Daniel Romano
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Costume impeccable et vieille guitare Gretsch en bandoulière, Daniel Romano est sur le point d’offrir à la country music un nouvel âge d’or. Son style, un rien mélancolique, n’a pourtant rien de passéiste et n’engendre pas la nostalgie chez tous ceux qui viennent assister à ses concerts. Riche de l’album « Come Cry With Me » (Normaltown Records - 2013), qui croule sous les éloges des deux côtés de l’Atlantique, le jeune canadien de l’Ontario (né en 1985) s’est offert une dense tournée européenne à l’automne 2014. Flanqué d’excellents accompagnateurs, il a ainsi pu distiller une bonne parole qui semblait à ce jour uniquement accessible via les enregistrements de feux Hank Williams et George Jones. Loquace et allumant cigarette sur cigarette, il a répondu à mes quelques questions avant de retrouver un public en quête d’authenticité.

Daniel, afin de débuter cet entre66tien, peux-tu me présenter le groupe qui t’accompagne sur cette actuelle tournée européenne ?
Oui bien sûr, je suis actuellement accompagné par Aaron Goldstein à la pedal steel guitar, par mon frère Ian Romano à la batterie, par Anna Ruddick à la basse, Kristen « Kay » Berkelau piano (ainsi qu’au violon, à l’accordéon et au chant) alors que sa sœur Jenny Berkel joue de la guitare acoustique et assure les chœurs derrière moi.

Quel est ton souvenir, relatif à la country music, le plus ancien ?
J’ai probablement entendu de la musique country avant même que je naisse tu sais…Je conserve un vieux souvenir lié à mon grand-père. C’était chez lui, dans sa maison, alors que je devais avoir 3 ou 4 ans. Il jouait tout le temps et il y avait toujours des amis de passage qui l’accompagnaient. Ainsi, je pouvais écouter des instruments tels que le banjo et j’étais totalement fasciné par ces sons venus d’un autre temps. Ils étaient interprétés avec une extrême douceur, de la mélancolie et une forme de tristesse. Ces gens jouaient mélodieusement et représentaient un univers bien différent que ceux de registres en vogue à ce moment-là, tels que le heavy metal par exemple. J’adorais cette musique et les attitudes qui en découlaient, ainsi que l’émotion et les sentiments qui en ressortaient. Cela m’a frappé dès mon plus jeune âge et s’est ancré au plus profond de moi. J’ai donc naturellement souhaité, à mon tour, me plonger dans ces couleurs sonores. En fait le premier vrai souvenir, lié à la country music, qui me revient à la mémoire est certainement à mettre à l’actif de ma grand-mère, qui pratiquait la line dance. En effet, elle aussi, adorait cette musique.

Mes parents, quant à eux, sont issus d’une génération qui s’est intéressée au country rock. Ils ont donc totalement adhéré à ce que faisait un groupe tel que les Byrds lorsqu’il s’est immergé dans ces sons (Daniel fait probablement référence à l’album « Sweetheart Of Rodeo, enregistré en 1968 lorsque Gram Parsons était membre de ce combo américain, nda). Cela m’inspire aussi car on y retrouve les racines du genre, qui sont portées par une écriture nouvelle pour l’époque. Je me retrouvais donc confronté à toutes ces variantes différentes de la country, qui gravitaient autour de moi. Tout le reste me semblait inutile, car c’est grâce à tout cela que j’ai commencé à me forger une identité musicale et à écrire.

De quelle manière ton éducation musicale s’est-elle déroulée, durant ton enfance, dans l’Ontario ?
Je n’ai pas vraiment eu d’éducation musicale. Cependant, mes parents jouaient de la musique et il y a toujours eu des instruments qui « trainaient » autour de nous. Je pouvais donc en saisir l’un ou l’autre à l’occasion. C’était une forme de loisir… Je pouvais jouer et même m’enregistrer sur le matériel familial. Je crois que le premier vrai instrument que j’ai abordé est la batterie. Puis j’ai saisi ma première guitare vers l’âge de 7 ou 8 ans. C’est ainsi que j’ai réalisé que je pouvais créer mes propres chansons, ce qui était plus difficile à faire avec une batterie. Bien sûr, j’ai aussi appris des chansons que j’aimais alors et que je souhaitais reproduire. Je pouvais ainsi m’inspirer des disques que mon père me faisait écouter.

Tu as commencé à te faire connaitre avec le groupe Attack In Black. Etait-ce le premier ensemble avec lequel tu as eu l’occasion de te produire sur scène ?
J’ai dû appartenir à deux autres combos auparavant mais Attack In Black a été celui avec lequel j’ai réellement commencé à beaucoup tourner. Donc, en fait, oui…on peut dire que c’était mon premier vrai groupe !

