Brian « Licorice » Locking
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Au même titre que ceux de « Big » Jim Sullivan ou de Brian Bennett, le nom de Brian « Licorice » Locking a toujours eu une connotation particulière à mes yeux. Aperçu sur tant de pochettes de disques, issues du répertoire de pionniers du rock’n’roll anglais, je l’ai en effet toujours identifié (à juste titre) comme étant l’un des « inventeurs » du genre outre-Manche.
Avant de lui tendre mon micro, je l’ai croisé dans le hall de l’hôtel où nous avions rendez-vous. Il s’amusait alors, de manière presque juvénile, à répéter les fameux pas de danse des Shadows. C’est avec loquacité et jovialité que, quelques minutes plus tard, il est revenu à mon micro sur ses diverses expériences musicales. Que ce soit avec le fameux groupe instrumental britannique mais aussi aux côtés de Vince Taylor, Marty Wilde, Gene Vincent et, bien sûr, d’Eddie Cochran dont il a été le dernier bassiste. Rencontrer Brian « Licorice » Locking c’est, incontestablement, se retrouver face à un pan de mur entier de la grande maison du rock’n’roll britannique…

Brian, afin de débuter cet entretien, peux-tu revenir sur ton enfance en Angleterre et principalement sur la manière dont tu t’es initié à la musique ?66
Je suis né en 1938 et j’ai toujours ressenti le besoin de jouer d’un instrument de musique. Aux alentours de mes 12 ou 13 ans, je me suis essayé à la trompette au sein d’un groupe. Me rendant rapidement compte que je ne pouvais pas me contenter de cela, lors de ma dernière année d’école (alors que j’avais 14 ou 15 ans), ma sœur Barbara a sollicité ma mère pour que cette dernière m’achète un instrument en plastique s’apparentant à un harmonica. Je l’ai ramené à l’école et me suis mis à en jouer intensément, en interprétant de nombreux morceaux différents. On peut considérer que c’est, réellement, à ce moment-là que ma carrière musicale a pris forme. Il faut dire que j’ai, rapidement, formé un duo avec l’un de mes amis qui était aussi harmoniciste. De fil en aiguille, l’excitation de jouer est devenue de plus en plus importante…

A cette époque, quelles étaient tes influences musicales ?
Je n’avais pas vraiment d’influences précises, j’étais simplement un fort appréciateur de musique au sens large. Je me souviens cependant que, lorsque je rentrais de l’école, je regardais un programme pour enfants à la télévision. Il y a un grand harmoniciste, Larry Adler, qui s’y est produit un jour. Je suis tombé en admiration devant son interprétation de « St Louis Blues ». Il était fantastique et il m’a conforté dans mon choix de devenir à mon tour un harmoniciste. Puis, je me suis attentivement plongé dans l’écoute de nombreux disques de jazz de la première partie du XXème siècle. C’est une chose que j’aimais beaucoup et j’ai, ainsi, collecté de nombreuses mélodies faites pour l’harmonica…ou que je pouvais reproduire avec cet instrument.

Dans quelles circonstances as-tu découvert le rock’n’roll ?
C’est quelque chose qui s’est développé au début des années 1950. En Angleterre, il y avait un chanteur célèbre qui s’appelait Lonnie Donegan. Il était vraiment très passionnant. Un autre gars de ma ville, Roy Clark, chantait et jouait de la guitare. Ensemble, nous avons formé un petit groupe avec un batteur nommé Mick Fretwell. Nous nous sommes mis à jouer du skiffle, dans le sillage de Lonnie Donegan. Au bout d’un moment, nous nous sommes rendu comptes qu’il nous manquait un bassiste. Nous avons donc fabriqué une contrebasse de fortune, qui était en fait une sorte de contrebassine. Je me suis mis à en jouer et c’est en devenant bassiste que ma carrière a pris un virage déterminant !

As-tu enregistré à cette période ?
J’avais ce fameux groupe de skiffle, au milieu des années 1950, avec lequel j’ai en effet réalisé deux enregistrements. Ces derniers se sont déroulés à Londres…

