Benoit Blue Boy
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Ancien élève des Beaux-arts, Benoit Blue Boy est avant tout (comme tout le monde le sait) un passionné de blues et d’harmonica. Un sacerdoce qui conduit, dès 1970, ce baby boomer à parcourir les routes américaines et, plus particulièrement, californiennes. Un état où il vit deux ans et où il a l’occasion de côtoyer des légendes telles que Stevie Wonder, Albert King, James Taylor ou encore Carol King. Son amour de la musique du diable (développé durant son enfance, alors qu’il assiste aux tournées de l’American Folk Blues Festival ou à des gigs enfumés de T-Bone Walker, Memphis Slim ou Sonny Boy Williamson à Paris) s’accroît encore lorsque, en 1972, il se lie d’amitié avec Zachary Richard. Auprès de ce dernier, il devient intarissable sur la question de la musique venue de Louisiane. Des influences qui se reflètent, dès 1978, sur son premier 30 centimètres éponyme (sorti par le label Vogue).
La suite, vous la connaissez… Une quinzaine d’albums, qui réunissent son immense culture musicale à sa prose de « titi parisien » ; des voyages influents qui le conduisent du Texas aux Indes ; des productions pour d’autres artistes ; de prestigieuses collaborations et des concerts à n’en plus finir.
Adepte de la dérision, voire de l’autodérision, il n’est pas étonnant de constater qu’en 2017, Benoit Blue Boy décide de rendre hommage à des artistes français de jazz (tels que Moustache, Jean-Pierre Sasson ou Mac Kac) dont il reprend quelques pépites inhérentes aux prémices du rock’n’roll français datant de 1956. Ceci, sur un magnifique vinyle (également disponible au téléchargement) élégamment titré « A Boire Et A Manger A Saint-Germain-des-Prés ». Un disque sur lequel, en lieu et place de son inoubliable groupe Les Tortilleurs, nous avons le plaisir de retrouver son fidèle guitariste Stan Noubard Pacha, ainsi que Nico Duportal & His Rhythm Dudes (rebaptisés, pour l’occasion, Les Gaziers du Rythme). Un rythme qu’un Benoit Blue Boy, tout en swing, a également insufflé dans sa charmante maison du XXème arrondissement…durant l’entretien qui suit.

Benoit, « A Boire Et A Manger A Saint-Germain-des-Prés» reflète ton appréciation des prémices du rock’n’roll français. Celui créé, dès 1956, par des artistes de jazz. As-tu vécu cette épopée musicale française de l’intérieur ?
A moitié… Je l’ai vécue, mais surtout de l’extérieur, car j’avais un voisin qui jouait de l’alto et qui interprétait (en anglais) des morceaux de Louis Jordan. Il se produisait, dans les caves de St-Germain-des-Prés avec des musiciens auxquels je rends hommage sur ce disque. Il m’en parlait beaucoup et il profitait de ses escales à Chicago, alors qu’il allait rende visite à son père qui était commissaire de police à Nouméa, pour me ramener des harmonicas ainsi que des 45 tours de Little Walter et des autres (rires)…66

Possédais-tu déjà, à cette époque, des connaissances sur le rock’n’roll originel. Cette musique était-elle déjà venue à tes oreilles, avant que tu découvres le blues et ces jazzmen français ?
On ne peut pas vraiment dire cela… Cependant, on entendait les enregistrements de Ray Charles parus chez Atlantic. On peut considérer ces morceaux comme étant les premiers hits de rock’n’roll noir. Sinon, il faut bien admettre que nous étions encore ignorants en matière de rock’n’roll. C’est par la suite que le côté blanc de cette musique, via Bill Haley par exemple, est venu à nos oreilles.

En quoi le rock’n’roll généré par des artistes de jazz français, au milieu des années 1950, t’a-t-il touché ?
Parce que c’était en français ! C’était vraiment le « truc » amusant car, en plus, ça changeait de ce que nous entendions à la radio à ce moment-là… Avant, nous n’écoutions attentivement que Georges Brassens et quelques morceaux de Gilbert Bécaud ou de Charles Aznavour qui pouvaient parfois se montrer « jazzy ». Nous occultions totalement le reste de la variété française, qui n’était vraiment pas très « rock’n’roll » (rires).

