Nda : Dans un monde pas toujours en phase avec lui-même, le groupe Backyard Folk Club nous propose une rafraichissante bulle d’oxygène avec son album« Daydream » (label #14 Records). Pourtant si son country-folk semble si apaisant, c’est pour mieux mettre en exergue les incohérences d’une société où les histoires d’amours finissent mal en général. Un monde violent où la déception s’impose au détour d’un regard ou d’une rencontre en laquelle on croyait pourtant si fort. Artisans assumés, multi-instrumentistes et vocalistes hors pair ; Hélène Braeuner, Magali Martin, Cyrille Martin et Fred Lichtenberger s’amusent à éclater les codes et à faire passer des messages intemporels. Une musique qui subjugue, systématiquement mise en valeur par un aspect visuel particulièrement soigné. L’art du Backyard Folk Club soigne les maux et nous porte irrémédiablement vers un rêve éveillé.
De quelle manière le groupe est-il né, quelle est sa genèse ?
Fred : Le groupe Backyard Folk Club est né en 2014 mais nous faisons de la musique, ensemble, depuis très longtemps. Ceci au sein de diverses formations, la principale étant Grand March que tu connais. Un jour, nous nous sommes décidés à nous réunir dans une arrière-cour (chez Cyrille et Magali) et nous avons commencé à écrire des chansons en totale décontraction. Cela s’est déroulé les dimanches après-midi, durant un été. Il en a résulté quelque chose de sympa que nous avons décidé de « pousser » un petit peu, forts des contacts que nous avions. Nous avons proposé ces titres au tremplin du Festival Décibulles. Après avoir été sélectionnés, nous avons participé à cette manifestation et l’histoire a pris forme…
Vous évoquiez Grand March, que les auditeurs de Route 66 connaissent. Pouvez-vous revenir sur vos parcours musicaux respectifs ?
Cyrille : Nos parcours sont variés puisque certains d’entre nous viennent de la musique classique. Magali a, par exemple, fait de la flûte à bec au Conservatoire alors que je suis pianiste depuis que je suis tout petit. C’est, en effet, bien plus tard que je me suis mis à la guitare en autodidacte. Fred est batteur mais a débuté par la clarinette, puis le saxophone.
Fred : En effet… Lorsqu’on est adolescent on pense que la clarinette est « has been » mais à 30 ans on commence à avoir des regrets…en se disant que cet instrument est vachement bien (rires) !
Au final, quels sont les idiomes musicaux autours desquels vous vous êtes retrouvés ?
Cyrille : Je pense que nous nous retrouvons, évidemment, sur tous les projets que nous menons de front ensemble. Il est vrai que nous sommes issus de champs musicaux variés (Fred était un admirateur de groupe tels que Pearl Jam, alors qu’Hélène est très typée chanson folk avec des artistes comme Agnes Obel ouAlela Diane et que Magali était une admiratrice de pop française). A titre personnel, j’écoute un peu de tout et suis un fan inconditionnel des Beatles.
Est-ce que la démarche musicale que vous abordez ensemble a fait l’objet de « débats » ou est-ce que ce choix de registre est venu naturellement à vous ?
Magali : C’est plutôt venu naturellement… J’ai d’abord écrit des textes et, comme nous souhaitions nous produire dans le cadre d’une formationacoustique « légère », tout s’est enchainé…deux guitares, puis de légères percussions, un banjo…
Cyrille : Ce concept est né de la simplicité… Nous avions des textes et des guitares à notre dispositionet, en « bricolant », nous avons construit ces chansons. Des éléments qui font que l’on se retrouve rapidement sur le terrain de la musique folk.
Fred : Nous bénéficions, aussi, d’une histoire commune qui a plus de 20 ans. Nous avons partagé de nombreuses aventures à travers des groupes de reprises et nous avons essayé une multitude de choses. De ce fait, nous nous connaissons parfaitement, tout en ayant évolué chacun de notre côté. Ce que nous faisons avec Backyard, ce style folk-country, est un aboutissement même si rien n’a été calculé à l’avance. Si Cyrille et Magali étaient, au départ, « étrangers » à la country ils n’ont eu aucune peine à en assimiler les rouages. Il en résulte, aujourd’hui, un deuxième disque…
Vous vous distinguez aussi de par vos harmonies vocales qui sont dominantes dans votre travail. Vous êtes-vous inspirés, pour cela, de groupes tels que la Carter Family, les Everly Brothers ou d’ensembles plus récents ?
