Bertrand Tavernier
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Pouvez vous nous parler de votre film " Mississippi Blues " (1983) et de votre rencontre avec Robert Parrish ?
C'était venu, comme beaucoup de choses, sur un hasard. J'avais vu un documentaire sur une personne qui avait fondée le centre pour la préservation de la culture du sud (William Ferris).
Je m'étais dis que c'était intéressant. Ce type là devait être une personne qui pouvait nous permettre d'approcher des bluesmen et des gens qui ont une tradition rurale. A ce moment là, je n'avais pas de film et j'avais du temps devant moi.

J'ai donc appelé Robert Parrish qui était natif du sud des USA et je lui ai dit qu'il serait bien d'avoir un double regard ; celui d'un américain sur une équipe de français qui vient faire un film sur le sud. L'idée était au départ de filmer la maison où Faulkner avait résidé (quelques éléments ont subsistés dans la version longue du film, sa machine à écrire, les bouteilles de chablis ainsi qu'un témoignage par des habitants d'Oxford, ville dont Faulkner s'est nourrit, qui disaient qu'il passait son temps en se tenant sur une jambe devant le drugstore à écouter les conversations dont il faisait matière pour ses œuvres).

Il faut savoir que lorsque Faulkner a reçu le prix Nobel, la nouvelle est apparue dans la page 6 du Oxford Eagle (le journal local) sous cette forme : " Un de nos compatriotes a reçu un prix à l'étranger ".
Puis nous voulions filmer des bluesmen quasi inconnus, nous rentrions dans des maisons. Là les gens prenaient des guitares, c'était véritablement le terreau d'où venait le blues et d'où sortaient tous les gens qui ont percés, BB King, John Lee Hooker etc…. C'était intéressant de montrer ces intérieurs que l'on ne voyait pas forcément dans les films américains, les cabanes, les églises de campagnes et les chorales qui y chantaient des hymnes formidables. C'était ça " Mississippi Blues " !

Qu'avez vous pensé de la série de films sur le blues produite par Martin Scorcese, vous a t'il approché pour réaliser l'un d'eux ?
Il m'avait en effet approché, j'avais donné mon accord de principe mais il n'y a plus eu de suite…cela devait tomber à un moment où j'étais pris par un de mes films.
Je n'ai vu que 2 des 7 films, le Wim Wenders " A soul of a man " que j'ai trouvé très bon et le Eastwood " Piano Blues " que j'ai trouvé sympa mais un peu paresseux.

Concernant " Around Midnight ", comment s'est passée la rencontre avec Dexter Gordon, comment était-il au jour le jour sur le tournage ?
C'était à la fois formidable et difficile….
Ce qui était difficile c'était de l'amener vers la caméra, d'abord car il marchait très lentement, il s'arrêtait pour raconter des histoires, prenait un temps fou pour aller pisser etc…. En gros il fallait compter entre 45 et 50 minutes pour aller de la loge au plateau. Parfois il buvait, donc il fallait organiser une " surveillance ". Ceci dit il n'y a aucun plan dans le film (à l'exception d'un où il dort, d'ailleurs il est resté sur le lit toute la journée tant il était raide) où il est ivre. Quand on arrivait à l'amener devant la caméra, il était extraordinaire, au niveau du timing dramatique, du rapport à la caméra et il vous donnait en très peu de prises des trucs formidables. Dans les grands récits, par exemple ce qu'il subissait à l'armée (inspiré par Lester Young) j'ai fait trois prises et les trois prises étaient très bonnes. Là dessus il était très intelligent, brillant et drôle, il a contribué à certaines phrases du dialogue par exemple " Aimez vous basket ball ? ".

Simplement il fallait une énergie énorme, l'aide d'un docteur constamment présent (qui du coup est devenu mon docteur) qui lui faisait des prises de sang tous les jours. Il fallait aussi toujours maintenir une forte pression, mais en même temps c'était un homme dont toute l'équipe était tombée amoureuse. Il avait une manière de charmer même quand il nous faisait des coups pendables tels que ne pas venir un jour de tournage. Le lendemain quand il est arrivé au studio il m'a dit : " Bertrand, je sais j'ai commis une erreur, j'aurai dû venir faire la scène mais mon esprit était programmé pour être en vacances et je ne suis pas arrivé à le changer à temps et donc du coup j'ai été aux bains turcs, je savais que j'avais tort mais c'est difficile de déprogrammer un esprit ". Là j'étais comme un con, je ne savais pas comment réagir, c'était ça Dexter. D'un côté la difficulté, d'un autre un truc formidable….

Dans " Around Midnight " il y a cette séquence anthologique où l'on voit Eddy Mitchell au bar du club, comment l'idée vous en est venue ?
On est parti sur quelque chose qui venait d'arriver à Lester je crois. J'ai pensé à Eddy, car il a une bonne connaissance de l'alcool. C'est quelqu'un qui n'a jamais craché sur Jeannot le marcheur comme on dit. Il n'est ni un ivrogne ni un poivrot mais il a une solide appréciation du whisky….
J'ai donc pensé à lui car je pense qu'il a un grand talent de comédie et son entrée, sa façon de marcher, de tituber puis de tomber est formidable. Dexter là dessus a réagit au quart de tour car sa façon de donner la réplique est unique. Quand il dit au barman : " Donnez moi la même chose qu'à lui ", il le dit avec un détachement formidable : " I want the same thing " (rires) ! Dans ces cas là Dexter pouvait être extraordinaire. C'est un homme qui aimait le cinéma, qui le comprenait, dont les acteurs favoris étaient George Sanders, Richard Burton. Il disait qu'il aimait tous les acteurs qui sonnent comme des saxophones ténors.

Il disait : " Moi je ne suis pas comme les chanteurs de blues du Mississippi. J'ai une éducation musicale. Je sais lire la musique. Nous ne sommes pas des gratteurs de guitares. Nous sommes des gens qui avons étudiés, Miles Davis et moi ". Il sortait en fait d'une sorte de bourgeoisie noire. Son père avait été dentiste de Duke Ellington….
Il avait commencé au sein des formations de Bennie Goodman dont il disait " On a jamais rendu assez justice à Bennie Goodman par rapport à sa lutte pour l'intégration ". Dans une émission de télévision dans laquelle nous passions ensemble aux USA, on lui a demandé si il pensait refaire un film, il a répondu " Oui bien sûr, mais alors un rôle moins difficile, moins contraignant, je voudrai quelque chose de plus simple, de beaucoup plus léger, Hamlet par exemple ! " (rires).

Allons nous avoir la chance de voir ressortir ces films en DVD ?
C'est la Warner qui s'en occupe, ils m'ont dit qu'il devraient ressortit pour la fin de l'année 2005. J'espère pouvoir y ajouter des commentaires. Aux Etats Unis ils n'ont pas voulu en ajouter….

L'heure tournant, il nous faudra nous résoudre à abréger cet entretien, laissant ainsi Bertrand Tavernier rejoindre le cinéma pour une première projection publique d' " Holy Lola ". Rentrant chez moi, je repense à cette rencontre tant attendue et me souviens que Bertrand Tavernier a réalisé plus d'une vingtaine de films (quelques césars et divers prix au passage), près d'une dizaine de documentaires, qu'il est un scénariste et producteur avisé et a en outre écrit (ou co-écrit) de superbes ouvrages sur le cinéma qui sont des modèles du genre (" 50 ans de cinéma américain " par exemple).

 

 

 
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