As-tu eu la possibilité de côtoyer, pendant ou après leur période rock’n’roll, des gens tels que Moustache ou Mac Kac. As-tu des anecdotes liées à ces personnages ?
Je ne peux pas dire que je les ai côtoyés… J’ai vu Moustache à plusieurs reprises lorsqu’il jouait de la batterie au sein de différents orchestres. C’était après sa parenthèse rock’n’roll. Il faut dire que lorsqu’il s’est aventuré dans ce registre, j’étais vraiment gamin puisque je devais être âgé de 10 ans. Si je n’ai jamais croisé Mac Kac, j’ai entendu un sacré paquet d’histoires à son sujet. Il était, parait-il, un « allumé » total et il n’arrêtait pas de faire des conneries.

Au milieu des années 1950, il y avait deux écoles principales qui se partageaient le gâteau. D’un côté Mac Kac, Moustache et consorts puis, de l’autre, toute l’équipe de Boris Vian avec Henri Salvador. Tu sembles être plus attaché à la première citée, pourquoi ?
Parce qu’elle est moins caricaturale ! En fait, il n’y a vraiment eu qu’un seul 45 tours de « rock’n’roll » interprété par Salvador sur des textes de Boris Vian. Les musiciens qui jouaient derrière tous ces gens étaient les mêmes (Sacha Distel, Michel Legrand etc.). C’est juste la manière de « faire le truc » que je trouve moins amusante chez Boris Vian, bien que ce dernier ne soit pas n’importe qui. Pareil pour Salvador, quand il le voulait bien, il réalisait de sacrées choses. Cependant, ces mecs-là n’aimaient pas vraiment le rock’n’roll. Pour eux, cette musique avait été volée aux blacks américains. Il y avait ce « truc » intellectuel et très parisien qui existe, probablement, toujours. Moi-même, je n’ai pas pu enregistrer pendant des années à cause de cela. Au début des années 1970 on me proposait uniquement des sessions si j’acceptais de chanter en anglais. Il ne fallait surtout pas que ce soit en français… Cela a mis très longtemps avant que je puisse imposer mon blues francophone. Si mon premier album a été gravé en 1978, j’en interprétais déjà la majeure partie des titres depuis 4 ou 5 ans. Les maisons de disques étaient totalement réfractaires au fait de sortir des enregistrements de blues dans la langue de Molière. Si j’y suis parvenu, c’est grâce au groupe Téléphone qui a connu le succès via un rock (inspiré par celui des Rolling Stones) en français. Du coup, tout est devenu beaucoup plus facile…

Finalement, ta démarche musicale a été assez proche de celle des Moustaches ou Mac Kac en leur époque. Tu as imposé, comme eux l’ont fait dans le rock’n’roll, le français…
Oui, la grande différence est purement musicale. A l’époque, il n’y avait pas de guitaristes tels que Stan Noubard Pacha ou Nico Duportal. Les musiciens ne jouaient pas blues, ils jouaient jazz. Je pense avoir amené cette manière de jouer, qui fait la part belle aux guitares et à l’harmonica. Le blues n’est pas une musique de mecs qui savent écrire et lire. J’estime donc que nous avons apporté un côté « ignorant » alors que les jazzmen de l’époque savaient parfaitement lire et écrire une musique. Nous avons, réellement, ajouté ce côté blues qui n’existait pas auparavant…

Autre fait notable, lorsque tu es arrivé à la fin des années 1970 avec ton blues en français, tes textes étaient teintés de dérision. Cela était également le cas pour ceux interprétés par Mac Kac par exemple. Cela résulte-t-il, selon, d’une influence inconsciente ou du plus pur hasard ?
En termes d’écriture de chansons, le seul mec qui aurait pu m’influencer est Georges Brassens. De manière générale, je m’inspire plutôt de la manière d’écrire des vrais bluesmen tels que Jimmy Reed. J’aime quand les deux premières phrases annoncent quelque chose et que la troisième t’indique comment sortir de ton blues. C’est, aussi, une forme d’autodérision…ce fait de se moquer de ce que l’on a dit juste avant.66

A l’arrivée du rock’n’roll français « 1er degré » (avec Hallyday en 1959, puis Les Chaussettes Noires et Les Chats Sauvages), as-tu ressenti un nouveau « choc »…as-tu été touché par cette musique. De plus as-tu fréquenté les clubs de rock’n’roll des sixties ou des bandes telles que celles de La Place de la Bastille ou du Square de La Trinité ?
C’est au milieu des années 1960 que j’ai commencé à intégré ce réseau. Je venais de la banlieue ouest et on avait, plutôt, tendance à nous appeler « blousons dorés » que « blousons noirs » (rires). Nous n’étions pas vraiment du même côté… Nous essayions, désespérément, de nous habiller comme sur les pochettes des Chats Sauvages (rires) !

