Bernard, peux-tu me parler de la création du groupe Awek ?
Bernard Sellam : Celle-ci remonte à la fin de l’année 1994. Olivier, Joël et moi-même étions membres d’un groupe de soul music qui s’appelait Les Formidables. Au bout d’un certain temps nous avons décidé de passer à autre chose...
Depuis un moment j’avais, en effet, envie de revenir au vrai blues. C’est ainsi que nous avons fondé Awek, dans une formule trio, sans savoir que cette aventure allait durer aussi longtemps.
Peux-tu, justement, revenir plus en détails sur les différents membres qui constituent Awek ?
Bernard Sellam : Bien sûr !
A la batterie il y a Olivier Trebel, un batteur charismatique avec une très belle batterie (rires) !
A la basse nous avons Joël Ferron, bassiste non moins charismatique qui possède un instrument datant des années 1960 (rires) !
Stéphane Bertolino, que je surnomme «l’intrépide», est notre harmoniciste. Moi-même, Bernard Sellam, suis le guitariste et chanteur du groupe.
Pourquoi ce nom d’Awek, que signifie-t-il ?
Bernard Sellam : Il s’agit d’un terme occitan. Cette expression du sud ouest veut dire «à fond». Ce n’est pas un nom très blues mais nous l’avons choisi un peu par hasard et, depuis, c’est resté !
A l’instar des Flyin’ Saucers par exemple (qui s’inspirent de la musique de la Nouvelle-Orléans) votre répertoire est très ciblé, puisant davantage du côté du blues texan traditionnel. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Bernard Sellam : Notre musique n’est pas, uniquement, constituée de blues texan.
Je pense que tout cela n’est qu’étiquettes. Un gars qui fait du blues et qui habite au Texas fait forcément du blues texan…
Pour notre part, nos influences sont assez diversifiées. Cela peut aller de morceaux qui possèdent un groove texan jusqu’au swamp blues de Louisiane, en passant par le Chicago blues et le West Coast blues qui se situe dans un registre plus swing. Je pense que nous nous rapprochons, justement, beaucoup des groupes de la scène californienne actuelle. Nous écoutons aussi les «grands classiques» comme BB King et Muddy Waters (et beaucoup d’autres bluesmen plus «obscurs» que tout le monde à oublié) mais surtout des gens comme Kim Wilson, James Harman, Little Charlie & The Nightcats qui constituent des références majeures pour nous. De plus, nous n’écoutons pas que du blues même, si à titre personnel, j’en suis totalement imprégné. A nous 4, nous sommes amateurs de beaucoup de styles différents !
Avez-vous déjà eu l’occasion de croiser la route d’artistes du label Delta Groove, spécialisé dans ce style West Coast californien qui vous tient à cœur ? Ces gens là se sont déjà produits régulièrement en Europe…
Bernard Sellam : C’est principalement à eux que je faisais référence en effet…
Olivier a rencontré un certain nombre de musiciens, comme Rod Piazza ou Kid Ramos, qui sont signés sur ce label. Nous avons, également, eu «une approche» avec Randy Chortkoff qui est le producteur de la firme Delta Groove.
Olivier Trebel : Suite à notre premier enregistrement à Austin, avec Stéphane Bertolino, nous avons eu l’occasion de nous rendre à Los Angeles. Ainsi, nous avons vu quelques concerts qui y étaient programmés cette semaine là. Nous avons donc rencontré Kid Ramos, Rod Piazza, Richard Innes, Larry Taylor, les membres du combo Hollywood Blues Flames qui accompagnaient Hollywood Fats (guitariste charismatique de la scène californienne, prématurément décédé en 1986 à l’âge de 32 ans, nda) etc…
Il n’y a que des gens incroyables, ce séjour était vraiment fabuleux !
Bernard Sellam : J’ai aussi rencontré Lynwood Slim à Toulouse. A l’époque j’animais une émission de radio et j’ai croisé sa route alors qu’il était accompagné par le groupe Rosebud Blue Sauce (groupe originaire de la région de Cahors). Enfin il ne faut pas oublier que nous avons enregistré avec Fred Kaplan, pianiste des Hollywood Blue Flame, qui a joué avec Hollywood Fats, Kid Ramos, Lynwood Slim, Kim Wilson sur le disque «My Blues» (album, dont il est également le coproducteur, édité par Blue Collar Records en 1997, nda) etc…
Depuis quelques temps, vous avez pris l’habitude d’enregistrer vos albums aux Etats-Unis. Pourrais-tu revenir sur ces expériences et sur les artistes que vous avez côtoyés à ces occasions ?
