Amiri Baraka (LeRoi Jones)
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Né à Newark, New Jersey le 7 octobre 1934 sous le nom de Everett LeRoi Jones (il change de patronyme en 1967 pour s’appeler Imamu Amear Baraka puis Amiri Baraka) . Cet ex étudiant en philosophie et en religion est connu pour son engagement pour la cause du peuple afro-américain. Actif aux côtés du Révérend Martin Luther King puis de Malcom X, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages (essais, poèmes, fictions…) et de pièces de théâtre. Il fait également des apparitions dans de nombreux films et téléfilms et ne s’est jamais détaché de la musique. On lui doit, par exemple, un album enregistré en compagnie de Sun Ra « A Black Mass » ou encore « Real Song », paru en 1995. Après un premier passage dans la capitale européenne (en 2008 pour un hommage à Curtis Mayfield en compagnie du contrebassiste William Parker). C’est encore à Strasbourg que l’artiste a offert l’exclusivité de son unique prestation française pour le spectacle « Word Music » (dans le cadre d’un partenariat entre les Festivals Jazzdor et Musica).
Dans une salle archi comble et accompagné par un solide quartet (Dave Burrell au piano, William Parker à la contrebasse, Pheeroan akLaff à la batterie et Rob Brown au saxophone), il a permis aux spectateurs de vivre un moment aussi magique qu’unique. amiri baraka
Bien que fatigué il a également, à l’issu de sa prestation, accepté de répondre aux questions de 3 journalistes… 
Quelques minutes qui, en plus de me permettre de rencontrer une légende, m’ont permis de frôler l’histoire… inoubliable.

Extrait de la biographie d’Amiki Baraka (à propos de son ouvrage « Blues People » paru en 1963) :
« Sa plus grande contribution au mouvement du Black Power est l’ouvrage « Le Peuple du Blues » , où il développe la thèse révolutionnaire que l’évolution du statut des afro-américains a trouvé un écho dans les modifications de la musique noire. Sa lecture sociale et politique du blues et du jazz a eu une influence très importante dans le domaine des Popular Music Studies ».

Comment ont été sélectionnées les musiques qui accompagnent vos mots sur ce spectacle « Word Music » ?
J’écris avec la musique en moi…
Quand j’écris des poèmes, il y a systématiquement de la musique qui me vient à l’esprit.
Il s’agit d’un équilibre entre la direction que je veux faire prendre à mes textes et les sons que je souhaite entendre. Je considère les poèmes comme des chansons, chacun peut se retrouver dedans… Ils sont le reflet de nos vies, nos personnalités… Chaque jour, peut être prétexte à l’écriture d’un nouveau poème !

Le fait de vous produire avec un quartet de jazz est-il un hommage aux figures emblématiques du genre, croisées à Greenwich Village dans les années 1950 ?
Oui, c’est un hommage à différents musiciens que j‘ai côtoyés…
Des gens tels que Thelonious Monk, John Coltrane, Dizzy Gillespie…
Il y a 40 poèmes dans un recueil, chacun d’entre eux correspond à un morceau musical en particulier.
Il y a donc la possibilité de voyager à travers les époques en convoquant de très vieux musiciens (en remontant jusqu‘aux sources du blues et du negro spiritual)… ou en empruntant des sonorités liées à des artistes plus contemporains.

En tant qu’éditeur, vous avez contribué à rendre célèbre des auteurs issus de la Beat Generation (Allen Ginsberg, Jack Kerouac…) qui ont inspiré des artistes de folk débutants, comme Joan Baez, Bob Dylan ou Dave Van Ronk qui à leur tour se sont ralliés, d’une manière ou d’une autre, à votre cause…
J’ai été sensibilisé par ces auteurs alors que je servais l’US Air Force. En effet, j’ai commencé à lire l’œuvre de Ginsberg quand j’étais encore militaire.
Lorsque j’ai mis fin à cette carrière (de manière prématurée puisque soupçonné de communisme et de sympathie envers le régime soviétique, nda), je suis parti vivre à New York. J’y ai fréquenté Greenwich Village où j’ai commencé à lire le Village Voice. A cette époque, il y avait de nombreux groupes constitués de poètes se retrouvaient régulièrement. Allen était l’un des plus importants d’entre eux. Il venait de sortir « Howl » qui avait fait scandale. Je l’ai contacté bien, qu’à ce moment là, j'était en France. Je lui ai écrit sur des feuilles de papier toilette, un matériel qu’il a également utilisé pour sa réponse (rires) ! C’est ainsi que nous avons correspondu dans un premier temps. Puis j’ai créé Totem Press et le magazine Yugen pour lequel il m’a aidé en me transmettant une liste de poètes qu’il me recommandait, afin de lancer cette publication. Mon but était de différencier la poésie américaine de la poésie anglaise. La poésie « académique » américaine se rapproche de celle écrite au Royaume Unis. Je voulais davantage refléter le discours d’une Amérique nouvelle, plus engagée et moins consensuelle. Je tenais aussi à me démarquer en laissant une large place au mouvement artistique noir américain….

