Charlie, pour débuter cet entretien, peux-tu
revenir sur ton enfance dans le Mississippi ?
Oui, je suis né à Kosciusko, Mississippi le 31 janvier 1944.
Très jeune, à l'âge de 3 ans, j'ai déménagé
à Memphis mais j'ai continué pendant de nombreuses années
à passer mes étés à Kosciusko.
Quelles ont été tes premières
sensations musicales à ce moment-là ?
Memphis est la ville de la musique, il y en avait à chaque coin
de rue à cette période.
Au début j'ai été particulièrement touché
par le Gospel, plus précisément par les voix des chanteurs.
J'appréciais aussi bien le Gospel blanc que le Gospel noir
Puis à force de parcourir les rues de la ville je suis tombé
sur des musiciens de Blues et, à un degré moindre, sur des
artistes de musique Hillbilly.
Les radios diffusaient beaucoup de Blues, de musique Hillbilly mais aussi
les tous premiers enregistrements de Rockabilly. Pour moi cette musique
était un amalgame parfait entre le Blues et la Country. Quand je
dis Country, j'évoque le Hillbilly traditionnel car la Country
Music est devenue, aujourd'hui, un genre de Pop Music. Avant la vieille
musique Hillbilly avait une vraie personnalité et une âme
avec des gens comme Hank Williams.
Quand je me promenais dans les rues de Memphis, il m'arrivait de tomber
sur Johnny Burnette et son frère Dorsey qui étaient
des précurseurs du Rockabilly (fondateurs du Rock'n'roll Trio
avec Paul Burlison, Nda). J'ai donc commencé à
fréquenter et à jouer de la guitare avec ce genre de personnages
Un jour en rentrant à la maison j'ai dit à ma mère
" J'ai rencontré des garçons avec lesquels je joue
de la musique! ", elle m'a répondu " Bien, mais
je ne veux pas que tu boives avec eux ! " (rires).
Etait-ce ton premier contact avec la musique ou
en pratiquais-tu déjà auparavant ?
Il faut dire que de nombreuses personnes au sein de ma famille faisaient
de la musique. Ma grand-mère jouait du piano à l'église.
Mon père jouait de la guitare, de la mandoline, de l'harmonica
et ma mère, quant à elle, jouait aussi du piano. J'avais
un oncle qui se produisait en one man band (homme orchestre). Il
savait jouer de nombreux instruments et en avait même créé
un avec un récipient d'eau et un tuyau. Il se conduisait comme
un hobo, allant vers les gens pour leur proposer ses services.
Cependant, dans ma famille, personne n'était professionnel bien
que nombre de ses membres jouaient
A force de voyager à travers le monde, il m'est souvent arrivé
de rencontrer des gens du nom de Musselwhite dans plusieurs pays. Beaucoup
d'entre eux jouent de la musique, sans être professionnels
Ça peut être du Blues, du Gospel ou autre chose
Je finis par penser que c'est génétique (rires)!
Pourquoi as-tu décidé de partir
pour Chicago ?
Dans un premier temps c'était pour me perfectionner dans l'apprentissage
de l'harmonica et de la guitare. J'avais simplement quelques notions d'harmonica
et ne pratiquais quasiment pas la guitare. Mon père m'avait donné
la sienne alors que j'avais 14 ans et comme j'écoutais déjà
du Blues depuis un bon moment
J'aimais le Gospel, le Hillbilly, j'écoutais aussi un peu de jazz
mais le Blues était la musique qui me procurait le plus de sensations.
J'aime le blues
Au bout d'un moment je me suis donc dis " j'ai une guitare, un
harmonica, il faut donc je j'apprenne à créer mon propre
style de Blues ".
J'avais eu la chance de rencontrer de nombreux chanteurs de Blues à
Memphis comme Will Shade, Furry Lewis, Gus Cannon, Abe McNeal, Red
Roby, Memphis Willie B.
Je pouvais discuter avec eux, boire un verre et passer du bon temps.
Cependant je n'avais jamais l'occasion de participer à des jams
sessions. A ce moment-là je n'avais pas l'intention de devenir
un musicien professionnel mais je voulais jouer car j'aimais la musique.
Je pratiquais pour moi-même, c'était un hobby
Ecouter du blues me fait me sentir bien, jouer le Blues me permet d'aller
encore mieux!
Je suis donc allé à Chicago à l'âge de 18 ans
afin de trouver du travail dans une usine. C'est alors que j'ai découvert
tous ces gars qui faisaient de Chicago la ville du Blues. Avant de me
rendre dans cette ville je n'en connaissais rien
Mon premier job a été conducteur pour une entreprise de
dératisation. A chaque fois que je passais devant la fenêtre
d'un bar je voyais des affiches qui annonçaient Muddy Waters, Howlin'
Wolf, Elmore James. J'avais du mal à croire que tous ces gens vivaient
dans cette ville!
A chaque fois que ma journée était terminée, je me
rendais dans l'un de ces clubs afin d'écouter le Blues et tous
ces gens qui étaient mes héros
Tu as enregistré ton premier album en 1966,
à cette même période Paul Butterfield, qui était
aussi chanteur - harmoniciste, était un concurrent pour toi ou
un ami ?
Je connaissais très bien Paul Butterfield !
Avant de le connaître, alors que je jouais dans un Club, quelqu'un
m'a demandé si je me prénommais Paul. J'ai répondu
que non, que mon prénom était Charlie. On nous avait confondu
car nous étions tous les deux des harmonicistes blancs du même
âge.
Par la suite je l'ai rencontré, nous avons passé beaucoup
de bons moments ensemble. Nous nous rendions dans les clubs afin de boire
quelques verres et de jouer le Blues.
Quand as-tu quitté Chicago pour t'installer
en Californie ?
