Nda : Connu et reconnu pour ses talents de chanteur-auteur-compositeur, CharlElie Couture est, avant tout, un touche à tout de génie également écrivain, graphiste, photographe et peintre de renommée internationale…dont les premières œuvres ont été exposées dès 1971, alors qu’il n’était âgé que de 15 ans. Si nous avons tous en tête quelques-uns de ses plus grands succès (« Comme un avion sans ailes », « Aime moi encore au moins », « Local rock »…) et que nos platines ont toutes un jour tourné au rythme de ses albums de rock en français (parmi les meilleurs du genre) tels que « Pochette Surprise », « Poèmes Rock », « Crocodile Point », « Fort Rêveur » et tant d’autres, n’oublions pas que la culture américaine à toujours joué un rôle dominant pour celui qui s’est installé à New-York en 2004 (et a obtenu la double nationalité, franco-américaine, 7 ans plus tard).
Déjà immergé dans le blues de Chicago en 1997, CharlElie est parvenu, de main de maitre, à dompter les créatures et les âmes du bayou afin d’en ramener un disque qui fleure autant la Louisiane qu’une profonde humanité, « Lafayette » (Fontana, Universal Music 2016).
Un album que celui qui a aussi signé de nombreuses bandes originales de films (dont celle de « Tchao Pantin » en 1983), a décidé de défendre sur les scènes françaises jusqu’à l’été 2018. C’est d’ailleurs à l’occasion de l’une des premières représentations de cette tournée (au Nancy Jazz Pulsations, en octobre 2017) que je lui ai tendu mon micro pour l’entretien qui suit.
CharlElie, le fait de signer un disque à forte connotation cajun peut sembler être une évidence en ce qui te concerne… tant ta voix et ta diction se prêtent à ce registre. A quand remonte ton appréciation de cette musique ?
En fait depuis le début de ma carrière, avec ce nom « bizarre » de CharlElie que les gens ne connaissaient pas, on m’a rapidement demandé d’où je venais. Je répondais que j’étais lorrain mais, on me répliquait « tu ne serais pas, plutôt, cajun ou acadien ? ». Je disais alors « pas que je sache » mais j’entendais aussi « tu as un timbre de voix qui fait penser à celui de Dr. John ». J’affirmais alors en retour « j’aime bien Dr John etc. ». On me disait également « t’as une pulse dans la manière de placer les accords qui fait davantage penser au sud qu’au nord des USA ». De ce fait, un jour, je me suis dit qu’il faudrait vraiment que j’aille voir là-bas ce qu’il s’y passe. Il en résulte ce disque, « Lafayette », qui a été enregistré à Maurice (Louisiane) dans un studio nommé Dockside Studio. Ce dernier est donc situé à l’extérieur de la ville de Lafayette.
Tout le monde te connait en tant qu’artiste pluridisciplinaire mais tes connaissances, en termes de musiques américaines, sont moins mises en exergue que tes autres qualités musicales ou poétiques. Tu as enregistré dans de nombreuses villes et avec beaucoup de musiciens d’outre Atlantique. Notamment en 1997 lorsque tu t’es confronté au Chicago blues avec « Casque Nu ». Près de vingt ans plus tard, as-tu trouvé de grandes différences entre l’approche musicale des musiciens issus du sud et celle des instrumentistes du nord ?
Les musiciens de Chicago sont ceux qui ont joué le blues qui est remonté par le Mississippi. Ils se sont installés dans une sorte d’urbanité, qui a transformé ce blues rural en une musique urbaine. Du coup, moi qui me définis plus comme un poète urbain que comme un poète de la campagne, je suis d’abord allé à Chicago pour essayer de m’imprégner de ce registre. J’aimais beaucoup Lightnin’ Hopkins qui étais du sud mais j’étais davantage touché par les registres électriques de B.B. King ou de John Lee Hooker. Sans parler des artistes de Chicago… Je me suis donc d’abord rendu dans l’Illinois.
La différence entre la musique des villes et la musique plus rurale réside dans le timbre des instruments employés. J’ai l’habitude de dire que le blues est une sorte de question existentielle. Je crois que le rock est un point d’exclamation (une espèce de cri), que la chanson est un point (c’est fini, la chose existe), que le jazz est un point de suspension et que le blues est un point d’interrogation.
