Aske Jacoby
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Dans son pays, le Danemark, Aske Jacoby est considéré comme le guitariste le plus influent de sa génération. Régulièrement comparé à Ry Cooder ou à Neil Young, il développe pourtant un style qui lui est propre et qui lui vaut d’avoir été présent sur des centaines de sessions pour des artistes évoluant dans des registres très diversifiés. En plus des grands noms de la musique danoise il a, par exemple, accompagné le groupe de pop suédois Roxette et même le chanteur français Alain Chamfort sur son album « Le Désordre des Choses » paru en 2018. C’est sous l’impulsion de l’un de ses plus grands admirateurs, le fameux organiste danois Johan Dalgaard (expatrié en France depuis 1998) qu’Aske se forge, petit à petit, une solide réputation dans l’hexagone. A force de concerts, il nous démontre en effet qu’il est un chanteur-guitariste doté d’une personnalité unique. C’est au lendemain d’une nouvelle prestation live (durant laquelle il était accompagné par le groupe Two Feet In The Ried, mené par Sylvain Troesch) que j’ai donné rendez-vous au musicien scandinave dans un bar-restaurant strasbourgeois. Après avoir dégusté quelques parts de diverses tartes-flambées, qui ont conforté sa solide appréciation de la gastronomie de notre pays, il a pris son temps afin de répondre aux questions qui suivent.

Aske, de quelle ville danoise es-tu originaire ?
Je suis de Copenhague, la capitale de ce joli pays qu’est le Danemark. Je vis dans l’extra centre de la ville. Cet endroit est, en plusieurs points, assez similaire de celui dans lequel nous nous trouvons actuellement…c'est-à-dire Strasbourg.

Comment s’y est déroulée ta formation en tant que musicien ?
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Mon enfance ne s’est pas déroulée qu’à Copenhague, puisque j’ai beaucoup voyagé à travers tout le pays. Avec mes parents, nous vivions un peu comme des gitans et voyagions de ville en ville. J’ai, cependant, également grandi à Copenhague et dans la campagne environnante. J’avais la chance d’évoluer, alors, avec des gens qui jouaient de la musique. Ainsi, à partir de mes 9 ans, il m’arrivait souvent de les accompagner. En effet, c’est dès cet âge que j’ai commencé à me produire régulièrement dans des concerts. Ces personnes jouaient de la musique folk, une scène qui était très développée au Danemark à cette période. C’est à mes 12 ans que je me suis mis à la guitare électrique. Je suis né en 1963 et vers mes 12-13 ans les sons inspirés de la fusion ont commencé à devenir populaire sur la scène musicale. Des bassistes tels que Jaco Pastorius ou Larry Graham ont pris beaucoup d’importance à mes yeux. C’est pour cela que je me suis aussi mis à la basse. Pour être tout à fait exact, je n’ai pas suivi de véritable formation musicale, mais j’ai commencé à jouer en live alors que j’étais très jeune.

C’est donc la guitare qui a été ton premier instrument…
Quand j’étais petit je jouais avec n’importe quel instrument qui me passait entre les mains. S’il y avait un piano, je me mettais au piano. Si je voyais une batterie, je m’installais derrière les fûts etc. C’est alors qu’une chose assez significative m’est arrivée. Mon père m’a donné l’opportunité d’assister à un concert de Jimi Hendrix lorsque j’étais âgé de 6 ans. J’ai totalement été fasciné par ce type que je voyais se produire sur scène. J’étais assis sur le sac de mon père et j’étais stupéfait à l’écoute des sons qui étaient créés, à la pédale wah-wah, par cet artiste. Je me suis totalement immergé dans son univers alors que j’étais très jeune. Puis les Beatles ont eu un grand impact sur moi, surtout à travers leur album « Revolver » qui m’a énormément marqué…au même titre que « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » bien sûr. Tu sais, le son de tous ces artistes était tellement porté par les guitares qu’il m’a été complètement naturel de m’orienter vers cet instrument. Tout ceci, évidemment, afin de devenir une célèbre « rock star » (rires) !