Bernard Sellam : Sur notre premier album, enregistré à Austin, nous n’avons pas joué avec des gens très connus. Ces musiciens possèdent, par contre, un talent énorme. Comme le pianiste Nick Connely qui a joué avec Delbert McClinton pendant des années (ainsi que sur un disque des Fabulous Thunderbirds).
Il y avait aussi le fabuleux saxophoniste Mark «Kaz» Kazanoff qui était l’un des musiciens attitrés du label de la Nouvelle-Orléans Black Top. Nous l’avons retrouvé pour notre dernier album en date (« It’s Rollin’ », 2010) sur lequel nous avons également eu la chance d’accueillir le légendaire guitariste Derek O’Brien. C’est notre producteur Nicolas «Nico» Léophonte (également batteur), qui vit à Austin, qui nous a permis de le rencontrer. Ils jouent régulièrement ensemble…
Pour mémoire, Derek O’Brien a été l’accompagnateur de toute une «flopée» de stars du blues comme Albert Collins, BB King etc…
Le fait d’être à ses côtés, en studio, a été une grande expérience. D’autant plus que l’ambiance était très sympa et que nous nous sommes bien marrés !
Pour en revenir à Mark «Kaz» Kazanoff, il faut ajouter qu’il est aussi un grand arrangeur. C’est, de surcroît, un véritable gentleman…
Quelle a été la réaction de tous ces artistes en vous découvrant ? Connaissaient-ils la valeur de la scène blues française ou y’a-t-il eu un véritable sentiment de surprise qui est né en vous écoutant ?
Bernard Sellam : Je ne pense pas qu’ils connaissent vraiment la scène française…
Ce n’est pas que cela ne les intéresse pas mais ils vivent sur un continent où ils ont déjà du mal à faire le tour de leur propre scène locale, tant elle est énorme…
Ils savent qu’il y a des musiciens de blues en France puisque certains d’entre eux s’y sont déjà produits.
Derek O’Brien, par exemple, a tourné il y a longtemps en Europe. Sur notre dernier disque, nous sommes accompagnés, sur un titre, par le trompettiste Al Gomez Jr. Ce dernier a enregistré avec Benoit Blue Boy («Benoit Blue Boy en Amérique», Frémeaux - La Lichere, 2001) et avait fait quelques dates avec lui en France. Donc la plupart de ces musiciens ont déjà pu croiser des groupes français sur des festivals ou des concerts…
Je ne sais pas si c’est que de la gentillesse mais nos invités, sur nos deux derniers albums, nous ont dit qu’ils étaient agréablement surpris par la manière dont nous jouons le blues. L’aspect authentique de notre musique les a touchés…
Sur place, à Austin, avez-vous eu l’occasion de fréquenter les clubs voire de vous y produire ?
Bernard Sellam : Nous avons eu une chance extraordinaire puisque nous avons joué dans le plus gros club du Texas qui est Antone’s. Derek O’Brien en était justement le guitariste attitré (le club possédait, en effet, un backing band de grande qualité qui accompagnait toutes les légendes qui venaient s’y produire, nda). Il y a quelques années, nous avons joué dans un petit club de la 6ème rue qui se nomme le Maggie’s May.
Nous avons aussi beaucoup fréquenté ces endroits en tant que clients. Ceci nous a permis de voir Charlie Musselwhite au Saxon et nous n’avons pas arrêté de croiser Jimmie Vaughan…
L’ambiance à Austin est très «relaxe». Tout le monde est «cool», les musiciens se croisent sans arrêt. La scène y est très «fleurissante», il y a toujours des gens qui viennent de l’extérieur. En ce moment il y a pas mal de musiciens originaires de Californie qui s’y produisent. Le guitariste Dave Gonzalez (membre du groupe The Paladins), par exemple, qui avait justement fait le «boeuf» avec Charlie Musselwhite pendant le concert auquel nous assistions est un habitué de la ville.
Pendant notre séjour, presque tous les jours, nous «tombions» sur Tommy Shannon (bassiste réputé pour avoir été membre du Duo Double Trouble, qui accompagnait le chanteur-guitariste Stevie Ray Vaughan, nda) quand on allait boire notre café… c’était extraordinaire !
Pour en revenir au club Antone’s, on dit que sa programmation a beaucoup évolué depuis la disparition de son fondateur (Clifford Antone). Avez-vous ressenti cette baisse de la programmation blues dans ce genre d’endroits ?