L’idée d’enregistrer un album tel que « A Boire Et A Manger A Saint-Germain-des-Prés» te trottait-elle dans la tête depuis longtemps. Quel est l’élément qui a fait que tu te décides à enregistrer cette musique ?
Il y a très longtemps que j’avais envie de faire un disque comme celui-ci. C’est en allant voir Nico Duportal, lors de l’une de ses prestations au Caveau de La Huchette, que j’ai réalisé qu’il était en train de jouer la même musique que celle qui était faite par ces jazzmen dès 1956 (et, qui plus est, au même endroit). Je me suis rendu compte que lui et les membres de son groupe étaient les musiciens parfaits pour mener à bien un tel projet. Lorsque je leur ai proposé cela, ils ont trouvé cela super.Peu de musiciens français savent jouer comme eux, avec un tel swing. C’est Nico qui a amené cela… J’ai, tout de suite, su qu’avec eux ce serait faisable !

En termes d’orchestration, avait-il « carte blanche » ou vous-êtes vous fixé une ligne directrice en amont des sessions ?
Nous avons répété un après-midi ici, chez moi. Nous avons joué le répertoire puis avons enregistré le disque…sans aucune répétition préalable…Les cuivres ont écouté les morceaux puisje leur ai donné les tonalités dans lesquelles je souhaitais les interpréter. Nous avons modifié les arrangements de « Et là-bas ? » pour en faire un « truc » rumba biguine car j’avais envie de cela. Sinon, tout s’est fait en live, car je ne voulais pas que le résultat sonne « trop réfléchi ». En gros, nous nous sommes servis des arrangements des cuivres des originaux. Le reste, nous l’avons fait à notre manière. C’est pour cela que je tiens toujours à m’entourer de gens qui sont spécialisés dans tel ou tel style. De ce fait, il est inutile de se perdre en explications…les mecs savent de quoi il s’agit. Cette musique, Nico et ses musiciens savent la restituer mieux que n’importe qui d’autre…

Cette équipe connaissait-elle déjà ce répertoire avant que tu lui proposes d’enregistrer à tes côtés ?
Je ne pense pas qu’ils connaissaient… Je leur ai envoyé une liste d’une vingtaine de morceaux, puis j’ai commencé à piocher dedans. Je voulais, absolument, sortir ce disque en vinyle 25 cm car c’est une chose que je n’avais jamais eu l’occasion de faire auparavant. Du coup, nous savions que nous ne pourrions pas y mettre plus de 4 titres par face. De plus, j’ai tenu à intégrer un instrumental et une nouvelle version de « J’marche doucement » (la version originale est, initialement, parue sur l’album « Parlez-vous Français ? » en 1990, nda). Au final, nous avons retenu les chansons qui nous collaient le plus. J’ai pris ce qui était le plus proche de moi…

Au final, seulement 6 reprises ont été sélectionnées…le choix a, vraiment, dû être difficile…
Oui, mais je souhaitais pouvoir chanter à ma manière sans risquer de dénaturer un morceau. C’est ce qui était important pour moi, que ça continue à sonner comme du Benoit Blue Boy. Je ne voulais pas faire une copie de Mac Kac, le but était de réaliser un hommage…

Sur scène, avais-tu déjà eu l’occasion d’interpréter certains de ces morceaux avant de les enregistrer ?
Cela m’était arrivé dans des petits clubs, notamment la chanson « Tu m’as laissé tomber (comme une vieille chaussette) ».

Ces chansons font, souvent, référence à un certain art de vivre à la française…d’où le titre du disque. Ce rock’n’roll était, avant tout, celui des bons vivants avant de devenir celui des rebelles qui est arrivé quelques années plus tard…
Il est vrai que lorsque l’on voit des photos de Moustache ou de Mac Kac, on peut se dire « ça va ! » (rires), ces mecs étaient de bonnes fourchettes et ils buvaient de grands verres (rires). Lorsqu’on les voit chantait, ça à l’air vraiment très amusant à faire !