A cette période, étais-tu également inspiré par des artistes danois ?
Absolument ! Il y avait beaucoup d’artistes danois qui étaient réputés. J’écoutais énormément de groupes de rock, issus de ce pays, dans les années 1970. Entre mes 12 et 14 ans, je voulais me rendre à autant de concerts qu’il m’était possible de le faire. Bien sûr, j’étais encore trop jeune pour pouvoir entrer dans tous les clubs, mais je négociais comme je le pouvais avec les gens qui gardaient l’entrée. Je m’asseyais systématiquement le plus près possible de la scène. De cette manière, je pouvais écouter et surtout voir les mains des instrumentistes. J’observais la manière dont ils plaçaient leurs doigts. Je faisais le lien entre ce que j’entendais et ce que je voyais, afin de pouvoir le reproduire par la suite. Ceci a, en fait, été l’une des bases les plus importantes de mon éducation musicale…au même titre que de me produire en live très tôt. Jouer avec des gens plus expérimentés est à mes yeux une chose très importante. C’est, en tout cas, ce qui peut te permettre de franchir des étapes très rapidement…

En France, tu es considéré comme un artiste de blues. Les musiciens danois, émanant de cette scène, connus chez nous sont Johan Dalgaard, Thorbjorn Risager et quelques autres. Comment cet idiome musical se porte-t-il dans ton pays ?
Pour être honnête avec toi, je ne le sais pas… Ceci parce que je ne suis pas considéré comme un artiste de blues au Danemark. J’y ai suivi un long parcours en tant que musicien de studio et on peut trouver mon nom au générique d’au moins 500 albums danois. J’ai joué avec des artistes très différents les uns des autres et dans des registres très diversifiés. Je pouvais passer de la pop au jazz, sans oublier la musique folk, le rock, le blues etc. Je ne suis pas considéré comme étant membre d’une scène musicale particulière dans mon pays, comme cela peut être le cas en France. Ceci dit, il y a un formidable club de blues à Copenhague, le Mojo Blues Bar. J’y joue de temps en temps en y prenant beaucoup de plaisir. Ce qu’il y a avec la scène blues, c’est qu’elle est très exclusive et n’accepte pas forcément les gens qui ne sont pas considérés comme des puristes. De ce fait, je n’y suis pas intégré car je m’intéresse à de nombreux registres différents qu’ils soient bons ou moins bons. Je mets un point d’honneur à écouter tout ce qui existe…

A quand remontent exactement tes débuts en tant que musicien professionnel ?
Juste avant le premier concert pour lequel j’ai été payé. C’est-à-dire juste avant mon seizième anniversaire. En effet j’ai, très tôt, commencé à jouer en tant que musicien professionnel. Cela fera bientôt 40 ans… Avec le recul, cela me semble complètement fou…

En tant que musicien de studio, quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Je pense que, tout au long de ces années, j’ai participé à l’enregistrement de quelques grands albums. Ces derniers ne sont, malheureusement, pas connus en France. Parmi les gens avec lesquels j’ai collaboré, on peut citer C.V Jorgensen qui a été le premier ou encore Sanne Salomonsen qui est une chanteuse formidable. Parmi mes sessions, on peut également relever quelques enregistrements réalisés en Suède lorsque j’étais plus jeune. Là aussi, j’ai pu travailler aux côtés d’artistes incroyables comme le groupe Roxette. Je suis très reconnaissant envers ces gens et j’ai appris beaucoup de choses grâce à ces travaux. Pour pouvoir participer à autant de projets différents, la première obligation et d’aimer la musique et les artistes. Sans cela, autant abandonner… Il faut également que quelque chose passe, un feeling, un coup de cœur. C’était le cas pour les projets auxquels j’ai participé…

