Cyril Neville
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : Benjamin de la fratrie la plus célèbre de la Nouvelle-Orléans, Cyril Neville s’est fait un prénom en s’imposant dans le circuit musical grâce à l’exceptionnelle qualité de disques enregistrés en solo. Le dernier en date « Magic Honey » (Ruf Records, 2013) ne déroge pas à la règle et place définitivement l’artiste comme le chanteur-percussionniste le plus en vue de son époque. Après avoir connu un succès international dès 1970, au sein de deux des plus grandes formations de l’histoire de la Louisiane (The Meters puis The Neville Brothers), le musicien est devenu l’un des membres de The Royal Southern Brotherhood. Une nouvelle machine, particulièrement bien huilée, qui sait allier à merveille le blues, le rhythm & blues et le blues-rock. C’est à l’occasion d’une nouvelle tournée française de cet ensemble (dans le cadre de la tournée Crossing Roads, à l’affiche de laquelle figuraient également Neal Black & The Healers ainsi que Jesus Volt) que j’ai pu poser quelques questions à Cyril Neville et me retrouver, durant quelques minutes, face à ce personnage aussi fascinant que charmant.

Cyril, pour les amoureux de musiques, la famille Neville est considérée comme une véritable légende de la Nouvelle-Orléans. Comment expliques-tu l’impact que vous avez pu avoir sur les sons venus de Louisiane ?
Cela fait simplement partie de notre culture. Nous ne représentons, finalement, qu’une des nombreuses familles de l’histoire musicale de la Nouvelle-Orléans. Le fait d’être issu de cette ville et d’en être devenu des artistes reconnus est, je dois bien l’admettre, une formidable sensation. Au fil du temps, nous nous sommes un peu transformés en des ambassadeurs musicaux de Big Easy (surnom donné à la Nouvelle-Orléans, nda)…66

Comment as-tu été initié à la musique auprès de tes frères ?
J’ai, à titre personnel, commencé alors que j’étais très jeune. Il faut dire que notre frère ainé, Art Neville, avaitintégré son premier groupe The Hawkettes en 1953 (Cyril avait alors 5 ans, nda). Je voyais souvent les membres de ce groupe répéter dans notre salon et, grâce à eux, j’ai pu être exposé très tôt à tous les grands musiciens de l’âge d’or des musiques louisianaises. En fait, je me sentais comme quelqu’un qui est spécialement né pour en faire autant. Il n’y avait rien d’autre autour de moi et je n’ai pu, à mon tour, que devenir un musicien.

Pourquoi t’es-tu, particulièrement, orienté vers la pratique des percussions ?
Je crois, en fait, que ce sont les percussions qui m’ont choisi. Tu sais, j’ai toujours ressenti un besoin de rythmes tout au long de ma vie. Ma mère me racontait déjà des histoires en les ponctuant de tapements sur ses genoux ou de choses comme cela. De plus, le fait de grandir dans une ville comme la Nouvelle-Orléans est une chose très particulière.

Tout y est très musical et les sons de batteries et de percussions y sont omniprésents. C’est une chose que l’on retrouve dans la vie de tous les jours. Il suffit d’entendre les battements des bateaux à roue sur le fleuve Mississippi. Ce bruit de claquement sur l’eau constitue quelque chose d’assez funky dont j’ai pu m’inspirer. Il varie et peut être plus ou moins rapide en fonction de la vitesse de chaque navire. J’ai donc pris des choses de ci et de là. Les sons générés, au quotidien, par la Nouvelle-Orléans ont vraiment eu un impact sur la manière dont je joue des percussions.

Depuis tes débuts dans la musique. Penses-tu que l’ambiance de la Nouvelle-Orléans a beaucoup changé ?
Les choses ont changé partout dans le monde. C’est, bien sûr, le cas à la Nouvelle-Orléans depuis août 2005 et le passage de l’ouragan Katrina. Tout a, alors, évolué et la Nouvelle-Orléans a dû être nettoyée et reconstruite en partie. La ville est la même mais les attitudes sont différentes…

Sur ton dernier album en solo « Magic Honey », tu interprètes une chanson intitulée « Blues is the truth ». En quoi le blues est-il la vérité pour toi ?
Cette musique est la vérité pour moi comme elle l’est pour tout le monde. J’ai grandi en écoutant les mêmes sons que ma mère, que mes tantes et que mes oncles. J’ai appris beaucoup sur moi et sur les gens qui m’entouraient en écoutant du blues. Les chansons qui sont créées dans ce registre évoquent des histoires vraies et elles constituent souvent la base même de la vie. Je me souviens de mon père qui, un jour, m’avait emmené dans son taxi. Il y écoutait beaucoup la radio et, notamment, des stations qui diffusaient du country & western. J’ai changé de fréquence et, soudainement, j’ai été exposé à James Brown. Il a constaté ma surprise et m’a demandé si je voulais alors écouter du blues. Je lui ai, immédiatement répondu que oui...