Bernard Sellam : Nous ne sommes pas restés assez longtemps pour pouvoir en parler…
Je sais qu’il y a une scène qui est plus ouverte au rock ou au métal et qu’il y a beaucoup de groupes de reggae à Austin…
On y trouve aussi tout le folklore autour de la légende de Stevie Ray Vaughan. Il y a quelques clones qui essayent de jouer comme lui…
En dehors des clubs déjà cités, avez-vous donné des concerts aux USA ?
Nous étions surtout là-bas pour enregistrer. Déjà le fait de jouer à Antone’s était bien, c’était énorme même !
Vous devez une partie de votre réputation à vos prestations scéniques. On sent, en tout cas, que l’environnement de la scène vous est cher…
Bernard Sellam : Faire du blues c’est, avant tout, faire de la scène…
C’est une musique spontanée où l’improvisation a une part importante. En studio, nous sommes plus stressés car nous savons que les notes ne pourrons évoluer et qu’elles resteront les mêmes à chaque écoute. La scène nous porte, c’est notre métier et c’est grâce à elle que nous vivons.
Olivier Trebel : Si on analyse les choses de manière plus cartésienne, nous pouvons constater qu’en 16 ans d’existence, le groupe Awek a donné 1500 concerts pour 7 albums enregistrés. Il n’y a pas photo, nous sommes davantage des musiciens de scène que de studio…
Justement, quels sont vos meilleurs souvenirs de concerts ?
Olivier Trebel : Il y en a beaucoup…
Depuis 5 ou 6 ans, nous avons eu la chance de faire des Festivals prestigieux comme le Festival de Jazz de Montréal. Je garde un grand souvenir de nos deux premières prestations là-bas. Il devait y avoir 8000 spectateurs lors de notre concert de la fin d’après-midi et, le soir même, nous nous sommes produits au Spectrum qui est une salle mythique de la ville, elle était archi comble.
La première partie de BB King à Cognac reste aussi un grand moment. Nous avons beaucoup de souvenirs qui se mélangent, à commencer par notre séjour dans le Nebraska où l’accueil des gens a été formidable. Pour un groupe de blues français, voir des américains étonnés et ravis par votre musique c’est très encourageant !
Ils faisaient des remarques très pertinentes sur notre manière de jouer. C’était très intéressant, cela fait partie de la magie de la scène…
Bernard Sellam : En ce qui me concerne je conserve de grands souvenirs de nos prestations en Inde. C’était génial, nous étions surpris d’y découvrir un public d’amateurs de blues. Les gens « gueulaient » à chaque solo. Quand nous allons en Belgique, nous nous régalons aussi. Nous y rejouerons, dans quelques jours, dans un club qui se nomme le Banana Peel (à Ruiselede, nda). A chaque fois l’ambiance y est énorme.
Vous allez représenter la France à l’International Blues Challenge de Memphis et, depuis quelques heures, la situation a encore évolué puisque nous venons d’apprendre que vous êtes également sélectionnés pour l’European Blues Challenge de Berlin. Que cela représente-t-il pour vous ?
Bernard Sellam : Nous sommes très contents car nous avons été élus par des passionnés de blues. Savoir que notre disque a été nommé « meilleur disque autoproduit de blues» est un grand honneur. Dans la foulée on nous annonce que nous allons, à nouveau, représenter la France à Memphis mais, cette fois-ci, sur scène et que le même honneur nous est fait pour l’EBC (European Blues Challenge). Il y aura de nombreux groupes, venus de tout le continent, qui participeront au concours. C’est un grand bonheur de savoir que nous bénéficions d’une vraie reconnaissance. D’autant plus que nous n’avons pas de production derrière nous, ça reste de « l’artisanat ». Nous ne sommes pas dans le créneau de la variété, ni même dans celui des musiques actuelles. Même derrière ces dernières, il y a beaucoup d’argent…
Je trouve que les vrais musiciens alternatifs sont des gens comme nous. Dans le blues, nous sommes vraiment des « alternatifs » !
Olivier Trebel : Certains Festivals nous restent « fermés » car ils sont cadenassés par des boites de prod’ qui y présentent leurs artistes. Tant mieux pour ces derniers, qui ont du talent, mais le fait d’être seuls nous montre parfois ses limites. Donc c’est très réconfortant de savoir qu’il y a des gens qui nous soutiennent en France. Des personnes qui y croient, au point de nous envoyer représenter tout ce beau monde à l’étranger.
Depuis quelques temps nous allons aux USA et au Québec régulièrement. De ce fait, le besoin de jouer en Europe se fait de plus en plus ressentir pour nous. Grâce à l’European Blues Challenge, de nouvelles portes vont probablement s’ouvrir. Cela nous permettra, peut être, de passer un cap…
Quels sont les groupes avec lesquels vous avez le plus d’affinités en Europe ?
