Chris Jagger
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : C’est au volant d’une Mercedes break sans âge, un chapeau de cow-boy vissé sur la tête, que Chris Jagger a signé une arrivée tonitruante Au Camionneur, à Strasbourg, où il s’est produit quelques heures plus tard. Pourvu d’un enthousiasme communicatif, l’artiste n’a pas eu de mal à gagner la sympathie des personnes présentes à ce moment-là.
Loin d’un show-business qu’il connait bien mais auquel il ne cherche pas à faire du pied… il a surtout démontré à tous que sa passion pour le folk, le blues et la country music restait intact et que son talent ne devait rien à personne.

Chris, dans un premier temps, peux-tu me présenter les deux musiciens qui jouent avec toi au sein du Chris Jagger’s acoustic trio ?cj
Oui, bien sûr !
J’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur deux excellents musiciens. Dans un premier temps, il y a Elliet Mackrell qui est une très talentueuse violoniste. En plus de ce trio, elle a eu l’occasion de jouer avec des artistes tels que Billy Bragg, Tim Wheater, Moodswings, Rory McLeod, Daevid Allen et avec le groupe Gong. Elle maitrise également parfaitement l’art du didgeridoo et assure des parties vocales à mes côtés. A la contrebasse il y a David Hatfield qui est un solide spécialiste du genre.   Tous ensembles, nous effectuons un véritable travail d’équipe. Il n’y a pas une individualité qui cherche à faire de l’ombre à l’autre.

De quelle manière est-il possible de décrire ton approche musicale ?
Le dernier disque que j’ai réalisé (un autre est sur le point d’être achevé très prochainement) a été conçu avec mon groupe Atcha ! qui est plus étoffé que le trio car on y trouve aussi un batteur, un claviériste et divers autres musiciens et choristes.
Ensemble nous avons donc enregistré cet album, intitulé « The Ridge » (2009), dont le « code musical » est le fruit d’un travail très personnel. Il est constitué de chansons que je n’avais pas eu l’occasion d’enregistrer par le passé. Les titres en question peuvent, aussi bien être destinés à un groupe complet qu’à des configurations plus intimistes. Les gens qui jouent avec moi sont Danny Thompson à la contrebasse, John Etheridge à la guitare, Malcolm Mortimer à la batterie etc…

C’est un album est vraiment conçu pour être écouté attentivement. Par exemple lorsque vous rentrez chez vous, que vous êtes assis quelque part et que vous avez envie d’écouter tranquillement un disque. C’est un bon CD à passer lorsque l’on veut se poser et se relaxer. Il n’est pas fait pour que les gens dansent dessus. Ces morceaux, je peux aussi les jouer seul, sans avoir à être accompagné par un grand groupe.
Je vis dans le comté de Somerset, qui est situé à l’ouest de l’Angleterre. Pour être plus précis, j’habite au sud de Bristol...
Nous sommes tous, plus ou moins, du coin ce qui nous permet de nous réunir régulièrement afin de nous produire dans cette région. Notre travail est artisanal. Je produis mes propres CD et je conduis moi-même la voiture qui nous mène de concert en concert. Nous y mettons simplement la contrebasse à l’arrière ainsi que deux amplis. Nous donnons des concerts dans des petits endroits et des lieux confinés, comme cela était le cas il y a deux semaines lors d’une tournée en Suisse. Dans certains lieux, il y avait juste deux micros. Nous arrivons et nous interprétons mes chansons ainsi que quelques reprises. Le fait de jouer sur de grandes scènes ou de grands clubs, nous obligerait à avoir un matériel plus conséquent afin de pouvoir dégager davantage de puissance et de faire plus de « bruit ».

Musicalement, y-a-t-il une grande différence entre ce que tu fais dans le trio et avec le groupe Atcha ! ?
Nous venons d’enregistrer un album en France. En partie dans le Château de « Fourchette » qui appartient à mon frère (il s’agit bien sûr de Mick Jagger, le charismatique chanteur des Rolling Stones, nda) et qui se situe à Pocé-Sur-Cisse près d’Amboise (Indre-et-Loire). Les sessions se sont déroulées au mois de mai 2012 et il faisait très chaud. J’y ai fait venir le groupe et je crois que nous avons fait là un très bon album, qui  sortira très bientôt. J’ai écrit les chansons avec Charlie Hart (qui joue du violon, de l’accordéon et des claviers au sein du groupe Atcha !, nda). C’est Jim Mortimore, le fils de notre batteur, qui produit le disque et qui joue de la guitare dessus. Il n’a qu’une trentaine d’années et il tourne avec beaucoup d’artistes différents en Angleterre, c’est pour cela que la sortie du CD a été différée. Il est trop occupé pour pouvoir continuer à travailler avec moi. Nous allons donc, peut-être, continuer l’aventure du groupe Atcha ! sous la forme d’un autre trio avec Malcolm et Charlie…

