Nda : Si, par l’intermédiaire d’un étrange voyage spatio temporel, le groupe Blues Pills semble tout droit sortir de la scène psychédélique californienne des années 1960, ses membres sont tous des jeunes gens résolument en phase avec leur époque. Basé en suède, ce conglomérat de talents est constitué de personnalités aux origines diverses (le bassiste américain Zack Anderson, la chanteuse suédoise Elin Larrson, le batteur suédois André Kvarnström). Parmi eux s’est glissé le français Dorian Sorriaux qui s’érige, déjà, comme l’un des guitaristes les plus doués de sa génération. A l’aube d’une hypothétique (et méritée) starification, c’est lui qui m’a reçu dans la loge de Blues Pills…afin de revenir un cursus pour le moins inhabituel.
Dorian, quel est ton cursus musical en amont de ton intégration au groupe Blues Pills ?
Je suis tombé dans la marmite alors que j’avais 4 ans. En effet, un jour mon père a passé des cassettes de ZZ Top dans sa voiture. Lorsque je lui ai demandé ce que c’était, il m’a répondu qu’il s’agissait d’une musique faite pour les motards (rires). Du coup, à chaque fois que je l’accompagnais sur la route, je lui demandais de me passer cette musique de motards. Le Noël suivant, il m’a naturellement offert un CD de ZZ Top et c’est à cette occasion que j’ai découvert les barbes impressionnantes de ces texans. J’ai aussi bien été fasciné par leur look que par le jeu de guitare de Billy Gibbons. C’est en étant inspiré par ce dernier (ou par le groupe Status Quo, à travers les enregistrements de ses débuts, ainsi que par le blues traditionnel) que j’ai décidé de commencer la pratique de la guitare. C’était une chose très naturelle pour moi et je me suis mis à prendre des cours. C’est vers l’âge de 12 ou 13 ans que j’ai commencé à former des groupes avec des potes (dont Cosmic Sheep, nda). Au final, nous avons fait la première partie de l’ancien groupe de Zack Anderson (Radio Moscow, nda). C’est à cette occasion que je l’ai croisé pour la première fois… C’est peu après qu’il a rencontré la chanteuse Elin Larsson avec laquelle il a fondé Blues Pills. Il m’a demandé de les rejoindre dans la foulée…
Tu avais 16 ans à ce moment-là. Compte tenu de ton jeune âge et du fait que le groupe est basé en Suède, as-tu hésité ?
Pour être honnête, je n’ai pas hésité. Mon rêve était de faire de la musique. Comme j’aimais beaucoup l’ancien groupe de Zack, il faisait partie des musiciens que je plaçais en haut de l’échelle. De plus il est, humainement, très intéressant. J’ai pris cela comme une grande opportunité et j’estimais que ça ne pouvait que marcher. Le terme marcher pour moi, à l’époque, était synonyme de groupe signé par un label et ayant la possibilité de tourner. Je ne demandais rien de plus ambitieux…
Cela a-t-il posé un problème d’un point de vue familial ?
Oui car j’étais encore au Lycée, en 1ère S. Lors d’un conseil de classe auquel j’assistais avec ma mère, mon professeur principal (qui était aussi mon prof de mathématiques) m’a dit « tu sais Dorian, je ne remets pas en cause tes qualités artistiques et musicales mais une école de Physiques serait beaucoup plus adaptée pour ton avenir ». J’ai écouté mais je savais déjà que j’allais partir. Ma mère, quant à elle, te dirait qu’elle n’a pas vraiment eu le choix… En fait, j’ai vraiment eu la chance d’avoir mes deux parents qui m’ont aidé dans toutes mes démarches et qui ont été présents pour moi. J’ai donc fait ma Terminale par correspondance et j’ai obtenu mon Bac. Je l’ai eu au rattrapage, certes, mais je l’ai eu ! Mon professeur de mathématiques, peut donc être rassuré…j’ai eu mon Bac S !
Avec le recul, même si l’aspect humain a dû être prédominant dans l’établissement de votre collaboration, sais-tu ce qui a touché Zack dans ton jeu de guitariste ?
A l’époque, il y a tout de suite eu un bon contact entre Zack Anderson, Cory Berry (premier batteur de Blues Pills qui collaborait déjà avec Zack auparavant) et moi-même. Lorsque j’ai fait leur première partie j’ai, d’ailleurs, davantage parlé avec Cory qu’avec Zack. Nous sommes restés en contact via Facebook. Puis c’est, finalement, ce dernier qui m’a contacté pour me dire qu’il partait en Suède afin de poser les bases de Blues Pills. Il souhaitait que je vienne pour participer à une jam avec eux. Au final, je ne les ai plus quittés (rires) !
