Harrison Kennedy
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : C’est au sein du groupe de soul The Chairmen Of The Board qu’Harrison Kennedy a connu le succès au début des années 1970. Pourtant, depuis une dizaine d’années, l’artiste est revenu à un style directement hérité d’une famille très étroitement liée au monde du blues rural.
Cette rusticité apparente n’arrive, cependant, pas à occulter la finesse de l’auteur-compositeur-chanteur et multi-instrumentiste dont le nom se déploie aujourd’hui au firmament des artistes qui se produisent dans un registre « traditionnel ».
Grand admirateur de quelques-uns de ses premiers enregistrements en solo des seventies, je suis (à ma grande honte) passé à côté de son retour aux sources initié au début des années 2000. Je me devais donc d’aller à la rencontre de celui que l’on surnomme « Sweet Taste », à l’occasion de sa tournée française de mars 2014 (sur un plateau également constitué de Leyla McCalla et Guy Davis)…

Harrison, pour commencer cet entretien, comment te sens-tu à l’idée d’être de retour en France afin d’y présenter ton dernier album en date « Soulscape » (Dixiefrog - 2013) ? 66
J’en suis particulièrement enthousiasmé et heureux. C’est toujours un plaisir de revenir jouer en France, chose que je fais régulièrement depuis des années.
Je crois qu’il s’agit là de ma tournée la plus excitante car je bénéficie vraiment de l’appui de formidables personnes, qui sont derrière moi pour me soutenir dans ce projet. Je veux parler du staff de mon label Dixiefrog ainsi que de mon grand ami Sebastian Danchin. Ces gens font un travail remarquable pour m’aider à promouvoir ce nouvel album qui a été nominé dans la catégorie « meilleur album acoustique de l’année » lors de la 35ème édition des « Blues Music Awards » de Memphis, Tennessee (qui se déroulera le 8 mai 2014, nda). J’en suis très heureux, oui vraiment très heureux !

Justement, comment as-tu connu Sebastian ainsi que Philippe Langlois du label Dixiefrog ?
Ce sera une histoire courte…
Sebastian m’a fait venir à Nice dans le cadre d’un grand festival il y a de nombreuses années (Harrison fait probablement référence à sa prestation lors du Nice Jazz Festival le 23 juillet 2006, nda). Par la suite, j’ai aussi donné un concert au Parc Floral de Paris (en 2010, nda) où se produisait également mon ami Eric Bibb. Ce dernier m’avait alors invité à prendre un petit-déjeuner en sa compagnie. A cette occasion, il m’a fait part de son intention de reprendre ma chanson « Could be you, could be me » sur son album « Deeper In The Well ». Une véritable amitié s’est développée entre nous, aussi bien sur un point de vue personnel que musical. Une amitié qui m’a conduit à enregistrer pour Dixiefrog.

Faisons un flashback… Peux-tu revenir sur ton adolescence au Canada ?
Mon nom complet est Harrison John Quentin Kennedy et j’ai grandi dans l’Ontario au Canada. Mes arrières grands-parents étaient des esclaves qui se sont exilés dans ce pays. Ils ont eu de nombreux enfants dont certains sont retournés aux USA lorsque l’esclavagisme y a été aboli. Ma grand-mère a, quant à elle, décidé de rester au Canada. La musique dominante dans mon entourage, lorsque j’étais enfant, était le country blues du Tennessee… mais nous écoutions aussi beaucoup d’autres styles. Durant mon adolescence, la musique folk est entrée dans ma vie par le biais d’artistes tels que Pete Seeger et Bob Dylan. Ceci, avant que je ne sois touché par certains groupes qui ont fait leur apparition au début de l’ère hippie. J’ai toujours aimé raconter des histoires et me tenir informé des actualités du moment. C’est une démarche qu’il n’a pas été facile d’imposer car ce genre de registre n’a jamais vraiment eu les faveurs de l’industrie musicale. Cependant, j’ai décidé d’y revenir et d’essayer encore. La musique que je fais relate donc de ce qui se passe de nos jours, en conservant une base solidement ancrée dans les traditions musicales de l’époque. Mon enfance a été agréable car lorsque tu es petit, tu arrives à assimiler de nombreuses choses… un peu comme si tu étais une éponge. Je me sers toujours de ce que j’ai pu vivre ou apprendre durant cette période de ma vie.
Dans la maison où j’ai grandi, nous avons pu recevoir les visites de musiciens tels que Lonnie Johnson, John Lee Hooker, Billie Holiday et quelques autres. Ils venaient y saluer ma famille et y jouaient de la musique. Mon oncle Jack, qui était un chanteur de folk et que j’aimais beaucoup, faisait en sorte de sensibiliser au maximum les enfants de la maison et de les exposer à ces sons. Tu sais, si la musique est importante, l’éducation tient quant à elle un rôle primordial. Elle va de pair avec le type de musique que je fais, qui se doit d’avoir une approche intellectuelle tout en ayant une forte portée émotionnelle. Ces deux aspects sont très importants, un peu comme les deux ailes d’un oiseau. Je prends toujours cela en considération lorsque j’écris et ces ingrédients sont le ciment de mes chansons. C’est ce qui peut vous rendre heureux, dans un format particulièrement court.

