Guy l’Américain
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Guy, dans un premier temps, pourrais-tu me dire comment le virus des musiques américaines t’a été transmis ?
J’ai commencé à voyager aux Etats-Unis à l’âge de 20 ans et j’en ai, aujourd’hui 54...
Je repars, sous peu, pour mon 87ème voyage.

J’ai toujours adoré ce pays et me suis intéressé à sa culture. Notamment à tous les styles musicaux qui y sont joués: le Blues, la Country Music, le Bluegrass, la musique traditionnelle indienne tout comme ses dérivés actuels (Hip-Hop, voire Métal). Aujourd’hui toutes les tribus jouent des musiques qui sont extrêmement différentes tout en conservant certaines racines traditionnelles. A une époque, j’ai fait beaucoup d’émissions de radio aux côtés de mon ami Dom Kiris sur OUI FM. Notre émission se nommait « Qui veut la peau de Guy l’Américain » …

Je me suis aussi beaucoup occupé de management, j'ai travaillé chez des disquaires et je collabore avec Dixiefrog, en tant que « talent scout » (découvreur de talents, nda) depuis 1997. Au début j’amenais de nouveaux artistes au label puis, quand le métier est devenu un peu plus compliqué, j’ai suggéré à Philippe Langlois (créateur et patron de Dixiefrog) de monter des projets tels que la compilation « Music Maker ». Nous avons montré la vie de gens comme Tim Duffy (voir interview ICI) qui a créé cette fondation afin de venir en aide aux bluesmen les plus méconnus et de les remettre en scène, soignés, logés etc…

Cette connexion avec Music Maker a fait que Pura Fe’ a signé des albums avec Dixiefrog. Comme j’étais toujours sur la route, mon ami Jean-Pierre Bruneau qui est journaliste, m’a suggéré de filmer mes pérégrinations au sein des tribus indiennes afin d’en faire un court-métrage. Je lui ai répondu que c’était une folie. Lorsque je prends un lac en photo, le résultat ressemble davantage à une goutte d’eau…
Il m’a répondu que mes connaissances sur place et mon feeling m’aideraient à améliorer ma technique. Et donc, Philippe Langlois a acheté une caméra Sony HDV et je suis parti pendant pratiquement deux ans et demi. J’en ai ramené 80 heures de film …

Un jour j’ai appelé Philippe Langlois depuis Six Nation Reservation (réserve indienne située dans l’Ontario au Canada, Nda) pour lui dire que j’avais « récolté » 150 CD d’artistes indiens et qu’il pourrait être intéressant d’en faire une compilation. Il m’a donné son accord et j’ai immédiatement annoncé la nouvelle sur les antennes de CKRZ, la grande radio de Six Nation (aujourd’hui disparue, Nda). J’ai, alors, rencontré tous ces grands artistes comme Wayne Lavallee, Pura Fe’ etc…
Ils m’ont gentiment donné de leur temps et ils m’ont « connecté » à d’autres personnes. Il en résulte cette compilation qui a été montée dans le but de casser les clichés. Nous ne montrons pas les indiens de la Mer de Sable (Parc d’attraction dédié aux indiens d’Amérique et situé dans l’Oise, Nda)…

Il y a, aujourd’hui, une modernité de la nation indienne qui est très importante. Tous les jeunes indiens travaillent sur des ordinateurs, jouent du Hip-Hop, du R&B etc…
Il y a toujours des Pow-wows (rassemblements, Nda) qui sont organisés durant lesquels les hommes et les femmes s’habillent de façon traditionnelle et jouent le drum (tambour, Nda) antique perpétuant, ainsi, certaines traditions. On y trouve, cependant, un côté très moderne, ce sont des gens qui ont parfaitement leur place dans le monde actuel…

Le fait de réunir des artistes aussi variés sur cette compilation « Indian Rezervation : Blues and More » (Dixiefrog) a-t-il posé des problèmes de conception ? Certains d’entre eux étaient peut-être déjà signés sur des labels? Avez-vous essuyé des refus ou, au contraire, avez-vous pu présenter tous les artistes qui vous touchaient le plus sur ce triple album ?
La seule frustration que nous avons eue avec ce projet est, qu’en fait, il nous aurait probablement fallu un quintuple CD. Nous avions réuni tant d’artistes de talent que nous avons fait une sélection qui répondait à un critère de diversité. Notre but était de mettre ce qu’il y avait de plus représentatif et de plus personnel dans chaque style musical. Ces 3 CD sont conçus comme des voyages, chaque disque à une histoire. Le CD1 est orienté vers les éléments (les rapports à la nature, par exemple), le deuxième a une connotation politique et le troisième évoque le Dieu Kokopelli qui avait libéré les peuples de l’âge de la nuit et qui leur a fait découvrir la lumière.

