Nda : Considéré comme l’un des plus grands talents de la Nouvelle-Orléans, le chanteur-tromboniste Glen David Andrews peut enfin (après avoir connu des déboires dans sa vie privée) se permettre de se consacrer pleinement à sa carrière. Il met même à profit son passé difficile pour y puiser l’énergie qui lui est nécessaire afin de gagner, concert après concert, un cercle d’admirateurs qui ne cesse de s’élargir. Venant de passer une bonne vingtaine d’heures dans différents avions et à peine arrivé sur le site du Festival de Jazz de Munster, l’artiste m’a reçu dans son hôtel afin de m’accorder un entretien dénué de toute langue de bois. Quelques minutes plus tard, comme si fatigue et décalage horaire n’existaient pas, il a pris d’assaut la salle alors que ses musiciens n’avaient pas terminé leurs réglages. Une entrée en matière fracassante qui, d’emblée, a fait se lever un public pour le moins impressionné. Prenant sa revanche sur l’existence, Glen David Andrews n’a pas été avare en poignées de mains et s’est mêlé à ses fans durant de nombreuses séquences de son show. Un spectacle riche en émotions et à la hauteur de l’engagement d’un personnage décidemment hors du commun.
Glen, tu es issu d’une famille qui compte parmi les plus prestigieuses de la Nouvelle-Orléans. Peux-tu revenir sur cette dernière et me parler de la manière dont tu as abordé la musique en son sein ?
C’est, en effet, l’une des familles les plus importantes de la Nouvelle-Orléans. La dynastie Andrews est dotée, en plus de moi Glen David Andrews, d’artistes tels que James Andrews (qui est surnommé « Satchmo of the ghetto ») ou encore de Trombone Shorty (de son vrai nom Troy Andrews) qui est devenu une véritable superstar à travers le monde. Nous avons tous été membres de célèbres brass bands de la Nouvelle-Orléans, tels que Rebirth Brass Band, Dirty Dozen Brass Band etc. Je pense qu’il y a, aujourd’hui, une quinzaine de membres de notre famille qui sont des musiciens actifs et qui se produisent à travers le monde. Je suis heureux d’en faire partie et de pouvoir, aujourd’hui, être assis en face de toi afin d’en parler…
Par quel instrument as-tu débuté la pratique de la musique ?
J’ai commencé en étant batteur, mais je dois avouer que je n’étais pas très bon dans ce domaine (rires)…
Pourquoi ton choix final s’est-il, finalement, porté sur le trombone ?
Trombone Shorty m’a offert un trombone alors qu’il était enfant. J’en ai donc joué… Je devais être âgé d’environ 13 ans.
Quel type de relation entretiens-tu avec Trombone Shorty, êtes-vous restés proches l’un de l’autre ?
Je l’adore et je pense qu’il est la personne la plus formidable dans ce monde. Il est très humble, tout en connaissant un très grand succès. J’espère que les gens, ici, me découvriront avec autant de plaisir qu’ils ont pu le découvrir lui.
Comment expliques-tu son succès international ?
Son succès est, en partie, lié à son propre mode de vie. C’est quelqu’un qui n’a jamais rien fait de mal. Il a toujours été très appliqué et c’est, en partie, ce qui a contribué à son actuelle notoriété.
Qu’est-ce qui te touche le plus dans l’instrument de musique qu’est le trombone ?
Rien… Je ne suis pas une personne qui est complètement accroc à cet instrument. D’autant plus que je m’appuis de plus en plus sur le chant. C’est le jazz traditionnel que je préfère le plus interpréter avec le trombone. Pour moi, ce dernier reste malgré tout un instrument de musique vraiment fun…et il continue à m’apporter beaucoup de joie lorsque j’en joue.
La scène musicale louisianaise est particulièrement riche et variée. Parmi les artistes qui en sont issus, quels sont ceux qui ont eu le plus d’influence sur toi ?
J’ai été très marqué par Mahalia Jackson, surtout lorsque je fréquentais l’église. Puis toute la musique noire américaine dans son ensemble. Qu’il s’agisse de blues où d’artistes qui se sont davantage consacrés au rhythm and blues ou au jazz. Je peux, ainsi, te citer, Big Joe Turner, Louis Armstrong. Biens sûr des ensembles comme Olympia Brass Band ou le Preservation Hall Jazz Band ont aussi contribué au fait de me faire aimer définitivement tous ces sons. Ce sont des choses que j’écoute encore assidument aujourd’hui. Je conserve précieusement toutes ces musiques dans mon téléphone portable et je les écoute chaque jour. Il m’arrive, également, d’écouter du rap mais je reviens systématiquement à Big Joe Turner, Louis Armstrong ou Bessie Smith…dont de nombreux titres sont archivés dans mon téléphone. C’est ce que j’aime le plus !
