Bob Swaim
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Bob, inutile de présenter le cinéaste que tu es, par contre peu de gens connaissent ton amour pour les musiques afro-américaines. Aussi sachant que tu es né à Chicago, le fait d'avoir vécu dans cette ville a-t-il eu une influence sur ton approche de la musique et as-tu eu, à l'époque, l'occasion d'écouter le blues omniprésent dans les clubs de la ville à ce moment là ?
Non et pour être complètement honnête je dois avouer que j'aurais bien aimé te dire oui et que j'ai fréquenté les clubs de blues, mais ce n'était pas le cas.
J'ai découvert ces clubs il n'y a que quelques années.

Je suis né à Chicago mais ma famille est originaire d'Indianapolis et nous avons, en fait, vécu en Californie. C'est dans cet Etat que j'ai découvert la musique vers l'âge de 13 ou 14 ans en écoutant la radio la nuit comme beaucoup de gens de ma génération.
Il y avait des émissions de Rythm and Blues qui étaient superbes à Los Angeles. Notamment l'émission de Johnny Otis (grand chanteur afro américain des années 50, pionnier du Rythm & Blues, chef d'orchestre qui a relancé la carrière de nombreuses vedettes du blues à partir des années 60-70 grâce à ses tournées " The Johnny Otis Show ", Nda) qui diffusait tout le vieux R & B.

Il y avait aussi un autre vieux DJ américain Hunter Hancock qui lui passait, en plus du Blues et du Rythm & Blues, du Jazz. Ce sont ces gens qui m'ont fait découvrir cette musique extraordinaire et très différente de ce que je connaissais jusqu'alors.

J'avais, à l'époque, trouvé un endroit où ces disques étaient vendus à des prix très bas. C'était dans les bacs d'un drugstore américain. C'était des versions juke-box qui étaient revendues de cette façon pour ne pas être jetées. De ce fait, pour 25 cents j'achetais des 45 tours de tous les juke-box des quartiers noirs de Californie. Grâce à ces disques usés j'ai découvert Jimmy Reed, Little Walter et bien d'autres artistes de blues des années 50.

Etait-il assez fréquent de rencontrer des jeunes blancs qui aimaient le blues à ce moment là en Californie ou bien étais-tu considéré comme un marginal ?
Il faut dire qu'à chaque fois que j'emmenais mes disques dans une boum je me faisais " jeter ". Tout le monde écoutait Fabian, Neil Sedaka et tous ces petits chanteurs blancs et sirupeux bien propres sur eux. Moi je venais avec la musique de Bo Diddley, ce qui provoquait un scandale. Je peux dire que, de ce fait, j'étais devenu le garçon le moins populaire de ma classe.

A ce moment là fréquentais-tu les concerts et as-tu éventuellement rencontré des artistes ?
A un moment ma famille et moi même avons vécu à Monterey qui est une ville entre San Francisco et Los Angeles. Juste à côté il y avait un endroit nommé Seaside, qui était un ghetto noir de la côte.
Il fallait, bien entendu, avoir un certain âge pour écouter la musique qui s'y jouait. A chaque fois qu'il y avait un concert, il fallait avoir 21 ans pour s'y rendre. Ceci car de l'alcool y était vendu et comme l'Amérique est un pays très puritain…

Cependant, alors que j'avais 15 ans, je m'y suis rendu avec des copains en me cachant dans le coffre de la voiture. Une fois garés sur le parking, j'ai pu sortir.
Je suis alors allé traîner dans les coulisses où j'ai croisé des bluesmen comme Jimmy Reed. Lorsqu'il était sur scène, il y a une chose qui m'a frappé, à savoir la vision de sa femme assise à ses côtés pour lui souffler les paroles des chansons, c'était quelque chose à voir…

J'ai vécu à Monterey pendant toute la grande période du Rythm and Blues américain. A titre d'anecdote, j'y écoutais une radio appartenant au grand studio de cinéma RKO qui était une radio 100% noire. Je l'ai découverte avant que nous ne déménagions à Los Angeles. Je pouvais y entendre, en plus des bluesmen, les Clovers, Chuck Berry, Lavern Baker et toutes les superstars de Atlantic Records qui venaient dans le " patelin ".

C'était extraordinaire car il n'y avait pas cet aspect " branchouille " comme aujourd'hui. Le Blues est devenu une industrie, quand on voit que BB King a une franchise de boîtes de nuit " The BB king's Blues Club ". Tout cela est propre, un peu plastique avec du marketing à mort alors qu'à l'époque c'était authentique.

