Nda : A force d’être confrontés à un gospel aseptisé, remis au goût du jour année après année au moment des fêtes (le plus souvent par des artistes de variété, soutenus par leurs majors, qui y voient avant tout une belle occasion d’écouler des disques à la pelle) beaucoup d’entre nous ont oublié l’aspect âpre, abrupt et surtout sincère de ce registre. Cela a bien été compris par le label Daptone Records, davantage connu pour son action auprès de la scène soul (avec des artistes tels que Sharon Jones ou Charles Bradley), qui a lancé la carrière du groupe The Como Mamas. Un trio féminin formé par Ester Mae Wilbourn, Della Daniels et Angelia Taylor qui n’avait jamais quitté ses terres natales du Mississippi et qui se retrouve, aujourd’hui, sous le feu des projecteurs des scènes internationales. Livrant des prestations hypnotiques qui permettent systématiquement au public de se retrouver dans un véritable état de transe, les chanteuses nous entrainent sur un terrain marqué par l’authenticité. Soir après soir, à mille lieux des paillettes du show business, elles délivrent leur message avec une foi qui, même si on ne la partage pas, ne peut forcer qu’au respect. C’est à la fin d’une épuisante tournée européenne (visant à promouvoir leur troisième album, « Move Upstairs », paru en 2017) que j’ai rencontré ces artistes attachantes, unies à jamais par la passion de la musique et du seigneur…
Afin de débuter cet entretien. Pouvez-vous me parler du village dont vous êtes originaires, à savoir Como dans le Mississippi ?
Ester Mae Wilbourn : J’ai vécu à Como toute ma vie. Il s’agit d’une petite ville traversée par une longue rue (Main Street, nda). Il n’y a, environ, que 1300 personnes qui y habitent. J’y suis née et j’y ai grandi dans la maison de mon grand-père. Ce dernier jouait de la musique, ce qui fait que j’ai évolué dans un environnement particulièrement propice à cet art.
La musique est donc une chose innée en ce qui vous concerne…
Della Daniels : En ce qui concerne la musique, je n’ai pas vraiment suivi d’enseignement particulier. Je n’ai pas pris de leçons, en dehors de quelques cours de piano durant mon enfance. Par contre, j’écoutais beaucoup la radio et les autres gens chanter. C’est en commençant à fréquenter l’église que j’ai débuté ce que l’on peut appeler une éducation musicale. C’est de cette manière que nous apprenions…
Angelia Taylor : J’ai aussi grandi en fréquentant l’église locale. Je chantais avec mon père dans les chœurs…
Actuellement, trouve-t-on de nombreux musiciens (ainsi qu’une vraie scène musicale) à Como ?
Ester Mae Wilbourn : Oui, il y a beaucoup de musiciens à Como et beaucoup de personnes qui y chantent le gospel. Lorsque j’étais plus jeune, nous nous retrouvions à l’église le dimanche. Nous nous produisions aussi dans toutes les églises environnantes et échangions avec différents groupes vocaux. Il y avait une véritable émulation entre nous tous. Cela s’est, aussi, caractérisé à l’école où des spectacles, permettant à de jeunes talents de s’exprimer, étaient montés. J’ai donc pratiqué toute ma vie et je me souviens parfaitement de nos parents, qui chantaientde formidables hymnes de gospel à l’église. Tout tournait autour de l’évangile…
Quand et de quelle manière avez-vous décidé de vous produire ensemble ?
Della Daniels : En fait, tout a commencé par l’intermédiaire de mon neveu. Ce dernier est, par ailleurs, le fils d’Angelia Taylor qui est ma sœur. En effet, avec quelques camarades de son école, il a fondé un groupe de rap appelé Scorpio. Ils ont enregistré un CD ensemble et j’ai été très agréablement surprise à son écoute. De ce fait, j’ai souhaité entrer en contact avec quelqu’un du milieu musical, afin de lui faire entendre le résultat. J’ai demandé cela à Michael Riley, que je considère un peu comme un nouvel Alan Lomax. Il m’a dit qu’il était, justement, à la recherche de personnes qui chantent et il m’a promis de faire le maximum pour mon neveu. Il s’est donc rendu à Como afin de l’écouter, c’était en 2007. Il a mis a profit ce voyage pour nous écouter nous aussi, alors que nous ne nous produisions pas encore sous le nom de Como Mamas. Il a aimé le résultat, à tel point qu’il est revenu plus tard. C’était en 2009 et il devait avoir une idée derrière la tête. C’est par son intermédiaire que ce projet est né…
En quoi votre gospel est-il différent (notamment par rapport à celui qui est, généralement, programmé en Europe) ?