De nombreux artistes afro-américains ont considéré la France comme une terre d’asile. Il y ont séjourné et y ont connu du succès (Memphis Slim, Sidney Bechet etc .). Serais-tu prêt à suivre leur voie et à traverser l’Atlantique afin de t’installer en Europe ?
J’adorerais vivre en France ! J’aime le continent européen où j’ai déjà eu la possibilité de me produire à plusieurs reprises. Ceci-dit, je n’y ai pas encore rencontré un grand succès. Quoiqu’il en soit, si après le concert de ce soir une jeune femme m’envoie un e-mail afin de me demander en mariage…je déménagerai peut-être (rires) !
Tu as joué dans plusieurs Brass Bands à la Nouvelle-Orléans. Peux-tu me parler de ces derniers ?
Si tu viens un jour à la Nouvelle-Orléans, je t’inviterai à rester chez moi. Comme cela, je pourrai te permettre d’assister à ce que l’on appelle une parade second line. Chacune d’entre elles réuni plusieurs brass bands. On se retrouve, ainsi, avec 200 ou 300 musiciens qui déambulent dans la rue. Cela a lieu tous les dimanches. On trouve presque la même effervescence lors des funérailles des gens, lors de mariages, des fêtes d’anniversaires ou même des bar mitsvas. Tu sais, chaque occasion est bonne pour jouer de la musique chez nous.
Dans quelles circonstances as-tu décidé de te lancer dans une carrière sous ton propre nom ?
Je ne suis pas un très bon suiveur. Je me suis toujours senti l’âme d’un leader. De plus, j’aime faire mes propres choses. Produire mon propre son et laisser libre cours à mes rêves. C’est la ligne directrice de ma vie… Essayer de réaliser mes rêves en faisant ce que j’aime le plus !
Quel est, justement, ton son ?
Je dis à tous les gens, à travers le monde, de venir s’en rendre compte par eux-mêmes. Si tu viens, tu pourras te forger ta propre opinion sur ma musique et la nommer tel que tu l’entends. Tout ce qui est sûr, c’est que je suis toujours au maximum de mes possibilités et que je mets tout en œuvre afin que personne ne soit déçu. Ce soir, je me consacrerai principalement à un répertoire gospel et je peux déjà te dire que je le ferai au mieux.
Pourquoi as-tu titré ton dernier album en date « Redemption » ?
Parce que j’ai traversé beaucoup de choses dans ma vie ces dernières années. J’ai été confronté à tous les démons. Ces derniers ont eu un impact important sur mon existence. J’avais besoin de cette rédemption… Aujourd’hui, ma vie a trouvé une meilleure place. Je suis très excité à l’idée de sortir mon prochain album….
Justement, peux-tu déjà me parler de celui-ci ?
Ce sera un disque enregistré en formation big band. Il y aura 20 morceaux qui seront des reprises de standards du blues ou du jazz. Il s’agira d’un double CD !
Sur l’album « Redemption », se trouvent quelques invités de marque (Ivan Neville, Anders Osborne, Jamison Ross…) et même un duo virtuel avec Mahalia Jackson….
(Glen David Andrews me coupe) En effet, nous sommes allés la chercher au cimetière afin de l’emmener au studio. Là, nous lui avons offert du poulet frit puis elle a interprété sa partie avant de repartir en direction du cimetière… Puis, c’était fini (rires) !
A ton avis, la musique a-t-elle aidé la Louisiane lors de sa reconstruction suite aux différentes catastrophes qui ont mis à mal cet état ?