Quand as-tu, réellement, commencé à jouer sous ton propre nom ?
J’ai sorti mon premier album, « Not Only For The Royalties », en 1991. Je devais être âgé de 26 ou 27 ans… Puis j’ai intégré un groupe durant quelques années avant de graver un deuxième opus sous mon propre nom, « Clubbing ». Puis je me suis, à nouveau, consacré à d’autres projets avant de revenir sous mon propre nom en 2004 avec le disque « Transfer Power ». J’ai alors, encore une fois, mis ma propre carrière entre parenthèses avant de signer« Three At Last ! » en 2011. C’est à partir de ce moment-là que je suis devenu plus régulier dans mes productions puisque j’ai sorti « Chant » en 2014, « Luna Plena Super Me » en 2016 puis « Live In Paris » en 2017. Je travaille, actuellement, sur un nouvel album qui sera produit en France avec des musiciens français. Bien sûr, cela est supervisé par Johan Dalgaard qui est danois et qui participera aux sessions lui aussi.

Tu es un musicien très éclectique. Comment qualifies-tu ton propre univers artistique ?
Très éclectique également ! Je déteste définir mon propre style mais j’aime à penser que ce que je fais est le reflet musical de mon existence. Je considère ma musique comme étant, à la fois, rugueuse et folk. Certains disent qu’il s’agit d’americana, d’autres disent blues, country, jazz ou encore musique contemporaine américaine. Je pense, cependant, qu’elle est principalement issue de la scène folk scandinave. Pas dans le sens strict du terme, mais dans le fait qu’elle évoque d’où je viens. Ma fille fait aussi de la musique et ses chansons racontent toutes des histoires en utilisant beaucoup de couplets et de répétitions. Ce que je fais est un peu comme cela également. Je crois que je reste attaché à une très vieille tradition musicale. Le disque sur lequel je travaille actuellement sera plus électronique tout en restant rugueux et en respectant les bases du « storytelling ». Je continue de travailler en préservant l’âme de la folk music.

De quelle manière constitues-tu ton répertoire et quels sont tes thèmes de prédilection ?
La vie, la mort, l’univers, l’amour, la situation politique et humaine. Des choses telles que celles-ci… J’écris sur tout ce qui mouvemente mon cœur et mes émotions. J’aime à penser que mes prochaines chansons seront plus politisées que celles que j’ai pu écrire auparavant. J’ai pour ambition de pouvoir changer les perspectives de certaines personnes. Je sais que le fait de vouloir changer le monde est une chose très ambitieuse mais je crois au pouvoir des bonnes chansons et des bons textes. Je ne considère pas cela comme étant une chose facile mais c’est un objectif que je me donne.

Tu fais donc partie de ceux qui pensent qu’il est possible de changer le monde avec la musique…
Je ne pense pas que cela est possible, j’en suis sûr ! Je le constate au contact des personnes qui assistent à mes concerts. Toutes sont sensibles aux messages que j’essaye de faire passer. En France, comme c’était le cas à Strasbourg hier soir, c’est un peu différent en raison de la barrière de la langue. Cependant, tout le monde bougeait. Cela prouve bien que la musique peut réunir les gens dans un même élan et contribuer à faire passer une bonne ambiance.