Comment, par la suite, es-tu devenu un session-man réputé qui a joué avec tous les pionniers du rock’n’roll anglais ?
J’ai quitté la maison à l’âge de 18 ans et je me suis mis à fréquenter assidument le Ace Cafe à Londres. Cette époque marquait la naissance du rock’n’roll anglais. J’étais l’un des musiciens résidents du lieu, au même titre que Brian Bennett qui est devenu le batteur des Shadows. Nous y avons rencontré Tony Sheridan et Tony Harvey, avec lesquels nous avons commencé à travailler pour Vince Taylor qui était alors à la recherche d’un groupe. Avec lui, nous avons enregistré « Right behind you baby » en 1958 aux studios EMI (devenus Abbey Road, nda) à Londres. C’est donc avec Vince Taylor que j’ai réalisé mon premier enregistrement réel en tant que session-man. Puis, nous l’avons quitté afin de rejoindre Marty Wilde avec lequel nous avons travaillé pendant deux ans. Parmi les chansons les plus connues, que nous avons eu l’occasion de graver avec lui, il y a « Teenager in love », « Bad boy », « Sea of love », « Teenage tears » et quelques autres… Il s’agit là de mes débuts en tant qu’accompagnateur…

Quels sont tes souvenirs les plus marquants liés à cette période ?
Oh… (rires) ! En fait, je crois que tous mes souvenirs de cette époque sont bons ! Je pense que je ne me rendais pas vraiment compte de ce que nous étions en train de réaliser. Avec des chansons telles que « Teenager in love » nous avons fait de grands hits qui ont marqué l’avènement d’un genre en Angleterre, le rock’n’roll… Si j’ai toujours été heureux de faire des tournées, je l’ai été tout autant de faire des enregistrements. Puis, il y a eu une période très importante pour moi…celle durant laquelle j’ai été membre des Shadows. C’était une ère particulièrement brillante ! Puis après cela, je suis redevenu musicien de studio pour un jeune artiste dont j’ignorais tout, c’était un parfait inconnu. Il s’agissait, en fait, de Donovan qui faisait ses débuts. Ainsi, c’est moi qui joue sur « Catch the wind », « Colours » ou encore sa version de « Mr. Tambourine Man » de Bob Dylan. Je jouais de la contrebasse alors que Gypsy Dave (qui allait devenir sculpteur) était également là en tant qu’accompagnateur. Donovan, quant à lui, était bien sûr à la guitare et au chant. Ces sessions ont été réalisées dans un petit studio londonien situé New Bond Street. De ce fait, on me retrouve sur son premier album. Chaque session que j’ai pu réaliser, a été un grand moment pour moi !

D’où te vient ce surnom de « Licorice » ?
(rires) C’est une histoire un peu longue à raconter et qui est même, un peu, idiote. Pour cela, il va nous falloir remonter à l’année 1955 (nouveaux éclats de rires de Brian). Nous nous produisions, avec le groupe de skiffle, dans une station balnéaire située à proximité de la ville où je vivais. Nous voyagions beaucoup et nous nous sommes arrêtés afin de prendre une tasse de thé. Nous étions à la recherche de surnoms pour chacun d’entre nous. Nous jouions déjà sur des instruments qui étaient des jouets en plastique complètements idiots (pour ma part une clarinette). Un soir, Vince Eager, qui était notre chanteur m’a présenté de cette manière « ladies and gentlemen, voici… Licorice Stick (qui veut dire bâton de réglisse mais qui est aussi le surnom donné à la clarinette, nda) ! ». Ce sobriquet m’a suivi lorsque j’ai rejoint les Shadows. Ainsi, sur les pochettes de disques ou dans les articles on pouvait lire (lorsque les musiciens étaient cités) : Hank (Marvin), Brian (Bennett), Bruce (Welch) et Licorice (rires) ! A partir de ce moment-là, il m’a été impossible de m’en défaire et il m’a accompagné toute ma vie !

L’une des caractéristiques des Shadows était de reproduire très fidèlement le son des disques sur scène. Tout était réglé au millimètre et il n’y avait pas de place laissée aux initiatives personnelles. Regrettes-tu le fait qu’une plus grande place n’ait pas été laissée à l’improvisation et à la personnalité de chaque membre du groupe ?
C’était, en effet, très rigoureux. Tout ce que nous faisions avait été répété et travaillé à l’avance. Qu’il s’agisse de nos fameux pas de danse ou de la musique. Nous ne pouvions pas nous laisser aller à faire autre chose. Tout était rigide, identique et de la même qualité. Nous ne pouvions rien modifier dans nos mouvements qui étaient particulièrement coordonnés. La qualité de nos performances scéniques devait toujours être la même et dépendait de cette rigueur. C’était une recherche d’excellence et c’est pour cela que nous travaillions beaucoup en amont des spectacles. Rien ne devait être le fruit du hasard, cela aurait pu nuire à la qualité de l’ensemble.

