Brendan Power - Le Badhus (Festiblues) - Kaysersberg le 12 novembre 2013
Nda : Bien plus qu’un harmoniciste, Brendan Power est un véritable orfèvre du « ruine-babines » (comme on surnomme cet instrument au Québec). En effet, ne se contentant pas d’en jouer, il ne cesse (en tant que développeur et créateur) d’en repousser les limites techniques. A l’aise sur tous les continents, le musicien a aussi signé 20 albums sous son propre nom entre 1984 et 2012. Ces derniers sont largement inspirés par des voyages effectués aux quatre coins du monde et puisent aux sources de nombreux folklores différents.L’artiste est également, au fil des ans, devenu un accompagnateur sollicité par pléthore d’artistes (de Sting à Van Morrison en passant par Paul Young, James Galway, Mike Batt, Kate Bush etc…) tout en continuant de collaborer à de nombreuses musiques de films (dont « Reviens-Moi » de Joe Wright, qui a remporté l’Oscar de la meilleure bande-originale en 2008) et de séries télévisées.En plus de tous ces talents, Brendan Power n’a pas oublié que l’une des plus grandes qualités qu’un musicien puisse posséder est l’humilité. En voici la preuve, par le biais de cet entretien qu’il m’a accordé peu avant sa montée sur scène, dans le cadre de la deuxième édition du Festiblues de Kaysersberg (68).
Brendan tu es d’origine néo-zélandaise, peux-tu m’en dire davantage sur ton pédigrée ?
Je viens d’un endroit nommé Nelson, situé dans la moitié nord de l’île du Sud. Cependant, c’est au Kenya que je suis né et que j’ai vécu jusqu’à l’âge de 9 ans. Actuellement, je réside en Angleterre…
De quelle manière es-tu « tombé amoureux » de l’harmonica ?
Je fréquentais une Université néo-zélandaise et je n’avais jamais vraiment entendu un harmonica, avant qu’un ami ne m’emmène à un concert de Sonny Terry et Brownie McGhee. C’était en 1976, donc cela fait déjà un certain temps… J’ai vraiment été époustouflé par le son de cet instrument, cela représentait une expérience inédite pour moi. De ce fait, le jour suivant, je suis allé me procurer un harmonica afin d’essayer de comprendre ce qui se passait en moi…. Je n’ai pas suivi de formation musicale particulière ou quelque chose de ce genre… C’est amusant car, pour mon apprentissage, je suis simplement allé chez un disquaire et j’ai demandé des albums sur lesquels il était possible d’entendre cet instrument. On m’a donc vendu un disque de Bob Dylan (en l’occurrence l’excellent « Blood On The Tracks », nda).Après cela, je trouvais toujours le son de cet instrument aussi joli mais je voulais étudier quelque chose de plus proche du blues. Je suis donc tombé sur un album de Sonny Boy Williamson II (Aleck « Rice » Miller) qui est littéralement devenu ma bible…
Est-ce en Nouvelle-Zélande que tu as débuté ta carrière professionnelle ?
Oui, j’ai commencé à travailler alors que j’étais très jeune et j’ai occupé des postes au sein de diverses formations (Brendan a, alors, également collaboré à des musiques pour des spots publicitaires, nda). Ces derniers ne me permettaient, toutefois, pas de gagner beaucoup d’argent. Ceci a duré une dizaine d’années, voire plus…Puis j’ai sorti mon premier album en 1990 « State Of The Harp » (un enregistrement, « Country Harmonica », avait déjà été édité plus confidentiellement sous forme de cassette audio en 1984, nda) qui m’a permis de commencer à tourner sous mon propre nom. C’est à partir de ce moment-là que j’ai réellement débuté une carrière professionnelle…
Quand et pourquoi as-tu déménagé en Angleterre ?
