Georges Lang
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Georges, tu es considéré comme un très grand spécialiste des musiques roots américaines en France. Comment t'est venu l'amour de ce genre musical ?
C'est une longue histoire…
Lorsque j'étais jeune, j'ai eu l'occasion de côtoyer des américains et des canadiens qui étaient dans des bases militaires disséminées dans l'est de la France.

J'ai, alors, voulu comprendre pourquoi ils avaient une existence un peu différente de la notre. Nous sommes des latins, des français, peut-être à tendance germanique quand on habite l'Est de la France comme c'était mon cas…
Nous sommes tellement différents des québécois, même s'ils parlent français et encore davantage des canadiens anglophones ; sans parler évidemment des américains qui nous faisaient rêver car ils étaient plus grands que nous et avaient de grosses voitures. De surcroît ils parlaient une langue qui était celle du Rock'n'Roll.

Tout est donc lié à mon enfance durant laquelle j'ai découvert les guitares électriques, les premiers disques de Rock'n'Roll et aussi les disques de Jazz. J'écoutais ces derniers chez ces soldats américains car je faisais du baby-sitting chez eux. J'avais tant envie de les voir de plus près…

Lorsque les enfants dormaient, je fonçais sur la chaîne et écoutais Fats Domino, Ray Charles, John Coltrane, Art Blakey & the Jazz Messengers etc…
Tout cela me passionnait !

Te souviens-tu du premier D-jay que tu as écouté ? Avais-tu également l'opportunité d'entendre les radios américaines ?
En fait, les premiers animateurs de radio dont je me souviens très bien sont des gens qui étaient sur une radio concurrente à celle sur laquelle j'officie aujourd'hui. A savoir des personnes comme Michel Cogoni, Hubert Wayaffe qui travaillaient sur Europe 1 et que j'ai rencontrés par la suite.

Cependant, du fond de mon lit sous mes couvertures, le premier qui m'a fait vraiment vibré c'était Frank Ténot qui animait " Pour ceux qui aiment le Jazz ".
Son compère Daniel Fillipachi avait créé par la suite une émission pour les jeunes. Je dois dire que c'est un peu la concurrence qui m'a fait verser dans cette ambiance d'émissions musicales et nocturnes.

Dès mon plus jeune âge j'ai voulu faire de la radio la nuit.
Je pense, en réfléchissant bien et avec un recul de près de 45 ans maintenant, que l'on retrouve dans les émissions de nuit une complicité que l'on ne connaît pas dans les autres sessions. Ceci parce que la nuit, on écoute - alors que dans la journée, on entend…
La nuit nous avons la possibilité de créer un climat qui n'est pas traduisible dans l'après-midi, par exemple.

Je suis persuadé que ceux qui écoutent les émissions de mes collègues de l'après-midi sont dans une voiture, doivent faire attention à la conduite, aux enfants qui traversent ou ont d'autres tâches. Par contre la nuit, les auditeurs sont collés au transistor, le moindre bruit prend une autre importance.
Si la nuit tu dors les fenêtres ouvertes, tu entendras le moindre bruit, celui des talons d'une dame qui marche dans la rue, par exemple.

La nuit je fais plus une radio de proximité et c'est ça qui me plaît…

Peux-tu me parler de la façon dont tu es passé du statut d'auditeur à celui d'animateur ?
Quand j'étais adolescent, alors que j'avais une quinzaine d'années, j'avais dit à un camarade de classe, Jean-Yves qui travaille actuellement sur FIP, que je deviendrais un jour animateur de radio. Il n'y a pas cru…

A l'époque c'était difficile car il n'y avait que 3 grosses radios qui émettaient dans la partie nord de la France, à savoir Paris Inter (devenue France Inter), Europe n°1 et Radio Luxembourg (aujourd'hui RTL).
Pour intégrer une de ces stations il fallait se " lever tôt ", j'y suis parvenu…

As-tu de suite intégré Radio Luxembourg ou es-tu, aussi, passé par des radios locales ?
J'ai commencé à faire de la radio à Nancy au sein de l'équipe de France Inter Lorraine-Champagne-Ardennes. Très vite cela ne m'a pas suffit car j'avais beaucoup d'ambition professionnelle.

Je voulais travailler sur une grosse radio, je suis donc allé frapper à la porte d'Europe 1 mais ça n'a pas marché. Après je me suis rendu ici au 22 de la rue Bayard afin d'y rencontrer le directeur des programmes de l'époque.
Ce dernier m'a dit " Vous voulez faire de la radio la nuit mon ami ! Ceci ne se fait pas ici mais à Luxembourg ". Je lui ai répondu " Je viens de Metz, ce n'est pas loin donc OK je relève le défi ".