Lorsque tu as quitté le groupe, es-tu resté en contact avec les autres membres des Shadows ?
Oui… Je n’ai pas revu Hank Marvin depuis, environ, 5 ans mais je sais que sa porte m’est toujours ouverte si nos chemins sont amenés à se recroiser. J’ai parlé et vu Bruce Welch, pour la dernière fois, il y a 1 an mais je n’ai pas revu Brian Bennett depuis un certain temps, même s’il nous arrive de nous téléphoner. Nous ne nous côtoyons donc pas beaucoup mais nous nous revoyons toujours avec plaisir, lorsque l’occasion se présente.

Lorsque tu prends du recul sur ta carrière, de quoi es-tu le plus fier ?
Lorsque je regarde en arrière et que je remonte aux origines du rock’n’roll anglais, je me rends compte que nous cherchions à copier ce qui se faisait aux USA. Par contre, nous sommes parvenus à créer un son original et inventif, comme ont pu le prouver nos travaux auprès de Vince Taylor ou de Marty Wilde. Nous coordonnions nos efforts, avec tout le groupe, et arrivions à créer des arrangements originaux. Nos performances scéniques n’étaient pas en reste. Je suis fier de tout cela et d’avoir pu collaborer avec autant de musiciens si talentueux. Tout n’était pas rose car l’époque était aussi assez rude mais, avec le recul, je crois que nous avons vraiment pu accomplir quelque chose. C’est ce dont je suis le plus fier…

Pour toi, quelles sont les plus grandes différences entre le rock’n’roll anglais des débuts et le rock ‘n’roll américain originel ?
A l’origine nous voulions copier, c’est tout… Au départ, le rock’n’roll était fait par des gens tels que Bill Haley et quelques autres comme Elvis Presley. C’était une musique qui était proche du swing comme l’atteste une chanson comme « Shake, rattle and roll ». C’était un genre très excitant mais, dès ma collaboration avec Marty Wilde, nous avons essayé de changer un petit peu cela. Nous avons eu la chance de tourner avec Eddie Cochran et Gene Vincent en 1960 lors de la fameuse tournée anglaise à l’issue de laquelle Eddie Cochran a trouvé la mort dans un accident de taxi. Avec le guitariste « Big » Jim Sullivan, le batteur Brian Bennet nous avons été choisis pour devenir les accompagnateurs de ces deux légendes américaines. Je me souviens, en particulier, de ma première rencontre avec Eddie Cochran qui était un véritable gentleman. Lorsqu’il m’a vu, il m’a lancé un « hello sir » dont je me souviendrai toujours. Durant les répétitions, il a ouvert son étui de guitare et j’ai vu sa superbe Gretsch orange. J’étais si impressionné que j’ai poussé un grand souffle et ai reculé d’un pas. C’est, incontestablement, lui qui a transformé le rock’n’roll swing en un son plus dur, un rock plus dur. Son tempo était différent (Brian entame alors la fameuse intro musicale de « Something else », nda) et c’était quelque chose de nouveau qui n’avait rien de comparable avec ce que l’on pouvait entendre avant lui… Il suffit d’écouter « C’mon everybody » pour s’en rendre compte. Grâce à lui, nous avons atteint un nouveau palier…un rythme qui n’existait pas auparavant. C’est à Eddie que l’on doit cela…il a révolutionné le rock ! En accompagnant Gene Vincent, je constatais qu’il possédait encore ce côté swing alors qu’Eddie était déjà passé à autre chose. Mon plus grand souvenir avec Eddie Cochran, remonte à son interprétation scénique du titre de Ray Charles « Hallelujah I love her so ». Il n’avait utilisé aucun effet sur sa guitare, il s’est contenté de la brancher à son ampli. Puis, au moment de son solo, nous nous sommes mis dos à dos au centre de la scène et il m’a dit « Go on Licorice ! ». Cela reste l’un des plus grands moments de ma carrière, je ne pourrai jamais l’oublier…

As-tu, malgré tout, un regret en ce qui concerne cette dernière ?
J’ai quitté les Shadows au bout de seulement deux ans de collaboration mais je n’ai aucun regret. Il faut dire que je continue aujourd’hui de parcourir le monde afin de mettre en valeur la musique que nous avions créée à l’époque. C’est, par exemple, toujours le cas en France aux côté du groupe Guitar Express et de Ricky Norton. Le business de la musique est, aujourd’hui, plus respectueux qu’à l’époque. Puis, je suis heureux de constater que ce que nous avons fait continue de porter ses fruits et que beaucoup de gens nous restent fidèles et prennent du plaisir en nous écoutant. Je continue et continuerai toujours d’aimer la musique…

Remerciements : Ricky Norton

 

 
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Interview réalisée
à l'Hôtel Le Roi Soleil
Sausheim le 23 janvier 2016

Propos recueillis par
David BAERST

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