Nda : A l’aube des années 1990, le label américain Fat Possum Records a permis à un large public de (re)découvrir des artistes issus d’un véritable terroir musical. Ce dernier, nommé hill country blues, s’est vu remettre au goût du jour en se frottant à d’autres registres, tels que le rock garage voire le punk. Le côté hypnotique de cette musique n’y à pourtant rien perdu et, ainsi, de nombreuses figures héroïque ont vu leurs rythmes basiques traverser les continent et entrer en contact avec de nouveaux publics. C’est donc avec bonheur que nous avons pu croiser Junior Kimbrough, T-Model Ford, Paul « Wine » Jones, Robert Belfour et surtout le chef de file de ces derniers, en la personne de l’emblématique R.L. Burnside. Un chanteur-guitariste qui, au fil des ans, s’est instauré comme un véritable patriarche à la tête d’une longue lignée de musiciens. Ainsi, son petit-fils Cedric Burnside s’est rapidement fait remarquer à ses côtés en tant que batteur. Dans cette spécialité il s’est fait un prénom, alignant une remarquable série de collaborations (dont 3 albums en duo avec le guitariste Lightnin’ Malcolm). En 2011, l’artiste s’est pourtant montré sous un nouveau jour en nous proposant « The Way I Am », sa première tentative en solo (qui plus est en tant que chanteur-guitariste). Une initiative heureuse qui traverse, depuis, les années et qui nous a permis de découvrir l’excellent album « Benton County Relic » (Single Lock Records) en 2018. Profitant d’une tournée européenne de l’artiste, je ne me suis bien sûr pas fait prier afin de le retrouver pour l’entretien qui suit…
Afin de débuter cet entretien, Cedric, pourrais-tu me donner ta propre définition du hill country blues ?
Ma définition du hill country blues se réduit à dire qu’il s’agit d’une musique brute et incomparable. La raison pour laquelle je dis ceci, est liée au fait qu’il s’agit d’un blues très rare. Il existe de nombreuses formes différentes de musiques mais celle-ci est, comme je le disais, vraiment brute et incomparable.
Ce genre a-t-il un avenir dans le Mississippi, est-ce qu’il y a une nouvelle génération qui fait perdurer l’esprit de ce registre ?
Oui, il y a de plus en plus de jeunes, issus des nouvelles générations, qui commencent à jouer cette musique de manière de plus en plus intensive. Il existe, bien sûr, le groupe The North Mississippi Allstars qui continue de veiller précieusement sur elle. Il y a, aussi, Shardé Thomas qui est la petite-fille d’Otha Turner. Elle s’applique vraiment à faire perdurer l’âme de la musique de son grand-père. Ce style musical est donc toujours d’actualité dans le Mississippi et les jeunes générations savent l’apprécier à sa juste mesure !
Peux-tu justement revenir sur ta relation amicale avec les membres du groupe The North Mississippi Allstars, d’autant plus que tu as régulièrement joué avec eux ?
Oui, nous sommes effectivement très proches. J’aime vraiment beaucoup la famille Dickinson. Luther nous accompagnait souvent lorsque j’étais sur la route avec mon grand-père. Je devais alors être âgé de 14 ou 15 ans. Luther, quant à lui, devait en avoir 18 à cette époque. Il n’hésitait pas à partir 3 mois avec nous sur la route. J’étais donc un adolescent lorsque j’ai vraiment appris à le connaître et il est devenu un membre à part entière de ma famille. Oui, nous sommes réellement très proches !
Le fait de pouvoir jouer un blues si typique dans de nombreux pays différents, comme aujourd’hui en France, constitue-t-il une surprise pour toi ?
Ce n’est pas vraiment une surprise car je suis souvent venu en Europe auparavant. Ceci, avant même de débuter ma propre carrière. J’ai joué avec mon grand-père, R.L. Burnside, pendant un long moment. J’étais alors batteur dans son groupe et j’ai pu constater que le public européen (que ce soit en France, au Royaume-Uni, en Hollande ou encore en Scandinavie) est ouvert et qu’il apprécie cette musique venue d’une région précise d’outre Atlantique. Tu sais, c’est aussi cet enthousiasme et cette curiosité venant de sa part qui m’a poussé à débuter une carrière sous mon propre nom.
Comment expliques-tu cet intérêt venant du public européen, alors que sa culture de base est très éloignée de celle du Mississippi ?
Oui, tu sais, c’est une bonne question… Je ressens une véritable écoute de la part des européens. Ces derniers vouent un amour particulier pour la musique. Il est très différent de celui que les américains portent à cette forme artistique. Bien sûr, le hill country blues est très apprécié par une partie du public aux Etats-Unis, car cela évoque ses racines. Ces gens peuvent le porter en eux, cela est gravé dans leur chair. Les européens, quant à eux, ne peuvent pas vivre cette musique de la même manière. Ils ne connaissent pas les lieux qui l’ont vu naitre et où on peut en découvrir les spécificités dans l’environnement qui lui sied le mieux, c’est-à-dire lors de performances scéniques dans des clubs du sud des USA. Les européens lui consacrent un certain intérêt de par sa forme, mais aussi au travers de la culture qu’elle représente. Grâce à elle, ils apprennent à en savoir plus sur la région dont nous sommes originaires. C’est pour cela que je pense que les fans européens chérissent cette musique. En raison des recherchent qu’ils effectuent afin de l’appréhender au mieux puisqu’elle ne fait pas partie de leur ADN comme cela est le cas pour une partie des américains.
