Nda : Ne pouvant prétendre être magnifique, puisqu’il n’a jamais été un perdant, Elliott Murphy poursuit inlassablement sa route de troubadour. Cette dernière, l’a conduit du statut d’étoile montante de la scène new-yorkaise à celui d’icône d’un registre dont, avec certains de ses contemporains (Bruce Springsteen, John Mellencamp, Bob Dylan…), il demeure une figure de proue. S’il pourrait jouir d’un statut de star, celui qui a côtoyé Andy Wahrol et a signé les notes de pochette du « Live 69 » du Velvet Underground, a préféré s’éloigner de la folie ambiante du show-business américain afin de se concentrer sur l’écriture et la composition…loin du tumulte de Big Apple. C’est à Paris, qu’il a posé ses guitares et ses souvenirs afin de s’inventer un avenir qu’il continue de forger inlassablement chaque jour…tel un artisan. Homme loyal, intelligent, curieux et respecté, il multiplie avec exigence les expériences artistiques. Le tout, avec un goût très développé des belles choses et un amour sincère des gens. Passer un moment en sa compagnie est, à chaque fois, à prendre comme un privilège…
Elliott, après toutes ces années passées sur scène, tu as écrit le film « Broken Poet » dans lequel tu joues également. Cette expérience a-t-elle modifié ta manière d’appréhender la musique et de vivre cette dernière ?
Le film « Broken Poet » représente une longue épopée à lui tout seul. Son point de départ est une courte histoire que j’ai écrite au sujet d’un musicien de rock (Jake Lion) qui était donné pour mort à Paris où il vivait. Ceci, jusqu’à ce que son ancien roadie semble le reconnaitre dans la rue, où il joue, une quarantaine d’années plus tard. Un réalisateur espagnol, Emilio J. Ruiz, a lu ce texte qui date des années 1980. La grande différence, par rapport au fait d’écrire une chanson, réside évidemment dans la longueur. Dans une chanson, le déroulement est plus rapide et le dénouement plus immédiat…sans parler de l’interaction qui peut exister avec le public lors d’une interprétation sur scène. Dans un film, cette dernière n’existe pas et tu te vois contraint de rejouer plusieurs fois la même séquence jusqu’à ce que le résultat soit jugé bon par la personne qui met en scène l’ensemble. Il s’agit donc, en effet, d’expériences très différentes. Ce qui m’a donné le plus de joie durant cette aventure est le fait d’avoir pu écrire la musique qui constitue la bande originale. Sur cette partie du travail j’ai, par ailleurs, été épaulé par mon fils Gaspard. C’était quelque chose de très intéressant… Pourtant, la musique n’est pas la chose la plus primordiale dans ce film…ce qui constituait, là aussi, un challenge particulièrement intéressant pour moi.
Comme ton ami Bruce Springsteen (qui, par ailleurs, apparait dans le film « Broken Poet »), tu as chanté les classes moyennes et les classes populaires américaines. Pourtant, aujourd’hui, ton nom est souvent associé au terme « romantique ». Te considères-tu, vraiment, comme étant un « poète romantique » ?
(rires) Si je suis un poète romantique… En fait, je ne sais pas si le romantisme existe encore et je ne sais pas si la poésie existe encore. Tu sais, la première forme de poésie à laquelle j’ai été exposé est celle des auteurs romantiques anglo-saxons comme Shelley, Byron ou Keats. Bien sûr, je me suis aussi intéressé aux œuvres de français tels que Rimbaud, Verlaine etc. Je crois que le romantisme se caractérise par le fait d’être à la recherche de la beauté de la vie. Parfois, je pense que nous sommes bien mal placés pour pouvoir trouver de la beauté autour de nous…
Pour toi, les préoccupations d’un songwriter actuel sont-elles les mêmes que celles qui pouvaient être des sources d’inspiration dans les années 1960 ou 1970 ?