Au niveau technique cela a été très compliqué car certains artistes étaient sous contrat avec de tous petits labels, d’autres avec des labels un peu plus gros…
Beaucoup d’entre eux n’avaient aucun management et n’avaient enregistré que des maquettes. A titre d’exemple, les morceaux de Star Nayea, Leilani, Charly Lowry (la seule artiste amérindienne sélectionnée pour l’émission « American Idol », genre de « Star Ac’» américaine) sont des maquettes…
Nous avons donc eu un gros travail de mixage… De mon côté j’ai réalisé 3 mixes avec mon ingénieur du son. Philippe Langlois en a refait 5 différents pour arriver au résultat de tous ces morceaux qui se mélangent tout en conservant une qualité de son homogène.

La complication technique se trouve aussi dans le fait de pouvoir reverser toutes les royalties aux artistes sachant que dans la nation indienne il n’y a pas beaucoup de notion de contrat. Tout se fait avec la parole, quand j’ai eu besoin de titres de Derek Miller je n’ai jamais reçu de contrat. Il m’a appelé pour me dire : "on se connaît, nous sommes amis et tu peux prendre les titres qu’il te faut; Do your job » (rires) !

Toi qui as une parfaite connaissance de ces réserves indiennes, es-tu encore frappé par la façon dont elles vivent aujourd’hui, est-ce toujours en autarcie totale ?
A partir du moment où on t’impose un gouvernement qui n’est pas le tien (que ce soit au Canada ou aux Etats-Unis) et qu’on t’impose une frontière qui, à la base, n’existait pas : il est bien évident que les tribus indiennes ne reconnaissent aucune forme de gouvernement à l’exception des leurs. La police fédérale n’a rien à faire dans une réserve, c’est la police tribale qui gère les affaires s’il y a un souci comme tu as pu le voir dernièrement dans un film qui expliquait cela (Guy fait référence au superbe premier film de Courtney Hunt « Frozen River », grand prix au Festival de Sundance, Nda).

Ce qui est intéressant aujourd’hui, dans la nation indienne, c’est la diversité. Tu peux arriver dans des réserves, comme chez les Cherokees, où il y a des grands casinos, de l’argent, de gros 4X4 neufs sur les routes etc…
Par contre si tu vas dans des réserves de l’extrême nord comme Woolf Point dans le Montana tu peux tomber sur des mômes de 20 ans défoncés au cristal meth (drogue synthétique psycho-stimulante très dangereuse, Nda) à 20 dollars, des mecs qui boivent, qui se flinguent, bref la violence y est omniprésente.

Tu as donc d’un côté des endroits où tout se passe très bien et de l’autre, une pauvreté très importante. Il y a toujours des quartiers où il n’y a ni eau, ni électricité dans les caravanes…
J’ai aussi découvert que chaque tribu à son propre caractère. Par exemple les Iroquois sont tendus (on le sent dans la musique de Derek Miller) alors que les Navajos ont un côté plus « soft » …

Cela est parfois lié aux endroits où les gens vivent. La musique est un support, tu as des gens et ces gens-là vivent dans une géographie et ont une vie sociale. C’est à travers cette vie sociale qu’une musique, une peinture ou du théâtre transparaît. C’est juste la vie des gens et c’est ce que j’ai essayé de montrer à travers les disques « Music Maker », « Sisters of south » etc…

Je veux faire découvrir l’Amérique dont personne ne parle, pas celle de Bruce Willis ou de Coca Cola.
L’Amérique est aussi celle de tous ces mecs fauchés qu’ils soient blancs, indiens, noirs, mexicains, portoricains etc…
L’Amérique…

Est-ce que ces artistes amérindiens arrivent à se produire dans des clubs blancs ou, au contraire, ressens-tu une sorte de séparation comme cela pouvait se passer à l’époque avec les noirs ?
Il y a des émissions qui se développent au Canada, sur des télévisions nationales. Une semaine tu pourras y voir des groupes tels que Metallica ou Mötley Crüe et, une semaine après, des gens comme Wayne Lavallee ou Derek Miller. Cela commence à s’ouvrir de façon plus large au Canada qu’aux Etats-Unis. Au Canada il y a une chaîne, APTN TV, entièrement dédiée aux « first nations » et aux aborigènes alors que tu ne trouveras pas de tels programmes aux Etats-Unis.

