Alain Chennevière
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Alain, en préambule à cet entretien, peux-tu me dire de quelle manière tu es tombé dans le " grand bain " du Rock'n'Roll ?
C'est tout simple…
J'écoute de la musique depuis 1969-70. J'avais, alors, 10-12 ans et je me délectais des disques des Beatles, de Simon & Garfunkel, de Deep Purple etc…
C'est aussi à cette époque que j'ai découvert le Folk et les racines américaines par le biais de Pete Seeger. Je chantais avec mon frère, nous faisions des duos en nous accompagnant à la guitare acoustique dans un registre très Folk et Rock.

En 1971, en regardant l'émission d'Albert Raisner (harmoniciste issu du Trio Raisner, devenu un célèbre présentateur de télévision au début des années 1960 via, notamment, l'émission " Age tendre et têtes de bois ", Nda) " Point Chaud ", je suis tombé sur l'annonce de la mort de Gene Vincent.
J'ai, ainsi, vu un extrait du film de Frank Tashlin " La blonde et moi " (" The girl can't help it " datant de 1956 avec dans les rôles principaux Tom Ewell et la plantureuse Jayne Mansfield, Nda) dans lequel on voit Gene Vincent chanter " Be Bop A Lula ". J'ai pris une claque énorme, cela a été aussi bien un choc musical que visuel car son look était très frappant. Cela n'avait rien à voir avec ce que je connaissais, c'était comme si j'avais vu un martien…
Le lendemain je suis allé à Caen acheter " The Memorial Album " qui venait de sortir. À partir de ce moment-là, tout en continuant à écouter la musique qui se faisait alors (Alain fait référence à la génération Woodstock avec Santana en tête, Nda), j'ai commencé à rechercher des vieux disques de Rock'n'Roll. Ces derniers, en 1971, étaient déjà quasi introuvables…

Il n'y avait pratiquement que sur les marchés que je pouvais en trouver. Le prix d'un Eddie Cochran ou d'un Buddy Holly était de 10 francs…
Depuis, je m'efforce à me tenir informé de l'actualité musicale tout en continuant de " creuser " les racines du Rock'n'Roll et de la musique américaine en général…

Peux-tu revenir sur la fondation des Alligators. Etait-ce ton premier groupe dans ce registre musical ?
Pas tout à fait…
Quand j'ai fondé les Alligators, en 1976-77, j'avais déjà monté ce duo avec mon frère qui nous permettait de reprendre du Buddy Holly à deux voix. Il y a aussi eu d'autres groupes dont un, " Rocky Roberts et ses Chiens de Prairie " (influencé par le film " American Graffiti " que George Lucas a réalisé, en 1973, afin de dépeindre la jeunesse américaine du début des années 1960, Nda), avec lequel je n'ai fait qu'un concert. C'était au Lycée…

J'ai aussi fait un groupe, Albert Mitié, dont le nom était constitué par les premières syllabes des prénoms des membres qui le formaient : Alain, Bertand, Michel et Thierry. Il s'agissait d'un quatuor mi-acoustique, mi-électrique inspiré par Simon & Garfunkel ainsi que par le Rock'n'Roll.
A un moment donné, je me suis dit qu'il fallait que je me coupe les cheveux et que je me lance à 100% dans le Rock'n'Roll. Le groupe Au Bonheur des Dames avait déjà un peu ouvert la voie…

Comment s'est faite la connexion avec Jacky Chalard et son label Big Beat Records ?
J'ai rencontré Jacky alors que je venais de passer mon Bac. Je travaillais dans un studio de graphisme à Trouville. Nous tournions déjà avec les Alligators et commencions à nous bâtir une petite réputation.
J'ai reçu, un jour, un coup de téléphone de Patrick Verbeke qui était alors le guitariste du groupe MAGNUM (dont Jacky Chalard était le bassiste, Nda). Il était originaire de Caen et je l'avais, de ce fait, déjà rencontré. C'était un peu un grand frère pour moi…
Il m'a annoncé que son pote Jacky Chalard montait un label de Rock'n'Roll " fifties " et qu'il cherchait des groupes. Cela s'est fait très vite et nous avons enregistré l'album au studio Davout en 2 jours, mixage compris. Il s'agissait du deuxième album du label après celui de Jezebel-Rock.