Della Daniels : Le gospel est, avant tout, une forme de prière. C’est une autre manière de rendre grâce à Dieu et de témoigner de sa foi pour tout ce qu’il t’a donné. Quand je chante du gospel, je prie Dieu mais, dans le même temps, je délivre un véritable témoignage aux gens qui m’écoutent. Je leur dit à quel point Dieu a été bon pour moi… C’est donc une véritable manière de prier. Nous faisons en sorte de restituer cela avec un maximum de sincérité, sans avoir à faire appel à certains artifices. C’est uniquement notre croyance qui nous guide…
Quel est, exactement, le rapport que vous entretenez avec la fondation Music Maker ?
Ester Mae Wilbourn : Nous enregistrons pour Daptone Records depuis notre premier album. Cependant Music Maker a tenu à nous aider en nous permettant de voyager et de faire découvrir notre musique dans plusieurs endroits. C’est grâce à cette fondation que nous avons pu quitter les frontières du Mississippi. Ainsi, nous avons pu nous rendre en Europe, au Canada etc. Nous avons pu y présenter notre musique. Music Maker a été la structure qui nous a permis de déployer nos ailes un peu partout…
D’ailleurs, avez-vous été surprises par l’accueil que le public européen a réservé à votre musique ?
Ester Mae Wilbourn : En ce qui me concerne, je ressens une forme de passion lorsque je constate que le public européen apprécie autant ce que nous faisons. Il écoute et semble émerveillé, alors qu’il ne comprend pas forcément la portée de nos textes. Je pense que c’est l’esprit et l’entrain que nous dégageons qui le séduit le plus. Je porte Dieu en moi et il m’aide à transposer le message qu’il veut faire passer. Pour le comprendre et pour entrer en connexion avec son pouvoir, il n’est pas nécessaire de parler anglais. Les gens se connectent à Jésus dans la joie et sans, forcément, s’en rendre compte. Ils ne connaissent pas spécialement notre cause mais sont frappés, au plus profond de leur cœur, par l’état d’esprit qui se dégage de nous. C’est un voyage de cœur à cœur… J’adore chanter et c’est ce que j’ai fait toute ma vie. C’est une chose naturelle pour moi tu sais… Je donne le meilleur de ma personne pour Dieu car il a, toujours, été bon pour moi. Chaque chanson est porteuse d’un message. Ce dernier peut évoquer le passé comme le futur. Le plus souvent, il résulte de nos chants un message émanant de Jésus Christ. Il est l’homme qui nous a donné sa vie, il est mort pour nous. C’est ensemble que nous avançons, au nom du Christ Jésus. Il nous aime tous de la même manière et ne fait pas de différence entre les gens. Son amour est inconditionnel (Ester entre alors dans un véritable prêche et devient touchante de par son engagement et de par sa sincérité, nda) car il est le seul fils de Dieu. Il n’y a que lui qui puisse transmettre ce message à nous tous. Tout vient de lui…
Ressentez-vous quelque chose de particulier lorsque vous vous produisez ici, en Europe. Votre approche est-elle différente de celle que vous déployez aux Etats-Unis ?
Ester Mae Wilbourn : Ici, je remarque souvent que les gens ne comprennent pas les paroles de nos chansons. Ceci-dit, l’engouement est aussi fort qu’aux Etats-Unis car il existe cette connexion dont je te parlais. Celle de l’esprit… Je suis aussi à l’aise en Europe que chez moi, dans le Mississippi. C’est une chose qui s’explique parce que je chante avec le cœur, pour ce en quoi je crois. Je donne systématiquement tout ce que j’ai en moi, car je deviens alors porteuse du message de Jésus. Je transmets sa gloire, ses prières… Je ne suis rien, tout vient de lui.
Est-ce facile, pour vous, de devoir quitter Como afin de voyager à travers le monde dans le cadre de ces tournées éreintantes ?
Ester Mae Wilbourn : Oui ! A cette période de ma vie, c’est devenu facile car j’ai trois enfants qui sont devenus grands. Ils m’ont offert six petits-enfants et j’ai trois arrière-petits-enfants. Toute ma famille apprécie le fait que cette opportunité de voyager, en chantant du gospel, m’est offerte. Elle sait, aussi, que cela me permet de porter le nom de Dieu à travers le monde. Je prends cela comme la possibilité de porter ses mots à travers des chansons. Le fait de chanter est un véritable ministère en soit…
Pouvez-vous me présenter le groupe qui vous accompagne, The Glorifiers Band ?
Della Daniels : Nous avons un jeune homme, nommé Wallace Lester, qui joue de la batterie pour nous. Puis il y a Jake Xerxes Fussell à la guitare. Il s’agit là des musiciens qui nous suivent sur scène. En effet, sur disque il s’agit d’un groupe constitué de musiciens de New-York City qui participe aux enregistrements. Ce sont des habitués des sessions réalisées pour Daptone Records et ce sont eux qui se sont nommés The Glorifiers Band. Il leur est impossible de nous suivre car ils sont tous très pris par leur travail d’accompagnateurs. De plus certains vivent à New-York, alors que d’autres habitent en Californie. C’est pour cela que Music Maker nous met à disposition les deux formidables musiciens dont je te parlais en premier lieu. Pour moi, la musique est une chose universelle. Tout le monde peut se comprendre par son seul biais. Il n’y a pas besoin d’autres éléments pour communiquer. Il suffit de voir ce qu’il se passe à la télévision. Tout ce qui est commercial est interprété en anglais, j’ai même constaté que cela pouvait être le cas dans la musique française. La musique est donc un langage universel et il est facile pour les gens de prendre du plaisir grâce à elle. Quelque soit le registre, il n’y a souvent que des sourires qui répondent à cet art. Les mélodies peuvent transporter toutes les émotions et ce sont elles que tout le monde peut comprendre.