Quelles sont les leçons les plus importantes que tu as pu acquérir par le biais des expériences vécues avec ce groupe ?
J’ai, en fait, appris beaucoup de choses à ne pas faire…. Sinon, je peux te dire que cette expérience m’a permis de savoir quelles sont les bonnes personnes avec lesquelles je peux travailler et qu’elle m’a appris à savoir dire non. J’ai également appris toutes les choses nécessaires afin de surmonter toutes les difficultés liées à la vie au sein d’un groupe. Il est parfois difficile d’enregistrer, d’écrire, de donner un concert, de mettre au point le graphisme de ses pochettes et de ses affiches, d’assurer sa propre promotion et toutes ces choses. Ces diverses difficultés, j’ai maintenant plus de facilités pour y faire face et pour les gérer. Je suis heureux, aujourd’hui, de pouvoir bénéficier de cette expérience. C’est un travail difficile et un milieu qui est dur. Il faut savoir éviter les gens qui cherchent à te baiser.Aujourd’hui, je pense y être parvenu.

Après avoir joué au sein du groupe Attack In Black (dans un premier temps dans un registre punk hardore puis dans un registre rock indé), pourquoi as-tu décidé de te replonger dans tes racines qui sont ancrées dans la tradition folk ?
La chose avec Attack In Black était que nous étions quatre et donc autant de personnalités créatives. Notre son était, de ce fait, issu de nos quatre cerveaux et de nos imaginations respectives. Pour m’a part, j’essayais d’y introduire régulièrement certains éléments relatifs aux musiques traditionnelles américaines. Les souhaits de chacun de nous étaient négociés lorsque nous nous réunissions afin d’évoquer notre orientation musicale. Nous essayions de les associer de manière cohérente, sans que personne ne soit lésé. Lorsque le groupe s’est définitivement arrêté en 2010, j’ai pu revenir à mes influences majeures et faire ma propre musique, celle qui m’intéresse le plus. Elle ne peut, en aucun cas, être comparée à celle qui était jouée du temps d’Attack In Black.

A la fin de l’existence d’Attack In Black, tu as formé le trio Daniel, Fred & Julie (avec Frederick Squire et Julie Doiron). Quel était exactement son registre musical ?
Je crois qu’il s’agissait principalement de musique folk. Fred et Julie sont des gens et des musiciens que j’appréciais. Nous sommes devenus amis et c’est avec eux, avant de faire mon premier album en solo, que j’ai souhaité revenir à un répertoire plus folk. Nous avons sorti notre album éponyme à la fin de l’année 2009. Il est principalement constitué de reprises de chansons traditionnelles mais aussi de deux compositions originales que j’ai écrites à cette occasion. Le disque a été enregistré chez Fred, dans son garage.

En fait, j’ai surtout chanté au sein de ce groupe, sans beaucoup écrire pour lui. Durant la courte existence de ce trio nous avons donné beaucoup de concerts et nous nous partagions les parties vocales.C’était une belle et gratifiante expérience qui m’a apporté bien des satisfactions. L’enregistrement s’est déroulé de manière très spontanée. Nous avons posé un micro et nous nous sommes mis à jouer autour…

Dans quelles circonstances as-tu commencé à te produire sous ton propre nom ?
C’est après mon expérience au sein d’Attack In Black que j’ai réellement commencé à écrire mes propres chansons. Je tenais, de toute façon,à commencer de travailler sur un premier album en solo. Je ne me souviens pas exactement si je l’ai terminé avant ou après la dissolution de Daniel, Fred & Julie. En tout cas c’est à cette période que j’ai souhaité monter un projet sous mon propre nom.

Les gens ont tendance à comparer ta musique à un mix entre les univers de Gram Parsons, de George Jones et de Nick Cave. A titre personnel, comment définirais-tu ton univers ?
Pour le qualifier, j’emploie le terme « mosey » (qui peut se traduire en français par « avancer sans trop se presser », nda).Je ne connais pas grand-chose au sujet de Nick Cave. Ce n’est pas trop ma culture et je ne sais pas si on peut vraiment faire un parallèle entre nos registres respectifs. Je ne peux pas t’en dire beaucoup plus au sujet de Gram Parsons dont la musique ne correspond pas exactement à mes goûts. Par contre, pour moi, George Jones est Dieu. Cela peut donc se résumer très facilement…