Quelle est la signification du mot « atcha ». Pour un petit français comme moi ce terme n’évoque pas grand-chose, il est plutôt étrange ?
Il veut simplement dire « ok » en indien…

Peux-tu revenir sur tes premiers souvenirs liés à la musique ?
J’ai été exposé à tout un tas de musiques puisque mon frère me faisait profiter de son tourne-disque. Lorsqu’il avait 17 ans, j’en avais 12 et demi ce qui est très jeune. D’autant plus que qu’à cet âge-là j’ai été confronté à la musique d’artistes tels que Muddy Waters et Jimmy Reed, ce qui n’était pas ce que les gens écoutaient le plus au début des années 1960 (rires). Il y avait en effet peu de gens âgés de 12 ans qui devaient écouter Muddy Waters (rires) !
D’ailleurs j’ai toujours conservé ce goût et tu constateras lors de mon concert, ce soir, que j’apprécie le fait d’utiliser un bottleneck et de reprendre des titres de Muddy Waters. Parmi mes premières influences, il y avait aussi Howlin’ Wolf et du rock’n’roll. Tu sais, mes goûts se sont élargis à force de voyager à travers le monde. J’ai, par exemple, été très touché par l’Inde. N’ayant jamais été amené à suivre une éducation musical au sens strict du terme, je peux t’avouer que c’est là-bas que j’ai vraiment appris à maitriser l’art du chant. J’y ai passé quelques mois et y ai fait appel à des professeurs  locaux. Je chantais un petit peu et apprenais leurs notes. Ces gens-là sont aussi à classer au rang de mes influences.

Tu as travaillé dans des milieux artistes différents (cinéma, théâtre, décoration, mode…). Peux-tu revenir sur ton parcours qui est très diversifié ?
Si tu veux faire quelque chose de ta vie, tu ne dois pas avoir peur de toucher à des activités diversifiées. J’ai été comédien, c’est d’ailleurs le métier que je voulais exercer lorsque j’ai quitté l’école. Cependant, je ne me suis pas vraiment rapproché de la scène londonienne à ce moment-là et ne suis pas non plus allé à l’Université. J’ai préféré partir en Inde pendant environ deux ans puis je suis revenu et j’ai participé au spectacle « Hair ». J’ai effectué une tournée pendant 6 mois avec cette troupe. C’est d’ailleurs le premier show musical auquel j’ai participé…
Puis, j’ai commencé à écrire des chansons. Ceci-dit je n’ai pas pu en vivre immédiatement et, lorsque tu as des enfants, tu n’as pas d’autres choix que d’exercer des professions alimentaires afin de pouvoir joindre les deux bouts. Ainsi j’ai, par exemple, été chauffeur de taxi et j’ai pratiqué quelques autres métiers…
 J’ai également étudié le journalisme et l’écriture, mais il était aussi difficile de ne gagner suffisamment d’argent que par ce biais…

Comme tu viens de le dire, tu as été journaliste pour de nombreux médias. Etais-tu spécialisé dans la musique ?
J’ai débuté grâce à un gars de Belgique qui avait un magazine (la revue Backstage, nda) et qui m’a demandé d’écrire pour lui. Puis j’ai collaboré avec des supports anglais, surtout dans les années 1980, ainsi que pour un magazine américain. J’obtenais des disques et des billets de concerts gratuits et je suivais des groupes. Je suis allé voir beaucoup de gens, ce qui m’a permis de les observer et de savoir dans quelle direction je pouvais aller. C’était très intéressant et je pense que j’ai davantage écrit puis joué de la musique après avoir fait des papiers à ce sujet. J’ai également signé des articles sur mes voyages et sur des questions environnementales, mais c’est surtout la sphère musicale qui a eu mes faveurs en tant que journaliste.

