Cisco Herzhaft
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : Pionnier du blues en France, Cisco Herzhaft s’est tenu éloigné de la scène (pour des raisons professionnelles) jusqu’en 1991. C’est cette sous le nom de Herzhaft Blues qu’il a signé son retour discographique en proposant (en 1991) le premier d’une série de quatre albums, enregistrés en compagnie de son frère Gérard (auteur de nombreux ouvrages spécialisés, dont l’indispensable « La Grande Encyclopédie Du Blues », et de romans) et plus ponctuellement de son neveu David.En 2014 est sorti son cinquième CD en solo « Good Hand », qui scelle définitivement son retour au premier plan, après de nombreux concerts qui ont fait l’unanimité à travers la planète. Il revient ici sur les différentes étapes de sa vie et de sa carrière…

Cisco, il me semble que tu n’as pas grandi dans un environnement familial particulièrement propice à l’apprentissage de la musique. De ce fait, de quelle manière as-tu découvert les sons afro-américains ?66
Je ne sais pas vraiment comment cela a pu se produire. J’ai commencé par adorer les chansons de folk music et, dans une moindre mesure, le bluegrass. Comme j’habitais à Boulogne-sur-Mer, face à l’Angleterre, je traversais régulièrement la Manche en bateau afin d’aller acheter des disques. Je devais alors avoir aux alentours de 17 ans. C’était des enregistrements de folk parmi lesquels se trouvaient des vinyles de blues acoustique (le blues était, alors, classé dans la catégorie folk chez les disquaires). J’ai donc ramené un 33tours de Lightnin’ Hopkins.Avec mon frère Gérard, qui est devenu écrivain du blues, nous avons adoré cela. Comme je voulais reproduire ces sons, j’ai décidé de commencer à jouer de la guitare. D’ailleurs, aujourd’hui encore, je ne sais rien interpréter d’autre (rires) !

A l’époque, en France, il y avait peu (voire pas du tout) de guitaristes spécialistes du pickin’. De ce fait, comment s’est déroulé ton apprentissage dans ce domaine ?
Il n’y en avait absolument aucun puisque Marcel Dadi et Alain Giroux sont arrivés après. Je me demandais donc comment on pouvait jouer cela. Surtout en entendant un artiste comme Doc Watson (joueur de bluegrass « fingerstyle ») qui était hallucinant. A son écoute, il me semblait impossible qu’une seule guitare puisse produire une telle sonorité. Heureusement j’ai eu de la chance car, lors d’un voyage, j’ai rencontré John James. Ce dernier est un gallois (né en 1947, nda) qui joue du ragtime en pickin’. C’est lui qui, dans un pub, m’a montré comment on fait. Il m’a appelé à sa table pour que nous puissions jouer de la musique. Il a insisté sur le fait que, si je voulais jouer du blues ou de la folk music, je devais maitriser la technique du fingerpickin’. Il m’en a enseigné la base et j’ai été contraint de m’exercer inlassablement (dans ce même pub où, au bout d’un long moment, les grilles du bar se sont fermées bien que la salle soit restée ouverte) afin de parvenir à un premier résultat. Cela m’a pris quelques heures…Je suis donc parvenu à réaliser ma première base de pickin’, c’est-à-dire le pouce constant avec une mélodie qui arrive quand on le souhaite.Par la suite j’ai développé mon propre style seul. Bien sûr, j’ai pu compter sur l’appui d’autres artistes, tels que John Lee Hooker avec lequel j’ai eu la chance de jouer. Big Joe Williams ou Mississippi Fred McDowell m’ont aussi aidé (en m’enseignant la technique du slide par exemple). Ceci dit, c’est vraiment John James qui a été à la base de mon apprentissage.

De quelle manière t’es-tu fait connaitre du groupe Les Haricots Rouges, avec lequel tu as enregistré ta première session en 1968 ?
C’était un disque de jazz au sein duquel il y avait un morceau de blues. Ils m’ont donc invité, sur la chanson « Bettina », afin d’avoir un son de guitare proche de celui de Lightnin’ Hopkins. Le titre de cet album est « Sweet & Hot ». Par ailleurs, c’est grâce à ce groupe que j’ai rencontré John Lee Hooker, dans le cadre du Festival de Jazz d’Andernos. Ce dernier se produisait en plein milieu de la soirée jazz, juste avant les Haricots Rouges. Puis, il m’a invité à terminer sa tournée avec lui…

Aujourd’hui, tu es un artiste aussi bien établi qu’épanoui. Penses-tu que la rigueur et le sérieux qui ont accompagné tes carrières professionnelles et musicales sont liés au fait d’avoir beaucoup voyagé (et profité de la vie) durant ton adolescence ?
Je ne pense pas qu’on puisse être un musicien qui a des choses à dire, si on n’a pas fait autre chose dans sa vie. Tous les bluesmen, que j’ai pu rencontrer, n’ont pas fait que du blues. Ils ont tous galéré et travaillé dans de nombreux milieux. Ceux qui n’ont fait que de le musique, l’ont fait dans des circonstances incroyables et particulièrement difficiles. Pour ne citer qu’un exemple, Big Joe Williams a travaillé pour la mafia et, en même temps pour le FBI… ce qui est une situation absolument extraordinaire (rires) !Tous ces gens-là avaient des choses à raconter dans leur musique. Quand on a bourlingué, voyagé, pratiqué divers métiers, connu des pérégrinations qui ne sont pas toutes joyeuses, je pense qu’on a plus de choses à raconter dans sa musique…

