j’ai envie d’entendre ce que dit l’artiste, pas un mec qui fasse du yaourt. J’ai envie de textes, même quand la musique est un rock brutal. Je trouve que les mots comptent et comme le français est notre langue, cela coule de source… Je parle en français tous les jours alors pourquoi devrais-je chanter en anglais ?
Tu as déjà évoqué certains artistes mais pourrais-tu revenir, en détails, sur les différentes influences du groupe ?
Cela commence par des fondamentaux tels que le Velvet Underground qui a inspiré 80% des groupes qui sont écoutables. Puis, dans les références de base, il y a Bob Dylan dont nous sommes de grands fans. Il y a également Bashung ainsi que Gainsbourg pour d’autres raisons…Après, il y a une myriade de groupes très ponctuels et pointus. Des gars qui ont fait trois chansons avant de sombrer dans l’oubli. Chez les français, je ne peux pas oublier d’évoquer Marie et les Garçons ou encore Métal Urbain dont nous allons faire une reprise ce soir. Nous adaptons donc des titres d’artistes se produisant dans un registre assez éloigné du notre. Ce sera du Métal Urbain en « bluesé », ce qui est assez marrant. Dans les groupes du moment, nous avons beaucoup écouté les Black Lips, les White Fence et toute cette scène de San Francisco et de Los Angeles. Du blues, de la folk, de la country… tout cela fait aussi partie de notre univers. Des gars comme Woodie Guthrie, Towne Van Zandt …Il y a, bien sûr, les Beach Boys période « Pet Sounds » et « Smile » (dans sa version originale « mal finie »). Nos influences partent dans tous les sens. Je n’arrive pas à faire la différence entre ce que nous écoutons. Nous ne cherchons pas un citer explicitement quelqu’un. Quand on a des goûts diversifiés on en retrouve forcément des évocations dans sa musique.
Vos textes sont particulièrement travaillés. De quelle manière les élaborez-vous, est-ce un travail réalisé en commun ?
Ce serait plutôt mon « domaine réservé », alors que la musique est une chose qui nous est totalement commune et partagée. En dehors de moi, seul Gérald en a signé un sur l’album. Ma manière de travailler ressemble à du bricolage car j’ai plein de notes, à droite et à gauche, que j’utilise de manière plus ou moins aléatoire en procédant par « collages ». Parfois, je sors tout de même une chanson d’un trait, lorsque je veux évoquer un sujet précis.
C’est une manière de travailler qui ressemble un peu à celle qu’utilisait Alain Bashung, qui pouvait assembler une chanson à partir de plusieurs textes qui lui étaient soumis par des auteurs…
Pour certaines chansons c’est exactement cela. Je me sers d’un ensemble de notes pour créer une « couleur ». C’est une chose que j’aime faire car elle permet de ne pas donner un sens explicitement défini à une chanson. Il en résulte davantage une sorte d’image, de couleur, d’impression…
Comment s’est faite la connexion avec le label Moi J’Connais Records ?
La femme de Robin (du groupe Mama Rosin) nous avait bookés il y a longtemps, alors que nous faisions partie d’un autre groupe. Puis, nous avons participé au vernissage du premier disque des Mama Rosin et nous les avons aidés lors de certains de leurs concerts à Lausanne. Nos liens se sont tissés de cette manière, avant que nous ne donnions des concerts en commun.Nous sommes potes depuis 2008 ou 2009 et nous possédons, maintenant, beaucoup d’atomes crochus. Nous écoutons de la musique ensemble, nous nous échangeons des disques et parlons beaucoup de musique. Nous nous envoyons nos démos respectives afin d’obtenir des avis et des recommandations. Un jour, ils nous ont dit que ce que nous faisons est super et qu’ils souhaitaient nous « envoyer » en studio (ce sont, en effet, les membres du groupe Mama Rosin qui sont les fondateurs de Moi J’Connais Records, nda) alors que nous n’y pensions pas encore.C’est une chose qui leur a aussi permis d’étoffer leur label qui, au départ, proposait principalement des rééditions de musiques plus ou moins obscures, provenant d’un « ancien temps ». Ils élargissent donc leur activité en sortant des productions de groupes du moment. Cela concerne principalement des combos suisses car cette scène mérite d’être connue. Ce sont des fers-de-lance…
Nous avons commencé à connaitre cette scène en France, il y a quelques années, notamment par le biais des Hell’s Kitchen. Peux-tu me parler des principaux groupes qui la composent aujourd’hui ?
Il y a une nouvelle scène constituée, entre autres, de « petits jeunes » qui sont très forts. Ils font des trucs un peu psychés du côté de Genève. Je veux parler des Magic & Naked. Il y a aussi des plus anciens, à savoir les bernois de Roy and the Devil’s Motorcycle qui est considéré comme le meilleur groupe de Suisse. Ils vont bientôt sortir un nouveau disque sur le label In The Red Records de Los Angeles. Puis, il y a forcément les Mama Rosin et tous les groupes qui gravitent autour d’eux, chez Moi J’Connais Records (Imperial Tiger Orchestra, L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp…). Je ne peux pas oublier d’évoquer la scène de Lausanne (Honey For Petzi par exemple) qui se caractérise par un son plus post rock et orienté indie. Il y a tout un tas de choses à découvrir… comme Fai Baba à Zurich, qui produit un psyché-garage-soul absolument excellent !
Commencez-vous déjà à faire évoluer la structure de vos premiers morceaux sur scène. Comment les faites-vous vivre ?
Après quelques répétitions, nous sommes directement allés en studio. Notre musique était, au départ, plus acoustique et pas forcément adaptée pour le live. Nous avons donc réarrangé pas mal de choses, un travail que nous poursuivons toujours actuellement. Notre set devient de plus en plus électrique. Il faut dire que, lorsque l’on se retrouve sur une grande scène, il est clair qu’il faut savoir « montrer ses muscles ». A l’inverse, nous retravaillons aussi des chansons pour les proposer sous une forme plus acoustique. C’est un gros travail, car c’est comme si tu réécrivais trois fois le même morceau…
Avez-vous déjà des projets en tête, voire des nouveaux morceaux qui seraient déjà à un stade d’écriture avancé ?
Nous avons été assez pris par les concerts et nous n’avons, pas vraiment, eu le temps de nous poser. Ceci dit, il y a bien sûr des choses en réserve. Nous attendons vraiment d’avoir un peu de repos devant nous afin de pouvoir commencer à préparer la suite. Nous bricolons aussi…Nous avons, par exemple, notre petit projet secret avec Robin des Mama Rosin. Un truc que nous sortirons l’un de ces quatre matins. Ce sera dans un registre plus soul, un peu dans la mouvance de la musique de Shuggie Otis…
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Nous sommes, actuellement, dans un petit jardin charmant en plein Colmar… et c’est vraiment un plaisir d’être là !
Remerciements : Jakob Graf et les Mama Rosin’ !µ
www.adieugarycooper.ch
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