D’une façon ou d’une autre nous y viendrons. En voyageant, on se rend compte à quel point les indiens ont influencé les peuples dans la médecine et bien d’autres domaines. Le réchauffement climatique dont tout le monde parle aujourd’hui était déjà dans les prophéties il y a des centaines d’années. Ils savaient que cela allait arriver…
Quand je vais à Calville Indian Reservation, je passe près d’un barrage qui a réduit à néant les saumons qui vivaient dans ce secteur…
Cette terre ne nous appartient pas, elle n’est pas à nous. Nous en sommes les gardiens et ne faisons que passer. Si tu bousilles le cheval que tu montes alors que tu traverses le désert, tu vas mourir…

C’est ce que nous faisons, nous ne respectons pas mère nature ni notre père qui est le ciel. Cette analyse peut paraître « baba-cool » mais si nous fouillons dans les origines des débordements actuels liés aux profits on s’aperçoit que c’est un système qui arrive au bout…
Je ne te dis pas que j’ai une solution et que j’ai quelque chose de mieux à mettre en lieu et place mais, à mon avis, comme me l’ont dit beaucoup de jeunes, il faut revenir aux vraies valeurs et aux choses les plus importantes. Cela passe par les rapports humains, le respect de l’environnement dans lequel nous vivons, la découverte des autres etc…

Justement, à titre personnel, quels ont été les meilleurs enseignements que t’ont procurés ces différents peuples amérindiens ?
Cela m’a prouvé que j’ai eu raison de faire ce que j’ai fait de ma vie…
Ce n’était pas facile car lorsque tu vis sur la route et que tu vas à la rencontre des gens tout est très compliqué. La liberté implique souvent une solitude…

Je sais aujourd’hui que je ne me suis pas trompé car je me suis retrouvé dans ces peuples et je sais maintenant pourquoi je me sens proche d’eux. J’y ai retrouvé ce que j’ai au fond de moi, une forme de fierté mélangée avec une blessure. A un moment, tu ne peux plus l’expliquer mais tu sens qu’il y a quelque chose d’évident là-dedans…
Donc dans 10 jours je serai dans l’avion, je repars (rires) …

En plus de la musique, ce triple album nous apporte aussi des images à travers des plages vidéo. Celles-ci devraient donner naissance à un film. Peux-tu déjà nous en dire plus à ce sujet ?
Je suis revenu avec 80 heures de film. Comme c’était la première fois que j’utilisais une caméra, je n’avais pas « dérushé » et ne savais pas si ce que j’avais fait était de bonne qualité ou non.
Il en résulte environ 65 heures d’utilisable donc je pense, qu’avec mon ami Jean-Pierre Bruneau, nous allons en tirer 50 minutes pour essayer d’intéresser une télévision française. Je pense à Arte qui est une chaîne culturelle mais, pour le moment, tout cela est encore du domaine du rêve.
Je ne suis qu’un petit cinéaste amateur qui essaye simplement de montrer, de faire découvrir et de partager cette aventure de routes qui est l’histoire de ma vie…

Pour les mois, les années à venir, as-tu d’autres choses à nous faire découvrir ?
Après avoir montré l’histoire de ce qui se passe au niveau d’une partie de la musique « black », de ce qui se passe au niveau des peuples indiens aujourd’hui, j’aimerais montrer ce qui se passe chez les blancs. Je vais rechercher des gens méconnus qui jouent de la musique traditionnelle irlandaise, bluegrass etc…

La boucle ne sera jamais bouclée mais je crois que nous aurons fait le tour de toutes ces racines qui font que l'Amérique est si riche. Pour les gens qui ne parlent pas la langue ou qui n’ont pas l’occasion d’aller là-bas, cela pourra leur donner une idée différente de ce que les médias traditionnels leurs proposent. Leur traitement du sujet est souvent très superficiel.

As-tu une conclusion à ajouter ?
Dans la vie en général faites ce que vous aimez et essayez de découvrir ce qui vous passionne.
Tu parlais d’un enrichissement personnel…
Celui-ci passe par le fait d’aller voir les autres, d’essayer de comprendre comment ils fonctionnent et surtout de chercher les racines qui ont motivé les positions politiques ou philosophiques des gens qui t’ont influencé.

En musique on a toujours séparé la Country et le Blues, alors que c’est un black qui a appris les rudiments de la guitare à Hank Williams. Les blancs qui étaient pauvres allaient dans des honky tonks et les blacks qui étaient pauvres allaient dans des juke joints. Quand ils avaient durement travaillé toute la semaine, les pauvres ne pensaient plus qu’à se marrer, aller voir des nanas, boire un coup, jouer au poker et écouter de la bonne musique.
Tout est très simple…

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Interview réalisée
à la Maison de la radio
- Paris le 16 mars 2009

Propos recueillis
par David BAERST

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