Le fait d’avoir mis ta carrière entre parenthèses (après avoir enregistré des disques de folk et de musique traditionnelle française en compagnie de Marie Courcelle) ne t’apporte-t-il aucun regret ?
J’ai fait plus que de la mettre entre parenthèses car je ne pensais pas la reprendre un jour. Cependant, je continuais à jouer pour moi, dans un cercle restreint. A un moment de ma vie, je me suis mis à mon compte dans un tout autre boulot. Ce travail me faisait beaucoup voyager et je voyais souvent des petits clubs musicaux sur mes lieux de déplacements. J’ai commencé à m’y présenter, sans avoir aucun disque à mon actif, en jouant un morceau à la guitare sur le coin du bar. Je m’y suis donc remis en amateur, sans penser reprendre un jour la musique de manière professionnelle. Puis, je me suis pris au jeu…

Le fait de mener une carrière professionnelle non musicale t-a-t-il tenu éloigné de la scène blues française ou, au contraire, arrivais-tu à garder des contacts avec tes contemporains (Alain Giroux, Patrick Verbeke et consorts…) ?
J’étais totalement hors du coup…Cela ne m’a pas rendu service car, lorsque je me suis remis à la musique de manière professionnelle, personne ne me connaissait. Les gens m’assimilaient à mon frère qui était connu dans le milieu grâce à la qualité de ses ouvrages. J’étais devenu, de manière assez péjorative, le frère de… (rires) !En fait, j’avais commencé la musique avant que Gérard ne se lance dans l’écriture.Avec Déborah Drouy, mon manager actuel, nous avons mis du temps à explorer le milieu du blues européen afin que je puisse réintégrer le circuit.

Aujourd’hui tu voyages beaucoup dans ce circuit (y compris à l’international) et tu as enregistré de nombreux disques. Comment expliques-tu ce soudain regain d’intérêt, y compris de la part d’un public qui se fait de plus en plus dense lors de tes concerts ?
Je pense, dans un premier temps, que j’ai la chance d’avoir l’âge que j’ai. C’est-à-dire d’être l’un des survivants de l’époque où les bluesmen des origines se produisaient encore. Je les ai rencontrés, j’ai travaillé et discuté avec eux. On vient un peu me voir comme l’homme qui a vu l’ours, qui a vu l’ours etc… Puis, je pense sincèrement, et je m’en rends compte à la fin de mes concerts, qu’une frange du public blues reste solidement attachée aux sons traditionnels. Je représente une sorte de « survivance » du blues à l’ancienne.

Penses-tu que ce blues à l’ancienne, comme tu l’appelles, est trop absent des festivals spécialisés dans cette musique aujourd’hui ?
C’est un peu le cas en France… En Belgique et au Canada, cette scène-là est davantage représentée. L’année dernière, j’étais en tournée en Argentine où les gens se passionnent pour le blues roots. Le blues plus moderne, ce n’est pas trop le truc des amateurs de cette musique là-bas. En France, je trouve que nous ne sommes pas très nombreux à nous produire dans ce registre…

Comment juges-tu la scène française actuelle, t’y intéresses-tu ?
Oui, même si je ne connais pas énormément de monde. Je joue en solo ou, plus rarement en trio avec de vieux copains qui se produisent habituellement dans un registre jazz. Parmi les gens que j’ai l’occasion de rencontrer, il y en a certains qui m’intéressent beaucoup. J’aime bien les mélanges qui se font entre le rap et le blues par exemple. C’est une chose très intéressante car le rap et, en quelque sorte, un petit-fils du blues. C’est une musique de gens reclus, oubliés, qui racontent des choses personnelles. Il y a donc un vrai lien de parenté. Il y a, bien sûr, des choses que j’aime moins… mais nous ne sommes pas là pour dénigrer (rires) !

Avant d’être un musicien, pourrions-nous te considérer (à l’instar de ton frère Gérard) comme un passeur voire un éducateur du blues auprès des gens ?
J’essaye de faire les deux. Je ne me consacre pas qu’à la pédagogie, bien que j’étais formateur dans des domaines tout autres. D’ailleurs, il m’arrive de faire des interventions dans des écoles où des médiathèques. J’y explique le blues tout en jouant. Gérard, quant-à-lui, réalise de vraies conférences sur l’histoire du blues. Je ne veux pas me consacrer qu’à la musique, en faisant abstraction de l’aspect pour lequel je m’y suis remis (c’est-à-dire évoquer les créateurs du blues) et je ne veux pas tomber dans l’explicatif au détriment de la musique. Quand j’ai recommencé ma carrière, dans les années 1990, les gens ne juraient que par Stevie Ray Vaughan ou Eric Clapton. Je n’ai rien contre eux, mais ce ne sont pas des créateurs. Mon humble but est de perpétuer une sorte de tradition et de faire en sorte que les pionniers du blues ne tombent pas dans l’oubli le plus total. Il ne faut pas les oublier…