Ceci est lié à une femme (rires)… J’ai rencontré une anglaise et nous nous sommes mariés. De ce fait, je me suis installé dans son pays (en 1992, nda) et je suis aussi tombé amoureux de l’Europe. S’il m’est facile de vivre en Angleterre, car je peux y parler ma langue maternelle, le fait d’être résidant de ce pays me permet aussi de voyager dans tout le continent très rapidement. Il me suffit de prendre le train pour être dans une autre ville, l’Eurostar et traverser le tunnel pour tourner outre-Manche etc… Je peux donc aller vers des civilisations et cultures différentes en un minimum de temps. Je me retrouve, ainsi, confronté à des langages variés et à de la bonne nourriture. C’est enrichissant à bien des points de vue… Je suis actuellement à la frontière allemande et je trouve cela fascinant car toutes les cultures sont proches les unes des autres. Il suffit de faire quelques kilomètres pour se retrouver dans un autre environnement. C’est vraiment très intéressant !
Pour un harmoniciste tel que toi, est-il plus facile de vivre et de travailler en Europe ?
Oui, j’ai pu commencer à y mener une vraie carrière en tant qu’harmoniciste. La scène y est polyvalente et on peut s’y exprimer de nombreuses manières différentes. J’ai aussi pu y travailler sur mes propres harmonicas, les customiser et en faire fabriquer moi-même. Entre ces deux aspects il n’y a donc que de bonnes choses pour les spécialistes de l’harmonica.
Quels sont les premiers harmonicistes que tu as pu côtoyer en Europe ?
Je pense que le premier harmoniciste que j’ai rencontré est Steve Baker. Bien sûr, je connais Greg « Zlap » Szlapczynski et quelques autres spécialistes français tels que Michel Herblin, Jean-Jacques Milteau et d’autres formidables instrumentistes.
Penses-tu que vous constituez, au sein de la scène musicale, une sorte de famille ?
Oui, c’est quelque chose que l’on peut ressentir. D’autant plus que nous pouvons nous retrouver régulièrement sur de nombreux festivals. De surcroit, j’ai eu la chance de travailler, durant 6 ans, pour le fabricant Suzuki et j’ai signé quelques méthodes d’apprentissage de l’instrument que j’ai eu l’opportunité de présenter lors de manifestations dédiées à l’harmonica. De ce fait, j’ai pu côtoyer beaucoup de confrères. Il y a vraiment un bon « feeling » entre nous tous.
Tu as travaillé aux côtés de nombreuses légendes de la musique. Quels sont tes meilleurs souvenirs en termes de collaborations ?
Il y en a tellement…Cependant, je pense que mon travail auprès de Sting demeure parmi mes préférés. J’ai joué sur l’un de ses albums (« Ten Summoners Tales » sorti en 1993, nda) et j’ai participé à la promotion de ce dernier à ses côtés. Nous avons, en effet, fait beaucoup d’émissions de télévision ensemble, y compris à Paris. J’ai aussi longuement travaillé pour le show Riverdance qui est un spectacle de danse irlandaise. Cette expérience a duré 3 ans et m’a beaucoup aidé sur un point de vue financier puisque j’y ai participé toutes les semaines durant ces quelques années. Je peux également citer mes collaborations avec John Williams, Shirley Bassey et beaucoup d’autres artistes pour lesquels je n’ai réalisé qu’une seule session. Actuellement, je me concentre davantage sur mes propres travaux...
Comment expliques-tu ton amour pour les musiques irlandaises et celtiques, alors que tu es néo-zélandais ?
Mon grand-père paternel était originaire de ces régions. D’ailleurs tu constateras que mon nom, Brendan Power, a une consonance très irlandaise. C’est, en effet, un nom irlandais !
Tu es un véritable voyageur de la musique. Tu t’inspires de nombreuses civilisations différentes et tu rencontres, de ce fait, énormément de gens. Est-il facile de s’adapter à des musiciens venus d’horizons aussi divers ?
Tu sais, la musique est un langage universel…Quand tu fais du blues, tu peux « jammer » sur cette musique dans le monde entier. J’ai beaucoup tourné en Asie, il y a de cela deux ans. J’ai ainsi joué en Inde, en Chine, aux Philippines, en Indonésie, en Thaïlande etc…J’y ai vraiment donné des concerts un peu partout et y ai collaboré avec des musiciens locaux. C’est une chose que j’adore faire !
Tu es un vrai troubadour…
Oui, c’est un peu cela (rires) !
Finalement, à l’issue de toutes les expériences musicales que tu as vécues… comment définirais-tu ton style ?