C’est un peu comme si on se tournait vers les puissances supérieures de l’esprit et qu’on disait « mais putain, pourquoi je suis dans cette merde…pourquoi Dieu m’a-t-il mis dans cette embrouille qui fait que je n’ai plus de came, plus rien à boire ou que ma femme m’a quitté ? ». Le blues est donc lié à une sorte de question existentielle qui est posée différemment, selon que l’on soit au milieu d’une nature aride ou dans le tumulte d’une urbanité. Les musiciens reflètent cet état d’esprit là…
Comment l’idée de te lancer dans l’aventure « Lafayette » est-elle venue à toi. Etait-elle mûrement réfléchie ?
Pour être honnête, c’est une chose très intime… A la fin de la deuxième guerre mondiale, ma mère s’est installée aux Etats-Unis (à Jacksonville en Alabama, puis à Kenosha dans le Wisconsin) afin d’y enseigner le français. Puis elle est revenue en France où elle a rencontré mon père…je suis né de cette union. Elle avait gardé, de ses années passées aux USA, quelque chose de particulier qu’elle m’a transmis. Naïvement, en tant qu’enfant (parce que nous parlions quotidiennement anglais ensemble pour des choses de la vie courante), j’avais le sentiment que l’anglais était ma langue maternelle.
Quand ma mère a quitté ce monde, il y a trois ans, je me suis dit que pour lui rendre hommage je pourrais me rendre dans la ville la plus francophone de cette « bulle » qui se trouve au milieu de l’Amérique. C’était une manière de rendre hommage à cette double culture que je possède en moi. Je la vis d’autant plus, depuis que je me suis installé à New-York il y a une quinzaine d’années.
As-tu ressenti quelque chose de particulier la première fois que tu as posé un pied en Louisiane ?
Si tu veux, c’est un peu comme quand on arrive au Québec et qu’on a l’impression d’avoir une espèce de complicité qui s’établie (même si c’est très virtuel) avec cet endroit. Tout à coup, le fait de lire des choses en français et de voir l’amour que les autochtones ont pour ce que la France évoque est une joyeuse révélation. Cependant, la Louisiane demeure un état des Etats-Unis. Ce sont des français qui habitent aux USA depuis 250 ans, donc c’est particulier…
En même temps, on y trouve une connivence qui s’établie avec rapidement avec les habitants. Ces derniers possèdent un côté premier degré. Ils sont sincères et moins sophistiqués (pour ne pas dire maniérés) que des gens issus d’autres cultures qui, elles, se régalent de secrets. Au contraire, les gens que nous avons rencontrés n’ont rien à cacher. Il y a donc une amitié (sans manières) qui s’instaure rapidement avec eux. C’est une chose très agréable qui, je le pense, se ressent dans le disque « Lafayette » qui a été enregistré là-bas.
Connaissais-tu déjà les musiciens avant l’enregistrement. De quelle manière s’est montée l’équipe musicale que l’on retrouve à tes côtés sur l’album ?
Cette dernière s’est montée en deux temps. Dans un premier temps, j’ai contacté un musicien que je connais bien et qui s’est installé en Louisiane. Il s’appelle Olivier Scoazec (connu pour avoir, notamment, joué avec Zachary Richard il y a quelques années). Il m’a fait un certain nombre de suggestions puis il a disparu…et c’est devenu un peu compliqué. J’ai donc contacté la personne qui s’occupe du Festival Internationalde Louisiane, à Lafayette, qui m’a connecté avec d’autres musiciens qu’elle connaissait. Nous avons joint, un par un, ceux qui étaient disponibles. De fil en aiguille, chacun nous amenait un autre musicien. Ce bouche à oreille nous a permis de constituer l’équipe. Personne ne cherchait à tirer la couverture à soi ou de prêcher pour sa propre paroisse.
Il y a beaucoup d’excellents musiciens en Louisiane et ils ont tous envie de jouer. Les choses se sont donc passées naturellement. La rencontre avec mon copain Louis Michot en est l’exemple. Je l’avais appelé depuis New-York et je ne savais pas s’il serait disponible pour les sessions. Il est venu me voir, nous nous sommes promenés ensemble etc. Naturellement, il m’a demandé ce que nous allions faire, ce que nous allions jouer. C’est de cette manière que la chanson « Maison soleil levant » (adaptation du traditionnel « House of the rising sun », nda) est apparue. C’est davantage le larron qui fait l’occasion que l’occasion qui fait le larron…
Louis Michot est quelqu’un que tu fais découvrir au plus grand nombre à travers ce disque. Peux-tu me parler de lui ?
