Nda : Plébiscité sur la scène rock, ainsi que dans les milieux blues européens et américains, le groupe Dirty Deep a (paradoxalement) du mal à s’imposer sur les scènes des festivals français dédiés aux sons afro-américains. Une injustice qui, si elle surprend ce combo biberonné à la musique de Son House, ne l’empêche pas de multiplier les concerts et des projets de plus en plus audacieux.
En véritable agent multicartes des sons auxquels il voue toute son existence,Victor Sbrovazzo (chant, guitare, harmonica) était de retour dans le studio de Route 66 afin, entre autres, de présenter l’édition 2017 de l’album « What’s Flowin’ In My Veins ».
Eloigné, une heure durant de ses acolytes qui ne sont plus anonymes (le batteur Geoffroy Sourp, le bassiste Adam Lanfrey et le fameux van Daisy), ce passionné de culture amérindienne est également revenu sur l’ensemble d’une saison 2016/2017 particulièrement riche en émotions.Bien plus adepte d’un blues à fleur de peau, énergique et (en)joué en fonction du feeling du moment (plutôt que de grandes envolées lyriques dénuées de toute âme), notre homme a su démontrer que l’on pouvait être un exemple d’authenticité artistique tout en restant ouvert à énormément de styles différents (du hip-hop au metal stoner, en passant par le rock, la folk music, la country dépressive, le jazz etc.).
Voici donc un entretien, qui ne manque pas de piment, en compagnie d’un indomptable chef qui a le mérite de relever le goût de son gumbo musical…en y ajoutant des épices qui tiennent autant du terroir, que des senteurs exotiques.
Victor, tu reviens nous rendre visite dans l’émission à l’occasion de l’édition d’une nouvelle version de l’album “What’s Flowin’ In My Veins”. Pourquoi avoir décidé de ressortir ce dernier dans une formule enrichie de 4 titres ?
La principale raison est que le groupe Dirty Deep a quitté ses deux précédents labels (Hell Prod et Beast Records) afin de fonder le sien. Ce dernier, Junk Food Records, est greffé au label strasbourgeois Deaf Rock. N’ayant pas encore suffisamment de nouveaux titres pour nous permettre de sortir un album original, nous avons décidé de continuer à faire vivre « What’s Flowin’ In My Veins ». Il faut dire qu’il n’avait, malheureusement, pas eu de vie médiatique (en raisons de certaines complications) au moment de sa première sortie. Cette version augmentée est une deuxième chance que nous lui donnons. De surcroît, nous n’avions plus aucun exemplaire de l’édition originale en stock (rires) !
As-tu fondé Junk Food Records seul, ou as-tu été accompagné dans cette démarche ?
Pour le monter, j’ai été accompagné par quelques acteurs culturels strasbourgeois. Par exemple, j’ai pu m’appuyer sur l’aide des gens de l’Espace Django Reinhardt…ainsi que sur Deaf Rock qui m’a aiguillé concernant certaines choses. Mon tourneur, Jérémy Durand de chez V2C, m’a également été d’une grande aide. Aujourd’hui, je gère seul le quotidien du label en aidant des groupes que j’aime bien (majoritairement des combos étrangers) pour leur booking. Je donne, aussi, des conseils en termes de management à des groupes locaux que j’admire tout autant. Je considère que le fait de faire une chose en parallèle de la musique est une chance.
C’est, aussi, une certaine façon d’officialiser tout ce que tu faisais déjà par amitié auparavant…
Oui, c’est un peu ça… Depuis la création du projet Dirty Deep en 2011, j’ai accumulé de nombreux contacts dans l’hexagone. Je tiens, maintenant, à en faire profiter d’autres gens…
Quels sont les objectifs du label, certaines sorties sont-elles déjà programmées…allons-nous y retrouver d’autres groupes que le tien ?
Pour l’instant, nous sommes pauvres (rires) ! Donc, pour le moment, le label n’encadre que le groupe Dirty Deep. Dans un futur, plus ou moins proche, nous donnerons peut être un coup de main à d’autres musiciens. Lorsque nous serons un peu moins pauvres, nous produirons probablement quelques sorties. Pour le moment, cela reste dans un coin de ma tête…mais l’envie est bien présente !
Souhaites-tu que cette structure puisse te permettre de cumuler une casquette de tourneur à celle de « patron » de label ?
