Ben Toury
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Elevé au biberon du blues et à la cuillère du boogie, le pianiste et chanteur (mais aussi harmoniciste) Ben Toury a parcouru bien du chemin depuis ses précoces débuts. Aujourd’hui, le jeune homme se complait à passer ses registres de prédilection à la moulinette, afin de mieux les incorporer à d’autres ingrédients sonores. A chaque fois, le résultat fait mouche, que ce soit sur disque ou sur scène. C’est d’ailleurs à l’occasion de l’édition 2019 du Munster Jazz Festival (alors qu’il était accompagné par Jérémy Bares à la guitare, Philippe Wozniak à la basse et contrebasse, Florian Pons à la batterie, Séverine Eouzan au saxophone baryton et par Philippe Henry au trombone) que je l’ai retrouvé, dans sa loge, afin d’enregistrer l’entretien qui suit. A une heure avancée de la nuit, alors que Melvin Taylor s’était à son tour emparé de la scène, il a très gentiment répondu à ces quelques questions…

Ben, dès ton enfance tu as baigné dans un univers propice à l’apprentissage d’un instrument. En effet, ton père était guitariste au sein de plusieurs formations françaises de blues. Peux-tu, de ce fait, revenir sur ton cheminement musical ?66
J’ai, effectivement, commencé à me produire en duo avec mon père. Notre premier concert remonte, d’ailleurs, au 21 juin 1993 à l’occasion d’une Fête de la Musique. Notre duo s’appelait Good Old Boogie et nous avons joué dans des bars à des centaines d’occasions. A ce moment là, de nombreux établissements de ce type proposaient des concerts… Je me souviens que nous ramenions, à chaque fois, un matériel pas possible (batterie, piano, guitare, washboard, sono etc.). Nous nous produisions à travers toute la France, avant que je me calme un petit peu en m’orientant vers le jazz. En effet, vers l’âge de 18-20, j’ai commencé à écouter autre chose que du blues et du boogie qui étaient jusqu’à là mes musiques de prédilection. Celles d’où je venais…
Aujourd’hui, j’ai tendance à revenir vers ces origines, même si j’y incorpore de nombreux éléments différents. Ainsi, je peux aborder un registre tel que le hip-hop qui est, à mon sens, l’un des descendants du blues (puisque Chuck Berry et James Brown en sont clairement les inventeurs). J’aime mélanger les sonorités. Je suis parti de loin mais je pense être parvenu à obtenir un bon alliage.

Tu as commencé la pratique du piano alors que tu ne devais être âgé que de 3 ou 4 ans. Pourquoi t’es-tu orienté vers cet instrument, alors que tu aurais pu suivre les pas de ton père en devenant à ton tour guitariste ?
C’est une bonne question car, nous-mêmes, nous ne le savons pas du tout. D’autant plus que nous n’avions pas de piano à la maison… La théorie serait la suivante… Dans les années 1980, mon père se rendait très souvent dans des studios de répétitions et j’avais pris l’habitude de l’accompagner. Durant toutes ces heures passées en studio, je m’ennuyais fermement. Cependant, à cette période, c’était l’avènement des premiers claviers Yamaha qui sont rapidement devenus à la mode. On suppose que c’est en pianotant dessus que le virus m’a rattrapé alors que je ne faisais que m’amuser en tapotant sur les touches. Par la suite, des amis nous ont prêté un petit clavier avant que mes parents contractent un crédit pour m’acheter l’un de ces synthétiseurs Yamaha…

Y-a-t-il, malgré tout, des pianistes qui t’ont poussé à persévérer dans l’art de cet instrument ?
J’ai, bien sûr, eu des influences mais pas forcément parmi les pianistes. Ceci-dit, des gens tels que Memphis Slim (qui excellait dans l’art du boogie-woogie) a eu un grand impact sur moi. D’ailleurs, je l’évoque durant mes concerts. Bien sûr, par la suite, j’ai également été touché par Jerry Lee Lewis. Beaucoup de gens me comparent à lui et s’il est vrai que j’ai de l’admiration pour cet artiste je ne cherche clairement pas à le copier. Ce n’est pas mon créneau… Je peux, également, citer Lloyd Glenn qui n’est pas assez connu à mon sens. C’était un virtuose du boogie-woogie et du jazz. Il était d’une finesse absolue…