Tu t’es donc installé en Suède, conserves-tu malgré tout un pied-à-terre en France ?
Oui, car c’est dans ce pays que mes parents habitent. J’aime toujours y revenir afin de passer un peu de temps avec ma famille et mes amis. J’essaye de les voir tous les trois mois environ. Lorsque nous ne sommes pas en tournée ou en vacances, tous les membres du groupe résident en Suède.
Connais-tu bien la scène locale maintenant ? Y-a-il de nombreux groupes qui s’y produisent dans un registre similaire au votre (voire des styles encore plus ancrés dans le blues traditionnel) ?
Oui, il y a beaucoup de groupes dans ce style. Depuis quatre ans que je vis dans ce pays, je commence à bien connaitre la scène locale. On y trouve, en effet, des artistes qui jouent du blues traditionnel mais le public qui s’y intéresse est majoritairement constitué « d’anciens ». Le rock y est plus omniprésent et rencontre plus de succès qu’en France. On retrouve le même phénomène pour le blues rock ainsi qu’un rock plus agressif. La scène métal y est importante et le punk, tout comme le mouvement hardcore, y connaissent toujours une belle reconnaissance publique. Au final, en fonction de ce que j’ai pu voir, je constate que les suédois sont plus engagés dans la musique violente que dans un blues traditionnel.
Le fait d’être devenu, à ton âge, un guitar hero au sein d’un groupe qui réside en Suède est une chose assez incroyable pour un jeune sud-finistérien. Penses-tu que ton ascension aurait été aussi rapide en France ?
Je ne pense pas, en tout cas, que c’était prématuré. Peut-être que si j’avais eu mon Bac cela aurait été plus facile car j’ai passé ma dernière épreuve de SVT un vendredi, alors que je partais le soir même sur un festival en Allemagne et que je me produisais le surlendemain au Hellfest Open Air. Après ce dernier, j’ai repris la route afin de rentrer chez moi pour y préparer mon rattrapage. Donc, au niveau des déplacements et du temps que j’ai consacré au rattrapage, tout aurait été plus facile si j’avais tout de suite obtenu mon Bac. Quoiqu’il en soit, j’avais la ferme intention de consacrer ma vie à la musique…ou, en tout cas, que j’essaye. Sans cela, je n’aurais pas été heureux. J’ai vu le groupe évoluer. Nous sommes partis d’un système hyper indépendant (tout le monde, serré dans le van chargé de matériel, en direction de petites salles). Puis notre notoriété est montée petit à petit…Je n’ai pas intégré un groupe déjà établi depuis un moment et bénéficiant d’une grosse popularité, alors que j’avais 16 ans. C’est il y a deux ans (l’année de mes 18 ans) que tout a, réellement, commencé à s’emballer.
Comment expliques-tu cette fulgurante ascension que connait Blues Pills ?
La musique que nous interprétons joue beaucoup dans l’équation. Nous bénéficions aussi de la présence d’un manager qui fait un excellent boulot, d’un tourneur qui donne tout pour le groupe et d’un label qui croit vraiment en nous. Enfin, nous nous donnons, nous-mêmes, à fond et nous entretenons une excellente relation avec toute notre équipe technique. La confiance règne, ainsi que l’envie de travailler et d’avancer tous ensemble. Tout cela aide beaucoup…
En découvrant votre premier album, j’ai tout de suite pensé à la scène rock psychédélique californienne de la fin des années 1960. Quelle est, exactement, la ligne directrice musicale que vous vous êtes fixée ?
Zack dit, parfois, que le son de Blues Pills est dans la continuité de celui de Peter Green et Fleetwood Mac à l’époque. C’est une grosse inspiration, au même titre que d’autres groupes des années 1960 et du début des années 1970. De plus en plus, nous nous revendiquons aussi de la soul music de cette période.
Avec de telles cordes musicales à votre arc, n’est-il pas frustrant d’être parfois catalogué comme un groupe de métal (vous participez, par exemple, à de nombreux festivals spécialisés dans ce registre) ?
Non ce n’est pas frustrant, cela ne me dérange pas. De toute façon, je n’aime pas catégoriser la musique…c’est trop restrictif. Parfois les gens nous disent « j’aime bien ce métal blues » alors que ce n’est absolument pas comme cela que je décrirais la musique de Blues Pills. Cependant, si c’est de cette manière que les gens la voient, cela ne me dérange pas.
De quelle manière élaborez-vous vos morceaux. Est-ce un travail commun ?
La majorité des morceaux est issue d’une collaboration entre Zack et Elin. C’est au studio que nous arrangeons tous les titres ensemble. Pour le deuxième album (à paraitre), nous sommes partis sur le même principe en ce qui concerne les textes alors que les musiques sont le fruit d’un travail commun réalisé sur le studio au moment même de l’enregistrement.
