The Dustaphonics
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Considéré comme l’un des français les plus influents de Londres, Yvan Serrano Fontova vit depuis 20 ans dans la capitale britannique. Il y a mis en valeur ses qualités de musicien et d’organisateur de soirées (on lui doit, par exemple, la découverte de Charlie Winston ou de The Noisettes), avant de se lancer dans une prolifique carrière de DJ sous le nom de Healer Selecta. Ses connaissances musicales lui ont alors permis de se forger une solide réputation, qui lui a valu l’admiration d’illustres nightclubbers (comme Amy Winehouse).
Depuis quelques années, il est aussi la tête pensante et le leader de l’un des groupes les plus excitants du moment, The Dustaphonics. Un combo qui, dans l’attente d’un nouvel album, sort un EP éponyme de 6 titres en 2015. Un disque porté par la voix de la fulgurante chanteuse Hayley Red qui est, incontestablement, dans son registre, la révélation de ces dernières années. Ensemble, ils font se percuter toutes les musiques que nous aimons (rock’n’roll, surf, blues, garage, soul…) et n’hésitent pas à se faire côtoyer Bo Diddley et les Ramones dans une même chanson. Leur talent a fait d’eux le backing band anglais du Blues Brother Dan Aykroyd et de la légendaire chanteuse de rhythm and blues Sugar Pie DeSanto. C’est dire si je me suis fait une joie de poser quelques questions à ces personnalités aussi éminentes que sympathiques !

Hayley, peux-tu me présenter les différents musiciens qui constituent The Dustaphonics ?
Hayley Red : En premier lieu, il y a l’homme qui est à l’origine de tout, Monsieur Yvan Serrano Fontova aux guitares. Il faut y ajouter Eric Frajria à la batterie et Devid Dell’Aiera à la basse. Ils sont, tous les deux, d’origine italienne. Quant à moi, je m’appelle Hayley Red et je suis la chanteuse du groupe.66

Tu n’étais pas présente lors de sa création mais pourrais-tu revenir sur la fondation de ce groupe ?
Hayley Red : Le projet a vu le jour en 2007 mais c’est, réellement, en 2008 qu’il a commencé à prendre de l’importance. Peu après, Yvan a débuté une collaboration avec l’actrice Tura Satana avec laquelle il a écrit des chansons pour le groupe. A la disparition de cette dernière, il a décidé de poursuivre le projet avec quelques comparses. Il a dynamisé une certaine forme de musique et ça a été le début d’une grande histoire que j’ai le plaisir de poursuivre avec lui.

Quel a été ton parcours musical avant de te joindre à ce groupe ?
Hayley Red : Je n’imaginais pas, à un seul moment, devenir une chanteuse. Ce n’est pas une chose que je recherchais particulièrement, car je souhaitais travailler en tant que biologiste marine. Cependant, j’ai eu la chance de grandir dans un environnement familial passionné par la musique. Mes parents n’étaient pas musiciens mais, par leur intermédiaire, j’ai eu la chance de découvrir les enregistrements de la firme Motown, le rock’n’roll, la soul music. Bien sûr, durant mes études, j’ai également écouté un peu de pop.

Ceci dit, la soul est vraiment ma musique de prédilection et c’est grâce à elle que je suis devenue une chanteuse. Je me suis dit « mais c’est ce que je veux faire ! ». Puis, j’ai déménagé à Londres où j’ai commencé à travailler au sein d’un groupe de soul music. Nous faisions des reprises de classiques du genre. Cette expérience m’a permis de trouver mon propre style car je me suis retrouvée confrontée aux nombreuses musiques qui constellent les soirées londoniennes. On trouve tous les genres que l’on aime dans cette ville. Puis, j’ai rencontré Yvan par l’entremise d’un ami commun. Il connait à la perfection tous ces styles que j’apprécie. Nous avons donc commencé à travailler ensemble, ce qui me conduit jusqu’à là…

J’ai envie de te poser la même question Yvan mais j’aimerais aussi que tu évoques une autre facette de ta personnalité artistique, puisque tu es également connu sous le pseudonyme de DJ Healer Selecta…
Yvan Serrano Fontova : Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une autre facette. Cela fait partie de mon histoire, dans le sens où je collectionne les disques depuis que je suis gamin. Quand je suis arrivé à Londres, j’ai travaillé avec Liam Watson (célèbre producteur anglais qui a œuvré aux côtés de The White Stripes, Madness, The Kills, Metronomy, Electric Wizard etc.). Si, en France, j’étais déjà très impliqué dans la musique (en organisant, par exemple, des festivals de rockabilly) je dois avouer que j’ai été déçu en arrivant en Angleterre. Il était assez compliqué d’intégrer un groupe sur Londres…