Non, j’aimerais m’éloigner de cette activité de tourneur…car c’est une partie de mon travail qui m’est, déjà, pénible pour m’occuper de mon propre projet. C’est très chronophage et je n’ai pas envie de faire carrière dans ce domaine. C’est quelque chose que je fais ponctuellement…pour des gens que j’aime beaucoup. J’ai débuté avec James Leg, le temps qu’il passe d’une boite de booking à une autre et je l’ai fait pour Shake It Like A Caveman ainsi que pour The Blues Against Youth. D’ailleurs, ce soir je fais jouer le groupe anglais de garage,Avalanche Party, qui se produit au Mudd Club (Strasbourg). C’est le genre de trucs que je m’amuse à faire…
Quelques titres ont été ajoutés à la version 2017 de « What’s Flowin’ In My Veins ». S’agit-il de morceaux émanant dessessions originelles ou de nouvelles chansons enregistrées spécialement à cette occasion ?
Je qualifie cette ressortie de « Frankenstein » !
Effectivement, on y trouve une chute de l’enregistrement initial. Puis, il y a trois morceaux qui ont été enregistrés dans le très bon White Bat Recorders de Rémi Gettliffe, dans le Sundgau. C’est un studio qui fonctionne uniquement avec du matériel (analogique) des années 1970. C’est avec lui que nous avions sorti notre vinyle deux titres, « Written In Coffee Grounds »avec James Leg.Du coup, nous avons décidé de remettre au goût du jour d’anciennes chansons de Dirty Deep (version solo), à la sauce trio (des morceaux issus de l’album « Shotgun Wedding »). Le quatrième titre ajouté est un morceau acoustique que j’ai fait seul. Il s’agit d’un titre 100% inédit, écrit la veille d’entrer en studio.
Cela a-t-il, également, nécessité de retravailler les autres morceaux pour que le son soit linéaire ?
En effet, tout a été remastérisé pour l’édition Deluxe… en fonction du mix des quatre morceaux ajoutés.
Douze mois se sont écoulés depuis ta dernière venue dans le studio. J’aimerais revenir sur cette année qui a été, particulièrement, riche en termes de concerts et de rencontres. Tout d’abord, peux-tu revenir sur ta première tournée américaine. De quelle manière cette dernière s’est-elle construite, comment s’est-elle déroulée ?
C’est un sujet vaste (rires) ! Nous avons mis, environ, un an pour programmer cette tournée (aussi bien financièrement qu’en termes de booking). Je garde, plus particulièrement, trois endroits en tête. A savoir, dans un premier temps, la fabuleuse ville de Clarksdale dans le Mississippi (qui, historiquement, porte l’histoire du blues sur ses fondations). Le fait de la traverser est une très belle expérience. De plus, nous avons pu y jouer puisque nous y avons fait la première partie du Cedric Burnside Project (Cedric Burnside est le petit-fils de RL Burnside, l’une des grandes influences de Victor, nda) dans une sorte de grange mythique, le Shack Up Inn, située entre deux champs de coton. L’un des autres membres du combo, n’est d’autre que le fils de Junior Kimbrough qui figure aussi parmi mes bluesmen préférés. Cette expérience était vraiment forte en coton (rires) !
Nous avons, dans un deuxième temps, connu une forte expérience en Caroline du Nord. Auparavant, je ne connaissais cette région que par le Basketball car je suis un grand fan de l’équipe Charlotte Hornets. C’est, aussi, dans ce coin que vit mon ami Blake « Snake » Burris de Shake It Like A Caveman avec lequel nous avons fait une randonnée sur place (nous avons même croisé un ours à cette occasion). Puis, bien sûr, j’ai été extrêmement touché par La Nouvelle-Orléans qui, je l’espère, sera la ville de ma retraite. J’y ai pris les plus grandes baffes musicales de mon existence. Cette ville ne dort jamais, ça joue de 10h00 du matin jusqu’à 05h00 le lendemain. On a pu voir des alligators, on a pu tenir des alligators, je me suis acheté un portefeuille en alligator… En fait, la ville est un alligator géant (rires) ! Voir le fleuve Mississippi se jeter dans le Golfe du Mexique est une chose incroyable. J’y remettrai les pieds avec le plus grand des plaisirs…
En tout et pour tout, combien d’états avez-vous traversés ?
Si ma mémoire est bonne, nous avons traversé 6 états en 15 jours de vie sur place (dont 10 concerts). C’était donc dense, mais nous avons pu visiter pas mal de choses. Ainsi, nous avons découvert le label Third Man Records de Jack White (à Nashville) ou encore Stax Records (à Memphis). Nous avons même vu le jet privé d’Elvis à Graceland, c’était beau (rires) !
Avez-vous pu ramener des images de cette aventure, comme vous l’envisagiez au départ ?