Quel a été ton parcours musical avant que tu te joignes au groupe Chairmen Of The Board ?
J’avais un groupe de blues dans l’Ontario, au Canada. Nous nous consacrions pleinement à cette musique et j’y démontrais tout ce que j’avais appris depuis mes douze ans, alors que je jouais de l’harmonica et ce genre d’instruments. C’est lorsque j’ai intégré l’Université que je me suis réellement investi dans cette entreprise artistique car j’avais besoin d’argent pour pouvoir acheter les livres dont j’avais besoin (rires) !
Un jour, alors que je jouais, j’ai été repéré par le fameux trio d’auteurs-compositeurs Holland-Dozier-Holland qui travaillait pour la firme Motown. J’ai été invité à me rendre à Detroit, dans le but de participer à la création d’un « supergroupe » nommé The Chairmen Of The Board (en 1968, nda). Le succès est venu très rapidement puisque nous avons vendu des millions de copies du disque « Give me just a little more time » (un 45 tours classé en troisième position des charts américains en 1970, nda) et nous avons eu quelques autres très beaux succès (enregistrés sur le propre label de Holland-Dozier-Holland, Invictus-Hotwax, nda). C’était une période formidable. Nous voyagions beaucoup, notamment en Angleterre où nos enregistrements faisaient un véritable tabac. Les tournées étaient également incessantes aux Etats-Unis…
Au bout d’un certain temps, j’ai tout lâché afin de retrouver un métier situé à mille lieux du show business. J’ai, en effet, travaillé durant une assez longue période dans l’industrie chimique puisque j’avais étudié la chimie à l’Université. C’est un choix que je ne regrette pas et j’ai, également, été très heureux de vivre cette expérience professionnelle (rires) !

Qu’as-tu appris au sein de ce groupe, quelles sont les meilleures leçons que tu as pu tirer de cette expérience ?
A partir du moment où j’ai commencé à chanter, j’ai pris mes plus grandes leçons au sein du foyer familial. Par exemple lorsque ma mère m’a dit « le seul endroit où le mot succès arrive avant le mot travail est dans le dictionnaire ». J’ai, bien sûr, également appris beaucoup de choses du trio Holland-Dozier-Holland et de General Johnson qui était le chanteur leader de The Chairmen Of The Board. Je n’oublie pas que ce sont à eux que je dois mon apprentissage du métier. Je conserve un respect immense à leur égard. Ils m’ont enseigné des choses que je n’ai jamais oubliées et dont je continue à me servir. Je veux évoquer par-là l’écriture des chansons, le travail de la voix, l’importance de créer de fortes mélodies. A peine mes études terminées, je me suis donc retrouvé confronté à quelques-uns des meilleurs auteurs de la planète… quelle leçon !
Je me souviens, d’ailleurs, de gens (comme John Lennon) qui les appelaient pour leur dire à quel point ils appréciaient leurs chansons. Le trio Holland-Dozier-Holland a vendu des millions et des millions de disques, ils ont été un rouage indispensable pour la réussite du label Motown…

Quelle était exactement la teneur de tes relations avec le trio Holland-Dozier-Holland qui a aussi produit tes premiers disques, enregistrés sous ton propre nom ?
Ces gens étaient formidables. Les choses ont changées depuis car beaucoup de mes anciens compagnons de route ne font plus partie de ce monde. Le General Johnson est décédé d’un cancer il y a quelques années (en 2010 à l’âge de 69 ans, nda) alors que Danny Woods (autre membre de The Chairmen Of The Board, nda) se retrouve cloué dans un fauteuil roulant. Je crois que je suis le dernier à continuer de travailler et de tourner à travers le monde… Voilà ce à quoi nous emmène le blues (rires) !66

Pourquoi, après tant de succès dans un registre soul, as-tu décidé de revenir à un blues traditionnel depuis une dizaine d’années ?
J’ai toujours été dans le blues. C’est mon premier amour et je ne l’ai jamais quitté. C’est cette musique qui reflète le mieux mes sentiments et ce que je suis aujourd’hui. De plus, c’est définitivement le style qui me colle le plus à la peau actuellement.