Bernard Sellam : En France, nous sommes très copains avec un groupe qui se nomme Mountain Men. Lui aussi a été sélectionné, pour la deuxième fois, afin de représenter la France à Memphis. C’est justement là-bas que nous l’avions rencontré en 2008 (nous nous étions en fait retrouvés à l’aéroport d’Amsterdam). Depuis, nous nous voyons beaucoup…
D’un point de vue strictement musical, il y a plein de gens que j’adore en Europe. Il y a de grands talents en Italie, en Allemagne avec B.B. & The Blues Shacks, en Scandinavie etc…
Nous avons rencontré 3 fois les Yardbirds, nous commençons à bien nous connaître même si nous ne pouvons pas dire que nous sommes des amis. Le peu de temps que nous passons ensemble est toujours très amusant…
Vous avez enregistré 7 albums. Pouvez-vous me parler de votre évolution musicale à travers eux ?
Bernard Sellam : Je pense que la musique évolue naturellement, on ne peut rien y faire. Avec la route, les disques que nous écoutons et les musiciens que nous rencontrons il y a toujours matière pour évoluer. D’autant plus nous étions un trio. De ce fait, notre musique était plus basée sur la guitare avec des résidus de notre passé de musiciens de soul music. C’était davantage du power blues…
Depuis le départ nous voulions travailler avec un harmoniciste. Sur certains disques nous avons donc employé Youssef Remadna qui est fabuleux.
Puis, en 2005, Stéphane a rejoint le groupe au moment de l’enregistrement de l’album « Just Pick Up The Pieces ». Sa sonorité nous a permis de prendre une direction plus « blues traditionnel ». Son arrivée a constitué un véritable changement…
Notre premier virage a été l’album « Barber Shop » (2001) sur lequel nous avons vraiment trouvé notre identité et notre sonorité. Puis il y a eu celui de la venue de Stéphane qui a amené toute son inspiration et son talent, notre son a changé lorsque Awek est devenu un quartet. Le troisième virage a été notre premier enregistrement aux Etats-Unis avec « Burnin’ Wire On South Lamar » (2007) où nous avons pu « choper » un son plus « américain ». 
Olivier Trebel : Je me permets d’ajouter, qu’au fil du temps, nous avons toujours fait ce que nous aimons. Même au début du groupe, lorsque nous effectuions quelques reprises dans un registre plus soul voire rock.
De toute façon, à cette époque, je n’étais pas prêt pour jouer le blues comme je le fais maintenant. Il nous fallait tout ce temps et toutes ces rencontres afin d’arriver à jouer la musique que nous pratiquons actuellement. C’est pour nous une suite logique et… tranquille.
Nous n’avons jamais fait de concessions, nous avons toujours abandonné les morceaux qui ne nous plaisaient pas. Nous jouons ce que l’on aime, sans nous poser trop de questions. De ce fait, même aux USA, les gens nous appréciaient pour notre manière personnelle de mélanger le Chicago blues au son West Coast… Chez eux, ils n’ont pas l’habitude de cela car en principe, là-bas, les musiciens jouent le style de l’Etat dont ils sont originaires. A titre personnel nous prenons cette musique vue de France, cela se ressent dans notre son.
Quels seraient vos souhaits pour l’avenir ?
Bernard Sellam : Notre avenir, à moyen terme, est déjà bien rempli. Nous avons beaucoup de projets et c’est vachement bien !
Le plus important, dans la vie d’un groupe, est de pouvoir jouer sur scène. Je ne peux pas te parler de tous nos projets car certaines choses ne sont pas encore confirmées. Nous avons beaucoup de voyages en vue et de très belles scènes en perspective. Notre but est de poursuivre l’aventure que nous vivons actuellement. Nous pourrions en demander plus mais, à titre personnel, je me satisfais déjà beaucoup de tout ce qui nous arrive depuis plusieurs années. Nous jouons notre musique tout en en vivant… C’est un privilège qui n’est pas donné à tout le monde. Compte tenu des retours que nous avons, nous savons que nous donnons du plaisir au public et ça… c’est vraiment super !
Ce serait une parfaite conclusion mais avez-vous autre chose à ajouter ?
Olivier Trebel : Comme le disait Bernard, nous espérons continuer cette belle série et faire en sorte que les gens continuent de nous soutenir le plus longtemps possible.
Bernard Sellam : Je voulais remercier le public car c’est lui qui nous porte depuis le début. De plus en plus, nous avons un vrai public. Il y a des gens qui nous suivent depuis le premier album, si nous sommes là c’est grâce à eux…
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