J'ai un peu retrouvé cette ambiance quand je suis allé avec Jean-Jacques Milteau et son producteur Sebastian Danchin à Memphis. A cet endroit, dans tous les juke joints et tous les petits clubs situés au milieu des champs de coton, j'ai retrouvé cette ambiance propre à ma jeunesse. Par exemple retrouver un chauffeur de taxi qui vient jouer du blues toute la nuit. Avec Sebastian Danchin nous avons enregistré un camionneur, Super Chicken, dans son garage où il fabrique aussi ses propres guitares.

Cette " culture Blues " existe encore, il suffit de la chercher un petit peu. A Chicago aussi il reste des endroits intéressants. J'ai pu m'en rendre compte lorsque j'étais Président du Jury du Festival du Film de Chicago il y a quelques années. J'avais trouvé une petite nana noire qui m'a emmené dans toutes les boites de Blues de la ville dont la plupart, il faut bien le dire, sont faites pour les touristes.
Nous avons pu cependant trouver quelques endroits authentiques.

Sebastian Danchin, alors qu'il était étudiant, avait vécu dans les ghettos de Chicago où il jouait aussi de la guitare. Il connaît si bien le sujet qu'il avait fait sa thèse sur le Bluesman Earl Hooker dont a été tiré un livre.
Ceci est plus facile à faire pour un français que pour un américain. D'ailleurs les gens avaient plus de réticences vis à vis de moi, lorsqu'ils entendaient mon accent américain, que vis à vis des français. Il y avait un barrage…

Jean-Jacques Milteau et Sebastian Danchin, quant à eux, passaient partout grâce à ce mythe sur les français qui existe encore chez les noirs américains. Ces derniers considèrent la France comme un pays libéral, sans préjugés et ouvert, ce qui est souvent faux car il y a aussi des racistes. De ce fait, pour pouvoir passer partout avec eux, soit je ne disais rien, soit je parlais en français, ce n'était pas évident.

A l'heure actuelle je fais un documentaire sur un événement oublié de l'histoire qui a eu lieu à Paris en 1956, le premier rassemblement des écrivains noirs. Sur ce travail je suis aussi confronté à cette même méfiance des noirs envers les blancs américains. Le fait que je vive en France, heureusement, m'aide…

D'ailleurs ce problème relationnel est évoqué dans ce documentaire car les noirs américains ont aussi un problème vis à vis des africains car c'est eux qui les ont vendus aux blancs en tant qu'esclaves. Cela fait plus de 200 ans mais il y a un truc qui reste ancré, tout cela est très complexe.

Tu as, je crois, quitté très tôt les USA pour venir faire tes études en France…
Oui, je suis venu en France à plusieurs reprises en tant qu'étudiant. Je voulais être romancier au départ, Henri Miller était mon idole et " Tropique du Cancer " mon livre de chevet.

Je voulais venir à Paris vivre une vie bohème et habiter dans des chambres de bonnes, ce que j'ai connu et qui reste pour moi un grand souvenir. Je peux dire, grâce à ces multiples aventures, que je connais mieux Paris que la plupart des parisiens. J'ai tout vécu et j'ai fait plein de petits boulots pour vivre, veilleur de nuit, plongeur dans un restaurant etc…

Parallèlement à cela je faisais des études d'ethnologie en étant très inspiré par Claude Lévy-Strauss. Cette expérience a été très riche en rencontres. Je vivais alors dans une petite chambre en face de la cinémathèque française.
N'ayant pas de chauffage j'allais me réchauffer à la cinémathèque car l'entrée n'était que d'un franc à l'époque. C'est de cette façon que j'ai attrapé le virus de cinéma puis abandonné mon doctorat pour suivre des cours à l'école rue de Vaugirard (devenue aujourd'hui l'école Louis Lumière qui avait été fondée par ce dernier en 1920, Nda).

Pour en revenir à la musique, avant mon arrivée en France, lorsque j'étais étudiant aux USA, j'animais le week-end une émission de radio. La station s'appelait KVFM et était la propriété de l'acteur Jerry Lewis. Cette radio était sans intérêt sauf le week-end car nous avions carte blanche pour la programmation musicale.
De ce fait j'ai fait une émission de Blues et une émission de Jazz ce qui me permettait, alors que je n'avais pas beaucoup d'argent, d'avoir tous les disques gratuits. C'était la période où le public blanc découvrait de façon massive la musique noire. Je leur faisais découvrir des artistes de labels tels que Folkways, Prestige blues etc…
C'était vraiment génial, d'ailleurs je possède toujours ces disques.

Quand tu es arrivé en France as-tu fréquenté la scène Blues locale où de grandes pointures américaines se produisaient alors comme Willie Dixon, ou Memphis Slim par exemple ?
Je n'avais pas les moyens….
Je savais qu'ils étaient là et, profitant d'invitations, j'ai pu aller voir des artistes de jazz comme Don Cherry.