Tu t’es installé à Paris alors que tu n’étais âgé que de 18 ans. Ta vie a, alors, été émaillée de rencontres avec des artistes tels que Siegried Kessler, Fabrice Eulry ou Claude Bolling. Au contact de ces gens, quelles sont les leçons que tu as retenues ?
Les rencontres sont des choses passionnantes ! Même lorsqu’il ne s’agit que d’échanger une phrase ou un regard, il y a toujours une leçon à en tirer. Avec Fabrice Eulry, nous nous connaissons depuis des années. C’est quelqu’un qui m’a toujours aidé et c’est lui qui m’a fait jouer pour la première fois à Paris. C’était au Petit Journal Saint-Michel, alors que j’avais 17 ans et que je n’habitais pas encore dans la capitale. Quant à Claude Bolling, je l’ai rencontré lors d’un concert et je me souviens qu’il m’avait dit que j’avais du talent et qu’il fallait que je continue. C’est pareil pour Siegfried Kessler que j’ai connu dans le sud de la France, à La Grande-Motte. Ce dernier représente un autre style de jazz et le fait de le côtoyer, là-bas, a été très enrichissant…

Tu as déjà une longue carrière derrière toi. Tu viens du blues et du boogie mais tu y incorpores des éléments très différents. Peux-tu revenir sur les registres que tu abordes et définir ta musique ?
Ma musique, surtout avec mon projet actuel, je l’appelle du « rhythm and blues armé ». Soit du gros rhythm and blues bien costaud ! A l’origine, je suis clairement un bluesman qui se plaît dans l’art du boogie, car je joue du piano très rapidement. D’ailleurs, le boogie n’est ni plus ni moins que du blues accéléré… Lorsque j’étais adolescent, le fait de jouer cela me faisait beaucoup rire. Je souhaitais toujours, pour la performance, aller le plus vite possible. Je m’amusais énormément… Par la suite, heureusement, ma musicalité a complètement évolué. Je ne suis plus dans ce défi de jouer 400 notes à la seconde. Je suis davantage dans l’émotion et j’essaye de transmettre quelque chose au public, car je crois que c’est là que réside l’intérêt du live.
Pourquoi faisons-nous ce métier ? Un questionnement basique et fondamental qui est vraiment important. Nous le faisons pour être dans l’instant (quand il s’agit de live) et dans l’émotion. Nous essayons, avec le moins de notes possible, de susciter des choses chez un public. Vers mes 18-20 ans, je me suis ouvert à d’autres formes musicales (electro, rap américain et musique classique). J’aime vraiment beaucoup la musique classique, ce qui est antithétique avec mon parcours d’autodidacte… Je ne sais pas lire la musique, mais je suis un grand fan d’opéra et de musique classique. Le fait d’écouter des choses et de les reprendre à l’oreille m’éclate ! Sur l’une de mes compositions de boogie, qui flirte avec le rockabilly, j’arrive par exemple à placer une progression de Chopin. Je l’ai chopée dans l’une de ses Valses Polonaises…
Comme je te le disais, je ne suis pas dans la copie (il y a déjà des gens qui font cela très bien) car mon but est simplement de faire ce qu’il me plait. Je suis un créateur, donc j’essaye de mélanger des choses avant de voir si cela fonctionne ou non. Mon but est, d’humblement, faire avancer les choses. A notre échelle, nous tentons de faire bouger les lignes et de moderniser le boogie-woogie qui est, aujourd’hui, une musique datée. Je suis persuadé que ce registre n’est pas mort, alors que beaucoup de gens le pensent. C’est, simplement, une question de forme. J’adore faire du boogie avec une batterie hip-hop derrière moi. Cela fonctionne et je suis persuadé que ça touche des générations beaucoup plus jeunes…

Ton groupe est constitué de personnalités artistiques qui sont assez différentes les unes des autres. Ces dernières ont-elles une influence sur ta manière d’appréhender ton répertoire ou te positionnes-tu clairement en tant que leader ?
Je me positionne clairement en tant que leader, car c’est moi qui apporte les idées de base et les compositions. Lorsque j’ai un truc en tête, il faut faire que je le veux (rires). Ceci-dit, je suis plutôt ouvert et si je joue avec ces musiciens, ce n’est pas un hasard…c’est parce qu’ils ont aussi des choses à apporter. Il y a donc, malgré tout, un réel échange entre nous. Ils me proposent des idées mais j’ai toujours le dernier mot, car je sais où je veux aller. Evidemment, si je n’avais pas besoin d’eux, je jouerais tout seul.
Par exemple Jérémy, notre guitariste, possède un parcours très éclectique qui le conduit jusqu’au metal. Souvent, je ne m’attends pas à ses approches et j’en suis agréablement surpris car je constate alors qu’il a raison. C’est pareil pour Florian, notre batteur, qui n’hésite pas à me corriger. Nous procédons de la sorte pour le seul bien de la musique. C’est bien d’avoir des idées et il est utile de, parfois, s’y coller. Au contraire, il faut parfois savoir « détruire » afin de reconstruire des choses meilleures. Il est, avant tout, indispensable de servir la musique !

