Franz Robert Wild
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Beaucoup de choses changent autour de nous mais lui ne change pas… Franz Robert Wild, artiste sensible et inspiré, fait état du présent et entrevoit l’avenir sur son nouvel opus, « Change ». Un disque majeur que nous aurons attendu patiemment, puisque le précédent opus du chanteur-guitariste-harmoniciste-songwriter (« The French House ») date de 2014. Touché par certains bons aspects de notre société (les rares bonnes actions que peuvent avoir les uns pour, les actes de remerciements…), le musicien toulousain se révèle encore une fois soucieux de l’état écologique de notre monde. En demande permanente d’action, il déplore la grande foutaise de notre système qui sollicite beaucoup de choses…mais ne nous donne que des miettes en retour. Un homme résolument touché par la grâce et marqué par l’intelligence…

Franz, de quelle manière as-tu élaboré les morceaux qui constituent ton nouvel album, « Change » ?
Pour créer ces morceaux, je me suis particulièrement inspiré de lectures. Certaines chansons ont été écrites en amont de la préparation de l’album, alors que d’autres ont bénéficié d’un processus d’élaboration sur le lieu même des sessions. Je me suis donc donné beaucoup de temps et me suis offert des longueurs. Nous avons enregistré sur une période allant d’avril à décembre 2018. Cela peut paraitre long, mais je me suis accordé beaucoup d’espace afin de réfléchir et de « distiller » chaque histoire. Par exemple, pour « River of doubt », je me suis inspiré d’un ouvrage du même titre (« The River Of Doubt : Theodore Roosevelt’s Darkest Journey » de Candice Millard). Ce dernier évoque l’épopée du Président Roosevelt. L’action de cet ouvrage revient sur la découverte de l’un des principaux affluents du fleuve Amazone qui a été nommé « La Rivière du Doute » car on ne savait pas, alors, où il découlait. Située au Brésil, cette étendue d’eau s’appelle aujourd’hui la Rivière Roosevelt. J’apprécie particulièrement les livres historiques et, en lisant celui-ci, je me suis dit que ce pourrait être une belle idée de départ. En effet, nous sommes tous confrontés au doute à un ou plusieurs moments de nos vies. Il vient, forcément, nous titiller… Au final, cette chanson est emplie d’espoir. Son leitmotiv est de dire qu’il ne faut jamais plonger dans « la rivière du doute »…66

A ton tour, tu as titillé ma curiosité en parlant de littérature. Est-ce les auteurs américains qui ont une place prépondérante au sein de ta bibliothèque ?
Oui, d’ailleurs je ne lis que des auteurs anglo-saxons dans leur langue maternelle. Si je ne possède pas cette dernière comme un américain, je l’apprécie particulièrement. A chaque fois que je me rends aux Etats-Unis, je ramène des bouquins à lire. J’y puise systématiquement mon inspiration. Pour l’album « Change », je me suis particulièrement servi de grands classiques d’outre Atlantique. Je me rends régulièrement chez Gibert Joseph, à Toulouse, où je fais de véritables rafles…qu’il s’agisse de romans ou de compilations de nouvelles. C’est de cette manière que je me suis plongé dans l’œuvre de Joseph Conrad ou de Rudyard Kipling. Ces gens m’ont, je l’avoue, littéralement « défrisé l’esprit » (rires) !

C’est drôle que nous ayons cette discussion puisque lorsque j’ai découvert ta musique, il y a quelques années, cette dernière m’a fait penser à l’univers de Jim Harrison (1937-2016) qui est un auteur contemporain. Est-ce quelqu’un que tu as lu, que tu apprécies ?
Je me demande si tu ne m’en as pas déjà parlé… A mon grand regret, je ne me suis toujours pas immergé dans ses livres (rires). Il va donc falloir que je m’y mette cette fois-ci (rires) !

Tu as dit que tu as pris tout ton temps dans la réalisation de ton nouvel album. Comment as-tu travaillé en amont de ton entrée en studio, les titres étaient-ils très « maquettisés » ?
Certains titres étaient déjà prêts à l’avance, comme « Change » qui a donné son nom à l’album…ainsi que « The long drive » et « Just like ». En entrant en studio, j’ai soumis ces derniers à Florent Soler (le producteur artistique du disque) auquel j’ai laissé une totale liberté de travail. Il savait, en effet, exactement dans quelle direction je souhaitais m’orienter. En général, quand j’arrive en studio mes « structures » sont toutes faites…

Ton précédent album, « The French House » remonte à 2014. Aujourd’hui, pour un artiste, n’est-ce pas une prise de risques d’attendre aussi longtemps entre la sortie de deux disques ?
Oui, il est vrai que j’ai pris du temps… ce qui n’était pas prévu au départ. J’avais, depuis un certain temps, entamé la production du deuxième album avec le même producteur que pour « The French House ». Au final, en 2017, après plusieurs années de tractations nous n’avons pas trouvé d’accord sur la direction artistique à suivre. J’ai donc été contraint d’arrêter de travailler avec lui alors que nous avions déjà œuvré sur six ou sept chansons…dont il résultait des versions quasi définitives. J’ai donc tout recommencé à zéro à partir de 2018. J’ai composé à la guitare, de manière très traditionnelle, dans un schéma d’écriture folk. En même temps, je souhaitais obtenir une production beaucoup plus moderne afin de pouvoir intégrer des claviers et des sons plus actuels. Florent Soler correspondait au profil que je recherchais…et il a rempli sa mission à merveille !

