Nda : L’itinéraire de Brushy One String, Andrew Chin de son vrai nom, est pour le moins étonnant. Ce fils de superstar de la musique Jamaïcaine, qui a été livré à lui-même très tôt et qui a quasiment grandi dans la rue, est devenu (en l’espace d’un clic) une figure légendaire de la scène musicale des Caraïbes. Découvert à travers une vidéo postée sur internet, puis dans le film-documentaire « Rise Up » (réalisé par Luciano Blotta en 2007), l’artiste bénéficie depuisd’une aura qui suscite l’intérêt de tous. Après des années de galères en tous genres, l’artiste a sorti l’album «Destiny » en 2013. Depuis, il ne cesse de rattraper le temps perdu et présente son registre atypique à travers le monde. A l’image de sa vie, la musique de Brushy sait être aussi rythmée que touchante. Je lui dois une très belle rencontre humaine et l’interview qui suit…
Dans un premier temps, Brushy, j’aimerais que tu me parles de toi et que tu reviennes sur ton enfance en Jamaïque…
Mon nom est Brushy One String et je joue d’une guitare qui est simplement équipée d’une seule corde. Je suis originaire de St. Catherine, en Jamaïque, mais je vis aujourd’hui à St. Mary. J’ai été attrapé par le virus de la musique alors que j’avais 15 ans. Une nuit, j’ai eu une vision alors que j’étais dans mon lit. J’ai vu un homme avec une guitare qui m’a annoncé qu’il voulait m’offrir son instrument. Je lui ai dit que je n’en voulais pas mais il a répliqué que je pouvais, au moins, jouer dessus. Je l’ai donc pris et j’ai réalisé, à ce moment précis, que j’en connaissais les rudiments. Je me suis donc mis à m’exercer intensément, jusqu’à en blesser mes doigts. Tous les animaux, autour de ma personne, s’exclamaient « bien, bien, tu peux jouer, tu peux chanter… ». Puis, quelqu’un s’est approché derrière moi et m’a poussé contre un rocher en me demandant de continuer à chanter. J’ai donc chanté et encore chanté, jusqu’à en être totalement fatigué. Puis cette personne est revenue me voir et m’a offert une mule, un chapeau et des bottes de cow-boy. C’est à ce moment-là que je me suis réveillé et que je suis sorti de mon rêve…
Je suis, rapidement,allé voir mon oncle et lui ai parlé de cette vision nocturne. Lorsqu’il a su que la guitare que j’avais vue en rêve n’avais qu’une corde il m’a, immédiatement, conseillé d’en continuer la pratique mais avec un instrument possédant 4 ou 6 cordes… comme les guitares classiques. Cependant, sa petite amie m’a exhorté à ne jouer qu’avec une guitare d’une corde, pour que mon rêve devienne réalité. Puis elle a ri…
J’ai donc commencé à m’entrainer en m’allongeant sur mon lit. C’est ainsi que j’ai trouvé mes propres gammes et que j’ai mis au point mon style (Brushy, me donne alors un aperçu de la manière dont il s’exerçait, nda). Je suis retourné voir la compagne de mon oncle en lui disant que j’avais trouvé une technique pour faire sonner ma guitare à une corde. Elle a éclaté de rires en me disant de continuer à travailler pour que je puisse obtenir quelque chose de plus élaboré un jour. Par la suite j’ai entendu la chanson « Oh Mr DC » (de Sugar Minott, nda) à la radio. Cette dernière est devenue la première que j’ai interprété avec ma guitare (Brushy m’en donne alors un aperçu, nda). Le lendemain, j’ai commencé à me promener dans toute la ville afin de montrer aux gens ce que je savais faire. C’est ainsi que ma carrière a commencé et je ne suis jamais plus revenu en arrière (rires) !C’est comme cela que je suis devenu Brushy One String !
Aujourd’hui, t’arrive-t-il, malgré tout, de jouer avec une guitare à six cordes ?
J’en utilise une, de temps en temps, pour essayer. Cependant, pour moi, c’est la guitare à une corde qui m’apporte la plus grande satisfaction. Pour moi, elle est meilleure !
Freddie McKay (grand chanteur de rocksteady et de reggae, né en 1947 et décédé en 1986)était ton père. L’as-tu bien connu, quelles étaient tes relations avec lui ?
Musicalement, mon père n’a jamais vraiment eu d’impact sur moi. Je n’ai pas eu de connexion artistique avec lui lorsqu’il était en vie. Il faisait sa musique à Kingston alors que je vivais à St. Catherine. Je ne l’ai donc pas vu comme les fils doivent, habituellement, voir leurs pères. D’autant plus qu’il avait énormément d’enfants, puisqu’il en avait 39 issus de 25 mères différentes. Il n’a jamais vécu au même endroit très longtemps. Parfois j’écoute l’un de ses disques et j’espère avoir hérité d’un peu de son talent en tant que chanteur… (Nda : la mère de Brushy, Beverly Foster, était également une chanteuse qui a, entre autres, étéchoriste pour Tina Turner)
Quels ont été tes premiers amis sur la scène musicale jamaïcaine ?
Mes premiers amis, sur la scène musicale, étaient Jigsy King, Tony Curtis, Prezident Brown etc… Nous avons tous grandi ensemble et fait de la musique en même temps. Lorsque j’ai enregistré mon premier disque « Chicken on the corn », en 1991, j’ai pu rencontrer d’autres personnalités.Des gens comme Burning Spear et quelques autres qui avaient bien connu mon père. Ils ont, d’ailleurs, pu m’apprendre des choses sur lui. Au fil du temps, ils sont aussi devenus des amis…
Dans quelles circonstances as-tu rencontré Luciano Blotta (réalisateur du film-documentaire « Rise Up », sorti en 2007, qui évoque la scène musicale underground en Jamaïque et qui a révélé Brushy One String au plus grand nombre) ?