J'ai aussi pu assister à un concert de Memphis Slim puisque j'avais un ami dont la mère avait écrit un livre de cuisine avec lui. Cette dame était Madame Mc Connico et le garçon Hilton Mc Connico qui est devenu un très grand décorateur pour le cinéma.
J'étais obligé de garder le peu d'argent que j'avais pour aller à la cinémathèque.

Ce qui est bien avec la vie c'est qu'à un moment donné les choses se croisent et se retrouvent. Par exemple il y a quelques mois, en allant en Martinique voir Aimé Césaire pour mon documentaire, j'ai revu Ina Césaire qui était étudiante avec moi à Paris et que je n'avais pas vue depuis 35 ou 40 ans.
Ce sont des moments très émouvants… comme cette rencontre avec Sebastian Danchin qui m'a permis de retrouver le milieu du Blues. Tu sais, à l'époque, pour gagner de l'argent quand j'étais étudiant, je donnais des leçons d'anglais à des jeunes pour 10 francs de l'heure ce qui était une fortune il y a 40 ans.
J'avais un jeune élève qui était passionné de musique anglo-américaine, c'était Philipe Bas-Rabarin qui par la suite a beaucoup écrit sur cette musique. Lui aussi m'avait permis de rester en contact avec le Blues et c'était très bénéfique pour moi.

Peux-tu me parler de ton documentaire sur l'enregistrement de l'album " Memphis " de Jean-Jacques Milteau et plus particulièrement de ton contact avec cette ville ?
C'était un truc sympathique…
Sebastian Danchin m'avait contacté il y a quelques années pour jouer dans un feuilleton radiophonique pour France Culture. Réunis ensemble dans la voiture nous avons commencé à parler musique et quand j'ai découvert que nous avions les même goûts, cela a été le début de notre amitié.

Quelques années plus tard, il m'a téléphoné et m'a dit qu'il était sur le point de produire un disque pour Universal Jazz et m'a proposé de faire un petit documentaire. Le budget était ridicule mais j'ai eu droit à une petite caméra, de la pellicule et à un billet d'avion.

Cela m'amusait et me donnait l'occasion d'aller à Memphis qui était une ville que je ne connaissais pas à l'instar de tout bon blanc libéral et nordiste. Pour moi le sud des USA c'était comme l'Allemagne nazi des années 1940, c'est à dire un endroit où je ne voulais pas mettre les pieds.
J'ai malgré tout dit oui et j'ai commencé à filmer. Là j'ai découvert un sud que j'adore où les rapports entre les blancs et les noirs sont beaucoup moins ambigus que dans les états nordistes. Par exemple je n'ai jamais vu autant de couples mixtes qu'à Memphis, ce qui m'a beaucoup surpris.

La musique, quant à elle, était géniale et les moments passés à enregistrer des bluesmen inconnus dans des garages étaient extraordinaires !
Voir cette musique encore vivante et lutter fièrement face à l'industrie de la musique c'était une grande leçon. Par pur plaisir j'ai filmé plus de 40 heures en numérique et je me suis aussi bien occupé de l'image, du son, du découpage ou du montage etc…
C'était vraiment un " one man show ".

Il est vrai que c'était une bonne occasion pour moi de revenir dans le milieu et aujourd'hui j'ai d'autres projets de films musicaux que j'espère concrétiser avec Sebastian Danchin. Un de ces projets est de refaire le voyage de John et Alan Lomax, c'est à dire la " Blues Highway " de Chicago à la Nouvelle Orléans et d'enregistrer des gens comme eux l'ont fait dans le passé.

Aujourd'hui avec l'équipement numérique on peut partir dans un petit 4x4 et faire aussi bien, si ce n'est mieux, qu'eux avec les grands camions et tonnes de matériel qu'ils avaient à l'époque. Ces gens ont découvert plein de bluesmen comme Leadbelly, qui est le plus célèbre, et grâce à eux le monde a découvert que cette musique fait partie de notre héritage.

C'est un projet que j'ai très envie de mener à terme afin de prouver que cette musique est toujours vivante et qu'elle a toujours sa place dans la culture américaine.

Puisque nous parlons de tes projets, j'ai aussi entendu parler d'un éventuel Opéra Blues " Blues Odyssey ", est-ce quelque chose de concret ?
C'est un projet qui devait se faire au Châtelet mais les pourparlers avec le directeur du lieu n'avancent pas. De ce fait cela pourrait se faire ailleurs, effectivement…

Je ferai la mise en scène et travaillerai avec Sebastian sur le texte. Jean-Jacques Milteau collaborera aussi au projet et j'espère pouvoir convaincre Mighty Mo Rodgers pour le rôle principal. Ce projet est très avancé de notre côté, mais la question se pose de savoir si les pouvoirs publics et les directeurs de théâtre vont nous suivre.