Y-a-t-il eu un « moteur » particulier, qui t’aurais permis d’arriver au bout de ce projet ?
En dehors des trois chansons qui étaient déjà écrites, c’est l’album de Laura Marling (« Once I Was An Eagle ») qui m’a inspiré pour la suite de la réalisation de « Change ». En effet, ce disque me met à terre à chaque fois que je l’écoute. Il est produit par Ethan Jones qui m’avait déjà particulièrement impressionné lorsqu’il travaillait avec Ray LaMontagne. Ces univers m’inspirent énormément… Si j’en avais la possibilité, c’est dans cette direction que je me dirigerais. Ceci dit, si Ethan Jones travaille de manière si phénoménal, c’est aussi parce qu’il le fait au service d’artistes phénoménaux. Laura Marling, par exemple, a ingurgité toute la folk de Bob Dylan…tout en conservant une personnalité unique. Jai toujours tendance à vouloir faire de la folk alors que, au fond de moi, je suis davantage folk-rock. En effet, je ne peux pas m’empêcher de composer du rock (rires) ! D’ailleurs, avec le recul, je me suis rendu compte que ce disque est bien plus rock que je ne l’imaginais au départ…

En tant que chanteur-musicien et auteur-compositeur, qu’attends-tu d’un producteur ?
Qu’il m’emmène dans un univers sonore qui soit très personnel. C’est pour cette raison que je suis un fan d’Ethan Jones, de Daniel Lanois, de T-Bone Burnett… Pour moi, un producteur doit m’emmener là où je ne l’imagine pas. En effet, en écrivant mes chansons, je n’ai aucun arrangement en tête. Tout y est très brut et acoustique…ça s’arrête là. Un producteur doit me guider dans son univers et me faire rêver. C’est lorsqu’il me propose des idées que je deviens partie prenante et que je suggère, à mon tour, certaines pistes musicales. Florent Soler a été force de proposition et m’a tout amené sur un plateau. C’est un excellent bon producteur…

Un producteur doit, aussi, te guider en dehors des sentiers battus. Tu citais Daniel Lanois qui a, par exemple, su réorienter les carrières d’artistes tels que Emmylou Harris en faisant sortir cette dernière du cadre strict de la country rock (avec l’album « Wrecking Ball » en 1995)…au risque de désorienter son auditoire de départ…
C’est marrant que tu me parles de cela car, pour l’anecdote, mon premier producteur vivait du côté de la Nouvelle-Orléans. Un jour il s’est rendu chez Daniel Lanois et il est tombé sur Emmylou Harris dans la cuisine. C’est au moment où elle devait enregistrer ce fameux album…c’est donc drôle que tu m’en parles aujourd’hui !

Peux-tu me présenter Florent Soler que tu as déjà évoqué à plusieurs reprises ?
Il faut imaginer un « hipster », avec une fine moustache particulièrement bien taillée ! C’est une personnalité très sensible, qui économise sa personne…dans le sens où Florent n’est pas présent sur les réseaux sociaux. C’est quelqu’un de discret qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre. Il est à l’écoute et, à chaque fois que je suis allé chez lui, il en a résulté un moment privilégié. Nous avons passé beaucoup de temps à discuter. C’est ça la philosophie de la musique car, avant de faire un album, il faut beaucoup en parler. Ce n’est qu’après ce travail intellectuel, nécessaire dans le cadre d’une création, que l’enregistrement peut se faire.

