HOboken Division
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : A la tête d’un deuxième album évènementiel, « The Mesmerizing Mix Up Of The Diligent John Henry » (La Face Cachée, 2017), le groupe HOboken Division continue de bousculer les codes du pre-war blues auquel il reste, pourtant, si attaché. Plus de quatre ans après notre première rencontre, j’ai enfin pu recevoir le prometteur combo nancéien dans l’émission. Une opportunité de rêve, qui m’a permis de l’interroger une heure durant sur son art. Un registre qui figure, incontestablement, parmi les plus excitants du moment.

C’est en 2013 que nous nous sommes rencontrés pour la première fois et, depuis, votre duo (constitué par Marie Rieffly et Mathieu Cazanave) est devenu un trio (avec l’adjonction de Thibault Czmil à la batterie). Avant d’évoquer, en détails, votre actualité…pouvez-vous revenir sur la genèse d’HOboken Division ? 66
Mathieu Cazanave : C’est en 2011 que le groupe est né. A la base, cette formation n’avait d’autre but que celui de s’amuser. Un jour, une amie de Marie nous a proposé de faire un concert constitué de compositions originales. J’avais déjà un groupe à ce moment-là mais nous ne souhaitions pas laisser passer cette belle occasion. De ce fait, nous nous sommes mis à composer et en l’espace d’un mois 8 morceaux ont vu le jour. Partant de ce principe, nous avons décidé de poursuivre ce travail. De ce fait, depuis 2012, nous essayons de développer HOboken Division tout en conservant notre son de base. Ce dernier est un mélange de jazz, de blues, de rock et de garage. Il peut paraitre étonnant d’évoquer le jazz en ce qui nous concerne, pourtant cette musique a bien été l’une des influences de notre premier album. Ne possédant pas encore la logistique suffisante, il nous est impossible de partir en tournée avec un piano afin de jouer ces morceaux (rires) !

Quant à toi Marie, étais-tu déjà membre d’un groupe avant de rencontrer Mathieu. D’où t’est venu cet amour du chant ?
Marie Rieffly : Je n’avais pas de groupe lorsque j’ai rencontré Mathieu, même si j’ai toujours chanté avec d’autres gens. C’est quelque chose que j’avais en moi et que je voulais toujours faire. Cette chouette rencontre avec Mathieu a constitué l’opportunité de réaliser ce souhait.

Vous êtes-vous, immédiatement, « trouvés » à travers vos goûts musicaux respectifs ou vous êtes-vous complétés l’un au contact de l’autre ?
Marie Rieffly : Je crois, en effet, que nous nous sommes davantage complétés. Il y avait des tas de choses qui m’étaient inconnues (notamment le delta blues) et que Mathieu écoutait. C’est sur le rock que nous nous rejoignions le plus.
Mathieu Cazanave : Oui, sur le rock ainsi que sur des grands noms tels que Nina Simone, Janis Joplin ou le Jon Spencer Blues Explosion.
Marie Rieffly : Nos premières répétitions résidaient dans le fait de recréer des morceaux que nous aimions bien. C’était, souvent, assez drôle (rires) !
Mathieu Cazanave : En effet, à l’époque, nous nous partagions la batterie. Je faisais le kick alors que Marie faisait la caisse claire. Nous reprenions des morceaux des White Stripes et de Nina Simone. C’était vraiment très drôle et c’est ainsi que, par la suite, nous avons développé le groupe en « mode compositions ». Puis, il y a eu l’arrivée de la boite à rythmes. De mon côté, j’ai beaucoup travaillé la technique de l’open...à la manière de Keith Richards. Cela m’a permis de découvrir plein de choses et d’aller à la rencontre de grands bluesmen (tels que Skip James ou Mississippi Fred McDowell).

Il y a autre chose de marquant et de remarquable en ce qui vous concerne. Il s’agit de l’aspect visuel que vous exploitez à travers vos vidéos ou les pochettes de vos albums. Avez-vous été influencés par des « écoles » qui arrivaient à mélanger toutes les formes d’arts. Je pense, par exemple, à la Factory d’Andy Warhol. Pour vous, la musique n’est-elle qu’une constituante d’un art plus global ?
Mathieu Cazanave : Pour moi, la musique est toujours liée à des mouvements sociaux ou mondiaux. Par exemple, je lie toujours le blues à une expression de la joie dans une vie difficile. De la même manière, la soul music est indissociable de la lutte pour les droits civiques aux USA. Il est très intéressant de mettre en parallèle l’émergence d’un courant musical avec ce qui (dans la société) a fait que ce dernier se soit développé. Que ce soit au niveau technologique (avec les premiers artistes de hip-hop qui n’avaient pas de gros moyens, mais qui avaient des cassettes pour enregistrer des choses…ce qui a provoqué la naissance du sample). Je suis un fanatique d’histoire et j’adore coupler les deux. C’est une chose très importante, qui me permet de comprendre d’où tout cela vient…et où ça va aller !