Je ne le sais pas car, aujourd’hui, les chansons sont faites par de nombreuses personnes très différentes les unes des autres. Si tu prends un morceau de Beyoncé, il peut être écrit par 5 auteurs et compositeurs. A mes débuts, c’était l’ère des chanteurs-songwriters. Cela représente une époque très spéciale, durant laquelle nous interprétions des titres qui étaient en connexion directe avec nos émotions. Aujourd’hui, tout est lié à une pression commerciale…ce qui était moins le cas de mon temps. A cette époque, ce sont les personnalités artistiques et humaines qui étaient davantage mises en avant.
T’intéresses-tu à la scène folk actuelle, voire à l’indie folk ? Des registres abordés par de jeunes artistes qui essayent de renouveler le genre…
Je suis cela et constate, en effet, que certains artistes reviennent à des choses plus basiques et minimalistes. Ils défendent, à travers leurs chansons, les racines du genre. J’étais, particulièrement, à l’écoute de la scène néo folk new-yorkaise des années 1980. Ceci, avec des musiciens tels que Suzanne Vega. Je considère, également, Beck comme étant un véritable artiste issu de la scène folk. Pour ma part, j’étais un musicien de rock’n’roll avant d’être un chanteur de folk. C’est pour cela que lorsqu’on me demande si je fais du folk rock, je réponds systématiquement : « non, je fais du rock folk ». Je n’oublie pas que je viens de là…
Depuis des années, tu te produis en formule duo (ou trio comme c’est le cas ce soir avec la violoniste Melissa Cox). Aimerais-tu avoir la possibilité de te produire plus souvent au sein d’un groupe plus étoffé et, justement, plus rock’n’roll ?
Oui, d’ailleurs je joue encore avec un groupe complet. Cela se passe plutôt l’été, à la période des festivals. Ainsi, l’été 2019, j’ai pu donner des concerts sur 6 ou 7 festivals en compagnie d’un groupe complet. Nous étions six sur sur scène… En plus de moi, on y trouvait Olivier Durand aux guitares, Melissa Cox au violon, Alan Fatras à la batterie, mon fils Gaspard à la basse et Lucien Favreau aux claviers.
Tu collabores beaucoup avec ton fils Gaspard. Le fait de travailler en famille est-il une chose aisée. Comment vous répartissez-vous le travail ?
Le fait de travailler avec mon fils est une chose très facile pour moi. J’adore passer du temps dans un studio en sa compagnie. Il n’est pas que le producteur de son père car il mène de nombreux projets de front, il chante lui aussi et il est auteur-compositeur. Tu sais, je n’ai jamais mis aucune pression sur les épaules de Gaspard afin qu’il intègre le business de la musique. Cela est venu naturellement pour lui,car c’est un domaine qu’il aime plus que tout et qui lui est familier. De plus, il est vraiment un excellent guitariste…
Ton dernier album en date, « Ricochet » est sorti l’an passé. Comment as-tu sélectionné les morceaux pour ce disque un peu « hybride », car constitué de reprises et de morceaux de ton répertoire…qui n’avaient jamais été exploités auparavant ?
« Ricochet », j’avais cette idée en tête depuis un long moment. Le projet découle d’une chanson, « Dharma », que j’avais enregistrée il y a une dizaine d’années. Elle était trop longue pour figurer sur l’album que je préparais alors. Donc je l’ai mise de côté et, petit à petit, d’autres morceaux s’y sont greffés. Des titres que j’ai mis dans mes tiroirs sur une période d’environ 20 ans…
Tu t’es constitué une vraie famille autour de toi puisque, en plus de ton fils Gaspard, on y trouve le guitariste Olivier Durant qui t’accompagne depuis 24 ans. Aujourd’hui, à l’ère du numérique, de plus en plus de gens ne travaillent qu’avec des ordinateurs. Est-ce encore facile d’imposer ta manière de voir la musique, en artisan et de manière humaine ?