La musique country & western est, à mon sens, le blues du blanc. Il suffit pour cela d’entendre une chanson comme « Your cheatin’ heart » d’Hank Williams. C’est un blues qui est interprété avec un feeling différent, mais dont l’histoire aborde un sujet (la relation entre un homme et une femme) qui a été traité à de nombreuses reprises dans le blues. Donc, pour moi, le blues est définitivement la vérité. Cette musique représente nos vies…

Pour toi, Hank Williams était-il un bluesman à part entière ?
Si l’on revient en arrière, on se rend compte à quel point les radios étaient importantes à l’époque. Elles n’exerçaient aucun clivage entre les différents registres musicaux. A titre d’exemple, l’un de mes amis gérait une petite station à la Nouvelle-Orléans et il n’hésitait pas à diffuser des shows venus de Nashville. A partir du moment où tu lui proposais quelque chose qui lui plaisait, il l’exploitait à l’antenne dans les jours suivants. Aussi, il pouvait très bien passer de la musique enregistrée en Jamaïque. Nous retrouvions toujours certaines similarités entre ces musiques et celles qui étaient issues du terroir de la nouvelle-Orléans.

Tu sais, de nos jours, on croule sous une offre de radios très importante. Il y a une multitude de programmes et de FM qui proposent un éventail de genres très variés. A l’époque, il n’y avait que le country & western et le blues. Ecouter la radio était vraiment un plaisir car on y récoltait la véritable essence de ce qu’était alors l’industrie musicale. Aujourd’hui tout est étroitement compartimenté. Je me souviens des jours où le rock’n’roll était le rock’n’roll, que le blues était le blues et que lejazz était le jazz. Maintenant, tu trouveras toujours quelque part des sous genres appelés jazz contemporain, easy listening etc…Tout cela en devient presque déroutant et, actuellement, il y a de quoi se sentir exclu tant il peut y avoir d’appellations qui viennent se mélanger dans ton esprit.

Tu as eu l’occasion d’enregistrer avec de nombreuses légendes de la musique (Bob Dylan, Willie Nelson, Robbie Robertson, Dr John etc…). Quels sont tes meilleurs souvenirs parmi toutes ces sessions ?
Je veux juste faire de la musique « man » ! Je n’ai donc aucun souvenir préféré en particulier, sinon celui d’avoir tant travaillé avec mes frères, tu sais. En ce qui concerne tous les autres gars, j’ai pu collaborer avec des artistes différents toutes les semaines. J’ai eu la chance de pouvoir m’impliquer à leurs côtés et, avec le recul, je considère cela comme une bénédiction. Je leur en suis très reconnaissant et je leur en saurai toujours gré. Je reste d’ailleurs toujours attentif afin de pouvoir réaliser de nouvelles sessions de ce type (rires) !

Bien sûr, tu es connu pour avoir participé à la réussite de groupes mythiques auprès de tes frères (The Meters et The Neville Brothers). En quoi le fait de te produire actuellement au sein de The Royal Southern Brotherhood est-il différent pour toi ?
C’est un formidable ensemble de gars au sein duquel on retrouve Charlie Wooton à la basse et Yonrico Scott à la batterie. Ils font véritablement l’effet de la foudre et de l’orage. C’est probablement l’une des plus impressionnantes et meilleures sections rythmiques que j’ai pu entendre durant ma carrière. A la guitare, Devon Allman est un talent unique alors que notre nouveau membre Bart Walker (également chanteur-guitariste), qui remplace Mike Zito, apporte beaucoup de fraicheur aux quatre autres musiciens que nous sommes. C’est un très bon rythmicien et il donne une touche très funky au groupe. Si je suis toujours heureux de jouer de la musique, le fait d’en faire avec d’autres gens représente pour moi un accord gagnant-gagnant. Nous avons tous à apprendre des autres tu sais…66

Le fait de recevoir un tel accueil en Europe, avec ce groupe, est-il une réelle surprise pour toi ?
Pas vraiment parce que je sais très bien que les européens ont toujours eu un goût prononcé pour les musiques américaines et, spécialement, pour les musiques noires américaines. Tu sais, à titre personnel, l’un de mes groupes préférés demeure The RollingStones.

Les personnes qui le constituent ont su s’imprégner de l’essence du blues, puisqu’ils ont monté ce projet comme un groupe de blues. Puis, ils ont mené une carrière qui les a amenés à devenir des stars mais sans perdre de vue leurs origines musicales. Ils sont allés à la rencontre de certains de leurs héros oubliés et n’ont pas hésité à les faire venir en Angleterre, afin de les présenter à leur public et de leur faire enregistrer des disques.Parmi ces vieux musiciens, beaucoup sont ceux qui n’auraient jamais pu prétendre mener une longue carrière ou connaitre une si belle reconnaissance de leur vivant. Les Stones ont permis de transmettre l’amour du blues et ont fait traverser l’océan Atlantique à cette musique. Ils ont présenté cette vieille génération de musiciens aux européens. Quelque part, ils ont fait changer le visage de la musique à travers le monde.