Après un parcours aussi riche et diversifié, quelle serait ta propre définition du blues que tu fais ?
Je n’ai pas de définition pour cela…
Il est toujours très difficile de demander à un artiste ce qui lui est important dans ce qu’il fait. La seule réponse doit venir des gens qui l’écoutent. C’est ce qu’ils pensent qui doit être important et différentes bonnes opinions peuvent en sortir. A titre personnel, je me contente d’apporter une musique, une mélodie, une histoire, un rythme, un groove… Le reste, je ne peux pas le définir même si je pense que ce que je fais flirte autant avec le blues, qu’avec la folk, la country et un côté funky… Je me sers un peu de tous ces éléments.

Au début de cet entretien, tu citais Pete Seeger et Bob Dylan. Penses-tu également être un artiste contestataire ?
Dans un sens oui car je pense que, lorsque tu vis dans ce monde actuellement et que tu vois ce qui s’y passe, tu es constamment confronté aux mauvaises nouvelles et aux drames qui touchent les gens. Nous voulons que nos contemporains aillent bien mais, dans le même temps, il se passe des choses dont ma mère aurait pu dire quelles font honte au Diable lui-même. La vérité peut rapidement être absorbée et il faut être prudent. Le blues doit permettre aux gens d’aller mieux, en tout cas c’est mon approche. Je n’ai aucunement l’intention de voir les spectateurs tristes une fois mon set terminé. Il faut montrer que nous sommes comme des survivants et que nous sommes bien là pour changer les choses. Dans le fond, la vie est belle et nous en sommes tous responsables. Tout le monde à une responsabilité vis-à-vis de la qualité de nos existences.

Nous évoquions aussi ton dernier album en date « Soulscape », peux-tu me le présenter plus en détails ?
Oui !
Quand j’ai commencé à écrire cet album, je n’avais aucune idée de la direction que j’allais prendre. J’ai donc effectué un travail introspectif concernantles différents aspects des musiques que j’ai abordées tout au long de ces années. Une fois cette chose terminée, j’ai ressenti comme une « évasion de mon âme »… sur un point de vue musical en tout cas. C’est pour cela que j’ai nommé le disque « Soulscape » (rires).

Es-tu surpris par le fait que le public européen accroche autant à un disque si ancré dans les traditions musicales américaines ?
Oui, je suis surpris parce que, tu sais, je n’avais honnêtement aucune attente à ce sujet. Je fais beaucoup de chansons qui répondent à une certaine demande des gens. Je suis considérablement surpris par ces derniers…
Tu sais c’est très difficile à traduire par des mots, car tout le monde est différent et c’est pour cette raison que je fais ce métier avec tant de joie. Plus ce que tu fais est épuré, plus les moments partagés avec les spectateurs sont intenses. Quand tu as un groupe qui t’accompagnes, tu as moins le contrôle sur cela.

Quels sont tes projets. Aimerais-tu, justement, à nouveau travailler avec un groupe autour de toi ?
Oui, absolument !
Je suis un chanteur qui aime les bons musiciens. Ceux qui comprennent aussi que la musique doit être artisanale. Je pense que, sur mon prochain album, il y aura davantage de musiciens derrière moi. Ce disque sera aussi enregistré dans un registre acoustique et sera constitué de longues narrations. Lorsque je joue, chez moi au Canada, je suis souvent accompagné par deux jeunes musiciens d’une vingtaine d’années. Il s’agit de Keith Lindsay aux claviers et Justin Dunlop à la basse. Pour mon prochain opus, y seront certainement ajoutés un guitariste et un batteur. Nous verrons…

Où vis-tu exactement au Canada actuellement ?
Dans un endroit nommé Hamilton (dont Harrison est, en fait, originaire, nda), dans l’Ontario. Cette ville se situe entre Toronto et Buffalo (à l’ouest de l’état de New-York). Nous la surnommons « The Hammer » (le marteau, en raison de son statut de centre industriel, nda).

Cette ville possède-t-elle, dans son ensemble, une bonne scène musicale ?
Oui, des musiciens y vivent comme Daniel Lanois. Il y a fait ses premières armes et on peut dire que j’ai « grandi » avec lui. Des styles différents s’y côtoient et on y trouve de nombreux groupes de rock, de grunge, de country etc…
C’est une scène très éclectique !

Souhaites-tu ajouter une conclusion à l’attention de ton public français ?
(Harrison répond alors en français, nda) Ca suffit, au revoir (rires) !

Remerciements : Sophie Louvet, Philippe Langlois (Dixiefrog), Sebastian Danchin.

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Interview réalisée
Au Camionneur - Strasbourg
le 20 mars 2014

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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