Comment expliquez-vous que de nombreux jeunes s’intéressent encore à cette forme de poésie ?
La poésie est toujours synonyme de révolution…
Quand on fait de la poésie, on peut tout se permettre…
A partir de quelques mots, il devient possible de sensibiliser les gens à son discours sous des formes diverses. La scène est l’un de ses éléments essentiels de cette diffusion, que l’on peut étendre en mettant les mots en musique. C’est une forme d’expression très directe… qui permet de passer de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte. Pour les jeunes, la poésie est souvent le « premier appel » qui les mène vers une orientation culturelle ou des actions revendicatives.

Avez-vous ressenti une grande évolution, pour le peuple afro-américain, sous la présidence de Barack Obama ?
Oui, il y a eu de la progression mais ce n’est pas encore assez…
Le mandat d’Obama n’est pas à l’origine d’un combat qui va nous mener à la victoire. Nous sommes heureux, bien sûr, de l’avoir comme président. Il ne faut pas oublier qu’il y a 145 ans, les afro-américains étaient tous des esclaves. De ce fait, le fait de voir un noir président des USA, aujourd’hui, est une chose particulièrement importante. Beaucoup le critiquent dans son action. A titre personnel, je m’en abstiens. Bien que je pense qu’il doit apprendre à cerner ses vrais ennemis… qui sont les banques !
Comme je l’ai écrit dans un journal, il doit les nationaliser, au même titre que nos constructeurs automobiles. Sans cela la fracture sociale ne cessera de s’accentuer. Les riches resteront riches et les pauvres resteront pauvres. Pas besoin d’être passé par l’Université d’Harvard pour le comprendre… C’est notre système capitaliste qui est à l’origine de tout cela. Notre problème actuel est, que notre président, ne se bât pas suffisamment contre celui-ci. Il y a eu des progrès depuis les années 1960... Une évolution chèrement payée par la mort de certains de nos chefs de fil comme Martin Luther King ou Malcom X. L’acquisition de nos droits a été une victoire importante et déterminante. Il ne faut pas oublier qu’elle a pris des centaines d’années à se dessiner. Nous n’en sommes qu’à une nouvelle étape de franchie… Il est bien d’avoir été, mais nous avons davantage besoin d’être !baraka

Connaissiez-vous Aimé Césaire (fondateur du mouvement littéraire de la négritude et anticolonialiste, nda) et, si oui, pouvez-vous évoquer vos relations ?
C’est quelqu’un  à qui j’ai rendu visite, chez lui, en Martinique. Il a été une figure emblématique française de la fin des années 1930, jusqu’à sa mort (en 2008, nda)…
C’était un poète formidable comme l’atteste « Cahier d’un retour au pays natal » (œuvre poétique de jeunesse datant de 1939, nda). Il reste un maillon important de la poésie noire et, plus particulièrement du mouvement de la « négritude » dont il est à l’origine aux côtés de gens comme Léon Gotran Damas, Léopold Sédar Senghor, René Depreste etc…
A mes yeux, Césaire restera toujours très important…
Quand je l’ai rencontré à Paris, je me souviens lui avoir présenté un autre poète américain… Ted Joans. Cela reste un moment unique… Quand on pense que Césaire, qui a grandi en Martinique (né à Basse-Pointe en 1913, nda) est parvenu à faire ses études à Paris (dans un premier temps en classe d’hypokhâgne au Lycée Louis-le-Grand, nda), c’est admirable. Nos styles ne sont pas forcément comparables mais je le considère comme l’un des poètes les plus importants du XXème siècle…

Pensez-vous que Gil Scott-Heron (poète, romancier et musicien de jazz, funk précurseur du spoken word, ancêtre du hip-hop, nda), qui a mené les mêmes combats que vous, est maintenant en paix ?
Je partageais de nombreuses valeurs culturelles et politiques avec lui. Il condamnait une certaine forme de mondialisme et la puissance des gros médias. Sa chanson/poème « The Revolution Will Not Be Televised » en est la plus belle illustration. Il avait, alors, déjà vu juste quant à la puissance de certains journaux et des grandes chaînes de télévision. Ces organismes arrivent à diriger la pensée d’une bonne partie de la population, surtout de la classe moyenne…
C’est encore plus visible depuis la récession qui se répand à travers les différents états du pays. Ceci me ramène à parler des banques qui sont à l’origine d’un véritable ras de marée. Jamais, je n’avais vu autant de gens dormir dans les rues. Il ne faut pas oublier qu’actuellement 600 personnes perdent leur logement chaque jour. Quand on voit l’argent qui est dépensé, chaque semaine, en Afghanistan, en Irak et maintenant  en Lybie…

Le fait de vous voir en concert est particulièrement impressionnant. Derrière votre pupitre, avec vos livres et cahiers vous faites penser à un professeur d‘Université…
L’Université est un endroit qui apprend aux gens à rentrer dans un système. Quand j’ai quitté l’Université j’ai rejoins l’US Air Force, ce qui n’est pas le chemin le plus direct pour, par la suite, aller se battre pour l’acquisition des droits civiques. Obama aussi sort de l’Université et… croit au capitalisme. Il pense que c’est une bonne chose… c’est l’une de nos grosses différences…

Remerciements : Patricia Jacopin (Pôle Sud), Mathieu Schoenhal (Festival Jazzdor Strasbourg-Berlin)

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Interview réalisée
à la Cité de la Musique et
de la Danse de Strasbourg
le 4 octobre 2011

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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