Justement, peux-tu revenir sur l’environnement qui était le tien dans le Mississippi ?
Oh…c’était très rude (rires) ! Non, en fait, je plaisante… Evoluer au sein de la famille Burnside est, forcément, un fait qui te fait naître en portant le hill country blues en toi. Ce registre est dans mon sang car je suis né dans cette musique au cœur de cette famille qui a tant fait pour elle. Mon grand-père organisait des fêtes à la maison et, ceci, chaque week-end. Je n’étais que l’un des nombreux petits-enfants, de cet homme, à vivre avec cette musique…à l’écouter continuellement et à danser en étant hypnotisé par son rythme. Cette musique était toujours à nos côtés car il n’arrêtait pas de jouer. J’ai donc grandi en jouant lors de ces « house partys ». Je me souviens bien de la première fois que je l’ai accompagné à la batterie durant l’une de ces occasions. Je devais être âgé de 7 ou 8 ans. Depuis ma plus tendre enfance, j’observais attentivement mon grand-père et ses amis musiciens. Mon père, Calvin Jackson, était le batteur de R.L et un jour, durant une pause j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis assis sur son tabouret. Il n’y avait aucune nervosité ambiante à cette idée. Au contraire, les gens disaient : « Hey, regardez ce jeune garçon…il vient de prendre place derrière la batterie ». Puis, je me suis lancé et ma vie n’a plus jamais été la même. A mes 10 ans, en tant que batteur, je donnais mes premiers concerts dans un juke joint local. J’étais intégré au groupe maison. Le bassiste en était Garry Burnside qui est mon oncle et qui, à ce moment-là, n’était âgé que de 12 ans. J’ai donc débuté ainsi, dans les juke joints du sud profond, avant d’effectuer ma première tournée avec mon grand-père. C’était à Toronto, au Canada, que celle-ci a débuté et j’ai alors âgé de 13 ans. Puis tu sais, par la suite,j’ai voyagé dans tous les sens mec !
Quels sont les conseils les plus précieux, prodigués par ton grand-père durant cette période, dont tu te souviens ?
Tu sais il me parlait de nombreuses choses et surtout, m’inculquait, le fait qu’il fallait vivre sa vie. Sa maison n’avait pas l’eau courante, était dépourvue de baignoire, d’électricité et il avait connu des moments très difficiles. Il me parlait de cette vie qui avait été la sienne, de ces conditions déplorables. Il me parlait aussi de la manière dont on le traitait les premières fois où il a voyagé. Personne ne l’aidait et il n’y avait jamais de place pour lui dans les restaurants. Il m’a fait prendre conscience de ces difficultés et je n’ai jamais oublié cela. Il m’a appris le respect vis-à-vis des autres et de moi-même et il m’a surtout appris l’humilité…
Chez toi, dans le Mississippi, mets-tu un point d’honneur à transmettre les leçons de vie et la musique dont tu as hérités de ton grand-père. Te considères-tu, en fait, comme un « passeur de culture » ?
Oh, c’est vraiment une question formidable… Tu sais, j’ai envie de te répondre que oui. Ceci parce qu’il y a de nombreux jeunes, issus des nouvelles générations, qui viennent me voir afin de me demander des conseils quant au maniement d’une batterie ou d’une guitare. J’adore le fait de pouvoir aiguiller ces gamins. Ceci parce que je connais la valeur de la musique dans nos vies. Pour moi, cet art représente tout et c’est lui qui peut rendre le monde meilleur. Il s’agit d’un langage universel…
Pourquoi as-tu, récemment, décidé de t’axer principalement sur la pratique de la guitare ?
Bien sûr, j’étais un batteur en premier lieu. Cependant, j’ai toujours écrit et composé des chansons. Pour cela, j’ai constamment utilisé une guitare. Je n’en connais pas forcément les clés ou toutes les astuces techniques mais je sais quel est le son que je veux obtenir. C’est vrai, je ne sais vraiment pas ce qu’est une clé tu sais (rires) ! Le fait que j’utilise une guitare aujourd’hui est lié au fait que je désire avant tout créer ma propre musique et faire de plus en plus de chansons. Je veux faire ressortir ce qu’il y a au plus profond de mon esprit. J’essaye d’en extraire la musique que je souhaite offrir puis je la joue ainsi aux gens. Je ne cherche pas à créer un style, je propose le mien tout simplement…ce qui est en moi… Je veux donc présenter mon style de guitare à la face du monde.
En tant qu’auteur, quels sont les thèmes que tu évoques et les faits que tu souhaites relater dans tes chansons ?
