Nda : A force d’assimiler et d’interpréter toutes les musiques venues de Louisiane, le groupe Flyin’ Saucers Gumbo Special est parvenu à en extraire la moelle substantifique. Ceci avant de la retravailler à sa manière puis de nous la servir,sous la forme d’un délicieux son qui n’appartient qu’à lui. Ce mélange (résultant d’un savant dosage entre blues, swamp, funk,zydeco, rhythm & blues et rock’n’roll) fait désormais office d’exemple sur la scène internationale. Riche de plus de 22 années d’expérience qui font la différence, le vaillant combo a édité l’album « Nothin’ But » (Fatso Records - Quart de Lune, 2019) qui conforte l’auditeur dans son appréciation ultra positive du quintet. Un disque qui ne peut, en effet,laisser insensibles nos organes sensoriels mis à rude épreuve, puisque poussés jusqu’à l’extrême vers une irrépressible envie de bouger et de danser. Infatigable et motivé comme au premier jour, Fabio Izquierdo (chanteur, harmoniciste, accordéoniste…) n’a pas hésité à traverser la France pour me faire part, à l’aube de l’année 2020, de son amour toujours aussi incontrôlable d’une culture dont il s’évertue inlassablement à répandre la bonne parole.
Fabio, « Nothin’ But » nous permet de découvrir Lucas Gautier qui est le nouveau guitariste des Flyin’ Saucers Gumbo Spécial. Peux-tu me le présenter et évoquer son intégration au sein du groupe ?
Je connais Lucas depuis quelques temps puisqu’il évoluait au sein du Marine Band Club à Bordeaux. Il était membre d’un groupe qui animait les soirées « bœufs » hebdomadaires, dans un club qui s’appelait Le Comptoir du Jazz. Le hasard a bien fait les choses car, lorsque l’intégralité des Flyin’ Saucers l’a croisé, il jouait avec Napkins Blues Band sur un plateau que nous partagions avec ce combo. Nous l’avons observé et toute l’équipe des Saucers a flashé sur lui en se disant « Putain, qui est ce jeune guitariste qui est vachement bien ? ». Il a tapé dans l’œil et dans l’oreille de tout le monde ! Il se trouve que, deux semaines plus tard, nous étions à la recherche d’un nouveau guitariste. Nous avons, naturellement, pensé à lui et c’est de cette manière qu’il a intégré l’histoire. Il était content d’avoir cette proposition de notre part et tout s’est déroulé très naturellement. Les premiers concerts en sa compagnie se sont déroulés sans que nous ayons eu le temps de répéter au préalable. Il est monté sur scène avec nous et a immédiatement joué… Nous nous sommes rapidement entendus sur la direction artistique à suivre. Nous l’avons, en effet, embauché pour faire du Flyin’ Saucers et rien d’autre. De son côté, il nous a apporté un petit quelque chose qui nous manquait et il a parfaitement saisi ce vers quoi nous souhaitions nous diriger en ce qui concerne les sons de guitare. Comme on le dit dans le jargon, cela a été « a perfect match » !
Une fois de plus, le groupe mérite particulièrement son nom. En effet, ce nouvel album revisite tous les sons chers à la Louisiane…il s’agit donc d’un véritable « gumbo musical » ! De quelle manière les différents registres ont-ils été sélectionnés ?
Pour l’écriture de cet album, nous avions un cahier des charges. Nous souhaitions beaucoup de dynamique et, paradoxalement, qu’on y retrouve beaucoup de guitare tout en en entendant un peu moins. Nous voulions, aussi, travailler le côté « couplet-refrain » et nous avons mis l’accent sur l’écriture de nos textes. Le but était, en effet, de mettre en exergue certaines ambiances. Il s’agissait là de la base de notre travail. Puis, les styles de registres à aborder sont venus naturellement à nous.
