David Evans
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

David, pour commencer cet entretien, peux-tu te présenter ?
Mon nom est David Evans et je suis originaire de Memphis, Tennessee. Je réside, plus exactement, dans une ville au nord de Memphis, à savoir Millington. Je joue le Blues depuis 1962...

Durant ton enfance, la musique (et le Blues en particulier) représentait-elle une part importante de ton éducation ?
On ne m’a, en aucun cas, appris l’histoire du Blues à cette époque. Lorsque j’étais un enfant, le système scolaire ne laissait guère de place aux formes de musiques contemporaines et ils souhaitaient, probablement, encore moins parler de ce style en particulier …

J’ai donc fait cette recherche moi-même à partir du moment où j’ai intégré l’Université. Cela s’est passé à Cambridge, Massachusetts, en pleine période du « Folk Revival ». C’est ainsi que j’ai pu voir, pour la première fois, des artistes qui se produisaient en concert  comme Sleepy John Estes ou  Hammie Nixon. J’ai également vu, à cette époque, Mississippi John Hurt, Bukka White, Skip James, Mississippi Fred McDowell. C’était vraiment formidable de se trouver au bon endroit au bon moment.

J’avais, bien sûr, déjà entendu du Blues auparavant, dans les années 1950, mais les gens avaient déjà l’habitude d’appeler cela du Rock’n’roll et je n’en connaissais pas encore les origines. Ainsi j’entendais Bo Diddley à la radio, tout comme Elvis qui s’inspirait beaucoup du Blues et, bien sûr, Chuck Berry.

Dans quelles circonstances as-tu rencontré Alan Wilson (chanteur - guitariste - harmoniciste qui a cofondé le célèbre groupe Canned Heat en 1965, il était surnommé the Blind Owl en raison de sa mauvaise vue. Il est décédé en 1970, Nda) ?
Je l’ai rencontré dans un magasin de disques à Cambridge. Nous regardions des albums de Blues ensemble et nos choix respectifs se portaient, presque toujours, vers les mêmes disques. Comme nous écoutions la même musique, au bout d’un moment nous avons commencé à discuter ensemble.

De son côté, il venait de commencer la pratique de la musique tout comme moi. C’est ainsi que nous sommes devenus amis puis partenaires musicaux. Nous avons commencé à jouer ensemble en 1962. En 1965 j’ai été diplômé et je suis parti au Collège en Californie. Dans le même temps, il rejoignait les environs de Los Angeles…

Votre collaboration a-t-elle continué alors ?
Peut-être jusqu’en 1967, période à laquelle le groupe Canned Heat a enregistré son premier album (« Rollin’ and tumblin’ », Nda). J’ai continué mon travail à l’Université alors qu’Alan, de son côté, n’était plus étudiant  et avait besoin de vivre. Comme la musique était la seule chose qu’il savait faire (rires), il s’est lancé…

Il a eu beaucoup de succès avec ses compagnons, le chanteur Bob Hite et le guitariste Henry Vestine…
Il y a rapidement eu plusieurs changements dans la composition de ce groupe…
Si je suis resté à l’Université, j’ai aussi continué à jouer de la musique pour moi-même. J’ai côtoyé le groupe Canned Heat à une période, avant qu’il ne devienne très célèbre. Puis nous nous sommes perdus de vue en raison des tournées incessantes liées à leur succès.

A titre personnel, quand as-tu commencé à te produire professionnellement ?
C’est difficile à dire…
J’ai effectué quelques concerts dans les années 1960 mais je me suis davantage poussé à me produire sur scène à compter des années 70. Si j’ai toujours joué, il faut avouer qu’à cette période j’étais plus intéressé par mes recherches (David Evans est musicologue, Nda) qui consistaient à retrouver de vieux artistes de Blues dans le Mississippi, la Louisiane et le Tennessee afin de leur permettre d’enregistrer des disques. 

Quand j’ai déménagé à Memphis je suis devenu plus concentré sur ma propre façon de jouer et j’ai recommencé à me produire devant un public, c’était en 1978. J’ai formé un Jug Band (un Jug Band est un groupe qui se produit dans un registre mélangeant principalement le Memphis Blues à du Ragtime en utilisant des instruments bricolés et traditionnels. Le terme « jug » désigne un pichet d’alcool qui pouvait souvent être utilisé comme instrument de musique dans ce type de formule, Nda) avec l’harmoniciste Hammie Nixon qui était l’un des premiers musiciens que j’avais vu. Malheureusement Sleepy John Estes était décédé peu de temps avant…

C’est donc avec Hammie Nixon que j’ai voulu former ce groupe, d’autant plus qu’il avait déjà collaboré avec des Jug Bands dans les années 1920.