En dehors de la musique de George Jones, as-tu été touché par l’existence quelque peu « décousue » de cet homme (problèmes liés à l’alcool, relations difficiles avec les femmes, crises de rage fréquentes…) ?66
Il s’agissait d’un être humain avec ses forces et ses faiblesses. Il a connu, comme tout un chacun, ses périodes de malchance et on peut faire un parallèle entre ses chansons et la vie des gens en général. Il est facile de s’identifier à ce qu’il a écrit. La chose complètement folle, au sujet de George,c’est qu’il n’a jamais vraiment cherché à écrire sur lui-même. Ce sont plutôt les gens qui ont cherché à faire des comparaisons entre ses textes et son existence. En Amérique il était, à l’instar de Hank Williams, une grande personnalité publique qui a fait voyager ses auditeurs à travers ses chansons.

Actuellement, te sens-tu plus proche de la scène country ou de la scène musicale indépendante ?
Probablement de la scène indépendante je suppose. Ceci-dit, je ne me sens vraiment proche d’aucune scène. Je me retrouve un peu « coincé », mais dans le bon sens du terme. Je ne ressens pas la nécessité d’appartenir à quelque chapelle que ce soit. J’ai beaucoup de contemporains qui vont dans ce sens. Ils font ce que je fais et c’est sûrement une bonne chose.

Je me range du côté des artistes libres, ceux qui vont dans le sens de leur musique.Je n’ai pas d’attente particulière et cela me libère de beaucoup de poids même si, de ce fait, je ne peux pas me permettre d’utiliser autant de personnel que je le voudrais lorsque je pars en tournée. On me classe souvent dans l’americana, qui au final regroupe tout un tas de musiques différentes. C’est une appellationqui permet de facilement classer le rock’n’roll, le blues, la country et toutes les musiques roots américaines sous un seul nom. Je ne comprends simplement pas pourquoi on ne peut pas créer des sous-groupes plus précis. Je ne me sens pas spécifiquement évoluer dans le monde de la country et je ne me sens pas plus être un artiste americana. Et cela ne m’inquiète pas vraiment…

Cependant, les codes de la musique country (comme les tenues vestimentaires) semblent assez importants à tes yeux…
Oui, tu sais, c’est une chose que j’aime faire… afficher certaines similitudes entre ce que je fais musicalement et l’image que je cherche à dégager à ce moment-là. Mon style vestimentaire change tout le temps…

Où puises-tu ton inspiration lorsque tu écris tes chansons ?
Les gens… Mes chansons ne reflètent jamais les propres expériences que j’ai pu vivre. J’agis au feeling et tente d’évoquer les œuvres de la vie. A mon avis, les bonnes chansons sont celles qui permettent à chacun de s’y retrouver. Je tiens à transmettre une forme d’émotion que je traduis sous la forme d’une musique ou de mots. Il m’arrive pour cela d’utiliser une certaine sorte de dérision…

Peux-tu me présenter en détails ton dernier album en date « Come Cry With Me » paru, à l’origine, en 2013 sur le label Normaltown Records ?
Je pense qu’il est sûrement très bon (rires) !En fait, j’ai un peu de mal à en parler car je suis toujours focalisé sur ce que je fais à l’instant T. Je vais simplement te dire qu’il s’agit d’un recueil de chansons faites par des gens pour d’autres gens. Ces morceaux reflètent l’histoire depersonnes et des situations qu’elles sont amenées à vivre durant nos temps modernes.

Que penses-tu de la musique que produit Bob Dylan actuellement ?
Je l’aime énormément ! Mon disque préféré de Bob Dylan est « Love And Theft », qui est paru en 2001. C’est drôle que tu m’en parles car j’avais dernièrement une conversation, avec certains membres de mon groupe, au sujet de Dylan. Je pense que la plupart des gens le connaissent principalement pour ses 4 ou 5 premiers albums mais je reste persuadé que « Love And Theft » est sa plus grande réalisation. Si tu n’en connais pas vraiment l’histoire c’est une chose qui est difficile à comprendre (le titre de cet album est inspiré de l’ouvrage « Love & Theft: Blackface Minstrelsy and the American Working Class » d’Eric Lott qui évoque la classe ouvrière américaine, nda) mais j’adore ce disque et tout ce qui le compose. C’est en fait le deuxième album d’une trilogie débutée avec « Time Out Of Mind » en 1997 et achevée avec « Modern Times » en 2006. La production y est particulièrement réussie et les chansons sont vraiment incroyables. Ce disque a été produit par Dylan lui-même sous le pseudonyme de Jack Frost alors que l’ingénieur du son en est Chris Shaw qui vient du hip-hop (il a, notamment, travaillé avec Public Enemy). Les parties de guitares y sont magistralement interprétées (les guitaristes de l’album sont Charlie Sexton et Larry Campbell, nda).