De mon côté, j’avais vraiment envie de me concentrer sur des titres joués au mélodéon. J’avais pas mal d’idées qui « bouillonnaient » dans ce sens depuis quelques temps… Les autres membres du groupe ont « remplis les trous » en soumettant quelques ballades, du funk, du rock’n’roll… Chacun s’est collé à l’un de ces registres en fonction de ses affinités, de ses compétences ou de sa vision globale de chaque titre. Cependant, nous n’étions pas dans la une logique qui nous imposait de faire deux titres de zydeco, deux de rock’n’roll puis deux slow blues. Nous avons fait les choses comme elles sont venues. La seule imposition était qu’elles entrent dans ce fameux cahier des charges que nous nous étions fixé pour cet album.
Le chant « lead » est partagé entre l’organiste Cédric Le Goff et toi-même. Là aussi, quels sont les critères qui vous permettent de vous partager les différentes chansons. Avez-vous chacun des « spécialités » ?
A chacun sa merde (rires) ! En général, celui qui ramène le titre est celui qui le chante. Le fait que Lucas ne se sentait pas prêt pour le chant a fait que les titres dont il était l’instigateur ont été partagés entre Cédric et moi. Il a écrit ses morceaux en fonction de nos personnalités respectives. C’est, par exemple, lui qui a signé « Louisiana girl ». Un morceau imaginé pour moi alors qu’il souhaitait que ce soit Cédric qui interprète « How can I try ? ». Les registres et les capacités vocales de chacun ont naturellement fait que les autres titres étaient plus naturellement destinés à l’un ou à l’autre. Le but du jeu est que Lucas devienne, le plus rapidement possible, le troisième chanteur du groupe. Nous avons été contraints, comme on le dit trivialement, de le « pousser au cul » pour qu’il chante le troisième titre qu’il a écrit qui est celui qui conclu l’album (« Sweet sin »). Nous aurions aimé qu’il en chante plus car il a, largement, les capacités vocales pour cela. Comme son intégration au groupe était très récente, il ne se sentait pas encore prêt. Nous travaillons, avec lui, sur un projet parallèle qui s’appelle Crawfish Men et qui est dédié à des concerts qui sont donnés dans la région bordelaise. Nous y retrouvons le bassiste des Flyin’ (Jean-Charles Duchein), Lucas, un batteur nommé Yann Vicaire et moi-même. Avec ce concept nous tournons très localement, pour le fun. Cela nous permet de faire des petits clubs… A chaque concert, Lucas interprète la moitié du répertoire et il le fait vraiment très bien ! Je ne m’avance pas de trop en imaginant qu’il va rapidement développer un projet personnel dont il sera le leader…
Evidemment, quelques invités agrémentent cette grande fête musicale. Outre les cuivres (Mathieu et Jean-Baptiste Tarot) nous notons la présence amicale du grand Benoit Blue Boy. Que représente, exactement, cet artiste pour toi…aussi bien d’un point de vue humain que musical ?
Benoit c’est, un peu, le « tonton » de beaucoup de musiciens issus de la scène blues française. C’est quelqu’un qui, dans les registres que nous abordons, possède des connaissances assez « dingues ». Il nous a permis de découvrir énormément d’artistes. De plus j’adore sa manière de jouer de l’harmonica et je respecte beaucoup sa façon d’écrire en français. On reconnait immédiatement un titre de Benoit, même si ce dernier est interprété par quelqu’un d’autre. De surcroit, il possède une philosophie de la musique que j’adore ! C’est quelqu’un qui va droit à l’essentiel et qui ne se prend pas la tête. Je souhaitais qu’il se joigne à nos sessions, car j’estime qu’il est important d’avoir une présence pour détendre l’atmosphère. Pour cela, il faut que ce soit une personne sur laquelle tu puisses compter et avec laquelle tu puisses discuter de la manière d’aborder les titres. Il faut, également, que cette personne puisse te rassurer et te donner des clés afin de trouver des solutions.