Pouvez-vous me parler de votre dernier album en date, « Move Upstairs » ?
Angelia Taylor : La chanson titre du disque évoque la montée au paradis. Il s’agit des tribulations que tu peux vivre avant d’arriver devant Dieu.
Della Daniels : C’est une chanson qui dit ce que savent les Como Mamas et que tout le monde sait à travers le monde. A savoir que, lorsque tu meurs, tu ne restes pas ici… Que tu sois noir, blanc, bleu ou vert…tu changes de monde. Les gens font un long voyage pour lequel ils doivent se préparer avant de quitter cette terre. C’est pour cela qu’il faut se préparer et se servir des joies et des peines vécues ici. Nous avons besoin de nous préparer pour partir de cette terre et rejoindre le paradis dans les meilleures conditions possibles. C’est le message général de ce disque qui est constitué, en grande partie, d’airs traditionnels.
Auriez-vous un ultime message à transmettre à votre public français ?
Ester Mae Wilbourn : Je voudrais simplement dire que je remercie Dieu d’avoir accepté les Como Mamas. De leur permettre de s’exprimer et de prier à travers les chansons que nous interprétons. Je connais des personnes qui ne croient ni en Dieu, ni en Jésus. Cependant, je peux assurer qu’il est toujours parmi nous aujourd’hui. Je continue de prier car je sais qu’il existe et qu’il est auprès de chacun de nous, quelque soit l’endroit de la planète où nous nous trouvons. Peu importe ta nationalité, il sait qui tu es et il te soutien de ta naissance jusqu’à la fin de ton existence. Je prie car je sais cela et je lui donne un amour inconditionnel qui vient du plus profond de mon cœur. Il faut que chacun donne de l’amour aux autres, une action qui elle aussi vient de Dieu. Il a donné sa vie et continue de la donner à tout le monde, dans tout l’univers. Que tu sois américain ou africain, il vient donner sa vie pour toi. Merci à lui pour cela…
Della Daniels : J’aimerais vraiment remercier l’Europe car, ici, les gens apportent aussi leur soutien et leur amour au label Daptone. C’est grâce à cela que des artistes tels que les regrettés Sharon Jones ou Charles Bradley, ainsi que de nombreux autres chanteurs, ont pu avoir du succès. Pour notre part, nous interprétons une musique ancestrale, tout en bénéficiant de ce rayonnement. Merci aussi à Music Maker qui fait tant pour des gens âgés et oubliés, qui peuvent enfin être reconnus pour leurs talents. Cette fondation offre la possibilité à d’anciens registres d’être toujours d’actualité et de continuer à exister. A notre tour, nous vivons une expérience similaire et extraordinaire grâce à cet investissement. Je voudrais, également, remercier l’Europe d’avoir accepté les Como Mamas avec tant d’enthousiasme…et de nous avoir donné cette chance. A nos débuts, il était impossible pour nous d’imaginer vivre une telle situation. Le public, sur ce continent, aime nous voir chanter. Daptone et Michael Riley ont aimé nos mélodies, nos chants et nos voix. Grâce à eux nous pouvons les partager avec vous. Aujourd’hui, vous nous avez acceptées, aimées… Vous venez à nos concerts sans apriori. Je sais que vous ne partagez pas tous notre croyance mais, au même titre que vous nous respectez, nous respectons ce en quoi vous croyez. Vous savez que nous chantons avec nos cœurs. Vous ressentez notre sincérité et vous respectez nos convictions, même si vous n’êtes pas des partisans de ces dernières. Un jour nous quitterons cette terre et il nous faut nous préparer à trouver cet endroit meilleur…
Angelia Taylor : Je ressens la même chose que ce qui a déjà été dit. Merci aux européens de nous accepter de cette manière. Que vous veniez nous voir dans des églises ou dans des clubs, vos réactions sont toujours les mêmes. Je mettrai toujours tout en œuvre pour donner le meilleur de moi-même et vous transmettre de l’amour. Je suis heureuse à cette simple pensée et je ressens toujours un certain feeling lorsque nous nous produisons ici. J’espère que nous reviendrons encore, encore et encore…
Remerciements : Manuel Figueres (MF Promotion), Julien Constantin (Nueva Onda)
https://fr-fr.facebook.com/thecomomamas
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