Puis j’ai travaillé avec d’autres amis comme la chanteuse Jessie Mae Hemphill (également pionnière de la guitare électrique, nda)…

Dans les années 1980 j’ai décidé de m’occuper de nombreux musiciens de Blues traditionnel afin de les faire tourner dans de nombreux pays tels que la France. J’ai donc accompagné sur scène Hammie Nixon, Jessie Mae Hemphill, Johnny Shines. Ce dernier avait besoin d’un guitariste à cette période-là (1989, Nda) car, après une attaque, il ne pouvait pratiquement plus jouer de guitare, sa main gauche étant quasiment paralysée.

On peut dire que j’étais, un peu, sa main gauche (rires)…
Il pouvait maintenir un rythme mais ne pouvait plus vraiment utiliser les doigts de cette main.
Après sa mort, Jessie Mae a aussi été victime d’une attaque en 1993 et c’est avec Robert Belfour que j’ai continué à venir en Europe dont deux fois en France.
J’avais commencé, en 1991, à faire des tournées européennes sous mon propre nom. Celles-ci se déroulaient principalement en Grande Bretagne. Deux ans plus tard je tournais en Allemagne (surtout en ex Allemagne de l’Est). Cela m’a permis d’avoir de bonnes connexions professionnelles avec la France puis, de fil en aiguille, avec des pays d’Europe de l’Est (Slovanie, République Tchèque etc…). Je connais, de ce fait, de nombreux endroits de l’Europe et j’espère encore en découvrir d’autres.

Comment es-tu devenu Docteur en Blues (titulaire de la chaire d’ethnomusicologie à l’Université de Memphis, nda) ? Ce doit être un métier formidable !
(rires)
J’ai commencé mes études en voulant me consacrer à la langue classique mais au fur et à mesure des années ma passion pour le Blues augmentait. De ce fait, je me suis intéressé au folklore et me suis lancé dans des disciplines plus marginales comme l’étude du Blues et de la musique Folk.

Je suis devenu Docteur après des études d’anthropologie qui ont duré 9 ans. Cela se faisait dans un cadre particulier, lié au Folklore et m’a permis de devenir musicologue. Ma thèse est devenue un livre « Big Road Blues : Tradition and Creativity in the Folk Blues ». Quand l’Université de Memphis m’a sollicité, elle a tout mis en œuvre afin de me permettre de mettre en place un programme spécial. Cette situation est normale puisque, pour le Blues, c’est à Memphis que tout a commencé. J’y ai donc débuté en 1978...

Etais-tu un proche d’Alan Lomax (célèbre ethnomusicologue, folkloriste et producteur qui a, entre autres, travaillé avec Leadbelly et Woody Guthrie, il est décédé en 2002, nda) ?
Oui, j’ai connu Alan…
J’ai un grand respect pour son travail et sa vision de la musique Folk et internationale. Il était, parfois, une personne un peu difficile car il avait un ego qui était particulièrement développé…
Il pouvait se prendre pour l’inventeur des musiques folkloriques américaines (rires). Il a élargi le champ de ses recherches en allant faire des collectes de musiques dans les Caraïbes et même en Europe en se rendant en Espagne, Italie, France (par la suite au Maroc, en Roumanie et en Russie, Nda)…

En fait, le Blues ne représente qu’une partie de toutes ses recherches et j’ai toujours eu une grande admiration pour ses idées. Je suis très touché par tout ce qu’il a pu dire sur moi et après sa mort j’ai continué de mettre en avant ses collectes pour le label Rounder Records qui a fait une série de CD consacrés à ses recherches. C’était pour moi une forme d’hommage à Alan Lomax…

As-tu découvert de nombreux artistes de Blues ?
Oui, j’ai permis aux gens de redécouvrir de nombreux artistes qui étaient célèbres dans le passé. Je pense à Mississippi John Hurt, Rube Lacey qui était un pasteur, Boogie Bill Webb qui n’était pas très connu mais avec lequel j’ai fait des sessions à La Nouvelle Orléans, Jack Owens et tant d’autres musiciens formidables.
Je n’ai pas forcément beaucoup voyagé avec eux mais le fait d’être parvenu à les sortir de l’oubli leur a permis d’avoir une fin de vie plus agréable.