Puis, on m’a demandé de faire le DJ. J’ai donc débuté en passant mes disques et c’est grâce à cette activité que j’ai commencé à travailler régulièrement. De fil en aiguille, je me suis mis à organiser des évènements qui ont contribué à faire connaitre des jeunes talents, tout en continuant de diffuser mes vieux sons dans des endroits de plus en plus grands (le Glastonbury Festival par exemple). J’ai été signé (sous le nom de Healer Selecta) sur le label Freeestyle Records afin de réaliser des enregistrements dans une veine soul et funk.

Un jour, l’actrice Tura Satana (connue pour son rôle de Vara, dans le film de Russ Meyer « Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! » qui date de 1965) m’a téléphoné afin de me demander si je pouvais lui écrire 4 ou 5 chansons. A l’époque, nous faisions du funk et de l’afro beat, ce qui ne collait pas de trop à son univers. J’ai donc demandé à des musiciens tels que le bassiste Bruce Brand de me rejoindre. Avec eux, nous avons fait 4 morceaux de rock’n’roll… Healer Selecta est donc, un peu, le « directeur artistique » des Dustaphonics au niveau des compositions, du son, de la production, du choix des reprises etc.

As-tu été surpris de trouver, en la personne de Hayley Red, une si jeune chanteuse bénéficiant d’un tel charisme ?
Yvan Serrano Fontova : Le groupe est né en studio et nous avons eu plusieurs chanteuses. Nos 4 premiers titres, dont je parlais précédemment, ont été rejetés par Freestyle car (même s’ils étaient bons) ils ne correspondaient pas à la ligne artistique du label (consacré au funk et à l’afro beat). Ils étaient trop rock’n’roll. L’album devait s’appeler « Dustaphonic » et j’ai décidé de récupérer ce nom. Nous avons mis le résultat sur Myspace et l’engouement a été immédiat. On nous a sollicités en Espagne, dans le cadre d’un grand festival. Bruce étant en tournée au Japon, j’y suis allé avec les musiciens de Healer Selecta donc la spécialité était le jazz et le funk (rires). Nous avions donc plusieurs chanteuses… Healy est, quant à elle, avec nous depuis 2 ans. The Dustaphonics est son école et elle progresse de manière rapide.

Elle sait écouter et elle travaille très dur. Son expérience va en croissant de jour en jour. Dans ce groupe, nous mélangeons les générations et les nationalités. A ce jour, il y a eu 3 chanteuses, 4 ou 5 batteurs, 6 bassistes…Les gens ne sont pas toujours disponibles, ce qui explique ce turnover. La base du combo est sa musique, après il y a de nombreux musiciens qui tournent autour. Il n’est pas forcément facile de jouer un jour à Strasbourg puis le lendemain à Londres. Il faut donc trouver des collaborateurs qui ont du temps à consacrer à ce projet et qui veulent vraiment le faire vivre. Je pense que notre line up actuel va subsister pendant un moment…66

Le nom du groupe est-il un clin d’œil au fait de vouloir raviver (et sortir de la poussière) une musique qui puise ses origines dans les années 1950/60 ?
Yvan Serrano Fontova : Complètement ! Le nom Dustaphonics est inspiré de la poussière que l’on trouve dans les vides-greniers et dans les entrepôts où il y a des disques partout. A la base c’est le morceau « Cuban project » (que j’ai réalisé à un moment où nous avions un peu de temps libre en studio) qui devait faire l’affaire mais, au final, c’est The Dustaphonics qui a eu notre préférence.

Hayley, tu es une véritable chanteuse de scène. As-tu une approche particulière de la chose ?
Hayley Red : Je ressens simplement la musique. C’est elle qui m’inspire dans ce que je vais faire et qui me transmet l’énergie nécessaire. Celle que nous partageons tous ensemble, une fois que nous sommes sur les planches. La scène est une chose importante car elle reflète notre amour commun pour la musique. Donner un concert est une opportunité incroyable qui nous est offerte, afin de rendre les gens heureux. Mon approche est aussi simple que ça, donner de la joie et transmettre notre passion. L’énergie que nous trouvons découle naturellement de cet amour…