Hélène : Dans l’histoire de la musique folk, on retrouve de nombreux duos féminins. L’un des derniers qui fonctionne très bien est First Aid Kit. Ces deux sœurs suédoises jouent beaucoup sur la douceur des voix féminines qui s’entrecroisent. Cela permet de créer de la variété dans les compositions musicales et d’enrichir les ambiances de nos histoires. Ainsi, Magali et moi-même, pouvons explorer différentes pistes.
Si vous faites, bien sûr, penser au groupe First Aid Kit, votre musique évoque aussi pour moi celle du groupe Carolina Chocolate Drops. Vous intéressez-vous à ce qu’a fait ce dernier ?
Fred : Pas directement… Pour être sincère, il ne s’agit pas d’une influence directe. En ce qui nous concerne, avec Hélène, nous sommes repartis à la conquête de vieux vinyles. De plus, nous avons récemment regardé le documentaire sur Dolly Parton (« Here I Am », réalisé par Francis Whately). En le voyant, on se rend compte que nous n’avons rien inventé même si cela peut être une idée de départ. En fait, nous sommes le fruit d’une histoire musicale qui perdure et qui a été écrite il y a un long moment. Cette dernière a été défrichée par des artistes tels qu’elle dans les années 1950-1960. En voyant ce reportage, nous avons pris conscience que nous sommes directement issus d’une nana comme Dolly Parton. Elle compose, écrit elle-même ses textes qui sont magnifiques. De plus, sa manière de travailler nous a fait penser à la façon dont Magali est capable d’écrire des paroles. En effet, Magali est également capable de signer un texte en deux minutes dans le bus !
L’origine de votre musique ne date pas d’hier. Elle s’est popularisée il y a longtemps, notamment, au moment de la Grande Dépression. Vous êtes-vous aussi penchés sur l’histoire du peuple américain afin d’assimiler toute la culture et l’imagerie de la musique folklorique américaine…alors que le peuple américain s’en servait afin d’exprimer ses maux ?
Fred : Je suis un grand lecteur et j’aime lire des œuvres américaines en version originale. Je suis, par ailleurs, un très grand fan de westerns et je m’éclate à lire de grands romans fondateurs de la littérature américaine. Que ce soit avec Backyard ou d’autres groupes (en particulier Grand March) chaque chanson est, pour moi, liée à quelque chose. Par exemple le titre « Hope » me rappelle des lectures ou des séries télévisées. Le plus intéressant est le fait de pouvoir faire quelque chose de ces influences. Le but est de pouvoir traduire ce que l’on voit et ce que l’on vit au quotidien.
Vos compositions sont-elles le fruit d’un travail collectif ?
Cyrille : En effet, c’est le fruit d’un travail collectif. Cela peut partir d’un riff, d’un enchainement d’accords ou des textes de Magali. De manière générale, l’ossature d’un morceau est trouvée assez rapidement. Le plus gros du travail est l’acte d’embellir cette dernière, de lui faire prendre corps et de lui donner une identité. C’est là que plein de chose vont se rajouter (banjo, métallophone voire même des textures de guitares électriques saturées…qui offrent une sensation de « grands espaces »). Puis la chanson évolue en termes d’intensité. Fred joue un rôle prédominant en ce qui concerne les arrangements. Il parvient à créer des « mini-films ». Il a un talent certain pour trouver des idées nouvelles et originales. Il est une véritable clé de voûte en ce qui concerne ce processus…
Fred : Magali écrit 100% des textes et nous élaborons tous ensemble le squelette musical.
Hélène : Il y a, parfois, des envies qui sont purement mélodiques. Si on en revient aux fondamentaux de l’écriture folk, on en revient à l’émotion d’une mélodie que l’on porte en soi. Nous sommes nés dans un jardin, une arrière-cour, mais je me souviens que beaucoup des mélodies composées pour cet album sont nées alors que je promenais mon dernier fils dans une nature emplie de quiétude. Dans ces moments-là, on s’écoute et on écoute la nature autour de soi. Là, on se met à fredonner des choses et à s’enregistrer. Tout le monde peut faire cela et c’est ce qui est beau dans ce mouvement de la musique folk. Puis, c’est la force d’un groupe qui permet d’en faire une chanson. Là, les qualités des uns et des autres se rencontrent. C’est une chose très décomplexante. Nous portons cela dans notre démarche et sur notre album. Il s’agit de simples mélodies et nous souhaitons continuer à faire les choses le plus simplement possible. En concert, les gens peuvent facilement nous rejoindre dans ces refrains. Il en résulte, systématiquement, un échange aussi fort que chaleureux…
Existe-t-il, en ce qui vous concerne, des endroits réellement propices à l’écriture ou à la composition ?