Tu as servi la musique tout au long de ta vie. Avec le recul, de quoi es-tu professionnellement le plus fier ?
Je suis fier d’à peu près tout ce que j’ai pu accomplir. Je crois, cependant, que le travail réalisé auprès de mes frères demeure le sommet de ma carrière. Tout le reste, et mes diverses collaborations, restent des choses joyeuses et cools qui ont émaillé ma vie. Rien ne peut être comparé au fait de pouvoir se retrouver sur scène avec des membres de sa famille. Je prends, évidemment, un plaisir énorme à me produire avec The Royal Southern Brotherhood et je respecte énormément chaque musicien qui constitue ce groupe. Cependant, quand tu joues avec des membres de ta famille, tu ressens des sensations incomparables… que rien ne peut égaler !

Quels espoirs ou rêves portes-tu en l’avenir ?
Continuer à me faire écouter, car je ne sais rien faire de plus (rires) !Tu sais, j’ai aussi pour rêve le fait de pouvoir un jour davantage jouer sur scène avec mon fils Omari Neville. Nous avons monté un groupe ensemble qui s’appelle Tribe 13. Cependant, il s’implique essentiellement dans son propre projetdont le nom est Rejected Youth Nation. Je t’invite, d’ailleurs, à regarder ses vidéos sur Youtube. C’est donc mon rêve… Pouvoir un jour utiliser tout ce que j’ai pu apprendre dans le business de la musique, afin de pouvoir l’aider pour qu’il puisse parvenir à ses fins.

Quels sont tes prochains projets ?
Le fait de travailler avec mon fils Omari est, justement, l’un de mes prochains projets. Il a d’ailleurs terminé dernièrement, le mixage de son album qui s’intitule « 48 Hours ». La Nouvelle-Orléans est constituée de nombreuses familles de musiciens et au sein de son groupe, Rejected Youth Nation, on retrouve actuellement les fils de Cranston Clements qui est mon guitariste sur l’album « Magic Honey ». En effet, ses deux fils jumeaux (Austin Clements à la basse et Tyler Clements à la batterie) se retrouvent actuellement dans le groupe d’Omari, ce qui est drôle. Pour une des chansons qui constituent leur album, Cranston et l’un de ses fils ont composé la musique alors que moi et Omari en avons signé le texte. Je m’estime particulièrement chanceux de pouvoir aider ces gars et de les épauler afin qu’ils puissent obtenir la reconnaissance qu’ils méritent. L’un de mes projets et donc de continuer à travailler à leurs côtés.

Mon épouse Gaynielle H. Neville a également sorti un album cette année. Il s’intitule « Woman Power » et, pour la circonstance elle y reprend une chanson de Smokey Johnson qui est « It ain’t my fault ». Au départ, il s’agit d’un instrumental mais elle a spécialement écrit un texte dessus. Sur ce disque, ma fille Liryca et deux de mes nièces font les chœurs. Mon fils a supervisé le tout alors que Cranston Clements et moi-même jouons sur le disque. C’est vraiment une histoire de famille. Cela représente un véritable bonheur pour moi. Constater que je peux retrouver, sur un même enregistrement, mon épouse, ma fille, mon fils. Pouvoir également me produire avec eux sur une scène est une chose extraordinaire. Ainsi, ils peuvent tous s’imprégner de ce que je ressens lorsque je donne un concert avec mes frères.

En conclusion à cet entretien, souhaiterais-tu ajouter autre chose à l’attention de ton public français ?
Oh oui ! J’ai passé de formidables moments en France. On y trouve un public particulièrement enthousiaste. De plus, les gens adorent danser ici… une chose que j’apprécie particulièrement. Quand on vient de la Nouvelle-Orléans, on ressent toujours quelque chose de particulier pour la France, car ce pays fait partie de notre culture. On trouve chez nous, par exemple, le Quartier Français et il existe réellement une connexion sociale entre nos deux peuples. Cela se constate au niveau de l’architecture et même au niveau de la gastronomie. La Nouvelle Orléans et la France sont définitivement liées à travers une jolie histoire d’amour.

A la Nouvelle-Orléans, il m’est souvent arrivé de jouer devant des français de passage et je les reconnais systématiquement. Ils sont toujours en groupe au milieu du public et j’arrive facilement à les distinguer. Avec The Royal Southern Brotherhood, c’est la troisième fois que nous venons en France. Cependant, c’est la première fois que nous réalisons une tournée dans plusieurs villes du pays. Auparavant, nous nous étions uniquement produits à Paris. Nous avons, ainsi, pu découvrir de nombreuses choses nouvelles et j’espère que nous aurons la chance de pouvoir réitérer cela…

Remerciements : Aurélie Roquet (On The RoaD Again) ainsi que Marina et Marie (BMK team)

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Interview réalisée à
La Rodia - Besançon
le 25 octobre 2014

Propos recueillis par
David BAERST

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