Dale Blade
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : C’est alors qu’il interprète « Amazing Grace », aux obsèques de sa grand-mère, que Dale Blade se rend compte de l’énorme potentiel de chanteur qui sommeille en lui. Jusqu’à là trompettiste dans des brass bands réputés de la Nouvelle-Orléans, il met à profit ce nouveau talent et fonde son propre groupe (Dale Blade & Friends In Christ) avant de pactiser avec le jeune prodige du gospel louisianais Craig Adams (voir interview ICI). Ensemble, les deux hommes rencontrent le succès à travers la planète et poursuivent durant de nombreuses années une collaboration fructueuse. De quoi faire oublier à Dale les aspérités d’une vie qui ne l’a pas toujours épargné et les fréquentations douteuses qui l’ont, malheureusement, conduit à la case prison en 1988. Une triste expérience qui n’a, cependant, fait que renforcer la conviction avec laquelle il se produit sur scène…et l’émotion qui rejaillit de sa voix.
La France ne s’y est pas trompée, en lui réservant régulièrement des accueils on ne peut plus chaleureux. Un coup de foudre réciproque puisque l’artiste a décidé, après sa rencontre avec le guitariste Hervé Fernandez, de s’installer dans le sud de notre pays.
Aujourd’hui, c’est avec Fred Chapellier que Dale poursuit son aventure musicale. Un coup de génie tant le groupe qui découle de cette union, Fred Chapellier and his Gents featuring Dale Blade, marque de par sa cohésion. En plus du célèbre chanteur-guitariste, on y retrouve quelques-unes des plus fines gâchettes de la scène blues française (Guillaume Destarac à la batterie, Christophe Garreau à la basse, Philippe Billoin aux claviers et Pascal "Bako" Mikaelian à l'harmonica).
Avant que le combo ne sorte son premier album (dont la parution est envisagée en mars 2018), je tenais évidemment à en savoir plus sur le parcours de Dale Blade…

Dale, nous vivons aujourd’hui dans un monde où il est devenu très facile d’avoir le blues. Que ressens-tu lorsque tu entends, par exemple, ce qu’il peut se passer dans la société américaine actuellement ? 66
Pour moi, en tant qu’artiste, la situation actuelle aux Etats-Unis reflète ce qu’il se passe partout dans le monde. Nous avons du mal, particulièrement en Amérique, à supporter cela. La musique pâtit globalement de l’environnement dans lequel nous évoluons. D’un côté, elle perd de son importance face à toutes les horreurs que l’on peut entendre et d’un autre elle souffre d’une concurrence déloyale (dans la mesure où se sont des registres les moins intéressants qui sont mis en avant). Ces faits me donnent une perspective différente et me poussent à poursuivre un rêve. En effet, les gens sont devenus plus durs et moins intéressés alors qu’ils peuvent trouver une intarissable source de richesse dans la musique. Une manière d’être en accord avec eux-mêmes...
Les circonstances actuelles sont liées à de nombreux problèmes sociaux, à des guerres et des choses telles que celles-ci. C’est un fait mais je mets un point d’honneur à essayer de faire du blues un courant musical porteur de messages et d’espoir pour les gens.