Quelques temps après, en 1980, nous avons fait la première partie d'Eddy Mitchell à l'Olympia (série de concerts célébrant les 20 ans de carrière de Schmoll, on entend distinctement Alain intervenir sur le medley final de l'album live issu de ces représentations, Nda) avec, à la clé, la sortie d'un 45 tours 4 titres constitué de reprises du répertoire des Chaussettes Noires (groupe dans lequel Eddy Mitchell a débuté sa carrière à la fin de 1960, Nda).

Y avait-il, à ce moment-là, une vraie attente du public vis-à-vis du Rock'n'Roll ou passiez-vous pour des marginaux ?
Cela dépendait du contexte dans lequel on se trouvait…
Pour notre part, nous avions fait 4 fois le tremplin du Golf Drouot et nous y sommes passés très souvent. Il y avait donc une scène qui se dessinait par rapport à cela et qui allait annoncer la venue de groupes tels que les Stray Cats
Si, pour le grand public, nous étions une curiosité, pour le public Rock, par contre, nous devenions une branche à part entière de cette musique. Même si nous étions très " rétro " pour l'époque…

Peux-tu revenir sur les grandes rencontres du groupe, que ce soit avec Eddy Mitchell à l'Olympia ou avec des pointures anglo-saxonnes dans le cadre de l'émission de télévision " Bop'n'Roll Party " (datant de 1982, présentée par Antoine De Caunes, qui était diffusée dans le cadre des " Enfants du Rock " sur Antenne 2, Nda) ?
Pour moi la première vraie rencontre des Alligators s'est déroulée, bien avant que l'on soit connus, à Caen. Nous accompagnions à cette occasion le chanteur, aujourd'hui disparu, du groupe français " Les Pirates ", Danny Logan. J'avais adoré ce moment-là car je n'étais encore qu'un gosse et je possédais des disques de ce groupe…
Par la suite il y a eu Vince Taylor au Havre, c'était un grand moment et cette rencontre a eu des conséquences par la suite. Puis, par le biais des tournées " Big Beat ", nous avons rencontré des gens tels que Gene Summers, Jack Scott, Billy Hancock, Sonny Fisher, Eddie Fontaine et beaucoup d'autres " anciens " des fifties.

As-tu une anecdote précise qui te reviendrait sur cette période. Le fait d'accompagner Vince Taylor, par exemple, devait être particulièrement " chaud " car il avait la réputation d'être difficile ?
Vince est quelqu'un que je regrette beaucoup et qui me manque énormément. Il était très attachant et c'était à la fois l'ange et l'enfer. On dit toujours que Vince était fou, ce qui était un peu vrai. Dans un certain sens il ne marchait pas très droit, ce n'était pas toujours carré dans sa tête…
Je me souviens qu'un jour nous étions accoudés à un bar où il y avait pas mal de personnes comme son batteur Jeannot Cirillo, Marco (guitariste des Alligators) etc…
A un moment Vince parle à quelqu'un au bar et lui dit (Alain prend alors un fort accent américain) " Oui, tu comprends hier soir j'ai parlé à Elvis et Brigitte Bardot (Elvis à ce moment-là était déjà décédé, Nda) " et au moment où son interlocuteur devait se dire " Oh le pauvre Vince qu'est-ce qu'il tient encore ! " ce dernier se retourne vers moi et me fait un clin d'œil. Donc, il savait quel problème il avait mais il savait aussi en jouer. On ne saura jamais, parmi tout ce qu'on a pu entendre sur lui, ce qui était contrôlé ou pas…. C'était un grand bonhomme…

Comme tu l'as dit, vous aviez enregistré un super 45 Tours, en français, en hommage aux Chaussettes Noires. Vous avez aussi fait d'autres titres dans la langue de Molière. Etait-ce une démarche identique, pour vous, à celle de chanter en anglais ou est-ce que cela vous demandait un sacrifice ?
Le français ou l'anglais dans le Rock a toujours été un grand débat…
Cela n'a pas été un sacrifice. A partir du moment où je l'ai fait, c'est que j'avais envie de le faire !
D'ailleurs j'ai toujours aimé chanter dans cette langue. Même si au départ, quand tu es gamin, tu veux faire comme Elvis et que tu commences en yaourt, c'est-à-dire phonétiquement.