Ton sens du show est, également, très développé. As-tu beaucoup travaillé cet aspect de ta personnalité artistique ou est-ce inné chez toi ?
Il y a les deux… A l’époque, j’étais très timide. Il faut dire que j’ai commencé à me produire sur scène à l’âge de 11 ans, c’est donc plutôt normal. Par la force des choses j’ai beaucoup travaillé, car j’ai énormément joué dans des bars et dans la rue (ce que les gens savent moins).La rue est une excellente école et c’est très sympathique, car nous y sommes confrontés à tous types de gens…c’est donc très formateur. L’expérience aidant, mon sens du show est devenu assez affuté et je sais comment appréhender ou gérer une salle. Chaque public est différent, ce qui constitue un challenge passionnant. Je m’adapte constamment et je reste à l’écoute du public. C’est lui qui donne l’énergie, en ce qui nous concerne il nous suffit de la retranscrire.

Comment essayes-tu de transcrire cela sur disque. Chaque album est-il le reflet d’un thème particulier ou procèdes-tu, à chaque fois, à un grand mélange musical ?
Mes albums sont, souvent, des clichés de périodes de ma vie. Ce sont des instantanés qui évoquent telle année ou telle équipe qui m’accompagne à cet instant précis. Je n’enregistre que des compositions personnelles. J’ai plusieurs nouveaux disques en prévision. Celui, avec mon septet actuel par exemple, sera un live car notre force réside dans nos prestations scéniques. Je pense qu’il s’agit d’un spectacle unique en France (voire en Europe) et nous allons jouer là-dessus. Les spectateurs nous demandent souvent le disque qui est le plus proche de ce que nous venons de leur offrir sur scène. Avec le prochain album, ils n’auront plus aucun mal à faire leur choix !

En France, il existe quelques festivals spécialement dédiés au piano et au boogie-woogie. Es-tu vraiment intégré à cette scène…comment y es-tu perçu, toi qui apporte un souffle nouveau à ce registre ?
Pendant longtemps, je n’y étais pas très bien accepté. Par contre, depuis quelques années, je n’ai plus aucun problème de ce côté-là. Il faut, malgré tout, savoir que lorsque je joue dans une telle manifestation, je ne fais pas du hip-hop, c’est évident ! Ce sont des superbes festivals qui valent le détour. On y rencontre énormément de pianistes et de danseurs. Quand j’y vais, je joue le jeu et je fais du boogie pur et dur. C’est très bien comme cela et je ne vais pas commencer à tout détruire, car je ne suis pas là pour cela. Au contraire, je suis là pour faire avancer les choses…

Y-a-t-il un registre que tu n’aurais pas encore abordé et que tu souhaiterais développer dans l’avenir ?
Oh oui, des idées j’en ai plein ! Il y a l’electro que je souhaiterais continuer à développer et j’aimerais beaucoup être, un jour, accompagné par un quatuor à cordes. A une époque, j’ai même composé des blues lents dans ce sens. Malheureusement, je n’ai pas encore eu le temps de mettre cela en application. Ceci-dit, je sais que ça fonctionnera…avec un violoncelle, un violon et deux altos. Je suis persuadé que cela sera magnifique ! L’une de mes autres idées serait d’avoir, en lieu et place d’une section de cuivres, une section d’harmonicistes. C’est, cependant, une chose plus difficile à trouver et à mettre en place. Les idées, ce n’est pas ce qui me manque (rires) !

La nuit est déjà bien avancée et tu as donné un concert particulièrement dense en début de soirée. De ce fait, puisqu’en plus tu pars tôt demain matin, je vais te laisser conclure en te donnant carte blanche…afin d’évoquer un sujet qui tient à cœur…
J’aimerais revenir sur ma démarche artistique. Mon but est, en fait, de donner envie aux gens de jouer de la musique. Personnellement, je n’ai pas pris de cours et tu vois le résultat. Les gens sont systématiquement surpris lorsque je leur dit cela. Ils pensent que c’est impossible. Si, c’est possible ! Donc, s’il y a quelque chose que je pourrais dire aux gens c’est qu’il n’y a pas d’âge pour commencer la musique. Je vous conseille à tous de vous amuser. De jouer sur des disques qui vous plaisent. Tout le monde peut y arriver. Même si on sort d’une grande école de musique et que l’on ne trouve pas sa voie, il faut continuer à s’amuser et à garder espoir. Le but est que tout le monde fasse de la musique, c’est un bien qui nous est commun !

Remerciements : Jean-Pierre Vignola

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Interview réalisée au
Jazz Festival - Munster
le 31 mai 2019

Propos recueillis par

David BAERST

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