J’aimerais revenir sur ta personnalité. Tu es originaire de la ville de La Nouvelle-Orléans en Louisiane. Dans quel quartier as-tu exactement grandi ?
Je suis originaire de La Nouvelle-Orléans et, plus particulièrement du quartier de Treme où Louis Armstrong est né. Les fantômes de Sidney Bechet, Mahalia Jacksony flottent encore. De grands artistes actuels, comme Trombone Shorty, en sont aussi issus. Toute une nouvelle génération perpétue l’âme magique de ce quartier qui a vu défiler les plus grands, des Neville Brothers à Allen Toussaint, en passant par Wynton Marsalis. J’ai grandi au milieu de ces gens-là, dans un environnement qui était totalement voué à la musique et ce…depuis mon plus jeune âge !
Pour moi le fait d’être actuellement en Europe (et spécialement en France) est une chose qui me pousse encore plus vers le sommet. La France est un pays particulier, car il est emprunt de culture et c’est une vraie République où la liberté n’est pas un vain mot. Par rapport à toutes les autres nations que j’ai pu connaitre, ce pays est un endroit très spécial. J’ai fait plusieurs fois le tour du monde, au moins trois fois… et à chaque fois que je suis dans un autre endroit, je rêve de revenir dans l’hexagone. Il faut dire que j’apprécie particulièrement votre cuisine… Lorsque je n’aime pas la nourriture de telle ou telle contrée, je ne pense qu’à revenir en France. Une véritable passion pour cette nation est née en moi. Quand je reviens sur les existences de mes grands aînés, et notamment de gens comme Louis Armstrong ou Miles Davis, je me rends compte que la France leur a toujours réservé un très bon accueil. A l’époque, le jazz était déjà très bien considéré dans ce pays. L’âme de cette musique y était respectée, une chose qui existe toujours aujourd’hui.
Avoir eu l’opportunité de rencontrer ce grand chanteur-guitariste qu’est Fred Chapellier est, de plus, une chance énorme pour moi. Depuis, nous travaillons ensemble et interprétons des chansons qui viennent du plus profond de nos personnalités respectives. Nous nous respectons et faisons en sorte d’offrir un répertoire sincère. Je suis très heureux de cela et c’est pour cette raison que j’ai décidé de procéder à une « transition » qui me permet de, totalement, m’immiscer dans le tissu culturel français. C’est Fred qui m’offre cette opportunité et je lui en suis très reconnaissant. J’ai simplement envie d’ajouter « vive la France ! ».

Gardes-tu, en mémoire, quelques éléments de la culture française présente à La Nouvelle-Orléans ?
Oui, même « beaucoup, beaucoup » ! De nombreux souvenirs me reviennent car cette culture est ancrée au plus profond de l’histoire de cet état. La Nouvelle-Orléans s’est développée et est devenue forte grâce à son aspect cosmopolite. Cela s’est ressenti dans la musique américaine qui s’est inspirée de nombreux courants avant de partir à la conquête de la planète entière. C’est, d’ailleurs, quelque chose que je ressens également en France actuellement. Les artistes puisent leurs connaissances auprès de registres variés, afin d’en faire surgir quelque chose de nouveau.

Tu as commencé la musique en apprenant la trompette. Peux-tu évoquer l’apprentissage que tu as suivi ?
Mon éducation musicale a, en fait, commencé avec le piano. Puis, je me suis mis au violon mais je trouvais cela un peu trop compliqué pour moi. J’étais sur le point d’opter pour la guitare et la batterie lorsque j’ai finalement décidé d’apprendre la trompette. Je devais, alors, être âgé de 6 ou 7 ans. Je voulais, déjà, absolument intégrer un groupe. Je me souviens bien, qu’un jour, mon professeur m’a demandé ce que je voulais jouer. Je lui ai dit que je voulais faire de la batterie. Il m’a répondu qu’il y avait déjà trop de batteurs. J’ai, alors, dit que la trompette m’intéressait aussi car je voulais être comme Louis Armstrong. Il m’a dit ok et m’a prévenu en me disant que c’était un instrument difficile. Cependant, j’étais déterminé et dès le lendemain ma mère m’a procuré une trompette. Le reste appartient à l’histoire…66