Sur ce disque, tu as enregistré le morceau « Cheyenne blue sky » en duo avec l’inimitable Dick Rivers. A cette occasion, c’est la dernière fois que Dick posait ses pieds dans un studio d’enregistrement afin d’y graver un titre. Ceci n’est pas lié au hasard car tu le connaissais et tu l’appréciais particulièrement. Peux-tu revenir sur les liens qui vous unissaient et sur la manière dont ce duo est né ?
A partir du moment où il m’a proposé de faire sa première partie à l’Olympia (tournée « Gran’ Tour 2012 »), je n’ai jamais arrêté de voir Dick… Nous nous rencontrions 1 ou 2 fois chaque année car il avait un pied à terre en région toulousaine (à côté de Montauban plus précisément). Quand je me rendais à Paris, j’allais également le saluer…lui et son épouse. Il m’arrivait, parfois, de passer plusieurs jours chez eux. J’ai, toutefois, toujours veillé à être le plus « léger » possible car ils avaient toujours des proches avec eux. Il m’a appris beaucoup de choses sur sa carrière et sur les gens qu’il estimait. Je crois que c’est à l’été 2018 que je lui ai annoncé que j’avais écrit une chanson pour lui. Il m’a proposé de lui envoyer cette dernière, afin qu’il puisse l’écouter en compagnie de son équipe…car il appréciait le fait de pouvoir s’appuyer sur ses proches. Tout le monde était satisfait du titre que nous avons gravé au mois d’octobre. Il a fait un gros effort pour enregistrer cette chanson, car il était très fatigué. Il est incroyable (Franz Robert Wild est, visiblement, ému, nda)…il n’a fait que 3 prises, c’est un vrai interprète…

Avec, certes, une voix splendide mais, également, une diction incroyable…probablement l’une des meilleures de l’histoire de la chanson française…
Oui, cette voix est absolument magnifique. J’avais l’habitude de l’entendre mais, lorsqu’il a débuté cet enregistrement, j’ai été totalement soufflé par la qualité de cette voix. Dick était un interprète comme on en avait peu…

Outre Dick, quels sont les musiciens qui t’entourent sur l’album « Change » ?
Il y a Alexandre Bertrand à la batterie. Florent Soler a fait beaucoup de parties de guitares mais également de la basse et des claviers. Manu Bertrand (spécialiste de country et de bluegrass, fidèle d’Erik Sitbon et accompagnateur actuel de Martha Fields) joue sur « River of doubt ». Il y a une autre invitée de marque en la personne de Carolina Eyck. Cette dernière est une allemande qui joue du thérémine. Elle explose au niveau mondial et revient d’une tournée aux Etats-Unis. Elle y a, notamment, joué avec l’Orchestre Philarmonique de Boston. Elle est très active pour faire connaitre le thérémine. Il s’agit du premier instrument électronique de l’histoire, qui a été inventé par un russe dans les années 1920 (c’est, en quelque sorte, une extension moderne de la slide). Au final, il n’y a donc pas beaucoup d’intervenants… Les enregistrements se sont déroulés au Seven Dots Studio à Toulouse et au Studio de La Manne à Balma.

Tu es inspiré par énormément de registres. Te sens-tu, malgré tout, appartenir à une scène musicale précise ?
Je t’avoue que non… J’ai du mal avec les étiquettes. Je côtoie la scène blues toulousaine, sans que l’on puisse dire que je suis un bluesman. Sur la scène country, je suis aussi considéré comme un « outsider » car je ne fais pas de la country à proprement parler. J’ai donc du mal à me « cataloguer » même si je sais à quel univers ma musique appartient. Je n’ai pas de réseau de musiciens avec lesquels je pourrais partager ma musique…en dehors du guitariste avec lequel je travaille actuellement. Nous aimons les mêmes choses ; Neil Young,Tom Petty & The Heartbreakers etc.

L’artwork de l’album est, également, très intéressant. Ton visage y est dédoublé et s’oppose… Doit-on y voir une signification particulière ?
On pourrait penser à la vieille imagerie du Dieu Janus qui regarde, à la fois, le passé et l’avenir. Je pense que la musique que je compose vient du passé…alors que la production est résolument en phase avec notre époque et regarde devant elle. C’est cela mon propre changement…

Quel sens donnes-tu au fait de réaliser des disques aujourd’hui, dans un marché qui est devenu de plus en plus restreint ?
C’est une question que tu fais bien de poser (rires) ! Pour moi, écrire et enregistrer un disque est quelque chose de vital. C’est de là qu’une bonne partie de ma vie a été tirée. Quand j’écoute un album…je ne le fais pas par hasard, ni pour me distraire. Pour moi, c’est du pain et mes proches pourront te dire que je suis capable d’écouter 50 fois le même enregistrement. Une fois que je l’ai épuisé et rincé je le range et je passe à un autre. Quand un album me plait, cela m’apporte énormément. Je vais le mettre, l’écouter, le réécouter… Il y a donc quelque chose qui n’est pas anodin dans le fait de produire un album. Pour moi, c’est lié à l’exercice de vivre…

https://www.franzwild.com

https://www.facebook.com/pg/franzrobertwild

 

 

 
Interviews:
Les photos
Les vidéos
Les reportages
 

Les liens :

www.franzwild.com

facebook.com/pg/franzrobertwild

Interview réalisée
Studio RDL - Colmar
le 5 février 2020

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

Le
Blog
de
David
BAERST
radio RDL