As-tu imposé d'emblée ton genre musical de prédilection ou t'es-tu, au départ, adapté à la demande ?
J'ai tout de suite marqué le terrain en disant que je voulais faire une radio différente car il n'y avait pas beaucoup de Rock sur RTL à l'époque, en dehors de Jean-Bernard Hebey et Bernard Schu.
A la différence de mes collègues qui étaient déjà à l'antenne j'ai voulu créer une ambiance et apporter une musique différente. Ceci sans m'adresser spécialement à une élite, c'est à dire que j'étais un spécialiste " grand public ".

Je ne rentrais pas dans les détails en disant " John Mayall joue sur telle guitare ou est entouré par tel musicien " au contraire de Jean Bernard Hebey qui était beaucoup plus soucieux de ces petits détails.
Je voulais simplement faire plaisir à ceux qui aimaient la musique tout en la faisant découvrir aux simples curieux qui ainsi ne se sentaient pas exclus.

J'ai toujours ce petit problème avec les " journalistes Rock " qui pensent toujours que je suis un opportuniste, me servant de leur musique, car elle leur appartient !
Ils disent " C'est nous ! ", formant ainsi un clan. Ceux-ci argumentent en disant que Georges Lang fait semblant sans rentrer dans les débats. C'est vrai : je ne rentre pas dans le débat mais c'est volontaire. D'ailleurs je peux prouver tous les samedis dans " Saga " que l'on sait de quoi on parle dans mon équipe.

Tu es aussi un amoureux des USA, tu t'y es rendu souvent pour tes émissions…
Oui, ça complète cet amour de la musique. D'abord il y a dans mon cœur la radio et la musique puis les Etats-Unis.
J'ai commencé à m'y rendre alors que j'étais étudiant et de ce fait avec des moyens inexistants. Je voyageais en autobus faisant des voyage Los Angeles/New-York puis New-York/Los Angeles ou encore Chicago/Dallas. J'ai vraiment trafiqué dans tous les sens. C'est comme ça que j'ai commencé à comprendre les différences de cultures et de musiques ainsi que les fusions qu'il pouvait y avoir dans ces domaines.

Il est évident que lorsque l'on naît dans le sud profond, en Louisiane, on n'écoute pas la même musique que dans le Nord de la Floride. Les Lynyrd Skynyrd sont des sudistes mais leur musique est différente de ce qui se fait en Louisiane.

Tout cela m'a passionné et connaissant bien le terrain, surtout le Sud et l'Ouest des USA. Je m'en suis fait une spécialité. De ce fait je me suis de plus en plus écarté de la musique anglaise sauf lorsque les musiciens anglais traversaient l'Atlantique pour s'imprégner de musique américaine. Nous pouvons citer comme exemple Eric Burdon (ex-leader des Animals, Nda), John Mayall etc…

Quelles ont été tes premières rencontres d'artistes et que représentait pour toi le fait de rencontrer tes idoles ?
Je ne me souviens plus des premiers parce que dès le début, même lorsque je travaillais à Nancy, j'avais déjà rencontré Ray Charles et bien d'autres. Il était déjà difficile à l'époque d'obtenir des interviews avec des artistes internationaux et cela est encore plus dur aujourd'hui.

En fait je me souviens surtout des artistes que je n'ai pas interviewés. Parmi ceux que je regrette le plus de ne pas avoir rencontré il y a Bob Dylan qui refuse systématiquement de répondre aux questions des journalistes.

J'ai fait Bruce Springsteen mais je regrette les conditions, de surcroît je n'ai pas pu lui poser toutes mes questions car il était pressé par le temps, cela reste une frustration.

Enfin il y a Elvis Presley que je n'ai, quant à lui, ni interviewé ni même vu. Ceci parce qu'à l'époque où j'ai commencé à aller aux USA, il était déjà dans sa période " Kitch ", Las Vegas, paillettes etc…
Cet aspect ne m'intéressait pas.

En vieillissant je le regrette, d'autant plus que j'étais à Las Vegas certains soirs où il y chantait. Par la suite je suis devenu un spécialiste d'Elvis conservant cette " fracture " en moi de ne l'avoir ni vu ni rencontré.

