Bobbie Clarke
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Bobby, peux-tu nous parler de ton itinéraire musical ?
Mon premier contact avec la musique a eu lieu en 1956. Je travaillais pour un grand orchestre en Angleterre que plus personne ne connaît maintenant. Il s'appelait Johnny Dangsworth & his Orchestra.
Il y avait le grand et fabuleux batteur Eric Delaney qui jouait avec deux grosses caisses, concept que j'ai repris.
Sur la droite de la scène il y avait sa grande batterie avec ses deux grosses caisses et de l'autre côté il y avait 4 gros éléments de percussion en métal qui faisaient un bruit incroyable comme : " boom boom booboobooboom…. ".
C'était fantastique !

Il y avait aussi l'orchestre de Sid Phillips avec 2 sax, 1 trompette, 1 piano, 1 batterie, 1 contrebasse et Sid Phillips qui jouait de la clarinette. A ce moment là c'était mon orchestre préféré, j'avais 16 ans et j'avais tous ses disques.
Chaque dimanche on allait au théâtre de Coventry, ville où je suis né.

Un jour, je suis allé à l'entrée des artistes demander des autographes. Le trompettiste Kenny Ball (qui aujourd'hui joue du jazz dixieland) est sorti et m'a demandé où il pouvait boire un thé. Je lui ai indiqué le chemin et il m'a proposé de l'accompagner. J'étais d'accord car c'était un de mes héros.
Il m'a invité à boire un thé et prendre un sandwich et m'a présenté à tout l'orchestre. Il m'a dit - avant de partir dans son car - que si le groupe repassait à proximité, je devais revenir. Je suis donc allé le revoir plusieurs fois, il me donnait des places pour les concerts.

Un jour je suis allé voir le groupe à Nottingham où il y avait un bal qui durait bien après que le dernier train pour retourner à Coventry ne soit parti. Les musiciens ne voulaient pas que je dorme dans la gare vide. Après discussion je leur ai demandé si je pouvais partir avec eux. Ils m'ont demandé d'envoyer un télégramme à mes parents pour les prévenir et je suis parti avec l'orchestre pendant trois jours.
J'ai porté les instruments et Sid Phillips me payait en échange de quelques petits boulots.
Cependant, je voulais avoir un vrai travail à leurs côtés. Mais Sid Phillips ne pouvait pas car le groupe était trop petit et un " roadie " leur était inutile car il n'y avait rien à porter.

Au bout de 4 ou 5 mois j'ai vu que le groupe passait dans une ville du sud de l'Angleterre pendant 4 semaines.
J'ai dis à ma mère : " Maintenant, je quitte la maison, j'ai 16 ans, je vais prendre un travail avec Sid Phillips, je n'ai rien à foutre qu'il n'y en ai pas. Je vais le suivre n'importe où et n'importe comment jusqu'à ce qu'il me donne du travail ". J'y suis allé 3 semaines, dormant dans la voiture du tromboniste jusqu'à ce que Sid Phillips s'inquiète pour moi. Il m'a trouvé un job, je devais tout nettoyer….

La dernière semaine un des musiciens est venu me chercher pour me dire que Sid Phillips souhaitait me voir dans sa loge.
J'ai dis : " Oh merde, qu'est ce que j'ai fais ", j'avais peur de ce qu'il allait me dire. Il m'a dit de retourner chez mes parents à Coventry, il m'a payé le train, je pensais que c'était la fin.
Mais il m'a donné de l'argent pour que je puisse revenir quelques jours plus tard afin de m'emmener deux semaines en tournée en Ecosse. Tous les musiciens se cotisaient (en tout 5 £ par semaine) pour que je m'occupe de leurs instruments. Un an et demi après j'ai été mis à la porte car je profitais de la situation pour draguer pendant qu'ils jouaient.

Après cela j'étais pendant 3 ans aux côtés de Eric Delaney et Johnny Dangsworth. Durant ces 3 ans, je n'ai pas joué mais j'ai observé. De ce fait je connais tous les instruments, je sais quand un musicien joue bien ou pas. Puis pendant un mois, j'étais batteur dans un petit groupe de jazz traditionnel.
A ce moment là un bassiste noir m'a proposé de faire un gala bien payé dans un club à Londres, le 2I's coffee bar où Billy Fury et Marty Wilde ont commencé leurs carrières.