A titre personnel, j’adore aussi observer les gens à la sortie des concerts de Dylan. Il y en a toujours beaucoup qui s’exclament avoir été roulés et avoir entendu de la merde. C’est tout le contraire. La plupart des spectateurs, en allant le voir, pensent aller écouter un concert de rock constitué d’un best of alors que Dylan agit comme un chimiste qui réalise de nouveaux essais et qui, tournée après tournée, transforme totalement son répertoire au point que même ses fans les plus fidèles ont parfois du mal à reconnaitre ses chansons. Pour moi, le Dylan du XXIème siècle est le plus intéressant, plus que celui des décennies précédentes. Je l’adore… Tout comme son dernier album « Tempest » qui est sorti en 2012. Mon Dieu, c’est vraiment quelque chose de magique…Les chansons qu’il écrit actuellement sont très différentes de celles qu’il produisait avant que je naisse mais elles sont d’une force et d’une pureté incroyable. Avec elles, il a inventé le folklore moderne américain. C’est vraiment formidable, il est encore plus américain que le cheesburger… Il est tellement brillant…

Es-tu surpris de l’intérêt que ta musique suscite en France depuis quelques temps ?
La France est le pays où j’ai le plus de choses à prouver, car cela y a toujours été assez difficile pour moi dans le passé. Hier soir à Paris (concert du 23 septembre 2014 au Divan Du Monde, nda), tout s’est vraiment très bien déroulé. J’ai débuté cette tournée européenne en Hollande et là, l’ambiance y était totalement incroyable. Le fait de voir à quel point les gens y étaient intéressés par ma musique et impliqués durant les concerts a été un vrai choc pour moi. On ne peut pas vraiment comparer la France et la Hollande où je suis, visiblement plus connu, mais hier soir j’étais vraiment très heureux et agréablement surpris après mon concert parisien.

Tu es un musicien, un chanteur, un auteur-compositeur mais tu es aussi un concepteur d’artwork et un maroquinier. Comment cette dernière passion est-elle venue à toi ?
Avant de commencer à chanter, j’ai commencé à ressentir cette envie. Au fil des ans, elle n’a fait que s’amplifier et je me suis lancé. C’est un réel plaisir que celui de travailler le cuir. Chaque pièce que je réalise (qu’il s’agisse d’une sangle de guitare pour un artiste, d’une ceinture, d’un tableau de bord de voiture…) m’apprend à chaque fois de nouvelles choses et me permet de progresser. Si je vends mes produits, j’exerce principalement cette activité pour le fun et pour réaliser des choses pour moi-même. Je m’y adonne beaucoup et c’est presque devenu un travail à part entière lorsque je suis à la maison. Je suis vraiment heureux, et m’estime chanceux, de pouvoir exercer un tel art !

Quels sont tes projets ?
J’ai un nouveau disque en cours de préparation et qui est fini à, environ, 75%. J’ai de nouvelles chansons qui se situent dans un registre contemporain mais qui restent fidèles à mes précédents disques. Les premières sessions se sont déroulées il y a déjà longtemps. Je peux enfin me permettre de prendre mon temps et je ne m’en prive pas. Cela me permet de sélectionner les meilleures chansons que j’ai en poche et de pouvoir les fignoler. Il y a, en effet, rien de plus effrayant que de devoir entrer en studio en estimant que tel ou tel titre n’est pas encore suffisamment travaillé. Pour la première fois, j’ai vraiment l’opportunité de pouvoir prendre mon temps alors pourquoi devrais-je m’en priver ?

Souhaites-tu ajouter une conclusion à cet entretien ?
Je voudrais simplement dire que l’on retrouvera certainement des éléments de pop françaisedans ce que je ferai sur mon prochain album. La section rythmique de ce disque a été choisie dans cette optique. J’ai une certaine gratitude envers ce qui a été fait et je pense que l’interprétation française du rhythm and blues américain originel et des autres musiques de l’époque a souvent donné naissance à des résultats intéressants. Le mouvement yéyé marque une forme d’identité musicale qui va avoir de l’influence sur ce que je pense faire dans le futur. Je le remercie pour cela…

Remerciements : Isabelle Sire (PBox Concerts), Benoit Van Kote (Au Camionneur), Jair Hoogland (Sedate Bookings).

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Interview réalisée au
Camionneur de Strasbourg
le 24 septembre 2014

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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