Peux-tu revenir sur ta relation amicale et tes collaborations avec l’extraordinaire batteur qu’est Jim Keltner ?
Oui bien sûr ! C’est une longue histoire mais je vais essayer d’être le plus bref possible. Jim est l’un de mes musiciens préférés dans ce monde…ceci depuis des années et des années. J’ai été sensible à ses plans et à sa technique alors que je n’avais que 9 ans. Mon grand-père m’avait offert un album de Ringo Starr. Je l’ai écouté avec beaucoup d’attention et de joie. J’étais particulièrement impressionné par les parties de batterie qui selon moi devaient être réalisées par Ringo Starr. Lorsque j’ai regardé de plus près les crédits, j’ai lu : Ringo Starr and Jim Keltner. Il y avait donc deux batteurs sur ce disque. A chaque fois que j’ai entendu un album auquel participait Jim, je reconnaissais ce dernier. Je savais qu’il n’y avait que lui pour jouer de cette manière. En 2012 ou 2013, je me demandais ce que j’allais faire pour poursuivre ma carrière sous mon propre nom. Pour différentes raisons, j’ai décidé de voyager aux Etats-Unis où je voulais réaliser un disque. Je pensais d’abord le faire à New-York, en étant influencé par le jazz issu de cette ville. Quelqu’un m’a alors proposé de réaliser un disque dans la veine de celui d’un chanteur de country music dont le nom ne me revient pas immédiatement en tête. J’ai écouté ce dernier et j’ai immédiatement reconnu le son de batterie de Jim Keltner. J’ai adoré et j’ai alors avoué que j’adorerais l’avoir sur mon propre disque. J’ai un ami, à Copenhague, nommé Billy Cross. Ce dernier est d’origine américaine et s’est installé au Danemark. Il a été le guitariste de Bob Dylan entre 1977 et 1979. On le retrouve, par exemple, sur les albums « Bob Dylan At Budokan » et « Street Legal ». Il connait un autre grand musicien, David Mansfield, qui possède le numéro de téléphone de Jim Keltner. Il nous l’a donné, nous a permis de rencontrer le bassiste Tony Scherr et nous a aidés à trouver un studio d’enregistrement. Lorsque les sessions ont débuté, nous étions comme une famille au bout de seulement quelques secondes. Avec Jim Keltner et Tony Scherr, tout s’est fait instantanément, à l’instinct. C’est de cette manière que jouent ces géants de la musique, sans user d’énormément de technique. Ils ressentent le message que tu veux faire passer et arrivent à le développer avec une incroyable simplicité. Ils jouaient exactement ce que j’espérais entendre, sans que je leur donne trop de directives. Ils ressentaient exactement où je voulais en venir. Lorsque nous avons terminé cet album, je n’avais qu’une envie…recommencer. Nous en avons donc fait un autre deux années plus tard, en 2016. Le fait de jouer avec Jim a définitivement changé beaucoup de choses en ce qui me concerne. Je n’avais pas confiance en ma manière d’écrire des chansons et dans ma manière de chanter. Il m’a rassuré dans ce sens et m’a donné la confiance qui me manquait. Il m’a dit que ce que je faisais était bien et si quelqu’un comme Jim Keltner le dit c’est que ça doit être vrai ! Il m’a réconforté en m’avouant qu’il trouvait que j’avais un joli son lorsque je chantais et que mes chansonsétaient bien écrites…qu’il fallait que je fasse ce que j’avais envie de faire, sans aucun complexe ! Il m’a dit que c’est comme ça que je rendrai les gens heureux. A partir de ce moment-là, j’ai suivi ses conseils à la lettre et j’ai gagné en confiance. Pour tout cela, je lui suis très reconnaissant car il m’a poussé à faire ce que j’avais à faire alors que je n’étais pas sûr de pouvoir continuer une carrière sous mon propre nom. Il m’a énormément aidé… Pour la première fois, j’avais l’occasion d’être accompagné par de tels musiciens. Quand je pense que c’est Jim Keltner et Tony Scherr qui m’accompagnaient et qui suivaient à la lettre mes volontés. Je n’en reviens toujours pas. C’est une sensation qui est très compliquée à expliquer. Je n’avais, au fond, rien à leur dire…ils me suivaient et comprenaient immédiatement ma démarche.

Dans l’avenir, aimerais-tu travailler avec d’autres artistes en particulier ?
Actuellement je travaille, à Paris, avec de formidables musiciens. En particulier Johan Dalgaard, Raphaël Chassin, Laurent Vernerey et Vincent Segal… Il s’agit, définitivement, de quelques-uns de mes musiciens préférés à travers cette planète. Le fait de jouer avec eux est une chose formidable. C’est avec ces pointures que je travaille actuellement et, pourquoi pas, dans les prochaines années également.

Aurais-tu une dernière chose à ajouter à cet entretien ?
Venez assister à mes concerts et achetez mes disques ! Je suis très heureux de vous voir et, s’il-vous-plait, n’hésitez pas à me programmer…même pour vos bar-mitsvas (rires) !

Remerciements : Sylvain Troesch

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Interview réalisée au
Troquet des Kneckes - Strasbourg
le 18 mai 2018

Propos recueillis par

David BAERST

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