J'étais réticent pour aller dans un endroit de rock'n'roll alors que je venais du jazz, mais l'argent a eu raison….
Mon passage a été prolongé 1 semaine et j'ai rencontré le bassiste Tex Makins qui a joué avec Johnny Hallyday, Georgie Fame et moi même en 1963. Il m'a proposé de le rejoindre dans le groupe du chanteur de rock Vince Eager, c'était en 1958.

Ce dernier n'avait pas beaucoup de galas, son manager m'a alors proposé de rejoindre le groupe de Marty Wilde.
C'était le n°1 dans les hits avec sa chanson " Dona ", je suis resté avec lui 3 mois. Mais il est parti faire un film et je me suis retrouvé pendant 6 mois avec Billy Fury. Puis j'ai été mis à la porte avec Tex. Encore à cause d'une histoire de filles, nous étions parti 5 jours en Ecosse alors que le groupe répétait….

Nous sommes retourné chercher du travail au 2I's coffee bar où Vince Taylor nous a proposé de le rejoindre.
Nous sommes restés avec lui en 1960 et 1961. Cette année-là au mois de juin, nous sommes venus à l'Olympia pour un concert de rock anglais où il y avait aussi Willy Wee Harris et Nero & the Gladiators. Dans la salle pour les deux concerts, il y a peut être eu 200 spectateurs, c'était vide, un grand " flop ".

Pourtant, le deuxième jour, Eddie Barclay (accompagné de Jean Fernandez) est venu nous voir et nous a proposé un contrat nous promettant argent et succès.
C'est comme cela que nous sommes venus en France.
Ça c'était le " Chapter one ".

Comment se sont passés les premiers pas du groupe avec Vince en France et comment en es tu venu à intégrer le groupe d'Hallyday ?
Vince, même en Angleterre, avait la réputation de ne pas venir à ses propres galas. Il sortait avec l'actrice Sophie Daumier puis avec le top model Helen April. Pour exemple lorsque nous étions au Star Club à Hambourg où nous devions jouer 2 jours, il a laissé sa fiancé à Paris, lui interdisant de sortir en boîte de nuit. Avant le dernier concert, alors qu'il était habillé de cuir noir et maquillé, il a téléphoné chez Helen April à Paris, elle n'a pas répondu car elle était en boîte….
Vince n'a pas fait le gala, il a prit le premier avion.

Le patron du star Club qui était un bandit, un vrai mafieux avec un flingue l'a très mal pris. Je lui avais proposé de faire tout de même le concert, Tony Harvey et Johnny Vance les autres musiciens chantant à la place de Vince. Il nous a viré et nous a dit que si Vince revenait il le flinguerait.
Nous sommes retournés à l'hôtel sans argent. Nous avons dû vendre nos costumes de scènes à un autre groupe anglais qui se produisait là.

Quelques jours plus tard Johnny Starck, le manager de Johnny Hallyday m'a téléphoné, sachant que je quittais Vince. Nous nous étions séparés 6 ou 7 fois mais ce coup ci ma décision était définitive. Il m'a demandé si j'étais intéressé pour accompagner Johnny Hallyday. J'ai répondu : " Quelle question ! Oui bien sûr ! ".
J'ai également permis à Tex Makins de rejoindre le groupe car Johnny Hallyday recherchait aussi un bassiste.

Nous avons commencé avec Johnny le 1er Août 1963.


Peux tu nous parler de l'épopée " Joey & the Showmen " ?
Après cette première tournée d'été avec Johnny, Tex est retourné en Angleterre car sa femme est tombée enceinte et il s'est marié. A ce même moment Johnny Hallyday a demandé à son excellent guitariste, Claude Djaoui, s'il pouvait passer guitariste rythmique afin qu'il puisse embaucher un soliste américain. Claude a dit : " OK, pas de problème ".