Travaillez-vous de manière live et spontanée en studio, ou êtes-vous du genre à passer beaucoup de temps sur chaque prise ?
Lorsque nous enregistrons la batterie et la basse, tout le monde joue en live. Ce côté existe donc bel et bien. Il n’y a pas de métronome et nous jouons tous en même temps. Par contre nous rajoutons les guitares (overdubs…) et la voix.
Avez-vous tous les mêmes goûts musicaux ?
Nous avons beaucoup d’influences communes. Zack possède un goût un peu plus prononcé pour le rock heavy. Elin, André et moi-même sommes davantage folk et psyché…
Souhaiteriez-vous aborder un registre plus folk lors d’un prochain enregistrement ?
A titre personnel j’aimerais beaucoup car la musique acoustique est un registre que j’apprécie particulièrement. Si cela se fait naturellement, je suis preneur !
Après un premier album studio, vous avez édité deux disques captés en public. Estimez-vous que c’est face à un public que votre univers sonore est le mieux mis en valeur ?
La sortie d’un enregistrement public est surtout un bon moyen pour montrer une autre facette des chansons gravées en studio. Sur scène, nous avons pris l’habitude de revisiter nos morceaux…il y a des différences notables, des parties qui sont de véritables jams.
Vous laissez donc une part importante à l’improvisation sur scène ?
Pas pour tous les morceaux… Nous savons exactement quand nous allons improviser et c’est à ce moment-là que l’on se lâche…
Votre démarche artistique se prolonge jusqu’à l’aspect visuel de vos pochettes de disques et de vos affiches. Vous travaillez, je crois, avec une grande spécialiste du genre…
Oui, absolument, elle s’appelle Marijke Koger-Dunham. Elle était à la tête du groupe artistique The Fool, à Londres dans les années 1960. En plus de faire des peintures, cet ensemble a sorti un album. Elle a travaillé pour les Beatles, Eric Clapton, Procol Harum etc. Puis, elle s’est installée à Los Angeles où elle a continué à beaucoup produire. C’est l’une des grandes spécialistes de l’art psychédélique. L’illustration qui orne notre premier album date, en fait, des années 1960. Nous avons racheté les droits pour pouvoir l’utiliser.
Avez-vous déjà eu l’occasion de vous produire aux Etats-Unis…ce qui doit constituer une sorte d’aboutissement pour un groupe tel que le vôtre ?
Oui, ce serait un aboutissement… Malheureusement, nous n’avons pas encore eu la possibilité de tourner aux USA. J’espère que cela se fera bientôt !
Vos influences remontent aux années 1960-70 mais, sur la scène américaine actuelle, quels sont les groupes qui pourraient vous inspirer ?
Il y a Rival Sons, The Black Angels, les Black Keys évidemment, Fuzz et bien d’autres. Nous apprécions aussi pas mal de groupes suédois…
En tant que guitariste, depuis que la notoriété du groupe a grimpé en flèche, as-tu eu l’occasion de participer à des jams avec certains instrumentistes dont tu étais un admirateur avant de devenir professionnel ?
Non pas vraiment, même si j’ai eu l’occasion de participer à des jams. Lors d’une édition du Montreux Jazz Festival, nous partagions l’affiche d’une soirée avec Manu Lanvin qui m’a proposé de le rejoindre pour un set improvisé… J’ai donc joué avec Manu Lanvin (éclats de rire) !
Avez-vous déjà des idées en tête, en ce qui concerne la prochaine étape discographique du groupe ?
Le prochain album est déjà enregistré, nous en sommes au mixage. Il sortira dans l’année…
Parallèlement à Blues Pills, essayes-tu d’entamer une carrière sous ton propre nom ?
J’écoute beaucoup de musique folk donc je joue, essentiellement, de la guitare acoustique en privé (lorsque le groupe n’est pas en tournée). Je compose beaucoup de la sorte et j’ai déjà accumulé pas mal de morceaux qui sont stockés dans mon ordinateur. Je ne sais pas encore à quoi ils me serviront. Pour le moment, je ne pense pas à une carrière solo. Blues Pills me prend beaucoup de temps et demeure, incontestablement, mon objectif numéro un.
Souhaites-tu ajouter quelque chose à l’attention de ton public français ?
Nous venons de faire dix dates en France et c’était très bien. L’accueil des gens a été très bon… Enfin, merci à celles et ceux qui ont pris le temps de lire (ou d’écouter) cet entretien…
Remerciements : Chrissy (RTN Touring), Anne-Sophie Henninger (La Laiterie)
www.bluespills.eu
https://www.facebook.com/BluesPills
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