De plus, ils étaient tous (plus ou moins) restaurateurs…
Petit à petit, je suis sûr qu’ils se sont arrangés pour pouvoir manger chez les uns ou les autres tous les soirs (rires).

En l’enregistrant, as-tu été frappé par l’intemporalité de cette musique ?
Oui, d’ailleurs je ne l’ai pas retouchée (rires) ! C’est très swing-jazz donc ça ne marque pas, spécialement, une époque. Le seul but de cette musique est de transmettre la bonne humeur et de faire danser les gens. C’est une chose qui ne disparait pas et qui ne peut pas devenir indémodable. Quand un morceau est amusant, on continue à l’écouter facilement…

Penses-tu que ces artistes étaient conscients de ce qu’ils faisaient, qu’ils se doutaient être les précurseurs d’une musique qui allait marquer à jamais plusieurs générations ?
Je ne sais pas… Je pense que Mac Kac ne parlait pas un mot d’anglais, mais qu’il avait vraiment envie de le faire. C’est pour cela qu’ils ont essayé de trouver un système pour le faire en français. Ils se sont aperçu que cela était faisable sans, pour autant, chanter en yaourt. Il faut dire que pas mal d’écrivains, dont Boris Vian, gravitaient autour de cette scène. Ces textes me font, aussi, penser aux vieux films policiers français. Ils sont remplis de mots d’argot qui marquent leur époque. Quand on écoute « T’es pas tombé sur la tête » (adaptation de « See you later alligator » de Bill Haley & His Comets), on a, vraiment, l’impression d’être dans un film noir des années 1950 !

Paradoxalement, cette musique semble avoir touché les américains. En effet, Mac Kac a été le premier artiste de rock’n’roll français à sortir un disque aux USA…sur le label Atlantic. Comment expliques-tu l’intérêt qu’ont pu avoir les américains pour cette musique, y voyaient-ils un gag ou un registre des plus sérieux ?
Je suis assez septique sur la chose… Je pense plutôt qu’il s’agissait d’un arrangement entre maisons de disques. Versailles (dont le directeur artistique était Sacha Distel), qui éditait les disques de Mac Kac, a été la première à distribuer les enregistrements Atlantic d’artistes comme Ray Charles. Le fait de sortir Mac Kac aux USA devait donc être le fruit d’un « échange de bons procédés ». Je ne crois pas que Mac Kac ait vendu beaucoup d’albums en Amérique…ce qui ne retire rien à la qualité de sa musique.

En tout cas, depuis que ton 25cms est sorti, on sent une sorte d’engouement. Les cotes des disques originaux s’envolent… Tu me sembles être l’initiateur d’un véritable revival…
C’est fait exprès ! D’ailleurs nous gardons un maximum de nos disques et ne les vendons pas…juste pour faire monter leur cote (rires) ! Plaisanterie à part, je constate également que cela intéresse de plus en plus de gens. C’était, cependant, dans l’air du temps car j’ai vu qu’un magazine de jazz souhaiterait écrire un sujet sur cette période musicale française.

As-tu eu un retour provenant de certains ayants droit ou de musiciens qui ont participé aux enregistrements de ces disques ?
Non… Je ne sais pas si certains sont encore en vie aujourd’hui. A l’époque, ces musiciens devaient déjà avoir une petite trentaine d’années. Pour le moment, je n’ai donc eu aucun retour…

L’album est tellement réussi, qu’on ne peut être que frustré qu’il ne dure que le temps de 8 morceaux. Souhaiterais-tu continuer à aborder ce concept dans un futur proche, envisages-tu une suite ?
En général, je n’aime pas faire deux fois le « truc » (rires) ! J’ai tendance à m’engager dans un registre, car j’ai envie de le faire à l’instant T. J’aurais trop peur, en me replongeant dans cette musique, que ce soit moins bien que la première fois. De surcroît, je suis déjà plongé dans un autre projet…

Malgré tout, as-tu essayé d’autres morceaux de cette période sur scène ?
Non mais, dans le temps, il m’arrivait d’en jouer l’un ou l’autre que l’on ne retrouve pas sur l’album.