Franchement, c’est quelqu’un que les gens doivent absolument découvrir ! Je suis certain que les festivals estivaux se réjouiraient à l’idée de lui permettre de « foutre la patate » avec l’énergie qu’il possède. Il joue de la musique traditionnelle cajun, mais on y perçoit distinctement un rock sous-jacent. Elle peut aussi être lancinante, répétitive et dansante… On y trouve toujours beaucoup de ferveur, elle est géniale ! Quand on parle de musique de Louisiane on pense souvent à Zachary Richard, qui est une véritable institution. C’est un grand bonhomme qui possède une vraie histoire mais qui est différente de celle de ces jeunes musiciens louisianais. Ces derniers ont assimilé la culture française, sans que ce soit une « revendication » car elle est en eux. Ils sont, aussi, complètement immergés dans la musique américaine et arrivent à confondre ces deux genres. De ce fait, leur style est aussi accessible que dynamique.
Malheureusement, on ne connait pas assez bien Louis Michot en France, alors que c’est un mec qui donne plus de 200 concerts par an aux USA. Il joue tout le temps, dans des conditions très différentes. Il peut se produire devant de grandes foules un jour, puis devant 53 personnes le lendemain. Il donne, pourtant, autant de sa personne à chaque fois. Son groupe s’appelle The Lost Bayou Ramblers, sa musique est vraiment belle. Avec Louis, j’ai donné une série de concerts à New-York. Il était invité, notamment chez John Zorn, comme étant quasiment un auteur de musique contemporaine. Sur 4 ou 5 jours, il faisait deux concerts quotidiens en livrant, à chaque fois, une prestation différente. Au final, c’est comme s’il avait donné 10 concerts différents. Soit il se produisait seul, soit en duo, soit avec un ensemble de violons, soit avec un groupe complet, soit avec un autre chanteur… Il faut, vraiment, retenir son nom !
Quel était l’état d’esprit qui t’animait au moment de rentrer en studio, au contact de ces musiciens. Des gens qui se sont relevés de beaucoup de catastrophes (naturelles et moins naturelles), dans un pays en plein chamboulement politique ?
Quand j’y suis allé, c’était avant le « deuxième drame ». En effet il y a eu Katrina, qui a fait du mal à la côte, mais eux avaient été relativement peu « dégommés » par cet ouragan. Ceci parce que la ville de Lafayette se situe à l’intérieur des terres. En bas tu as New Orleans, plus en haut Baton Rouge puis, encore plus haut, Lafayette. Par contre, 6 ou 8 mois après ma venue, d’incroyables orages tropicaux ont frappé cette ville. Ils ont fait déborder les rivières. Les habitants de Louisiane subissent, de plus en plus, des assauts liés au dérèglement climatique.
En ce qui concerne le chamboulement politique, il n’était pas encore évident à ce moment-là. La Louisiane est l’un des états les plus pauvres des Etats-Unis, même si on y trouve des gens très fortunés en raison des champs pétrolifères. La majorité de la population vit dans des conditions très difficiles. Pour ces gens-là, la musique est une deuxième issue. Ils ont un métier et, en plus, ils sont musiciens. De ce fait, ils n’ont pas le même rapport du sacré avec la musique. Cet art est, pour beaucoup de locaux, l’occasion d’exercer une deuxième profession liée à l’ambiance. Bref, ce sont des « ambianceurs » (rires) !
Ce disque est chargé d’amour et d’humour mais on y ressent, aussi, une certaine solitude (et ce dès sa pochette). Cette dernière reflète-t-elle ce que peut ressentir le peuple louisianais ?
Oui et le disque, lui-même, est envahit d’une espèce de tristesse intérieure liée à l’angoisse de ce que nous vivons tous actuellement. En même temps, à la manière des cortèges funèbres qui refusent de se faire envahir par la tristesse, cet état s’efforce de garder la tête haute, même quand l’angoisse et la morosité sont présentes. Dans ce disque, on trouve quelque chose de sérieux et de grave mais l’ensemble est emballé dans une forme de « joyeuseté »…même si l’expansion que l’homme s’est accordé à lui-même sur cette planète est terriblement inquiétante. Où que tu sois sur terre, tu es conscient des ravages écologiques que nous sommes en train de faire. Que ce soit dans la faune, dans la flore ou dans l’industrialisation à outrance…tout devient très dur. Que vais-je transmettre à mes enfants si je leur dis que nous allons leur laisser un monde de merde et que le fait de se battre ne leur servira à rien… Qu’est-ce qu’ils vont faire…se droguer ? se pendre ? voter Trump ? so what ?
Tout cela serait « la solution du pire ». Mais ce n’est pas ça, par dignité il faut s’efforcer de poursuivre son train de vie. Je sais que des gens me prennent parfois pour une espèce de naïf, provincial et bourrin. Cette fausse candeur est celle qui fait que je m’efforce de passer, avec dignité, les heures qu’il me reste à vivre.