Si ta carrière se développe, prend une autre envergure dans un pays comme la France et, surtout, dans les années 80 (où il y avait peu de possibilités de s'imposer à l'étranger) c'est mieux de chanter en français. Ce 45 tours de reprises des Chaussettes Noires nous a ouvert quelques portes et élargi notre horizon. Nous nous sommes donc prêtés au jeu et j'ai commencé à écrire des textes en français avec d'autres gens. Depuis, je me partage toujours entre les deux langues…

La séparation du groupe en 1985 a-t-elle été brutale ?
Non, cela s'est fait petit à petit…
Il y a eu beaucoup de formations différentes à partir du moment où le groupe historique, c'est-à-dire celui qui a fait l'Olympia, s'est séparé. Sur la fin, j'étais le dernier membre originel du groupe, et en 1984-85, l'engouement pour ce Rock'n'Roll-là s'était un peu dilué et il était difficile de se renouveler…
De plus, j'étais jeune et j'avais envie de m'exprimer différemment…
La séparation s'est ainsi faite de façon progressive sur un an ou deux.

Es-tu resté connecté avec le milieu Rock'n'roll français ?
Ce serait beaucoup dire mais je suis toujours resté ami avec des gens tels que le groupe Jezebel-Rock , Vince Taylor, Tony Marlow etc…
Ce sont des gens que j'ai toujours vus et croisés. Je suis resté proche de Tony Marlow.
J'ai quelque fois revu Claude du groupe Les Costards ou Bébert des Forbans. Ce dernier était un peu dans une autre sphère mais nous nous connaissions très bien.

Je me suis toujours tenu informé de ce qui se passait. À chaque fois que je vois des gens de ce milieu-là, ils savent qui je suis et je sais qui ils sont.

En 1990, tu fondes les POW WOW (groupe vocal masculin ayant remporté un immense succès populaire avec des morceaux comme " Le Chat " ou " Le lion est mort ce soir ", Nda). Vous étiez tous issus de milieux qui avaient le Rock'n'Roll comme racine commune. Aviez-vous pour habitude de garder une attache avec cette musique lors de vos prestations ?
Toi, tu ne nous as pas vus à l'époque !

Malheureusement, non !
POW WOW est venu à un moment où j'avais tenté une autre aventure avec un groupe nommé Les Martiens. Ce groupe n'avait pas fonctionné. À un moment, j'en ai eu marre et je me suis dit : " autant faire un truc que j'aime vraiment ! ". Je rêvais depuis toujours de monter un groupe vocal et je savais que je le ferais un jour. Le moment s'est présenté en 1990...
J'avais un copain, Christophe, qui était le batteur de mon groupe et qui avait des petits moyens, un camion, et des idées. Il m'a dit " Vas-y, monte ton groupe vocal et on va s'amuser ! ".

J'ai donc cherché des chanteurs et l'évidence était d'en parler à Ahmed Mouici que je connaissais. Il chantait dans sa région de Chambéry et il était venu voir les Alligators en concert. Il travaillait alors dans des Caf' Conc' à Paris et a immédiatement été branché par cette idée. Puis j'ai demandé à Pascal Periz, l'ancien guitariste des Alligators, qui venait à Paris pour passer un examen. Nous étions donc à trois puis nous avons passé des annonces. Après de nombreux essais, Bertrand Pierre est arrivé. Il venait d'un autre milieu musical et était amateur de Pop anglaise type Genesis, Yes etc…

Au début, le répertoire était presque exclusivement constitué de reprises de Do Wop, de Gospel, de Rock'n'Roll…
Nous faisions du Gene Vincent, du Beatles etc… C'était très roots !
Nous avons, avant d'être connus, fait nos propres compositions comme " Le Chat ".

Par la suite, malgré l'arrivée du succès, nous continuions à reprendre des morceaux (le groupe effectuait alors des tournées à guichets fermés et remplissait l'Olympia, Nda) comme " Crying in the Chapel " (composé par the Orioles et repris par Elvis Presley) en les intercalant à nos propres titres. Le lien qu'ils avaient entre eux était que nous les chantions tous A Capella.