Nous avons, uniquement, ramené des images dans nos têtes (rires) ! Nous le regrettons mais, pour des raisons budgétaires, la personne qui devait nous accompagner pour filmer n’a pas pu venir. Nous sommes, tout de même, partis avec une caméra mais nous ne sommes vraiment pas experts en la matière. Il y a une chose qui m’a bien fait rire, l’une des seules que nous ayons filmées...En nous rendant, en voiture, à Memphis nous avons écouté « Sur la route de Memphis » d’Eddy Mitchell. C’est la seule vraie image qui a été gardée (rires) !
Autre belle aventure liée, justement, à un ami d’Eddy Mitchell…le fait de faire la première partie de Johnny Hallyday. Une chose dont vous rêviez…
Geoffroy avait, en effet, eu la fabuleuse idée de créer un évènement fictif sur Facebook. Ce dernier nous présentait comme faisant une première partie fictive d’un concert fictif de Johnny. Quasiment un an, jour pour jour, après cette idée nous avons pu entrer en contact avec la production de l’artiste. Cette dernière nous a permis d’ouvrir son show à Haguenau le 07 juillet 2016.
Malheureusement, nous n’avons pas pu rencontrer Johnny mais nous avons pu côtoyer l’un de ses guitaristes, Yarol Poupaud. Nous entretenons, maintenant, des relations très amicales avec ce dernier. Nous le respectons énormément et nous savons qu’il nous respecte aussi. Nous avons pu jouer en première partie de son groupe Black Minou à Paris, au Bus Palladium, il y a peu. Il s’y produit un jeudi par mois avec ce combo, également constitué par le bassiste d’Erik Truffaz et d’autres musiciens de Johnny Hallyday.
Avant ce fameux concert à Haguenau, connaissait-il déjà votre musique ?
Non… D’ailleurs la chose qui était encore plus stressante que de voir ces milliers de gens face à nous, est que Yarol a passé le concert à nous « ausculter » depuis l’arrière la scène. Je le voyais au dessus de mon épaule et cela me faisait encore plus peur que les sosies de Johnny qui remplissaient les trois premiers rangs (rires) ! C’était vraiment un chouette moment et nous avons pu discuter ensemble. C’est quelqu’un qui a le cœur sur la main et qui est très gentil. Nous l’avons revu quelques temps avant le concert de Black Minou, car il répète avec FFF dans une salle parisienne où nous nous produisions en première partie de Left Lane Cruiser. Il était venu lors de nos balances, nous avait offert une bière… Nous avons beaucoup échangé…
Puis, pour en revenir au concert du Bus Palladium…c’était, vraiment, un grand moment. De plus que, ce soir-là, le groupe accueillait quelques invités prestigieux comme Nono Krief de Trust. J’ai pu jammer, à l’harmonica, entre ce dernier et Yarol. C’était une belle expérience. Geoffroy en a pleuré (rires) !
Le Bus Palladium est un endroit absolument mythique, comment as-tu ressenti cette salle ?
Je n’ai jamais vu une salle de cette taille, donc assez petite, sonner aussi bien. L’ambiance y était vraiment chaude. J’y ai même rencontré Manu Lanvin qui m’a reconnu par ma casquette Shack Up Inn. C’est ce qui l’a fait m’aborder en m’offrant un shooter de whisky. C’est un très gentil personnage…
Penses-tu que cette amorce d’amitié avec Yarol Poupaud pourrait aboutir sur une collaboration ? Il ferait, vraiment, un excellent producteur pour un prochain disque de Dirty Deep !
Pour le moment, nous nous contentons de nous offrir des bières et on s’appelle de temps en temps. Je reste encore relativement stressé lorsque je vois apparaitre son nom sur mon téléphone…et que je dois décrocher. Il lui est arrivé de me contacter alors qu’il faisait de la trottinette avec ses gamins. Je trouve cela marrant…je sue des mains pendant qu’il s’évente avec ses enfants (rires) !Cette relation est, pour le moment, assez rigolote et j’espère, effectivement, que cela pourra aboutir à des collaborations et à des échanges…
On parle de légendes et d’endroits légendaires donc, continuons ! Dirty Deep s’est produit sur la grande scène des 24 Heures du Mans Motos. Un lieu rock absolument culte…
Oui, complètement ! Le Directeur et programmateur de la scène est un mec formidable, très ouvert d’esprit et très gentil. Le public des 24 Heures du Mans est très spécial car, souvent, il regarde le départ de la course puis la fin de celle-ci. Entre ces deux moments, tous les bars de l’univers doivent marcher (rires). C’était, du coup, une très bonne audience. C’était assez stressant de devoir nous produire devant une foule aussi grande en délires et ivre…de vivre (rires) ! Nous avons joué le même soir que Matmatah dont nous connaissions quelques membres, dans la mesure où ils possèdent une salle en Bretagne (L’Espace Avel Vor à Plougastel-Daoulas). Sinon, pour en revenir au Mans, le bruit des motos fait mal à la tête au bout de quelques heures (rires) !