Bien sûr, Zachary Richard est présent sur l’album. Je suppose que tu es, particulièrement, sensible à son message lié à la défense de la francophonie aux Etats-Unis…
Oui, d’autant plus qu’il l’a merveilleusement mis en forme et raconté… Pour faire bref, la Louisiane était un état qui appartenait à la France. Quand les Etats-Unis se sont libérés, les anglais sont remontés au Canada et ils ont mis la « pression grave » sur les francophones. A ce moment-là, ces derniers sont redescendus afin de se « protéger » dans un endroit qui s’avérait plus amical, à savoir la Louisiane. Ces acadiens, qui sont devenus des acadiens-cajuns, sont restés là en vivant difficilement (le plus souvent de la terre).
Quand la deuxième guerre mondiale est arrivée, ils ont fait partie de ceux qui se sont engagés en masse dans l’armée américaine afin de défendre la France, le pays dont ils avaient tant rêvé. Dans cette armée, tout le monde parlait évidement l’anglais. C’est pourquoi, quand ils sont revenus de la guerre, ils ont eu le sentiment que le fait de parler anglais était essentiel pour pouvoir s’en sortir sur ce territoire. Donc, les acadiens se sont mis à proscrire le français et à considérer cette langue comme étant celle des « pauvres ».
Petit à petit, grâce à des gens tels que Zachary Richard (qui se sont mis à réveiller une conscience d’éthique), le français s’est à nouveau développé. Aujourd’hui, le fait de parler à la fois l’anglais et le français est devenu un signe de richesse d’esprit. Les choses évoluent donc positivement, mais il ne faut pas oublier les périodes durant lesquelles notre langue était totalement interdite d’instruction à l’école…
Il y a de cela quelques années, un groupe européen (suisse en l’occurrence) nommé Mama Rosin’ a « dynamité » le registre cajun en y ajoutant une touche « punkifiante ». As-tu écouté cette musique et, si oui, qu’en penses-tu ?
Oui, absolument, je connais bien ! Au départ, c’était très bizarre d’entendre des suisses chanter avec l’accent cajun…car ce n’est pas vraiment naturel chez eux. Cependant, ces musiciens en avaient fait quelque chose de très sympa. Leur aventure n’a duré que le temps de quelques disques mais cet « épiphénomène » a marqué son époque. Aujourd’hui, avec le groupe Duck Duck Grey Duck, Robin Girod (qui était le chanteur-guitariste de Mama Rosin’, nda) continue de faire des choses qui sont bien. Même si ces dernières sont moins influencées par la musique de Louisiane. Mama Rosin’ c’était vraiment chouette, puis j’adore ce mec !
Il est, par ailleurs, très fan de l’album « Lafayette »…
Oui, oui, tout à fait…et le disque le mérite (rires) ! Encore une fois, j’aime beaucoup ce mec !
De quelle manière envisagerais-tu de donner une suite à « Lafayette » ?
Aller là-bas était un rêve. En faisant cela, j’ai enfilé un costume et les gens m’ont accordé leur confiance. Si tu veux, je me suis senti comme un acteur qui joue un rôle, face à un public qui l’accepte totalement. Les gens me disent que ce registre me colle à la peau mais je n’oublie pas que je suis, avant tout, français. Lors de mes concerts à Los Angeles et San Francisco, les gens avaient eu l’information que je m’étais rendu en Louisiane pour enregistrer ce disque. Ils venaient donc, au départ, pour écouter cette musique. Puis, ils se rendaient compte que mon univers était plus large et que je n’étais qu’un français qui chantait la Louisiane. Ils se demandaient comment cela se faisait… Je suis donc tout à fait conscient que j’ai pris beaucoup de plaisir à faire ce disque, mais que je ne me transforme pas pour autant. Même si j’en porte de temps en temps, je ne porte pas exclusivement des salopettes (rires) !
La suite sera, peut être, en liaison avec le fait que j’ai choisi de revenir passer plus de temps en France. Il y aura, forcément, des connexions avec « Lafayette » mais j’ai suffisamment montré, tout au long de ma carrière, le plaisir que j’avais à expérimenter différents genres musicaux pour que l’on accepte l’idée que je puisse continuer ma route…et pas seulement m’arrêter là (rires) !
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Vive la vie et continue ! Longue vie aussi à Sarah McCoy, qui va passer sur scène avant moi ce soir. J’aime beaucoup le timbre de sa voix. Tout cela est vraiment super !
Remerciements : Coralie Arnould et Stéphanie Collard du Nancy Jazz Pulsations
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