Les musiciens du groupe sont issus d’horizons divers et n’ont pas le même âge. Cette diversité a-t-elle beaucoup apporté à vos compositions ?
Yvan Serrano Fontova : En ce qui concerne les compositions, nous ne travaillons pas comme un groupe « normal ». Nos connaissances de ce que l’on appelle, aujourd’hui, la musique vintage sont diversifiées. Je compose la plupart des chansons mais, lorsque j’ai du mal avec les paroles, je demande à Hayley de plancher sur un texte, en la guidant sur le choix du thème. Puis, nous travaillons ensemble sur les mélodies et abordons les parties de guitare, de basse, dans une moindre mesure, de batterie. Nous apprécions tous la musique des années 1960 et de la firme Motown. Les musiques de cette dernière sont souvent dénuées de toute composition de batterie. C’est simplement du beat, sans solo. Notre esprit de travail est donc proche de ce qui pouvait se faire chez Motown.

Artistiquement parlant, vous sentez-vous proches du mouvement soul revival qui a, par exemple, été exploité par certains labels américains tels que Daptones Records ?
Yvan Serrano Fontova : Oui et non… Nous avons les mêmes influences et avons eu les mêmes reflexes en ce qui concerne la recherche de vieux disques oubliés depuis des décennies. Dans ce sens, nous partageons certaines choses avec eux. Pour le reste, nous ne nous considérons pas comme un groupe de soul. Nos deux précédentes chanteuses étaient des métisses qui portaient des coupes afro. Avec elles, nous faisions du surf et du rock’n’roll et on nous disait « waouh, c’est génial… vous faites de la soul music ! ». Maintenant que Hayley est avec nous, on nous dit que nous faisons du rockabilly…parce qu’elle est blanche et rouquine. Pourtant, nous jouons exactement la même musique, car notre idée et de ne pas modifier notre style, quelque-soit le batteur ou le bassiste qui est avec nous à ce moment-là. Nous voulons, une nouvelle fois, nous rapprocher de l’état d’esprit Motown. Des enregistrements sur lesquels on ne peut jamais deviner qui joue de tel ou tel instrument. C’est le son qui prédomine et ça reste toujours le même « truc ».

En ce qui concerne Daptones et tous ces labels, nous avons donc des éléments en commun (l’amour et la passion pour cette vieille musique que nous collectionnons) mais, à titre personnel, nous ne nous sentons pas immergés à 100% dans le milieu de la soul. Pas plus que nous le sommes dans le milieu du rockabilly, de la surf music, du garage punk ou du garage rock’n’roll. Je viens de tous ces milieux (puisque j’ai joué dans de nombreux groupes différents et organisé des manifestations liées à ces registres) mais je crois que nous serions plutôt à prendre comme des vagabonds ou des bohémiens de ces styles. Nous les abordons tous sans nous focaliser sur l’un d’entre eux en particulier.Nous n’arborons pas une étiquette en particulier, nous aimons cela et c’est tout. En ce qui concerne la soul music, nous en utilisons surtout l’esprit. A l’époque, les mecs issus de ce mouvement, n’écrivaient pas forcément de la même façon et jouaient à l’instinct, au feeling.A notre tour, nous essayons de faire les choses avec nos cœurs et nos âmes…Les gens que j’ai choisis, pour participer à ce projet, n’ont pas été sélectionnés pour leurs connaissances musicales mais pour leur manière d’interpréter les choses. J’aime les musiciens qui prennent beaucoup de plaisir à jouer…

Pour produire cette musique, aussi bien sur disque que sur scène, utilisez-vous beaucoup de matériel d’époque ?
Yves Serrano Fontova : Bien sûr, d’autant plus que nous possédons ce vieux matériel. Cependant, emmener des vieux amplis ou de vieilles réverbes, je le faisais quand j’étais gamin mais je ne la fais plus. C’est trop fragile et parfois ça ne marche pas un soir sur deux. De ce fait, nous les gardons pour les enregistrements. D’ailleurs, nous utilisons des studios qui sont, à la fois, équipés de matériel d’époque et de matériel moderne. Nous sommes en 2015 et nous ne sommes pas réfractaires aux nouvelles technologies. J’estime que le fait d’aller enregistrer sur des bandes est génial (je le faisais déjà il y a 25 ans) mais c’est aussi bien de coupler cela à un ordinateur. De toute façon, quand certains se vantent d’enregistrer sur bandes, il ne faut pas oublier que dans la majorité des cas le résultat est mastérisé sur un ordinateur par la suite. Donc, tu vois ce que je veux dire (rires) ! Il y a un côté snob par rapport à tout cela, surtout de la part de gens qui n’étaient pas du tout dans cette mouvance auparavant. Ils le sont aujourd’hui…et ils sont bien plus snobs que les défricheurs !