Dans ce domaine, tu travailles aussi avec John Peyton. Comment présenterais-tu ce projet commun nommé « I got the blues » ?
Il m’avait fait venir dans son émission de radio au Texas, comme j’aime aussi la radio c’était fun et je l’ai fait avec plaisir !
Ensemble, nous avons produit un petit film qui a été réalisé à Austin juste au moment où les Rolling Stones venaient de donner quelques concerts aux alentours. Nous sommes ainsi allés à la rencontre d’artistes emblématiques du blues. Nous avons, par exemple, interviewé Pinetop Perkins chez lui… il était très âgé puisqu’il avait plus de 90 ans. Nous avons aussi vu Hubert Sumlin qui, lui aussi, est

C’est un chouette petit film fait en dehors de notre show à la radio.
Ce n’est d’ailleurs pas ma seule expérience dans le domaine car j’avais déjà présenté une émission, pour la BBC2, consacrée à Alexis Korner qui est un peu le parrain de la scène blues britannique. J’aimerais réaliser davantage de programmes de ce type mais il est, malheureusement, devenu très difficile 7de nos jours d’obtenir le feu vert des instances dirigeantes des radios…

A titre personnel, que représentait Alexis Korner pour toi ?
C’était un travail intéressant dans la mesure où je me suis rendu-compte que je ne connaissais pas beaucoup de choses sur lui, en dehors de ce que tout le monde sait.
Alexis Korner était un musicien formidable, tout le monde l’apprécie aujourd’hui à sa juste valeur. C’était aussi un personnage à part, dans la mesure où il était un véritable européen avant l’heure. Il est né à Paris, en France, le 19 avril 1928 (il est décédé le 1er janvier 1984, nda).cj
Son père était un juif autrichien alors que sa mère était à moitié turque et à moitié grecque. Ils ont été évacués vers Londres lorsque les allemands ont envahi la France. Leur départ a été une véritable expédition. Puis, Alexis a vite été considéré comme le mouton noir de la famille en raison de sa grande attirance pour la musique.
Il a été l’un des premiers, à Londres, à introduire des magazines sur la musique, sur les arts, ainsi qu’une nouvelle manière de penser. Mon frère, Charlie Watts, Eric Clapton, Paul Jones et bien d’autres ont été très influencés par lui. Il était leur ainé et les a aidés au début de leurs carrières respectives, en leur permettant de se produire à ses côtés. Il leur a donné confiance et les a encouragés à développer leurs talents. Il était un véritable précurseur et l’un des premiers blancs en Europe (et peut être au monde, y compris en Amérique) à faire du blues. C’est sans doute grâce à lui qu’un groupe comme les Rolling Stones a pu voir le jour. Keith Richards, Brian Jones ont pu le rencontrer facilement. C’était une scène si minuscule à cette époque. Les gens qui avaient cette culture en commun formaient rapidement une famille. Tous ont beaucoup appris à travers Alexis. Lorsque j’ai fait ce programme radio c’était très intéressant car beaucoup de gens se sont mis à parler très librement sur lui. Je me souviens notamment d’une belle histoire contée par Charlie Watts, c’était très drôle !

Dans les années 1970, tu devais enregistrer un album avec The Flyin’ Burrito Brothers. Pourquoi ce projet a-t-il été annulé et quelles étaient tes relations avec ce groupe ?
 J’étais assez proche du bassiste du groupe, Chris Ethridge (1947-2012). Nous avons passé quelques temps ensemble à Los Angeles et j’avais écrit quelques chansons que je destinais aux Flyin’ Burrito Brothers. J’avais rencontré Gram Parsons plus tôt, mais il était déjà décédé à ce moment-là.
 Lorsque j’étais sur place, le plus grand groupe des USA était The Eagles. Il s’agit d’un combo très lisse et cette période était assez difficile pour les musiciens.
C’était avant la vague punk et les gens de mon âge étaient trop « vieux » pour se lancer dans cette musique alors que nous étions trop jeunes pour prétendre être crédible dans un registre roots.
A chaque fois que je proposais mes idées et mes compositions, on leur reprochait d’être trop sauvages et pas assez polies ou formatées. Tout ce que l’on soumettait devait être net, sans rugosité… bref, comme ce que faisait le groupe The Eagles qui était devenu la référence et l’exemple à suivre dans ce domaine. Sa musique était très produite, enregistrée sur une longue période etc...

Bref, c’était plutôt l’inverse de ce que proposait The Flyin’ Burrito Brothers…
Dans la même veine, je me souviens de Steve Cropper. J’entretenais de bons rapports avec lui, ainsi qu’avec  Donal « Duck » Dunn et Willie Mitchell.  Tout comme avec Eric Clapton (Chris a participé à son album « No Reason To Cry » en 1976, nda) et Ron Wood.
C’était donc pour moi une période agréable mais aussi difficile…car je n’avais ni argent, ni voiture…  Si tel est le cas à Los Angeles, tu peux juste mourir (rires) !