En tout cas il y a quelqu'un que tu as rencontré, c'est Johnny Cash, quels étaient tes contacts avec lui ?
Je dois dire que lorsque je rencontre des artistes pour la première fois, il y a une gêne. De ma part comme de la leur…
Je peux certains jour être le 23ème journaliste qui se présente avec un magnéto pour poser toujours les mêmes questions, donc on ne les marque pas.

Par contre quand on rencontre plusieurs fois les artistes, ce qui est le cas lorsqu'on fait une carrière aussi longue que la mienne puisque ça fait 34 ans que je suis dans les " Nocturnes ", il y a des affinités qui peuvent se créer.

J'ai rencontré Johnny Cash au moins 30 fois et, ayant la chance d'avoir un visage que les gens reconnaissent, Johnny Cash me disait toujours " How are you son ? " (" Comment vas-tu fils ?") ce dont j'étais très fier.
J'ai 58 ans et il est mort alors qu'il en avait 71, donc il n'aurait pas pu être mon père, mais le fait qu'il disait cela me faisait vraiment plaisir. A chaque fois c'était un enchantement de le retrouver car il savait que nous étions débarrassés de la gêne que nous avions de nous " affronter ".

Je n'avais plus les questions de base à lui poser, nous allions donc à l'essentiel et parlions de l'actualité, ce qui lui plaisait.
La dernière fois que je l'ai vu, c'était à Nashville et il était extrêmement malade. De ce fait je n'ai pas prolongé l'interview trop longtemps ayant du respect pour les gens qui souffrent. Je ne voulais pas l'ennuyer, j'ai donc fait une interview de " politesse " qui n'a jamais été diffusée car elle n'apportait rien de nouveau. Il reste quelqu'un d'important dans ma vie et je garde plus particulièrement en mémoire son passage à RTL.

Comment expliques-tu la longévité de l'émission " Les Nocturnes " (34 ans à ce jour, Nda) ?
Je ne l'explique pas, chaque jour est un miracle et un jour de gagné car demain on peut me demander de partir.
Ce que j'accepterai car j'ai dit ce que j'avais à dire et fait ce que j'avais à faire. Je crois que si on devait un jour me demander de partir je pourrai dire très " immodestement " : " Mission accomplie ".

J'ai fais ce que je voulais faire, pendant tant de temps, merci patron !
Il y a qu'un patron que je ne remercierai jamais c'est celui qui m'avait mis dehors il y a quelques années.

De façon plus générale, comment vois-tu l'avenir des musiques " roots " à la radio ?
Ce n'est pas l'avenir des musique " roots " qui me pose problème, c'est l'avenir de la radio.
L'avenir de la génération des jeunes qui ont 18 ans aujourd'hui et qui consomment la musique d'une façon si particulière, que moi cela m'effraie.

Personnellement je n'ai pas d'I-Pod, je ne sais même pas transformer un MP3 et je ne vais pas télécharger, ça ne m'intéresse pas. A moi, il me faut un disque, déjà que le cd est réducteur, petit, que le boîtier casse et qu'il faut une loupe lire les crédits…

C'est difficile, pour moi, de l'admettre (rires) surtout que maintenant on me demande de travailler avec rien, avec du vent. Je suis d'une autre génération et je pense que les gens qui écoutent de la musique sont sensibles à tout ce qu'il y a autour du son. Maintenant ce n'est même plus du son mais des fichiers, tout cela me fait peur.

Je crois qu'il t'arrive parfois de donner des cours dans des écoles de journalisme, que dis-tu aux jeunes ?
En fait il s'agit plus d'exposés que de cours. Je vais une fois par semaine dans une école à Boulogne raconter l'histoire de la radio car il ne faut jamais oublier d'où on vient. Il y a des gens qui se sont battus pour qu'existe la radio.

Je viens expliquer aux jeunes que moi aussi j'avais 15 ans et que j'avais envie d'écouter une radio qui venait d'ailleurs, goût que mes parents ne partageaient pas. Cette radio là elle est née à bord de " bateaux pirates ", je raconte donc l'histoire des radios pirates, cela dure 2 heures.
Comme j'ai connu la plupart des D-Jays qui travaillaient là-dedans, j'ai récolté de nombreux documents.

Un autre exposé que je fais est basé sur les radios Top 40 américaines, je raconte comment aux USA on a fondé la radio moderne avec une playlist de 40 disques qui étaient programmés en rotation lourde. Ceci sur des radios AM et dont les animateurs étaient des vraies stars. Ce sont ces D-Jays (comme Wolfman Jack par exemple) qui ont montré aux européens comment faire de la radio.