J’ai joué dans de très nombreux brass bands, tous formidables. Des ensembles qui sont réputés dans le monde entier comme Eureka Brass Band, Treme Brass Band etc. Ces groupes, j’ai pu les recroiser à de nombreuses reprises et ils ont contribué à mon éducation et à m’élever dans le milieu musical. C’est, en partie, grâce à eux que je suis devenu un artiste. Pour cela, il m’a, également, été nécessaire de beaucoup travailler. De pratiquer et d’encore pratiquer…du travail et toujours du travail réalisé en compagnie d’excellents professeurs. Aujourd’hui, à mon âge, je me rends compte que mon histoire est étroitement liée à tous ces gens qui faisaient de la musique. J’ai grandi à leurs côtés et je les ai vus tous les jours jouer. Ils m’ont donné des perspectives différentes concernant cet art et ils m’ont appris ce qu’est le son.
Quand j’entends Fred Chapellier jouer, je n’entends pas un musicien français…j’entends une musique universelle, chose qui est propre à l’Amérique. En effet, là-bas, on ne classe pas les genres dans des boites. Louis Armstrong n’était pas dans une boite. Il faisait simplement de la musique en s’inspirant de divers éléments. Puis, à son tour, il a inspiré de nombreux trompettistes. La manière dont il arrivait à faire rythmer la batterie avec les cuivres m’a beaucoup influencé alors que je n’étais qu’un enfant. Il faut dire qu’il était un trompettiste exceptionnel et qu’il possédait une voix hors du commun. Je me souviens l’avoir écouté alors que j’étais tout petit. Mon père, qui était aussi chanteur, m’avait emmené le voir alors qu’il se produisait à bord d’un bateau sur le fleuve Mississippi (je devais, alors, avoir 5 ans). C’était une chose incroyable, sa musique possédait un réel pouvoir sur les gens alors qu’il jouait simplement, sans aucune forme d’amplification. Il était à la fois un musicien et un faiseur de hits. Son talent m’a guidé dans mon appréhension du métier que je pratique aujourd’hui. Il est toujours présent dans la musique que je fais et dans mon rapport au public.
Avec Fred Chapellier, nous utilisons les mêmes codes et envisageons la musique comme une chose qui vient, avant tout, de l’âme. Lorsque nous donnons des concerts ensemble, le public peut bouger et danser. Cependant nous essayons toujours de lui transmettre des émotions, des choses qui le touche. Tu peux avoir l’âme et le cœur brisés, être malade… En te servant de ce que tu as en toi au moment où tu chantes, tu sais qu’une personne sera toujours interpellée par ton message ou par ton interprétation. Un seul mot que nous prononçons peut déclencher une succession d’émotions chez quelqu’un. Cela me procure encore plus de plaisir que de gagner de l’argent avec ce que j’aime le plus faire. Le fait de pouvoir, par le seul pouvoir de la musique, soulager la douleur d’une personne est une sorte de fierté. Je ressens une forte gratitude vis-à-vis de Fred pour cela, car il me donne l’opportunité de déployer mes ailes. Je ne me sens pas enfermé dans une boite, tout n’est que liberté maintenant…

Avant d’évoquer plus précisément ta collaboration avec Fred, j’aimerais que tu me parles deDonald Richardson. Qui est-il exactement ?
Wouah… C’est celui qui a été le premier à croire en moi et qui m’a donné l’opportunité de débuter. Il devrait être une superstar internationale à l’heure qu’il est. Il était très prolifique et possédait une excellente compréhension de la manière dont il faut enseigner la musique. Il est reconnu dans tous les Etats-Unis mais il est, avant tout, une figure légendaire de La Nouvelle-Orléans. Lorsque j’étais à l’école et que je commençais à jouer de la musique, il venait me voir et s’asseyait à mes côtés. Il prenait, alors, tout le temps qu’il fallait pour me parler, pour m’enseigner des choses nouvelles et m’expliquer sa manière de vivre la musique. Il m’a offert de nombreuses clés qui me servent toujours aujourd’hui. La manière de se comporter face à un public par exemple, ou encore la place importante à donner au feeling. Tout cela m’est, encore, utile aujourd’hui en tant que chanteur…