Non, pas vraiment… Ceci parce que les musiciens sont les gens les plus défavorisés de New-Orleans. Tu sais, cela peut paraître paradoxal mais je me sens plus apprécié dans la ville dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui que dans ma propre ville. Dans le fond, je ne me soucie pas vraiment de Louisiane…je ne me soucie que de New-Orleans puisque j’y habite et j’en suis originaire. La Louisiane demeure, malgré tout, un endroit qui est très prometteur pour les gens de différentes races et de différentes couches sociales. Ceci n’est malheureusement pas une bonne chose en 2018, parce que nous avons un véritable « trou du cul » comme président. Ce personnage est un véritable « fouteur de merde ». Il a donné un visage à la haine et il ne fait pas bon être un musicien de couleur, spécialement dans le sud de la Louisiane. J’aimerais que la musique puisse changer cet état d’esprit, mais je ne crois pas qu’elle puisse y parvenir un jour…
Te sens-tu porteur d’un message politique ?
Le fait de pouvoir dire la vérité constitue une bonne raison de devenir musicien. Nous nous devons de dire la vérité, que les gens aiment ou non cela…
La manière dont tu évoques la Louisiane m’inquiète un peu sur la santé de sa scène musicale…
Je ne pense pas, en tout cas, qu’elle soit sur de bons rails. La plupart des musiciens perdent peu à peu de vue les bases de leur art. Tout le monde veut jouer tous les genres de registres, en oubliant que nos racines viennent des sons popularisés jadis par Fats Domino, Little Richard, Jessie Hill, Professor Longhair et tous les brass bands. A partir de ce qu’ont fait ces gens là, d’autres artistes ont pu créer de nouvelles tendances musicales. Malheureusement, si tu ne maitrises pas les bases de ton héritage culturel…tout ce que tu crées ne rime à rien.
Quels sont les musiciens dont tu es le plus proche, actuellement, à la Nouvelle-Orléans ?
J’ai beaucoup d’amis… Je n’ai, cependant, pas un seul vrai ami. Je les considère plus comme des associés. Je ne pense, en effet, pas avoir eu plus beaucoup d'amis dans toute ma vie…malgré le nombre important de gens que j’ai pu côtoyer. Pourtant, il m’est souvent arrivé d'en avoir besoin.
Quelles sont tes attentes concernant les concerts que tu donnes, actuellement, en Europe ?
Mec, je suis excité d’être dans cette ville et j’ai pris l’habitude de prendre de nombreuses photos de tous les endroits par lesquels je passe en Europe. Ceci, plus particulièrement, en France où je suis venu pour la première fois en 1994. Où que j’aille, comme en Allemagne il n’y a pas plus tard qu’une semaine, j’apprends quelque chose de nouveau. Comme j’ai une fille, j’en profite pour toujours acheter quelque chose de nouveau à son attention. Par exemple, dans cette ville j’ai vu une jolie robe qui pourrait lui plaire. Ainsi, je lui dirai qu’elle vient de Munster en France. Tout ce que j’approche est, de ce fait, toujours diversifié. De plus, c’est pour moi l’opportunité de discuter avec des gens formidables…dont toi qui t’intéresse avec passion à ce que je fais. Cela me touche énormément. Vraiment, je te remercie d’être assis en face de moi et de m’accorder de ton temps afin de discuter. C’est quelque chose de sacré à mes yeux…
Ton prochain album est-il sur le point de sortir ?
Pas encore, il me reste encore à trouver de l’argent pour cela ! Si tu veux m’aider en cette matière, tu es le bienvenu (rires) !
Souhaiterais-tu ajouter une conclusion à l’attention de ton public français ?
Merci beaucoup à Jean-Pierre Vignola qui programme le Munster Jazz Festival. C’est quelqu’un pour qui des groupes tels que le Rebirth Brass Band ou le Dirty Dozan Brass Band n’ont aucun secret. L’an dernier, il m’avait déjà permis de me produire à l’hôtel Méridien à Paris. C’était le temps de 5 soirées et j’en conserve de précieux souvenirs. Je tiens, également, à remercie Xavier Baron qui est mon manager français. Enfin, merci à tous ceux qui me donnent l’opportunité de promouvoir ma musique et de me permettre de jouer un peu partout. Je ne prends pas cela à la légère… Je le dis sérieusement et avec le plus d’humilité possible. Je tiens à adresser toute ma reconnaissance à ceux qui croient en moi et qui m’aident dans ce sens, ceux qui m’ouvrent au monde... Tu sais, je pourrais très bien être à la Nouvelle-Orléans et ne rien faire. En tout cas, en ce qui concerne les Etats-Unis dans leur globalité, je suis sûr de ne pas y être trop demandé…
Remerciements : Jean-Pierre Vignola et Xavier Baron (Soul Time Management)
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