Cette famille Herzhaft est tout de même étonnante. Entre toi, ton frère Gérard et ton neveu David qui est un excellent harmoniciste… il y a matière. Quels sont vos liens, vous fréquentez-vous encore assidument ?
Gérard à un peu levé le pied en ce qui concerne la musique, mais il continue de faire des recherches et des fouilles quasi archéologiques en ce qui concerne le blues. Il alimente régulièrement son blog (http://jukegh.blogspot.fr) et arrive encore à trouver des musiciens qui n’ont enregistré que 3 ou 4 titres durant toute leur vie. Je ne sais pas comment il parvient à de tels résultats (rires) ! Quant à David (qui est tombé dedans quand il était petit), il est parti vivre aux Etats-Unis (à Los Angeles) et il vient de sortir une méthode d’harmonica extrêmement complète. Il y évoque 600 gammes dans des registres variés. C’est un grand technicien ! Avec Gérard, nous avons découvert la musique ensemble, alors que j’étais adolescent (Gérard est mon ainé de quatre ans). Par contre, nous avons trois autres frères et sœurs qui ne sont absolument pas intéressés par la chose. C’était également le cas de mon père qui était très dubitatif quand il m’entendait jouer. Il me disait « mais c’est quoi cette cacophonie » (rires) !

Tu citais, précédemment, quelques créateurs du blues. A ta façon, tu en es également un puisque tu écris bon nombre des chansons que tu interprètes. Quels sont les procédés d’écriture que tu utilises et quelle est la teneur de tes textes ?
Je respecte la règle numéro un du blues… A savoir, conter une histoire personnelle. Il n’y a pas un blues qui raconte autre chose que la vie du bluesman, même si elle est romancée. La première personne est donc régulièrement employée. Puis, je raconte des choses qui me sont arrivéessur une mélodie qui accentue ces propos. C’est pour cela que j’aime jouer dans les pays anglophones, car tout le monde y comprend la teneur des textes. J’ai par exemple, participé à des émissions de télévision et de radio au Canada car les programmateurs trouvaient que mes propos étaient pertinents. J’évoque donc toujours des pensées et des histoires personnelles…66

Pourrais-tu me parler de ton dernier album en date « Good Hand », paru il y a quelques mois ?
Il a été difficile d’en accoucher. J’ai eu la chance d’en enregistrer une partie avec le bluesman du Mississippi Terry « Harmonica » Bean. Nous étions enfermés dans un studio, pour une session qui a duré quatre heures et demi non-stop. J’en ai extrait trois morceaux… J’ai enregistré un titre avec mon copain canadien Guy Bélanger. Mes musiciens habituels sont aussi présents. Bien sûr, on y trouve également des chansons réalisées en solo.Ce CD a donc été assez long à élaborer et les textes y sont encore plus personnels que sur mes précédents albums. C’est un peu mon point de vue sur le monde qui change. De plus, j’ai consacré un blues à monsieur Jimmy « Duck » Holmes, que j’ai rencontré à Bentonia dans le Mississippi, tant il m’a ému (Jimmy « Duck » Holmes » est un charismatique et poignant bluesman américain né en en 1947, nda). Pour cette chanson, « Bentonia Mississippi », j’ai fait appel au groupe Rockin ‘ Squat qui y livre une séquence de rap d’une minute et demi. Sur les onze titres que contient l’album, neuf sont des compositions personnelles…

Tu tournes à l’international, tu sors des albums, tu as représenté la France lors de l’édition 2014 de l’International Blues Challenge de Memphis (catégorie solo ou duo acoustique). Quels sont, aujourd’hui, tes projets. As-tu d’autres voyages en vue ?
Je repars pour le Canada (pour une durée d’un mois et demi) en aoûtprochain. Il y aura un mois de tournée et quinze jours de vacances (rires) ! Déborah Drouy a eu des contacts avec la Bulgarie et nous en avons même eu un avec la Corée du Nord. Pour ce dernier pays, j’avoue franchement que j’hésite (rires) ! Il y a donc des plans qui se mettent en place...

Quelle conclusion souhaites-tu ajouter à cet entretien ?
J’adore parler du blues, des bluesmen et de la musique que j’aime. Je dis chapeau aux émissions de radio qui s’y consacrent car, quand on voit le désert de tradition musicale dans lequel on baigne, on ne peut que remercier les médias qui défendent ces sons complètement oubliés du show business !

Remerciements : Déborah Drouy (Blues N’Trad Prod), Gwenaëlle Tranchant, Lisa Bécasse et tout le service de presse du Cognac Blues Passions.

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Interview réalisée au
Cognac Blues Passions
Colmar le 4 juillet 2014

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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