Cela aurait pu se faire sans que personne ne nous accompagne dans cette aventure, mais c’est toujours bien de bénéficier de l’apport d’une personne extérieure qui puisse jeter un coup d’œil ou soumettre un avis. Cela fait toujours du bien, même si nous ne sommes pas forcés de l’écouter. C’est une forme de présence qui est très rassurante. J’aurais aimé qu’il interprète une version française de l’un des titres présent sur l’album. Malheureusement, le « mood » n’y était pas et cela n’a pas pu se faire… Par contre, le fait que Benoit tienne l’harmonica sur un titre me fait énormément plaisir. Cela s’est décidé en dernière minute... Benoit c’est, sincèrement, quelqu’un que je vénère.
Outre son « œil extérieur », est-ce qu’il vous a donné des conseils. S’est-il vraiment investi dans le morceau sur lequel il était invité (« Zydeco train ») ou s’est-il contenté d’être à l’écoute de ce que vous lui demandiez de faire ?
Il l’a vraiment super bien fait ! Je savais où je voulais qu’il intervienne mais en ce qui concerne la manière…c’est lui qui avait les clés du camion. Ce qu’il a fait est juste génial…
De quelle manière et où l’enregistrement du disque s’est-il déroulé ?
Nous avons travaillé, très en amont, avec Albert Milauchian du Studio Bonison à Puceul (Loire-Atlantique). Nous souhaitions chambouler nos habitudes car les deux précédents albums avaient été enregistrés au Studio Berduquet, à côté de Bordeaux. Pour des raisons de matériel mis à disposition et de configuration de studio nous avons voulu changer. De plus nous désirions impliquer Albert dans la réflexion de l’album. Nous lui avons, très rapidement, envoyé les enregistrements de nos résidences ainsi que la liste des titres. Nous lui avons demandé de réfléchir à la méthodologie pour l’enregistrement de ces titres. Il nous a amené beaucoup de points de vue et de solutions sur lesquelles nous avons rapidement été d’accord. A partir du moment où nous avons défini le son global de l’album et que nous nous sommes mis d’accord pour utiliser le même vocabulaire, il a obtenu une carte blanche pour s’occuper du mixage.
Si un aspect festif domine l’ensemble du disque, avez-vous tenté d’y inclure des thèmes plus graves ?
Oui, il y a quelques titres qui sont un peu moins « fun ». Ces derniers sont, malgré tout, abordés de manière dansante…parce que c’est notre truc ! Des morceaux comme « Do what you’re supposed to do », « Gonna roll » ou encore “Keep on hoping” se démarquent par leur côté « revendicatif ». Ils proposent un état des lieux en ce qui concerne la société actuelle et les systèmes de gouvernance. Il s’agit là de choses que nous tenions à évoquer, afin de faire part de la manière dont nous nous sentons au milieu de tout cela. Bien sûr, c’est toujours abordé de manière fun, agréable ou mélodique. A chacun de mettre le mot qu’il préfère dessus…
Sur les 13 morceaux qui constituent l’album, ne figure qu’une seule reprise. Il s’agit de « High blood pressure » de Huey « Piano » Smith. Pourquoi ce choix en particulier ?
Depuis quelques albums, le fait de glisser une (ou deux) reprise est devenu une tradition. Nous aurions pu aborder pléthore de titres mais c’est sur celui-ci que nous nous sommes tous accordés. Huey Smith est quelqu’un que nous aimons beaucoup. C’est, d’ailleurs, la deuxième fois que nous le reprenons après « Don’t you just know it » sur l’album « Raw & Spicy Covers » en 2007. Nous avons essayé d’autres chansons, dont un morceau des Meters que nous jouons régulièrement en concert. Le côté « rigolard » de « High blood pressure » a fait que nous nous sommes décidés à le mettre !
Nous abordons l’année 2020… En 2019, de nombreuses grandes personnalités louisianaises nous ont quittés (Dr. John, Lil’ Buck Sinegal, Spencer Bohren, Art Neville…). Es-tu optimiste concernant la préservation de cette culture musicale. Est-ce qu’il y a de jeunes artistes, en Louisiane, qui selon toi sont à même de la faire perdurer ?