Au mois d'octobre suivant après un concert à Marseille Johnny et moi sommes sortis ensemble (Bobbie me précise alors qu'il est un vrai couche tard et me fait part de quelques anecdotes nocturnes avec Vince Taylor que la décence ne me permet pas de retranscrire ici , Nda). Nous étions dans une boite de nuit et Johnny a commandé comme d'habitude du whisky puis nous avons parlé. La bouteille fini, Johnny m'a dit qu'il partait à Nashville enregistrer son disque alors que mon rêve était justement d'aller aux USA.

Il m'a alors répondu : " Eh bien, viens avec moi, je t'offre ta place et je t'invite à Nashville et New-York pendant 10 jours ! ". Je lui ai répondu : " Hallyday, tu as presque déjà bu 1 bouteille de whisky, tu ne sais pas ce que tu dis, tu auras tout oublié demain matin ! ", il m'a dit qu'il se souvenait toujours de tout. Il m'a invité le lendemain pour un déjeuner sur le port avec Jean-Jacques Debout et dans le taxi qui nous conduisait m'a confirmé l'invitation.

Après le voyage à Nashville nous sommes allés à New-York faire la tournée des boites pour chercher un guitariste. Johnny et Lee Hallyday ont vu Joey Greco sur une affiche et nous sommes rentrés dans le club. Johnny a mis une bouteille de whisky sur la table, nous étions bourrés. Joey a joué, il était vachement bien puis nous a rejoint à table. Joey a été OK pour nous rejoindre après la fin de ses contrats, soit fin novembre 1963.
Nous avons fait nos premiers concerts à Marseille de Noël à nouvel an puis il y a eu l'Olympia.

Qu'as tu fais lorsque ton contrat avec Hallyday a été fini ?
Ce n'est pas moi qui ai quitté Hallyday et pour une fois je n'étais pas mis à la porte. Johnny a dû faire son service militaire, on n'avait pas le choix.

Avant qu'il ne parte, il m'a dit : " C'est dommage, je veux que tu sois encore mon batteur à mon retour mais je ne peux pas te donner 18 mois de ton salaire actuel ". Il m'a malgré tout donné une très importante somme d'argent pour tenir 18 mois en m'autorisant à jouer avec d'autres personnes mais en me demandant d'être à ses côtés à son retour. Pendant ce temps là Vince Taylor n'avait pas beaucoup de travail, il passait son temps à St Tropez.
Je l'ai retrouvé à Paris au " Bilboquet " et il ma demandé de refonder Vince Taylor & the Playboys. Vu ma notoriété acquise grâce à mes solos de batterie, j'ai demandé à ce que le groupe se nomme Vince Taylor & the Bobbie Clarke Noise (en référence à son ancien groupe The Bobbie Woodman Noise, Woodman étant le vrai nom de Bobbie Clarke, changé à la demande d'Eddie Barclay qui lui reprochait une consonance trop germanique, Nda). Il était ok et nous avons fait un album avec le morceau " Clank " sur lequel il y a un superbe solo de batterie.
Mais je suis retourné en Angleterre car Vince avec son LSD….

J'étais dans une boite le " Speakeasy " que fréquentaient les Beatles, les Rolling Stones etc….
Un jour j'y ai revu mon vieil ami Ritchie Blackmore qui souhaitait fonder un groupe pour devenir une grande vedette, il m'a embauché sans audition. Nous nous sommes retrouvés dans une grande maison où il y avait John Lord et d'autres musiciens comme Nicky Simper à la basse. Nous avons répété mais le son était trop Heavy métal pour moi. Ces musiciens allaient devenir les Roundabout puis les Deep Purple.

Entre temps, j'ai revu Jeff Beck au " Speakeasy " qui m'a proposé de faire un concert avec lui, les Deep Purple m'ont dit ok. Il m'a donc présenté les membres du groupe, le bassiste Ronnie Wood (futur Rolling Stones) et le chanteur Rod Stewart….
Au bout de quelques concerts, il m'a demandé de remplacer son batteur officiel mais j'ai dis non car à ce moment là j'étais encore lié au groupe de Ritchie Blackmore qui allait marcher.