Tu nous as beaucoup fait voyager à travers tes disques (France, USA, Inde…) et, aujourd’hui, tu nous fais voyager dans le temps avec ce retour au milieu des années 1950. Existe-t-il une autre période musicale que tu n’as pas encore explorée et dans laquelle tu souhaiterais t’engouffrer ?
Pour le moment non. J’aimerais vraiment faire un « truc » avec les indiens, mais c’est réellement compliqué…car rien n’est vraiment jamais sûr en Inde (rires). Si tu penses y aller pour faire un disque en 8 jours, ce n’est même pas la peine de partir (rires) ! Quand je me rends dans ce pays, il m’arrive de jouer avec des musiciens locaux (comme l’Orchestre National du Rajasthan). Mais, même si je pense pouvoir enregistrer un jour là-bas, il me faut attendre l’opportunité. Il y a une grande part de hasard dans la culture indienne. Souvent, quand tu penses que le moment est venu, il se passe quelque chose qui vient tout perturber (panne d’électricité, disparition du propriétaire du studio etc.). En Inde, tu fais ce que tu veux au moment où tu en as envie et, après, c’est fini (rires).

Peux-tu m’en dire davantage sur tes projets, puisque tu m’as dit avoir de nouvelles idées ?
Non (rires) ! S’il est vrai que j’ai une idée précise en tête, je ne souhaite pas encore en parler. En tout cas, ce projet sera réalisé en France, avec des musiciens français. Lorsqu’on a un certain nombre de disques à son actif, il faut savoir trouver la bonne ligne directrice, celle qui te motive à remettre le pied à l’étrier. Répéter les mêmes choses ne m’amuse pas beaucoup…

Pour toi la musique doit, avant tout, rester un amusement…
Oui, ça doit rester un « truc » qui permette aux gens d’être contents. J’apprécie le fait de donner le sourire aux spectateurs et de les faire danser. Si j’ai toujours insisté sur le fait de chanter en français, c’est parce que cela me permet d’entrer en communication directe avec le public. Durant les années 1970, j’ai passé une grande partie de ma vie aux Etats-Unis, afin d’aller voir tous les musiciens (en particulier les harmonicistes) que je souhaitais voir et qui étaient encore vivants à cette époque. Les concerts de blues auxquels j’ai assisté alors étaient, avant tout, le reflet d’une véritable communication entre les gens. La première fois que je suis allé en Louisiane, afin de jouer avec Zachary Richard dans des clubs, j’ai été impressionné par la réaction des gens lorsqu’il chantait en français. Un véritable dialogue s’instaurait… Le fait de chanter en anglais en France, me mène à une situation schizophrénique. Ce fait de faire semblant et de vouloir passer pour un américain…je ne suis, vraiment, pas à l’aise avec cela ! Je n’ai rien contre les mecs qui le font et, lorsqu’il m’arrive de le faire, c’est juste pour un morceau…en forme de clin d’œil. L’imitation ne reflète pas ce que tu es vraiment et, moi, je ne me considère pas comme un imitateur de la musique américaine. J’ai, en toute humilité, l’impression d’avoir amené une partie de ces sons dans le rock’n’roll français. Je ne raconte que des « trucs » à moi, je joue de l’harmonica à ma manière. Le plus important est d’exister par soi-même, de projeter ce que l’on est.

La dernière fois que j’ai rencontré Zachary Richard (en août 2016), il me disait qu’il était toujours surpris du fait que les français développent une certaine appréhension lorsqu’il s’agit d’interpréter leur musique dans la langue de Molière. Avec ce disque, tu prouves que le rock’n’roll en français n’est pas une gageure et qu’il existe depuis bien longtemps (chose que tu as, également, démontrée avec le blues) ?
Zack est un pote… Ceci-dit, lorsque je vais le voir aux USA, je ne l’entends pas beaucoup chanter en français (rires). Il réalise de formidables tournées (sous son propre nom ou lors de premières parties prestigieuses, comme celles de Jimmy Buffett) mais il ne chante que très peu en français (à part quelques mots et des références au zydeco). Il sait bien que, lorsqu’il donne un concert dans un état tel que l’Arkansas, il est contraint de privilégier l’anglais. Il n’y a qu’en Louisiane (et, bien sûr, au Québec ainsi qu’en France) qu’il peut se permettre d’être plus francophone.