Luciano était en Jamaïque à un moment où je ne trouvais pas beaucoup de travail. J’étais dans la rue avec ma guitare et j’ai aperçu ce mec blanc déambuler dans la rue. Je l’ai donc interpellé en lui disant « Heywhite man, je vais te jouer quelque chose à la guitare si tu me donnes un peu d’argent ». Je lui ai promis de lui faire entendre quelque chose d’inédit pour lui et il m’a pris au mot. Je me suis donc, immédiatement, lancé dans une interprétation de « Chicken in the corn » (Brushy m’interprète le titre, nda). Il m’a donné vingt dollars américains et m’a fait part de sa surprise en me disant qu’il trouvait cela très bon. Je lui ai proposé de rester en contact par Facebook, afin de pouvoir collaborer ensemble par la suite. Je lui ai dit que je serai une grande star et que je le choisirai pour devenir mon producteur. Il est revenu deux ans plus tard en me demandant quelques chansons pour un film qu’il préparait. Il m’a donc filmé dans la rue et m’a rappelé deux semaines plus tard. Il m’a annoncé que notre vidéo bénéficiait de 3000 visites par semaine. Huit jours plus tard, il me recontactait pour me dire que nous en étions à 10.000 visites et qu’il voulait vraiment faire un truc avec moi. Trois mois après nous en étions à plus d’un million de vues. Il m’a donc proposé de venir chez lui, en Argentine. Il a emprunté de l’argent à sa mère, à son père, à ses frères et m’a permis d’entrer en studio afin d’enregistrer mon premier album. Ce disque m’a permis de me produire en Louisiane l’année suivante, dont à la fameuse House Of Blues ou au New Orleans Jazz festival. J’y ai croisé Taj Mahal et d’autres prestigieux artistes. Et maintenant je tourne partout mec, je tourne ! (Nda : Dans la foulée de « Rise Up », Luciano Blotta a aussi réalisé un documentaire entièrement consacré à Brushy, « The King Of The One String »)
Comment expliques-tu le succès de cette chanson, « Chicken in the corn », sur internet ?
La première fois que j’ai fait « Chicken in the corn » en Jamaïque, la réaction a été telle que tout le pays a commencé à me connaitre. La deuxième fois, c’était pour le compte d’un gars qui m’a enregistré afin de sortir un disque sur son label indépendant (voire complètement underground). Cependant, le mec s’est fait de l’argent et a pris la fuite. Je ne l’ai jamais revu, tout comme l’argent qui me revenait de droit et dont je n’ai jamais pu voir la couleur. Puis Luciano m’a invité en Argentine et m’a permis de réenregistrer le titre. Depuis qu’il a posté la vidéo sur sa page Facebook, il y a eu plus de 5 millions de personnes qui se sont connectées dessus. Luciano est à la fois mon frère et le meilleur ami que je n’ai jamais eu. Depuis qu’il me manage, je n’ai jamais eu un seul problème et je respecte vraiment beaucoup ce mec…de la même manière qu’il me respecte. Love for Luce man (rires) !
Comment qualifies-tu ta propre musique ?
Je chante du reggae, mêlé à du rock et du blues. C’est ce que je fais, du reggae-rock-blues…
Les gens aiment-ils le blues en Jamaïque ?
Oui, ils aiment le blues… et spécialement quand j’en joue ! Je pratique une musique qui vient de mon âme et, à chaque fois que je chante, je fais ressortir ce que je ressens au plus profond de moi. Chaque fois que je suis sur une scène, je donne tout ce que j’ai en moi. Si tu écoutes ma voix, tu peux penser que je pleure.
Le fait d’avoir obtenu une reconnaissance de la part du public, jusqu’en France, représente-t-il quelque chose de particulier pour toi ?
Oui, bien sûr ! C’est quelque chose de vraiment spécial pour moi car il y a de cela encore 5 ans, je ne savais pas où j’allais. Aujourd’hui, je me retrouve à tourner en France et dans toute l’Europe. Je suis sur ce continent pour deux mois et c’est un fait formidable en ce qui me concerne. La seule chose que je regrette est de ne pas participer au festival de Glastonbury en Angleterre, car je n’ai pas obtenu le visa pour cela. Sinon, j’adore tout ce qui se passe pour moi actuellement. Je suis très excité (rires) !
As-tu un rêve en particulier pour l’avenir ?
Mon rêve, pour le futur, serait simplement de continuer à faire de la bonne musique. D’amener les gens et les enfants à exprimer les messages qu’ils portent en eux. Faire ce en quoi ils croient et les aider dans ce sens. D’ailleurs, tu sais, j’aimerais devenir un bon producteur d’ici la fin de ma seconde carrière.
Aurais-tu un message particulier pour ton public français ?
J’ai sorti un nouvel album et j’espère que les français vont y jeter une oreille attentive. A tous mes amis, à mes fans et aux français, je voudrais leur dire que Brushy One String les aime et qu’il espère aussi recevoir de l’amour en retour. Que Dieu vous bénisse tous…
Remerciements : Ben Makkes, Gwenaëlle Tranchant, Lisa Bécasse et tout le service de presse du Cognac Blues Passions.
brushyonestring.com
www.facebook.com/brushyonestringmusic
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