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à un concert de Joe Sample, qui est un de tes grands amis, peux-tu me parler de cette longue amitié et de votre rencontre ?
Joe Sample est un homme que je connais depuis les années 1962-63. Son groupe, les Jazz Crusaders, était arrivé à Los Angeles de Houston, Texas, où ils ont signé un contrat avec Pacific Jazz.

Un jour, lors d'une émission de radio, ils étaient interviewés par un grand DJ de Jazz. Stix Hooper, qui était le leader du groupe, avait dit que le groupe avait envie de jouer gratuitement pour les jeunes dans les campus.

J'écoutais l'émission et comme j'étais vice-président de l'association des étudiants de mon Université, j'ai voulu les prendre au mot et les faire venir, comme je l'avais fait auparavant avec Les Mc Cann (grand pianiste de Jazz américain né en 1935, Nda).
J'ai donc immédiatement téléphoné à la station de radio et le groupe a été très surpris…

Ils m'ont finalement demandé 75 dollars et de venir les chercher pour accepter de faire ce concert. Les Jazz Crusaders étaient 6, j'ai donc emprunté à ma mère son break Chevrolet ainsi que 75 dollars à l'Association des étudiants. Je suis allé les chercher le jour du concert dans le quartier noir de Los Angeles. Je te laisse deviner les réactions des gens dans le quartier devant ce jeune blanc bec âgé de 17 ans avec cette voiture très représentative des banlieues chics américaines…

Ils se sont tous empilés dans le break et ont fait ce concert qui a été un immense succès. A partir de ce jour là, j'ai eu carte blanche et j'ai été invité dans tous les enregistrements du groupe à Pacific Jazz, je les suivais partout.

Puis nous nous sommes perdus de vue, je suis venu en Europe continuer mes études puis faire du cinéma.
Un jour j'ai fait un film, " La Balance ", qui a eu beaucoup de succès, remporté des Césars et fait 3 fois le tour du monde. Peu après il a été projeté à Los Angeles où j'ai présenté le film lors de la première.

Ma surprise fut grande de voir dans la salle tous mes copains des Jazz Crusaders. Cela a été de grandes retrouvailles et nous ne nous sommes pas quittés. Malheureusement le groupe n'existe plus sous sa forme originale… Nous nous revoyons le plus possible, Stix était à Paris l'été dernier, Joe plus récemment.
Ils sont fatigués par toutes ces tournées et ont plus de 70 ans maintenant mais sont toujours aussi enthousiastes. J'aimerais bien qu'ils signent la musique de mon documentaire sur les écrivains noirs.

Le fait de pouvoir côtoyer tous ces gens et de les retrouver parfois rend vraiment la vie agréable.

Si tu n'avais pas eu ces succès au cinéma, penses-tu que ta carrière aurait pu s'orienter vers la musique ?
Je travaillais comme disc jockey et j'adorais la radio donc j'aurais très bien pu faire des émissions de Jazz et de Blues à la radio durant toute ma vie et vivre très heureux.
Je regrette que, vivant en France, et ayant un gros accent américain je n'aurai peut être jamais l'opportunité de le faire ici car j'adorerais ça.
Mon copain Jean-Jacques Milteau fait une superbe émission de blues sur TSF et peut être que, moi aussi un jour, j'en aurai à nouveau la possibilité sur une radio anglo-saxonne. J'adore la radio et j'aurais aimé faire une carrière dans ce domaine, voire même produire des disques.

C'est mon problème dans la vie, j'adore la peinture mais je ne sais pas dessiner, j'adore la musique mais je ne sais pas jouer. De ce fait, j'estime que j'ai beaucoup de chance car je fais du cinéma donc je peux travailler avec des musiciens, avec des chefs décorateurs, des artistes, des grands écrivains c'est à dire au contact de tous ces autres métiers que j'aime, que j'aurais aimé faire mais que je ne suis pas capable de faire.

Avec le cinéma j'ai la possibilité de collaborer avec tous ces gens que j'estime et ça c'est un cadeau formidable.

 

 
Interviews:
Les photos
Les vidéos
Les reportages
 

Les liens :

bobswaim.com

Interview réalisée à

Saint-Germain-des-Prés

le 9 mai 2006

Propos receuillis par
David Baerst

En exclusivité !

 

Le
Blog
de
David
BAERST
radio RDL