Tu décides, aujourd'hui, de fonder un nouveau groupe de Rock'n'Roll, Rockspell, peux-tu me le présenter ?
Après toutes ces expériences j'ai eu envie de revenir à ce que j'aime par-dessus tout. Ce que je crois que je fais le mieux, c'est-à-dire le Rock'n'Roll dans un sens large et très inspiré par les années 1950-60…
Depuis une dizaine d'années je suis ami avec Philippe Almosnino des Wampas et Alex Mazzoleni (The Hot Rocks, Ricky Norton…). Nous avons fait, ensemble, des dizaines de " boeufs " et de concerts entre nous chez des potes. Nous nous disions toujours qu'il faudrait qu'on se lance pour de bon.

Comme j'avais du temps, je les ai rappelés et nous nous sommes soudés autour d'un petit concert à Paris en juin 2007. Notre bassiste, Daniel Marsala, et notre batteur, Olivier Ferrarin, sont beaucoup plus jeunes que nous et viennent d'autres horizons. La sauce a pris et cela m'a donné l'envie de m'investir à fond dans cette histoire. Au départ, nous ne faisions que des reprises. Comme avec POW WOW, nous avons rapidement fait nos propres compositions qui représentent à ce jour 50 % de notre répertoire. Je travaille actuellement sur des textes en français…

Quels sont les objectifs du groupe, penses-tu qu'il soit possible de faire revivre, aujourd'hui, la fièvre qui a eu lieu dans les années 1980 avec les Alligators ?
Je ne sais pas, tu sais l'histoire ne se répète jamais…
Cependant, on peut considérer que tous les 20 ans, il peut y avoir un engouement pour cette musique-là.

Je pense que c'est possible, considérant que les gens qui ont connu à la fois les années 60 et les années 80 doivent avoir envie de réentendre cela. De plus, ce sont aujourd'hui des décideurs et ils ont un pouvoir d'achat…
Sans me placer dans un contexte commercial, je pense qu'il y a un public qui peut être gourmand et avide de ce que nous faisons. De plus, quand je vois la scène Rock parisienne actuelle, je constate que les gamins de 12 ou 13 ans ont une bonne culture et connaissent aussi bien Ronnie Bird qu'Elvis Presley ou Nirvana.

Je suis sûr que maintenant, les gens veulent prendre le Rock'n'Roll dans son ensemble comme une musique qui soit possible et accessible. J'ai envie d'essayer de rendre cette musique actuelle tout en respectant les codes et l'esprit du Rock'n'Roll originel.

Par quoi cela pourrait-il passer, des textes plus ancrés dans les problèmes sociaux actuels ?
Oui, par des bons textes tout simplement…
Cela peut être les problèmes sociaux actuels ou, tout simplement, une façon actuelle de parler de problèmes personnels comme l'amour ou le travail…
Je pense que cela doit aussi passer par notre propre présentation. Notre look ne doit pas forcément être 100 % fifties même si j'adorerais ça !

Je veux rendre l'ensemble actuel aussi bien par la musique, les thèmes abordés, que par l'aspect et par le son. Autant bénéficier de la technique des années 2000 pour être concurrentiel, en radio, avec n'importe quel titre de Madonna ou de U2...

Je pense que c'est par là que notre éventuel succès doit passer. Même si c'est notre état d'esprit et notre envie de transmettre cette culture qui restent notre principal moteur. Je veux vraiment essayer d'y arriver, comme ont pu le faire James Hunter avec son mélange Blues-Soul de la fin des années 1950 et Amy Winehouse avec sa Soul inspirée par les années 1960...

Ces artistes sont parvenus à rendre ces musiques actuelles. C'est cette démarche que je veux développer pour ce Rock'n'Roll devenu intemporel et qui, plus que jamais, pourrait parfaitement coller à notre époque !

As-tu une conclusion à ajouter ?

"ROCK gonna put a SPELL on you!!!" Be ready!

http://www.myspace.com/rockspell

 

 
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Les liens :

myspace.com/rockspell

Interview réalisée au Père Fouettard
Paris le 1 février 2008

Propos recueillis
par David BAERST

En exclusivité !

 

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