Depuis ton dernier passage dans l’émission, avec toutes ces aventures vécues, as-tu senti une évolution au sein du groupe ?
Drastiquement (rires) ! Nous avons senti une grosse évolution… Il me parait obligatoire de se confronter à d’autres cultures et manières de voir la musique (les prestations et l’ensemble d’une approche artistique). Aux Etats-Unis, on s’est mangé une « tarte culturelle » qui était assez dingue car, si nous faisons de la musique américaine, eux la vive de manière sincère en la portant avec leur cœur. Nous y avons vu les prestations les plus incroyables, pas en termes de technique musicale mais en termes de représentation de musique. Des choses que nous n’avions jamais vues avant. C’est-à-dire des gens qui prennent, littéralement, le public par la main.
En une seule note, B.B. King faisait sortir tous les pêchés de son corps. C’est ça l’école américaine et le fait de le vivre en vrai nous a recadrés en tant que « petits » français blancs…qui veulent jouer du blues. Voir de vrais concerts dans le Mississippi, dans les vrais juke-joints, est une chose que je recommande à n’importe quelle personne qui s’intéresse, de près ou de loi, au blues. C’est porteur d’un message que nous avons, malheureusement, oublié lorsque ces sons ont traversél’Atlantique.
En nous rendant aux Etats-Unis, nous nous sommes ré-imprégnés de toute cette culture.
En même temps, de ton côté, c’est une démarche que tu as toujours adoptée…privilégier le feeling de la musique à son côté technique…
Complètement ! C’est, d’ailleurs, ce que l’on me reproche en France (rires) !Analysons, pendant 5 secondes, la version de « John the revelator » de Son House. Durant cette dernière, il lui arrive de se décaler du tempo. Très sincèrement, c’est une chose dont on se fout. Il met tellement d’énergie dans ce qu’il fait que tout le reste est superflu. Si l’énergie du moment est présente, c’est l’essentiel !
Tu n’es pas un habitué des reprises mais ce morceau figure, pourtant, dans ton disque. Qu’évoque-t-il pour toi ?
C’est la seule reprise que je n’ai jamais enregistrée… Ma famille, côté maternel, est très catholique. Ce morceau évoque l’un des premiers passages de la Bible (le jugement d’Adam et Eve par Dieu). Avec le recul je constate que, « sociétalement », c’est encore très vrai. On peut, encore, en parler avec beaucoup d’entrain…
Vos pairs américains apprécient l’originalité de votre démarche artistique. Vous êtes, aujourd’hui, plébiscités par des artistes tels que Left Lane Cruiser, James Leg et bien d’autres. Peux-tu revenir sur la complicité qui unie ces musiciens à Dirty Deep ?
J’ai rencontré Left Lane Cruiser, pour la première fois, en 2011 (lors du Binic Blues Festival). Je venais d’obtenir mon permis de conduire et c’était ma toute première tournée. Les membres du groupe se produisaient dans le cadre de ce festival et je les adorais vraiment. Sam, notre ingénieur du son sur les trois premiers albums, avait été leur tour manager. C’est lui qui m’a présenté à eux. Grâce à notre passion commune de la musique (mais aussi de la déconne, des bouteilles de bière et de la vie tout simplement) nous avons, rapidement, sympathisé. Nous sommes restés en contact.James Leg, quant à lui, vit en partie à Strasbourg…puisqu’il sort avec une petite strasbourgeoise.
Donc, lui aussi, je continue à le voir très régulièrement.
Cet après-midi, j’ai eu Joe (le chanteur de Left Lane Cruiser) au téléphone car nous jouerons dans le même festival, au Canada, la semaine prochaine. Nous supportons nos projets respectifs et continuons à entretenir des relations amicales. L’ambiance, entre nous, est au beau fixe…un état d’esprit qui manque un peu à la scène française.
En introduction à cette émission, je parlais de rêves (voir reportage, ICI). Pour la conclure, j’aimerais justement que tu me dises quels sont tes rêves aujourd’hui…
Ils sont de continuer à faire ce que nous essayons de mettre en place depuis deux ans en trio. C’est-à-dire de nous supporter, de nous aimer, de faire de la musique ensemble, de sortir de nouveaux albums, de sortir de beaux morceaux, de vivre de belles expériences et de continuer à parcourir la planète en faisant simplement ce que nous aimons.
Remerciements : Elsa Constantopoulos (Inkypyt) et Daisy.
https://fr-fr.facebook.com/dirtydeep.official
https://dirtydeep.bandcamp.com
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