Dans quelles circonstances as-tu rencontré Fred Chapellier ?
J’ai rencontré Fred en 2014 alors que je me produisais en tournée européenne avec l’un de mes amis, Craig Adams. Avec ce dernier, nous avons donné des concerts, ensemble, à travers le monde durant 8 ans (notamment avec le groupe The Voice Of New Orleans). Cette année là, nous avons eu l’opportunité de nous produire au festival de Blues de Cahors, tout comme au festival de jazz de Marciac. C’est, d’ailleurs, à Cahors, que l’on m’a proposé d’intégrer un « supergroupe », le temps d’un concert exceptionnel en hommage à la route du blues. Avant ce show, nous avons fait une répétition et je me suis, immédiatement, rendu compte des valeurs de Fred (et de celles que nous partagions) qui était à la tête de ce combo créé pour l’occasion. Je me suis dit que j’aimerais beaucoup faire quelque chose avec lui un jour. Le courant est immédiatement passé entre nous, comme l’attestent les vidéos de cette soirée qui sont consultables sur YouTube (on y retrouve, également, le chanteur-harmoniciste Nico Wayne Toussaint).
Nos échanges ont été très intéressants et nous savions que nous étions déjà prêts pour faire de la musique ensemble. Je n’oublierai jamais cette expérience… Je n’avais jamais joué avec des musiciens français avant de rencontrer Fred car je ne me produisais qu’avec des américains. En écoutant ses disques, je me suis aperçu que sa musique est universelle, j’avais du mal à croire qu’il puisse être français…

Que penses-tu, exactement, de son approche des musiques américaines ?
C’est, tout simplement, américain ! Je me suis tout de suite dit cela et j’aimerais aller en Amérique avec lui. Je connais de nombreux musiciens, beaucoup de guitaristes et peu d’entre eux possèdent son toucher et son charisme. C’est donc l’un des projets sur lequel nous travaillons actuellement. Notre collaboration est assez facile en fait, tout est très naturel entre nous.

Quels sont les espoirs que tu portes en Fred Chapellier & His Gents featuring Dale Blade ?
Aller encore plus loin que la lune ! Je veux aller très loin avec ce groupe et je suis prêt à vivre le restant de ma carrière avec lui. Quand je parle avec les musiciens qui le constituent et les gens qui l’entourent, je me rends compte que mon cœur est là. J’ai l’impression que je suis né pour chanter au service de Fred Chapellier… Je suis né pour être membre de ce groupe ! Je ne me sens pas comme un américain au milieu de français. Il n’y a aucune frontière entre nous. Nous sommes tous des musiciens au service de la musique.

Pour toi, avant d’être un groupe, s’agit-il d’une famille ?
Oui… C’est une famille très forte, très soudée. C’est comme une famille de sang et, si nous venons de divers endroits du monde, nous partageons tous les mêmes idées et les mêmes idéaux. C’est une chose que je n’ai jamais vécue auparavant. Je sais qu’en retournant à la Nouvelle-Orléans je pourrais retrouver un bon job au sein d’un bon groupe. Mais ici, c’est différent… Nous avons tissé des liens indéfectibles et nous partageons cet amour sans bornes pour une musique brute et sincère. Nous ne cherchons pas la technique, nous faisons parler nos cœurs et nos âmes. Nous sommes soudés en tant que Gents, c’est notre identité maintenant. Nous prenons notre temps et n’avons d’autre objectif que celui de faire de la musique afin de l’offrir au public…dans le seul but de le rendre heureux. Fred et Dale sont dans la place et comptent bien y rester !

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
J’aurais beaucoup de choses à dire. La plus importante étant d’avertir le public américain, français et européen en général de bien garder ses yeux ouverts car le meilleur reste à venir pour Fred Chapellier & His Gents featuring Dale Blade. Vous nous retrouverez forcément quelque part, sur la route…

Remerciements : Fred Chapellier and his Gents !

 

 
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Interview réalisée
Festival Blues en Loire -
La Charité-sur-Loire
le 18 août 2017

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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