Tu as déjà eu l’occasion de donner des concerts, afin de promouvoir ton nouveau disque sur scène, comme au Balajo dernièrement. As-tu remarqué une évolution de ton public, est-il plus « rock’n’roll » qu’à l’accoutumée ?
Nico Duportal, de par son côté swing et rockabilly, amène d’autres gens. Grâce à lui, je suis devenu beaucoup plus pote avec des types que je voyais moins avant. En fait, je ressens une évolution de mon public depuis le premier album. Cela est, en partie, lié aux musiciens qui m’accompagnent. Par exemple, à une époque, j’avais le bassiste Jean-Marc Despeignes (qui était, aussi, accompagnateur de Manu Chao etc.) et, lui aussi, m’amenait d’autres spectateurs.

Ta volonté, avec ce disque, était-elle vraiment de faire (re)découvrir cette musique aux gens ?
Oui ! Je savais que cette musique a duré peu de temps (le vrai rock’n’roll français ayant, vraiment, pris forme en 1960) et que, de ce fait, il serait bien de la remettre au goût du jour. Un groupe comme Les Chaussettes Noires était un « produit à vendre ». Donc on en parlait beaucoup plus qu’un mec comme Mac Kac, avec lequelles labels ne cherchaient pas vraiment à vendre du disque. Au milieu des années 1950, ils privilégiaient les artistes de variété française. Donc, ce phénomène a rapidement disparu. Avant moi, on a vu réapparaitre quelques morceaux de ci de là, via Tony Marlow par exemple. Certains titres « trainaient » toujours… Sinon, personne n’osait les faire, de peur de passer pour ridicule avec ce registre « vieillot ». La période étant plus propice au swing, j’ai senti que c’était le moment d’enregistrer cet album (rires) !

Souhaites-tu ajouter un dernier mot à cet entretien ?
A la minute non (rires) ! Peut-être que, dans une heure, je me dirai « mais merde, j’aurais dû lui dire ci ou ça » mais là, à la minute, c’est bon (rires) ! N’hésite pas à revenir plus tard si tu as une autre question (rires) ! Tu sais, je suis vraiment content d’avoir fait ce disque car depuis l’album « Benoit Blue Boy - En Amérique » (2001), dès que j’ai une idée, je me dis que je vais tout mettre en œuvre pour lui donner vie. Le fait d’aller à Austin, où j’ai cherché tous les vieux mexicains, était un vieux rêve que j’ai réalisé. On fini toujours par y arriver…

On te considère comme le « parrain » du blues français, l’un de ceux qui a imposé cette musique dans notre langue. Avec toute cette expérience, comment jauges-tu aujourd’hui la scène française. On connait tes rapports amicaux et musicaux avec Nico Duportal mais, en dehors de lui, es-tu touché par certains artistes ?
Pour moi, la grande évolution, réside en la manière dont ça joue. Il y a une vingtaine d’années, il était compliqué de monter un groupe de blues en France. Aujourd’hui, il y a un sacré paquet de mecs qui savent très bien jouer. Je ne vais pas te donner de noms, pour être sûr de ne pas en oublier un, mais il y en a énormément. Malheureusement, peu de ces artistes font l’effort d’écrire des morceaux en français. C’est la chose que je regrette le plus… Bien sûr, c’est compréhensible dans le sens où de plus en plus de ces musiciens font des tournées européennes (comme Nico Duportal pour ne citer que lui). Cependant, il est regrettable que pas plus de gens ne fassent l’effort de chanter (si ce n’est d’écrire) en français. Personnellement, je n’écris pas car je suis totalement dyslexique. Pour moi, les chansons sont un « truc » à chanter, pas à écrire… Si tu l’écris, c’est inchantable… Il y a des syllabes que tu ne dois pas prononcer par exemple. J’ai donc fini par trouver un système personnel, qui est de parler et de chanter de la même manière. Je sais que le plus ardu dans l’histoire est de ne pas écrire ; de juste prendre sa guitare et de chanter par-dessus… Dans la musique, on n’est pas à l’école en train d’écrire des poèmes. On a le droit de faire rimer la moitié d’une phrase avec la fin d’une autre, il suffit d’insister sur un mot. Tout cela ne reste que du rock’n’roll et dans le « truc » du rock’n’roll il n’y a pas d’interdits. Tu fais ce que tu as envie de faire !

Remerciements : Denis Leblond (Tempo) et Benoit pour son chaleureux accueil.

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Interview réalisée
Chez Benoit - Paris
le 29 avril 2017

Propos recueillis par
David BAERST

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