Tu sais, je tiens à ce que mes chansons reflètent ce qu’est la vraie vie. J’y évoque donc ce qu’est mon existence, ce que vit ma famille ainsi que mes amis. Les gens, dans leur quotidien, vivent de vraies choses, qui sont à chaque fois différentes. Certaines sont bonnes, d’autres mauvaises et c’est ce que j’essaye de refléter à travers ma musique. Je sais que de nombreuses personnes s’y retrouvent car elles vivent souvent les mêmes choses durant leurs propres existences. Il ne s’agit donc que de l’expression musicale de ces faits. Je n’ai pas besoin d’imaginer des choses complexes ou invraisemblables.
Pourquoi as-tu décidé d’enregistrer ton dernier album en date à New York (en dehors d’un titre gravé à l’Ardent Studio de Memphis) et non chez toi, dans le Mississippi ?
C’est une bonne question (rires) ! En fait, mon ami Brian Jay est originaire de Brooklyn à New York. Il a sa propre chaine YouTube (dont le nom est Jamming With J). Il invite de nombreux amis à s’y produire pendant une quinzaine de minutes. Un jour, j’ai été convié à l’un de ces enregistrements. Une fois dans le studio, nous avons filmé 3 chansons pour cette chaine YouTube. Je lui ai, aussi, interprété quelques uns des titres que j’avais récemment composé. Cet univers l’a touché et nous avons décidé de passer plus de temps dans le studio.Il s’est installé derrière sa batterie et nous nous sommes mis à jouer. Il a lancé l’enregistrement et, en à peine 2 jours, nous avions 26 nouvelles chansons de mises en boite. Soit beaucoup plus de ce dont j’avais besoin afin de réaliser un album complet. Nous en avons donc sélectionnées et, comme le son était exactement, celui que je recherchais…nous avons décidé de produire un disque ensemble.
Pourquoi as-tu appelé cet album « Benton County Relic ». Quelle est la signification de ce titre, considères-tu ta musique comme une relique ?
La plupart des gens pensent que j’évoque mon âge lorsque j’emploie le terme relique. Ce n’est, cependant, pas le cas. En effet, je cherchais simplement un terme qui illustre le son de ma musique. Ceci parce que le registre que je produis était déjà bien connu de ma famille et de mes amis avant même que je sorte ce disque. Tu sais, cette musique est l’illustration d’un genre qui existait déjà dans les années 1950 et 1960. J’aime vraiment cela, c’est quelque chose de cool pour moi ! Je cherchais donc un terme qui puisse englober et qui représente parfaitement ce registre « old school ». C’est l’un de mes amis, à Florence dans l’Alabama où se trouve le label Single Lock Records qui sort mes disques, qui m’a aidé dans ce sens. Le mot relique représente donc ma musique et non mon âge même s’il reste, parfois compliqué de l’expliquer aux gens qui continuent de me dire : « mais tu n’es pas une relique mec ! ».Bien sûr, encore une fois, je ne me considère pas comme tel. C’est cette musique qui me fait ressentir cette sensation, elle me ramène à une période bénie.
Considères-tu cet album comme différent de ce que tu as pu faire par le passé ?
Oh, oui, oui, oui…C’est sensiblement différent… Tu sais, auparavant, je mettais davantage ma musique au service d’autres personnes. C’était, principalement, le cas lorsque j’étais batteur. Je m’adaptais alors à eux, à leur musique et à leur son. Cet album est différent parce que je m’y présente surtout comme un guitariste, même si j’y joue aussi de la batterie. C’est le cas sur deux chansons… Tout le reste est constitué de morceaux sur lesquels on me retrouve à la guitare et au chant. Le style qui y est abordé est donc, tout simplement, mon propre style (rires) ! C’est là un élément primordial pour qu’il ne ressemble pas à ce que j’ai pu faire auparavant.
Existe-t-il des espoirs particuliers que tu portes en l’avenir ?
Tu sais, je tiens simplement à composer plus de musiques. Je veux retourner rapidement en studio afin d’enregistrer un nouvel album. J’en débuterai d’ailleurs les sessions dès le mois de janvier 2020. J’étudie donc, aujourd’hui, le fait de me consacrer de plus en plus à l’écriture et au développement de ce hill country blues. Ceci afin de continuer à populariser ce style auprès des gens, d’ouvrir leur yeux sur le fait que ce genre se rapporte à leurs quotidiens, à leurs existences. D’ailleurs, mon dernier album en date en est l’illustration la plus parfaite (rires) !
Je connais ton attachement au public français. Souhaiterais, en termes de conclusion, ajouter quelque chose à son attention ?
Je voudrais, simplement, lui dire un grand merci pour tant aimer cette musique et pour lui ouvrir les portes de ce pays. J’ai toujours été accueilli les bras ouvert ici et j’en suis particulièrement reconnaissant vis-à-vis du public français. Donc…merci beaucoup (rires) !
Remerciements : Chloé Pelanski, Benoît Van Kote et toute l’équipe de l’Espace Django Reinhardt.
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