Je n'ai pas vraiment décidé d'aller en Californie. J'étais
à Chicago où je continuais à travailler à
l'usine tout en jouant dans les Clubs. Dès la fermeture du Club
venue je retournais travailler à l'usine
Ce n'était pas une situation très facile
Un jour on m'a proposé de réaliser mon premier album ("
Stand Back! " label Vanguard, Nda). J'étais d'accord et
en 3 heures j'ai enregistré mon premier disque. J'étais
surtout intéressé car cette session me permettait de réunir
assez d'argent afin de m'acheter un nouvel ampli.
Après la sortie du disque je suis allé voir un agent. Je
me sentais bien à Chicago mais ce dernier me proposait de faire
des concerts en Californie pendant quelques mois. Comme on me proposait
de meilleurs cachets, j'ai accepté.
Après 10 minutes sur place, je ne voulais plus revenir à
Chicago (rires)
C'était vraiment un plaisir d'y être et d'y jouer. Avant
je jouais dans des petits bars à Blues assez sauvages pour une
poignée de monnaie et là je me retrouvais dans des grands
Clubs, au milieu des hippies, pour un bon salaire. C'était très
excitant, d'autant plus que sur la " West-Coast " les radios
passaient mon disque
Ceci dit je garde un très bon souvenir de Chicago qui est une ville
que j'aime encore profondément.
En Californie il y a beaucoup d'autres très
grands harmonicistes, quels sont tes préférés ?
Il y a beaucoup d'harmonicistes sur la " West-Coast " et partout
ailleurs!
Aujourd'hui il y en a des centaines
Une amie à moi est une jeune harmoniciste d'origine mexicaine qui
vit à Santa Ana. Elle se fait appeler Sonny Girl en hommage
à Sonny Boy Williamson..
La popularité de l'harmonica est formidable, il y a des livres,
des DVD, des CD et des tonnes d'informations qui permettent à tout
le monde de connaître les rudiments de l'instrument.
Mes harmonicistes préférés sont Kim Wilson,
mon regretté ami William Clarke (décédé
en 1996, Nda) qui était formidable, Rick Estrin, Mitch Kashmar,
James Harman qui est aussi un bon ami.
Je ne peux pas oublier de citer Carey Bell, récemment décédé,
avec lequel j'avais eu l'occasion de jouer dans les rues de Chicago, notamment
à Maxwell Street.
Connais-tu des musiciens français ?
J'ai rencontré Jean-Jacques Milteau qui est un harmoniciste
formidable et qui était venu me voir lors d'une soirée.
J'étais aussi, hier, à une fête organisée pour
l'anniversaire de Jacques Périn (créateur de la
revue Soul Bag, Nda), il y avait un autre harmoniciste, Vincent
Bucher, que je ne connaissais pas et que j'ai aussi trouvé
très bon.
Peux-tu revenir sur tes meilleures collaborations
?
Je garde un excellent souvenir de ma collaboration avec les Blind Boys
Of Alabama qui est un de mes groupes préférés.
A chaque fois que je les entends, ils me donnent envie de bouger!
J'apprécie chaque membre de ce groupe et j'aime autant jouer avec
eux que simplement les entendre.
Sinon il y a Quartero Patria de Cuba qui reste une expérience
que j'ai adorée. Nous avons enregistré ensemble et aussi
fait une tournée qui est passée par l'Espagne, la Scandinavie,
le Mexique, la Californie etc
C'était une grande expérience de mélanger le Blues
avec des chansons cubaines traditionnelles. Cela fonctionnait parfaitement
!
(Charlie a travaillé aux côtés de nombreux autres
artistes aussi divers que John Lee Hooker, Bonnie Raitt, Tom Waits, INXS
ou encore Ben Harper, Nda)
Mais le Blues reste ta musique de prédilection
!
Oh oui, le Blues est ma musique préférée. Si je devais
ne choisir qu'un artiste ce serait Charley Patton. C'est le Country-Blues
que j'aime le plus
C'est une musique magique où il n'est pas nécessaire d'être
un grand technicien. Il te suffit de jouer et de parler de ta musique
avec ton cur. Si tu vas à Chicago il n'est pas nécessaire
de t'appeler Muddy Waters pour que les gens te reçoivent et t'écoutent.
Il n'est pas utile, non plus, d'être un " monstre " de
la guitare ou de l'harmonica. Il te suffit de jouer avec ton cur.
Si tu sais faire cela, tu es le bienvenu.
Le Blues vient du cur
Quels sont tes projets ?
J'ai une tournée en prévision aux côtés de
Mavis Staples et des North Mississippi All Stars. Cette
tournée sera assez longue car elle devrait durer deux mois. J'y
prendrai sûrement beaucoup de plaisir!
J'adore Mavis depuis
toute ma vie (rires)!
Je connaissais son père Pop Staples et toute sa famille
(Staples Singers, Nda) qui sont des amis à moi.
Le prochain disque que je vais enregistrer sera produit par Charlie
Sexton (ancien guitariste de Bob Dylan, Nda), ce sera un album
de duos avec Jimmie Vaughan. J'attends l'enregistrement avec beaucoup
d'impatience
As-tu autre chose à ajouter en conclusion
?
Je suis vivant et bien portant!
Le Blues est vivant et bien portant!
Si vous aimez le Blues allez à Clarksdale, Mississippi (ville
du delta où jadis WC Handy entendit pour la première fois
un Blues alors qu'il attendait son train, Nda), vous pourrez y voir
jouer des gens comme T Model Ford et vous vous rendrez compte que
le Blues est encore " Alive & Well ", aujourd'hui, dans
le Delta.
Playing the Blues (rires)!
Remerciements: Gersende (chargée
de Communication du Méridien), Sue Schrader Charlie's management).
www.charliemusselwhite.com
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