Je pense qu’il s’agit, encore à l’heure actuelle, de l’une des scènes les plus actives au monde. Elle sait se renouveler tout en conservant une certaine tradition. Elle n’a pas peur d’aborder des courants musicaux un peu plus modernes…tout en sachant d’où elle vient. Je suis donc confiant en ce qui concerne son présent et son futur. De nombreux albums sortent tous les ans. C’est très géolocalisé et, si tu ne t’y intéresses pas un minimum, il est très compliqué de tout savoir. C’est un endroit qui reste très actif ! J’aime leur manière d’oser des choses… Si tu prends un groupe comme Galactic (qui est, en digne héritier des Meters, très funk à la base), tu constates qu’il n’hésite pas à se transformer en brass band ou en groupe de rap. C’est hyper intéressant… La scène zydeco est tout autant active et on y trouve toujours des mecs qui sortent de nulle part et qui sont ultra doués. Ils sont prometteurs et produisent de superbes albums. Il est, malheureusement, difficile de les écouter et de les faire venir en France. Ceci parce que les gens ne connaissent pas et ont un peu « peur » de ce répertoire…Mais « putain », qu’est-ce qu’il se passe comme choses là-bas ! Ouvrez les oreilles et essayer de vous y intéresser ! A contrario, et je vais être méchant en disant cela, je trouve que la scène de Chicago est en berne. Le Chicago blues, tel que je l’entends, est mort et enterré depuis des années. Certes, il existe encore des gars comme Jimmy Johnson…mais est-il vraiment un artiste représentatif du Chicago blues ? Sinon, on ne retrouve plus de mecs comme Magic Slim, Junior Wells ou Magic Sam. La Louisiane, elle, sait conserver ses traditions tout en apportant un regard neuf sur ce qu’elle fait. C’est cela qui est hyper intéressant !
Afin de conclure ce nouvel entretien, je vais te poser la question habituelle… Aurais-tu autre chose à ajouter ?
En ce qui concerne l’album, j’aimerais citer deux ou trois partenaires qui nous ont particulièrement aidés. Je tiens donc à remercier La TeamZik qui a contribué au financement du disque. D’ailleurs tous les groupes français devraient s’intéresser à cette structure qui aide à trouver des financements par le biais de la SCPP. Le fait de bosser avec eux vaut vraiment le coup ! Le festival MNOP (festival des Musique de la Nouvelle-Orléans à Périgueux) qui a apporté son soutien dans la réalisation du disque. Ses organisateurs ont, notamment, été les premiers à nous accueillir chez eux afin que l’on puisse débuter les séances d’écriture.
A titre plus personnel, je tiens à remercier la marque Hohner de m’avoir ouvert les portes de la famille des harmonicistes Hohner. Une chose qui m’a, aussi, beaucoup aidé. Enfin, j’aimerais évoquer une chose qui me tient à cœur. Nous avions dit que nous allions arrêter de nous produire en tant que backing band car nous avons d’autres choses à défendre. Cependant, l’été prochain, nous allons réitérer cela en tournant avec Bruce Sunpie Barnes qui est un multi-instrumentiste louisianais. Ce sera la première fois que nous accompagnerons un artiste de zydeco. Ce personnage est hyper intéressant. Il s’agit d’un ancien quarterback qui possède un (ou plusieurs) doctorat en ichtyologie (étude des poissons) et qui est ranger dans un ou deux parcs naturels en Louisiane. Il a aussi tourné dans des films et séries télévisées comme « Jonah Hex », « Treme » ou encore « Déjà Vu ». Il est le chef du plus ancien gang de la Nouvelle-Orléans, The Northside Skull and Bones Gang, qui est une société qui date de 1819. Dans le passé, il a tourné deux ans avec Sting, deux ans avec Paul Simon etc... Je pense que, aussi bien musicalement que humainement, ce sera une tournée d’acier. Si vous avez la chance de nous croiser cet été avec ce mec là venez ! Tout est réuni pour dire qu’il s’agira là de superbes soirées !
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