C’est une bonne question car je pense que j’ai forgé mon propre style. Ceci est, en particulier, lié au fait que je fabrique moi-même mes harmonicas. Par exemple, celui-ci (Brendan sort alors un harmonica de sa besace) est un instrument qui ne ressemble à aucun autre harmonica de blues. Il est réglé rien que pour moi et me permet d’obtenir une sonorité particulière, qui m’est propre (Brendan joue alors un blues). Tu vois, j’arrive à obtenir des sons qui sont impossible à produire avec un harmonica normal. Lorsque tu fais tes propres réglages, tu obtiens automatiquement un résultat unique. J’en ai un autre que je dédie spécifiquement à la musique irlandaise (Brendan joue alors, avec cet instrument, un air typiquement irlandais)… Je peux aussi reproduire la chose pour de la musique traditionnelle bulgare etc… Je pense que ce facteur de mise au point personnelle joue vraiment un rôle important dans le fait de pouvoir obtenir un son qui te soit propre.
Justement, en tant que « metteur au point » d’harmonicas, aurais-tu un objectif précis en ce qui concerne cet instrument ?
Je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à venir en ce qui concerne le développement de cet instrument. Actuellement, nous cherchons à produire un modèle qui regroupe toutes les caractéristiques de l’harmonica diatonique et de l’harmonica chromatique. Il y a aussi une chose qui m’intéresse beaucoup, à savoir l’utilisation des nouvelles technologies et des machines qui leurs sont inhérentes. Il y a un boulevard de créativité qui s’ouvre devant nous, c’est une chose qui est très excitante et qui me motive particulièrement.
Tu joues avec divers groupes et dans diverses configurations. Cela se fait-il également dans des registres variés ?
Parfois Je joue dans un registre de blues pur et dur (notamment en duo avec le chanteur-guitariste Dave Peabody) et parfois un registre de musiques traditionnelles irlandaises. Puis, j’ai mon propre show en solo qui mixe tous ces sons. J’y évoque donc le blues que j’adore, la musique irlandaise, la musique bulgare, la musique chinoise ainsi que le jazz et d’autres choses. J’aime la variété des sons et l’utilise au sein de mes performances.
Est-ce un exercice difficile, pour un harmoniciste, d’être tout seul sur scène ?
Au début c’était, en effet, assez difficile. C’était une sorte de challenge…Actuellement, j’utilise la technologie des « boucles » (séquences musicales répétés plusieurs fois, nda) que je réalise en live sur scène, elles ne sont pas préenregistrées. J’aime relever les défis et apprécie le fait de créer des choses nouvelles comme ces « boucles ». J’y prends vraiment beaucoup de plaisir !Ceci dit, le fait de démarrer seul sur scène n’est pas une chose évidente, il faut aimer les challenges !
Tu as enregistré de nombreux albums, tous d’une diversité remarquable. Sur quelle voie souhaites-tu te diriger maintenant ?
Je prévois d’enregistrer un album constitué de chansons originales, que j’ai écrites moi-même. J’en interprèterai quelques-unes ce soir. Comme je chante en anglais, je ne sais pas si les gens en comprendront la teneur…
Tu as voyagé dans de nombreuses régions du monde. Quelles sont celles qui te sont inconnues et que tu souhaiterais découvrir ?
Je ne sais pas…J’adore la musique indienne et j’aimerais passer plus de temps dans ce pays où j’ai déjà eu l’occasion de me rendre. Je souhaiterais, en effet, réussir à reproduire davantage de sons indiens à l’harmonica.
Quels sont les harmonicistes actuels qui t’impressionnent le plus ?
Il y en a beaucoup de nos jours… Je reste un grand admirateur de Stevie Wonder qui a un son fantastique. Howard Levy est également un instrumentiste formidable… il y en a tant que c’est difficile de n’en citer que quelques-uns.
As-tu un dernier mot à ajouter à cet entretien ?
Non, simplement que je suis très content d’être là et que j’aimerais beaucoup pouvoir passer davantage de temps dans cette magnifique région qu’est l’Alsace. Je ne m’y étais jamais rendu auparavant… Je suis arrivé par le train aujourd’hui et je suis complètement sous le charme. Cette succession de vignobles et de collines… c’est vraiment très beau... Comme j’aimerais pouvoir rester plus longtemps ici (rires) !
Remerciements : Robert « Sunnyside » Koch
www.brendan-power.com
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