Je préfèrerai toujours, et tant que possible, travailler avec des humains. Je suis, de plus, quelqu’un de fidèle. Ma collaboration avec Olivier ne date, en effet, pas d’hier et cela fait 3 ans que Melissa tourne avec nous. Il y a quelque chose de spécial lorsqu’on se retrouve à deux guitaristes. Chaque guitare possède son propre son, son propre rythme, sa propre émotion. Le fait de nous retrouver ensemble donne, systématiquement, un résultat très particulier. Cela se reflète dans la phrase que m’a dit un jour Keith Richards : « deux guitaristes ensemble créent une troisième guitare »…
En tant que songwriter tu as évoqué énormément de sujets. S’il ne te restait qu’un seul message à transmettre, quel serait-il ?
Je crois que dans ma carrière, et dans ma vie, je n’ai jamais abandonné. J’ai toujours continué coûte que coûte… Le business de la musique te conduit vers des hauts et des bas. Cette année, cela fait 46 ans que je suis sur la route… Je pense donc que mon dernier message serait un message d’espoir…
Sur l’album « Ricochet », le titre « What the fuck is going on » a connu un gros impact. Comment expliques-tu cela ?
J’ai écrit la chanson « What the fuck is going on » en 2008, au moment de la crise économique. Nous l’interprétions uniquement sur scène et ne disposition que d’un seul enregistrement, capté lors d’un concert en Norvège. C’était la première ou deuxième fois que nous la chantions… La vie, la politique et l’économie sont des choses vraiment compliquées de nos jours. Il devient de plus en plus difficile de rester concentré et de comprendre les problèmes qui nous entourent. Ce n’est pas comme dans les années 1960 où tout semblait plus clair, y compris aux USA. Nous allions directement aux choses et nous opposions à des faits tels que la Guerre du Vietnam. Aujourd’hui, tout est très difficile à comprendre…d’où cette chanson « What the fuck is going on ».
Je me souviens t’avoir vu sur la scène du New Morning, en septembre 2001, quelques jours après les attaques terroristes à New-York. Tu fais toujours de nombreux allers et retours entre la France et les USA. Quelle est ta perception actuelle du climat politique de ton pays de naissance ?
C’est descendu bien bas (rires) ! La qualité des Etats-Unis est qu’il s’agit d’un pays très jeune et que tout peut changer rapidement. Pour moi, Barack Obama est le meilleur Président que cette nation ait connu. Il était élégant et possédait cette capacité de comprendre ce monde vieux de plus de 20 siècles. Je ne ressens vraiment pas le même « feeling » vis-à-vis de Donald Trump. J’espère que le prochain Président reprendra la ligne de conduite d’Obama…c’est essentiel…
Quels sont tes projets en cours ?
Continuer de défendre le film « Broken Poet » qui sera présenté, en avant-première, au Festival du Film de New York le 25 mars 2020 (une manifestation, malheureusement, annulée en raison de l’épidémie du Covid-19, nda). De plus, j’écris beaucoup de musiques actuellement. J’ai donc de nombreuses chansons en préparation. Je réfléchis à un concept et travaille activement sur les textes. J’ai, également, beaucoup de projets de concerts car je n’arrête jamais de tourner. En fait, cela fait presque 50 ans que j’ai commencé ma tournée (rires) !
Souhaites-tu ajouter une dernière chose à cet entretien ?
J’aimerais simplement dire que je suis très reconnaissant vis-à-vis du public français. Cela fait 30 ans que je vis dans ce pays et les français constituent le premier public européen qui a apprécié ma musique. Aujourd’hui, nous nous produisons intensément en Espagne, en Italie et un peu partout sur le « Vieux Continent ». Cependant, je n’oublie pas que c’est ici que tout a commencé pour moi en Europe. Vive la France !
Remerciements : Anne-Sophie Henninger (La Laiterie)
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