Peux-tu revenir sur l’élaboration du dernier album en date du groupe « Big Smoke London Town »(paru en 2014 sur le label Dirty Water Records) ?
Yvan Serrano Fontova : C’est le disque qui marque, réellement, l’arrivée d’Haley. J’ai écrit quelques chansons avec elles (« Mojo yar bones », « Back to mono »…). C’était le premier enregistrement sur lequel nous nous sommes retrouvés en studio ensemble. Elle n’avait pas encore beaucoup d’expérience mais elle a été formidable car elle n’a eu besoin que de deux jours pour enregistrer les voix. Un an et demi plus tard, nous avons enregistré de nouveaux titres à Paris et j’ai eu du mal à reconnaitre cette fille. Elle a su s’imprégner de l’expérience des différentes personnes qu’elle a côtoyées et s’est montrée très appliquée. Le studio que nous avions utilisé à Londres nous a permis de travailler sur du matériel analogique et moderne et nous avions formé une belle petite équipe avec quelques amis. Je suis vraiment très fier de ce disque…

Quels sont vos prochains projets ?
Hayley Red : Comme le disait Yvan, nous venons de travailler sur un nouvel album qui sortira cette année…
Yvan Serrano Fontova : Le dernier producteur des Sonics, Jim Diamond (qui est aussi le premier des White Stripes), sera à Londres en juin-juillet souhaite enregistrer The Dustaphonics. Nous allons donc probablement faire quelques chansons avec lui. Nous en sommes à la phase d’écriture et je pense qu’il sortira au début de l’année 2016. Mon expérience de DJ et le fait de ne passer que des vieux trucs m’a permis de composer des chansons variées. Lorsque je suis arrivé à Londres, il y a 20 ans, j’ai été le premier à mélanger les styles. Avant, pour écouter du funk, il fallait aller dans un club de funk idem pour le rockabilly etc. Moi, je me suis mis à diffuser du blues, du surf, de la latin boogaloo…

Cela a été ma marque de fabrique et j’essaye de la faire perdurer au sein de ce que nous faisons avec The Dustaphonics. Par exemple notre batteur actuel a des habilités pour jouer d’autres choses que du rhythm and blues classique des sixties. Il peut aussi, par exemple, interpréter du jazz. Je voulais travailler avec des musiciens qui n’ont pas de barrières musicales ou d’éthiques vestimentaires. C’est le cas d’un groupe de rockabilly que j’adore, le meilleur de ces dernières années, The Bellfuries dont les membres ne s’habillent pas en cats. En plus, toutes les gonzesses sont devant, ce qui doit bien faire chier certains cats, qui se fringuent avec des trucs d’origine (rires). Nous aussi, nous souhaitons éviter les clichés et certaines images préétablies. Nous sommes comme nous sommes ! La musique s’écoute mais, malheureusement, beaucoup de gens préfère la regarder. Ce mélange de styles, tout en restant concret, est important. C’est comme la cuisine, on ne va pas mélanger des sushis avec du cassoulet ! J’essaye donc de faire des mélanges adéquats dans ma musique, comme le ferait un chef dans le milieu de la gastronomie. J’amène le résultat à Hayley puis, ensemble ou séparément, nous y ajoutons des textes.

Auriez-vous, l’un et l’autre, une conclusion à ajouter ?
Hayley Red : Ecoutez The Dustaphonics (rires) !
Yvan Serrano Fontova : Je suis très content d’être à Strasbourg… d’autant plus que c’est la première fois que je viens en Alsace ! De surcroit ce lieu, Au Camionneur, a beaucoup de caractère. Cela change des salles du type SMAC (scène de musique actuelle, nda). Enfin, merci à toi ainsi qu’à tous les gens qui font de la radio. Il est important de diffuser ces sons dans le monde entier. Cela fait partie de cette résistance. Nous avons besoin d’être ensemble pour que ces musiques ne meurent jamais. Hayley est une jeune femme de 25 ans et c’est, aussi, pour cela que je l’ai choisie. Elle représente ces sons pour toute une nouvelle génération. Nous, nous sommes déjà passés de l’autre côté (rires) ! Il faut que ces musiques traversent les époques, à Haley et aux jeunes de sa génération de les faire subsister comme nous, et bien d’autres avant, l’ont fait !

Remerciements : Nathalie « Natty » (Kanopé Prod), Benoit Van Kote (Au Camionneur).

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Interview réalisée
au Camionneur - Strasbourg
le 25 avril 2015

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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