Pourquoi as-tu décidé d’arrêter d’enregistrer pendant 20 ans ?
C’était mon choix personnel. Tu sais, je te parlais de Steve Cropper à l’instant. Il faut savoir que ce musicien ne faisait presque plus rien à cette époque. Le premier artiste qui s’est, à nouveau, intéressé et qui lui a proposé des sessions est David Bowie pour une reprise du classique « Knock on wood ». Puis, il est revenu au premier plan grâce au film « The Blues Brothers » et au groupe du même nom, fondé à cette occasion. Avant, de nombreux type, à Los Angeles, le considérait comme de la merde. Plus personne ne s’intéressait à la bonne soul music alors que maintenant tout le monde s’exclame en disant, à juste titre, que c’est fantastique.
Le label Stax était passé de mode et de nombreux musiciens géniaux sont passés à la trappe et n’ont plus gagné d’argent car ils n’étaient que des sessionmen.
De mon côté, j’en ai eu un peu marre de ce business. Je me suis dit « et merde », je voulais oublier ce système injuste et revenir à mes premières amours en devenant acteur. J’ai donc sauté sur l’occasion lorsque l’on m’a proposé la chose en Angleterre. Finalement c’était une bonne expérience car je me suis rendu compte que le fait d’être musicien sur scène et de te retrouver sur les planches en tant qu’acteur avait des similitudes. Tu dois apprendre des choses différentes mais tu restes un artiste.    Le théâtre m’a fait acquérir des automatismes qui me servent toujours aujourd’hui dans ma carrière de chanteur. La nuit dernière, dans un petit endroit, à Bar-le-Duc, je me suis mis à improviser une chanson autour du nom de la ville (Chris m’interprète alors ce thème, nda), l’ensemble du trio ainsi que les spectateurs ont suivi. C’était un très beau moment improvisé, que je dois un peu à mon expérience d’acteur.
Je ne suis pas le meilleur musicien du monde et il n’est pas obligatoire de l’être pour transmettre des sensations et des sentiments aux gens. C’est une question d’alchimie… que je maitrise plutôt bien. Tiens , d’ailleurs je sens que je vais bientôt me mettre à parler en français moi (rires) !

Quels sont les artistes qui te touchent le plus aujourd’hui ?
Je suis récemment revenu d’un voyage au Zanzibar, dans le but de couvrir un Festival sur lequel je devais écrire un papier pour un journal. J’y ai totalement été séduit par des rythmes africains et des groupes venus du Mali ou encore de Tanzanie. J’y ai entendu des percussionnistes fantastiques !
Il y avait des jeunes musiciens de grand talent, c’est une chose qui m’a touché et je pense que ce registre musical a un bel avenir devant lui. Je n’ai jamais été un grand amateur de musique pop. Je me complairai toujours davantage dans la musique folk et le blues traditionnel que certains trouvent « ennuyeux ".
Avec mon groupe nous abordons aussi des titres qui évoquent le zydeco et des morceaux cajuns. Tout cela est assez funky !
Il ne faut pas oublier que ces sons, s’ils nous viennent d’Amérique, sont hérités de vieilles traditions musicales irlandaises ou françaises...
Peu importe son origine, une bonne chanson est une bonne chanson !
Qu’elle ait 15 ou 100 ans, si une mélodie était bonne à son origine, elle l’est pour l’éternité !

As-tu un regret particulier en ce qui concerne ta carrière ?
Je ne me suis jamais vraiment posé cette question...
Peut-être que, si j’avais gagné davantage d’argent, j’aurais souhaité devenir éditeur de musique (rires)…

As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
(Comme promis, Chris se met à parler en français, nda) Non mais merci !
Je suis très content de jouer en France car cela ne m’était pas arrivé depuis des années. Je ne sais pas pourquoi…
D’autant plus que je tourne régulièrement en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Hollande, en Belgique etc…
J’espère pouvoir revenir régulièrement car je préfère parler en français plutôt qu’en allemand.
Das ist schwer sprechen deutsch (traduction : c’est difficile de parler en allemand), car c’est une langue que je ne maitrise qu’un tout petit peu…

Remerciements : Chris Jagger et Benoit Van Kote

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Interview réalisée au
Au Camionneur – Strasbourg
le 2 mai 2013

Propos recueillis par
David BAERST

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