Magali : En ce qui concerne l’aspect mélodique, ce sont donc les promenades qui inspirent le plus Hélène. Pour ma part, il n’y a pas vraiment d’endroit particulier mais, pour l’écriture de notre premier EP (« The Broken Spoon », paru en 2014), je me souviens que c’est en voiture (entre l’Espagne et l’Alsace) que j’ai élaboré plusieurs textes. Dès que quelque chose me touche, cela me trotte dans la tête un moment avant que, tout à coup, une histoire naisse sur le papier. Cela peut, de manière générale, venir à n’importe quel moment. Il m’est même arrivé de devoir m’arrêter alors que j’étais à vélo. Ceci afin de prendre des notes dans mon téléphone car une idée venait de surgir.
Vous êtes, toutes et tous, multi-instrumentistes. Est-ce que le fait de fonder ce groupe a nécessité pour vous le besoin d’apprendre de nouveaux instruments ? Si oui, cela a-t-il été facile ?
Cyrille : En ce qui me concerne, le banjo a été une découverte très sympa ! Cette couleur country nous manquait et, un jour, je suis tombé sur une petite annonce concernant un banjo. Depuis, cet instrument nous suit partout… Il s’agit, en fait, d’un banjo de guitariste (qui possède 6 cordes qui permet de passer de l’un à l’autre sans ressentir la nécessité de réapprendre un instrument). Puis je me suis fait un peu plus mal en apprenant l’harmonica…il y a eu quelques « coins-coins » au départ ! Je me suis même fait une entorse au petit doigt à force de tenir un harmonica et un micro dans la même main (rires) ! Le fait de passer du temps sur l’apprentissage d’un instrument me passionne.
Fred : En ce qui me concerne, je suis avant tout batteur. Apprendre la guitare a donc été un challenge, même si je n’ai pas la prétention de dire que je suis un vrai guitariste. Cyrille a le don de pouvoir passer d’un instrument à l’autre en faisant des choses très compliquées…ce qui n’est pas mon cas. Il faut donc que j’ajuste en utilisant d’autres stratagèmes…
Nous avons déjà évoqué l’album « Daydream » mais j’aimerais entrer davantage en détails dans sa conception. Le travail de composition s’est-il étiré dans la longueur ?
Fred : C’est long…c’est, vraiment, hyper long de faire un disque. Par les temps qui courent, c’est même une gageure. Retenir 11 chansons, ça veut dire en jeter la même quantité. Soit les titres qui ne sont pas satisfaisants à 100%. Après le travail de composition, il y a celui des arrangements, puis la préparation du studio et de l’enregistrement…c’est un vrai boulot de dingue ! De plus nous sommes 4 pour jouer 7 ou 8 instruments différents. Quand on entre en studio il faut immédiatement savoir ce que l’on fait avec la guitare numéro 1, la guitare numéro 2, la batterie etc. Entre l’élaboration du disque et sa sortie, il s’est passé environ 2 ans…
Dans quel studio avez-vous enregistré et quels sont les gens qui vous ont entourés durant cette aventure ?
Fred : Nous avons beaucoup de chance car nous sommes entourés par une belle équipe. Des gens qui ont, tous, des compétences diverses… Notre premier EP avait été réalisé, chez un ami qui est le guitariste de Grand March, en « do it yourself ». Ce deuxième album a été enregistré dans un petit studio qui n’a pas forcément « pignon sur rue », avec l’aide de Florian Damour.A notre échelle, cela nous coûte déjà beaucoup d’argent. Nous nous débrouillons avec ce que nous gagnons sur nos concerts. C’est une petite économie en soi et il y a beaucoup de « fait soi même ».
Vous développez, particulièrement, l’aspect visuel au sein de vos travaux. C’est encore le cas avec la pochette de cet album dont j’aimerais que vous me parliez…
Hélène : C’est le travail d’une illustratrice strasbourgeoise qui s’appelle Dorothée Jost. Elle a signé une très belle série autour du hasard et de la tâche. Lorsque nous nous sommes interrogés sur la manière d’évoquer l’entièreté de nos histoires à travers la pochette de l’album, nous nous sommes naturellement tournés vers elle et son travail. Elle possède une délicatesse qui rejoint l’aspect ciselé que nous possédons en ce qui concerne notre manière de composer. Nous avons choisi ce nu féminin car il est proche de l’inspiration de Magali et des histoires de femmes qui la touche. Cette illustration nous sert aussi de fond de scène afin que nous puissions la partager avec le public…
Quel objectif vous fixez-vous précisément avec le concept Backyard Folk Club ?
Cyrille : Notre premier objectif était, à la base, de nous faire plaisir et c’est comme cela que le projet est né ! Ceci, sans aucune velléité de le monter… Nous nous faisons plaisir en donnant des concerts. Chez nous, cette notion de plaisir est fondamentale…
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