Un mois après j'ai été mis à la porte de Deep Purple alors que Jeff Beck avait déjà trouvé un autre batteur….
Maintenant je suis là, pas tout à fait fauché mais pas millionnaire, alors que j'ai refusé à Jeff Beck, Ronnie Wood et Rod Stewart de bosser avec eux.

C'est la plus grande gaffe que je n'ai jamais fait dans ma vie.

Puis j'ai monté le groupe Bodast avec Dave Curtis et le futur guitariste du groupe Yes Steve Howe. On a fait un album de compositions originales. Ensemble nous avons accompagné Chuck Berry pour une série de concerts au Royal Albert Hall de Liverpool et à l'Olympia à Paris. A l'époque j'étais barbu avec les cheveux longs et de ce fait des gens qui me connaissaient ne m'ont pas reconnu à Paris.
Le groupe a duré 9 mois car la maison de disques a fait faillite (de ce fait l'album n'est sorti qu'en 1981 alors qu'il a été enregistré en 1969).

Quels ont été tes rapports, par la suite, avec tes anciens leaders ?
En 1972, j'ai fait la tournée " L'épopée du rock " avec Vince Taylor. Puis nous avons joué 6 mois dans une boite à Paris et fait une télé. Mais Vince était malade alors je suis retourné à Londres, je me suis marié et j'ai eu un fils qui a aujourd'hui 26 ans. Il s'appelle James Elvis Woodman (c'est un mixte entre James Dean, James Bond et Elvis Presley).

Aujourd'hui es tu toujours heureux de jouer, as-tu toujours cette motivation ?
Oui et je vais avoir 65 ans au mois de juin, je suis vieux.
Après tout ce que j'ai fais dans ma vie, j'ai fumé beaucoup de marijuana, j'ai beaucoup bu, pris du LSD etc…et j'ai de la chance d'être là. Beaucoup de mes amis sont morts comme Vince, comme Tony Harvey ; Jimi Hendrix, Brian Jones, Jim Morrison, ils sont tous morts beaucoup plus jeune que moi.

Je me demande parfois comment je suis encore vivant après tout ce que j'ai fais. Peut être suis-je immortel, mais je ne crois pas (rires).
Quand mon fils est né en 1976 je jouais avec Screamin' Lord Sutch qui était très gentil et qui est aussi mort depuis.
Par contre il payait mal. De ce fait, j'ai dû exercer un autre métier (Cariste dans une usine de lait si j'ai bien compris, Nda) et à cette époque je n'avais plus de batterie.

Je pensais que cette carrière était derrière moi.
Dans les années 80 Philippe Guidal m'a permis de revenir jouer en France puis il m'a parlé des rééditions (1993) de mes disques avec Vince et Johnny qui marchent très bien.

En 2003 Patrick " Crazy Legs " Deloizy m'a invité à faire un gala à Bagnolet pour un " tribute " à Vince Taylor.
Puis j'ai fais d'autres tournées avec son groupe les Silver Stars dont une avec Joey Greco.

Le 20 juin 2004 je n'en croyais pas mes yeux quand Patrick m'a dit qu'on passerai à l'Olympia à Paris. On a fait un succès énorme et le producteur du spectacle, Monsieur Marionneau, nous a dit qu'il voudrait à nouveau Joey Greco & Bobbie clarke pour un nouveau show des pionniers du rock français, et j'espère que c'est vrai !
Mais maintenant je suis là dans une grande ville, dans un théâtre encore meilleur que l'Olympia et le London Paladium, non je blague (rires).

Note : Je n'ai pu malheureusement que résumer les propos de Bobbie tant celui-ci était loquace à Lardy, qu'il m'en excuse.
Pour plus de précisions me contacter. David.

Remerciements : Patrick " Crazy legs ", Alexi, Simon et surtout Paolo des Silver Stars. Mister Hawkins pour son humour, toute l'équipe de la salle René Cassin pour leur sympathie et tout les autres artistes présents ce soir là.
Un remerciement spécial à Bobbie, see you !

 
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Les liens :

Le site www.lespionniers

durockfrançaisleretour.fr

Interview réalisée
à la Salle René Cassin
- Lardy (91)le 16 avril 2005

Propos recueillis par

David BAERST
En exclusivité !

 

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