Te considères-tu comme le gardien d’une tradition ?
Dans un certain sens…
Je ne sais pas vraiment de quoi ont besoin les traditions…
Je serais plutôt leur avocat …
Quelqu’un qui enregistre une forme de Blues très traditionnelle et qui va ensuite la défendre sur scène. Parfois cela ne se fait pas dans un contexte très « traditionnel » et les spectateurs peuvent être surpris, voire quitter la salle. Parfois, par contre, cela plaît beaucoup et les gens payent leurs places pour écouter cette musique. En fonction du lieu et de l’environnement, l’ambiance peut être survoltée !

C’est probablement pour cela que je dois faire plus de concerts en Europe qu’aux USA. Peut-être aussi parce que je travaille aux USA toute l’année et que je profite de mes vacances d’été pour faire un maximum de concerts en Europe.

Quels sont tes meilleurs amis dans le monde de la musique aujourd’hui ? Je pense que tu en connais beaucoup qui sont français …
Je reste très ami avec Robert Belfour, qui est l’un des derniers représentants de sa génération dans ce style de musique. Sinon il y a Little Victor qui est un de mes très bons amis…

Parmi les artistes de la nouvelle génération je peux citer Mojo Blues Band, Al Cook. Des gens que j’ai vus au Festival de Vienne où il y avait vraiment d’excellents musiciens !
J’ai également des amis bluesmen en Slovaquie, Hollande et en Angleterre avec les très bon Big Joe Louis. Quelques américains installés en France…
Il y en a vraiment beaucoup, je ne peux pas tous les citer et j’en oublie. Mes préférés sont, bien sûr, ceux qui se produisent dans un registre très traditionnel.

Peux-tu me présenter ton Jug Band « The Last Chance Jug Band » ?
Oh ok !
C’est un groupe qui a été fondé il y a une trentaine d’années, en 1979. Au départ c’était un jug band qui accompagnait des artistes tels que Hammie Nixon et quelques autres.

Après le décès d’Hammie, il est officiellement devenu « The Last Chance Jug Band » en prenant ce nom. Nous avions un pianiste qui est l’un de mes vieux amis, Dick Raichelson. Il est toujours dans le groupe depuis 20 ans…

Nous avons aussi un très bon spécialiste des instruments à cordes, qui joue aussi bien du violon que de la mandoline ou du banjo, il s’agit de Clint Wagner. Notre harmoniciste est Elmo Lee Thomas qui a son propre groupe, davantage orienté vers le Rythm and Blues. Le percussionniste et joueur de « jug » est Keith Padgett (washboard, percussions diverses), il ne joue pas d’une batterie complète…

Comment imagines-tu le futur du Blues ?
Le Blues a toujours connu des phases de succès et des « résurrections ». La scène Blues rurale continuera de vivre dans quelques villes telles que Houston, Memphis et Chicago mais je pense qu’elle s’éteindra petit à petit partout ailleurs d’ici 15 à 20 ans. La scène Zydeco est très énergique et permettra à la Nouvelle Orléans de continuer d’être une Mecque de la musique.

Par contre, le Country Blues ne bénéficie pas d’une assez grande communauté de musiciens pour réussir à subsister dans de bonnes conditions dans les années à venir. Il reste des artistes comme Robert Belfour qui essaye de tenir, à bout de bras, cette tradition. Il arrive à intéresser un public blanc urbain et tourne aussi bien aux USA qu’en Europe.
Le phénomène le plus intéressant est celui des « enfants et petits enfants du Blues » . Certains descendants de vieux artistes que j’ai enregistrés dans le passé viennent me voir afin de connaître l'histoire de leur famille. Ils m’écoutent souvent religieusement (rires)…

Le Blues devient, ainsi, une expression de la famille, de la solidarité et de la continuité…
C’est très étrange pour moi mais c’est un phénomène intéressant. Les jeunes musiciens noirs qui veulent connaître l’histoire du Blues commencent à se tourner vers leurs parents ou leurs grands-parents…

Quels sont tes projets ?
Je serai bientôt de retour en Europe pour une nouvelle tournée en Allemagne et un concert en France, près de Lille, en juillet 2009. J’espère accentuer mes tournées et m’apprête aussi à repartir chanter au Venezuela en septembre 2009. J’ai déjà eu l’occasion de m’y produire à de nombreuses reprises dans le passé.
Je commence aussi à travailler sur une biographie de Blind Willie McTell et, bien sûr, sur un nouvel album qui sortira, je l’espère, également sur un label européen.

Souhaites-tu ajouter une conclusion ?
Simplement saluer tous les gens qui écoutent cette émission de radio. Little Victor et moi-même sommes très heureux d’être en France et espérons revenir très bientôt !

www.myspace.com/uncledavidevans

 

 
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Interview réalisée
au Caf' Conc' d'Ensisheim
le 19 mai 2009

Propos recueillis par David BAERST

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