Je peux aussi faire des exposés sur la musique " Tamla Motown ", sur le reggae, sur le son " Stax ", sur le label " Atlantic " avec Ahmet Ertegun qui est quelqu'un que je respecte et qui habite à 150 mètres d'RTL, lorsqu'il ne vit pas à New-York.

J'ai plein de choses à raconter et je dois dire, à ma grande surprise, que les jeunes écoutent. Même si quelques uns, parfois, doivent dire " Le vieux il nous a encore emmerdé avec ses souvenirs d'ancien combattant " (rires).
D'une façon générale, ils sont surpris d'apprendre à quel point nous nous sommes battus pour imposer une musique. Eux se battent pour trouver un boulot, ce n'est pas la même bataille mais cela revient au même niveau de la difficulté.

Tu as fait des centaines d'émissions " Saga ", y' aurait-il un thème inédit que tu souhaiterais encore aborder ?
Il y a peu de thèmes que nous n'avons pas encore abordés. Dans les thèmes généralistes nous avons tout fait comme les 5 émissions sur le Blues (Chicago Blues, le Blues au yeux bleus, le Blues du Delta, le Blues électrique, le Blues rural), chacune durait 2 heures.

Nous avons aussi fait une émission sur La Route 66 à la suite de la parution d'un livre qui avait été fait par Dominique Chapatte de M6 (émission " Turbo "). J'étais donc parti sur la Route 66 avec les gagnants d'un concours sur RTL en janvier il y a une dizaine d'années. J'ai fait la route 66 sous la neige de Chicago à Los Angeles…
C'est une " Saga " que j'aimerais bien refaire prochainement.

Sinon pour répondre à ta question il y a toujours des groupes trop jeunes et qui n'ont pas encore assez d'histoire, en dehors de ceux-là nous avons tout fait.
Au risque de t'étonner nous avons même fait une saga Arthur Rimbaud car nous avions voulu voir si nous étions capables de raconter l'histoire de quelqu'un de très " Rock'n'Roll " dans son attitude ; " l'homme aux semelles de vent " illustré par des musiques Rock (Patti Smith, Pink Floyd etc…).

Nous avons aussi fait la saga de quelqu'un qui n'a sorti qu'un album, à savoir Jeff Buckley. Il faut le faire tenir deux heures avec qu'un seul cd. Cependant cet artiste était tellement charismatique et comme nous avions pu récupérer de nombreux enregistrements inédits ou live de lui, cela s'est bien passé.
Ce sont des exemples de choses que l'on peut faire…

On nous reproche parfois de ne pas faire des sagas sur des groupes nouveaux, mais lorsqu'il n'y a rien à raconter qu'est-ce que l'on va relater pendant deux heures ?
Récemment nous avons, tout de même, évoqué des groupes comme Radiohead et Placebo.

J'apprécie beaucoup Brian Molko, le chanteur de Placebo qui a été très sympa de préciser qu'il avait découvert la musique en me regardant à la télévision alors que j'y animais une émission sur le Rock et qu'il me devait sa culture musicale. Le jour où il était dans mon studio à RTL, il était précisément assis à ta place, ça a été réellement une relation père-fils.

Dans le futur nous essayerons aussi de ne pas faire de sagas nostalgiques sur des groupes que nous avons déjà évoqués et qui ne sont plus d'actualité.

En terme de conclusion, si on devait faire une " Saga Georges Lang ", qu'est-ce qu'il ne faudrait pas oublier de dire ?
Elle a déjà été faite (rires) pour les 30 ans des Nocturnes ! C'est Eric Jean-Jean et Bernard Meneguzzi, le réalisateur, qui ont réunis de nombreux documents sur moi.

Ils avaient interviewé ma femme, ma fille, mon fils, des copains et il y avait plein de témoignages d'artistes comme Jimmy Page, Quincy Jones et tant d'autres…

Dernièrement, je demandais à Bernard " Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire comme saga ? ", il m'a répondu comme toi " Ben une saga Georges Lang ". Je lui ai dit qu'elle avait déjà été faite, il m'a répondu qu'elle serait alors rediffusée à ma mort, il m'a filé un sacré coup là (rires).

 
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Les liens :

www.rtl.fr

Interview réalisée à
RTL 22 rue Bayard, Paris
le 11 mai 2006

Propos recueillis par
David BAERST

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Interview de Georges Lang 1/2

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Interview de Georges Lang 2/2

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