En 2013, vous veniez d’éditer un E.P, suivi d’un 45tours avant que ne sorte votre premier album « Arts & Crafts » (2015). Considérez-vous ce disque comme étant le catalyseur du groupe ?
Marie Rieffly : Oui, probablement… C’est, aussi, un résumé de cette première période du groupe. Pour nous, l’album est la fin de quelque chose…la fin d’un cycle. Une fois que tout est enregistré, figé et que l’album sort…tu passes à autre chose. Cela s’est avéré pour nous, puisque Thibaut est arrivé juste après la sortie du disque « Arts & Crafts ». Un disque catalyse ce que l’on a envie de dire, de faire et d’aller au bout de la chose. Après, on passe à autre chose…

De manière générale, les morceaux prennent-ils leur essor sur scène avant d’être enregistrés ?
Marie Rieffly : Oui, nous étions complètement dans ce mode pour notre premier album. Certains des titres avaient été exploités sur scène, pendant parfois 4 ans, avant d’être enregistrés. Par contre, pour le deuxième, c’est l’inverse. Il n’est constitué que de morceaux jamais joués sur scène au préalable. C’est un exercice différent qui, au final, ne change pas grand-chose. En effet, l’album ne capte un morceau qu’à l’instant T. Ce dernier continuera toujours de bouger.
Mathieu Cazanave : Nous ne jouons jamais les morceaux de la même manière. Il serait intéressant d’avoir un bootleg capté sur un début de tournée, un autre sur un milieu de tournée et un dernier sur une fin de tournée. Cela nous permettrait de constater l’évolution des titres…

Le groupe est donc devenu un trio avec l’arrivée d’un batteur. Thibaut, peux-tu te présenter et me parler de ton cursus ?
Thibaut Czmil : Je m’appelle Thibaut et je remplace le petit chinois qui était dans la boite à rythmes (rires). Avant HOboken Division, j’avais un groupe de rockabilly et de rhythm and blues (Les Wayfarers) avec lequel j’ai tourné durant 7 ou 8 ans. Je fais de la musique depuis que je suis gamin et je suis membre de combos depuis l’âge de 13 ans. J’ai étudié la batterie jazz au Conservatoire…

De quelle manière as-tu rencontré Marie et Mathieu ?
Thibaut Czmil : J’ai, dans un premier temps, connu Mathieu puisqu’il était le colocataire du contrebassiste de mon ancien groupe. A ce moment-là, il commençait juste à bosser avec Marie. J’ai rencontré cette dernière, la première fois que j’ai assisté à un concert d’HOboken Division dans sa formule duo.

Selon vous Marie et Mathieu, en quoi l’arrivée de Thibaut vous est la plus précieuse ?
Mathieu Cazanave : Le fait de jouer avec des machines nous imposait de refaire systématiquement les mêmes morceaux, les mêmes structures d’un concert à l’autre… Je gérais tout avec les pieds et j’estimais en avoir fait le tour. Je voulais donc passer à autre chose et jouir de l’apport d’un vrai rythmicien. Thibaut nous apporte le côté « vivant » qui nous manquait et nous permet de pousser les morceaux plus loin en live. Dès notre première résidence commune, nous nous sommes rendu compte qu’il nous apportait plus de vie et des dynamiques différentes. Pour ne pas tricher avec l’auditeur, nous enregistrons tous nos albums en live. Le fait que le vivant prenne le dessus sur le côté mécanique était donc une suite logique pour Marie et moi-même.

Comment ressentez-vous votre évolution, avec cette palette de plus en plus large qui vous permet de faire se côtoyer le blues et le krautrock. On ne soupçonnait pas le groupe s’aventurer dans le dernier registre cité ?
Mathieu Cazanave : Beaucoup de gens se sont arrêtés au premier album, sans forcément nous poser des questions. Lorsque nous discutions avec eux et que nous faisions part de notre admiration pour le Velvet Underground, les Yeah Yeah Yeahs ou Roland S. Howard (qui était le guitariste de Nick Cave), ils étaient surpris. De ce fait, nous avons souhaité rendre ces influences plus évidentes, tout en continuant à les faire passer par le filtre blues. Notre morceau de krautrock « Boiling up » a été composé, à la base, en ternaire. A l’occasion d’une jam, il est passé en binaire et a abouti à ce krautrock hypnotique. Pour moi, le delta blues hypnotique est à rapprocher du krautrock entêtant et du psyché. Entre ces univers il n’y a qu’un pas que nous essayons de franchir. Passer d’une extrême à l’autre en démontrant qu’il s’agit, en fait, de la même chose.

Marie, ta voix colle à merveille à ce registre. Le fait de passer du blues au krautrock t’a-t-il demandé un travail en particulier ?
Marie Rieffly : Je n’en ai pas l’impression… J’ai, peut-être, pris un peu plus de temps pour m’adapter à ce style. J’essaye toujours de travailler les voix pour qu’elles ne soient pas au premier degré par rapport au style de la musique. Par exemple, si nous avons un morceau très blues…je vais essayer de ne pas faire un chant qui soit à 100% blues. Il y a des codes qui sont difficiles à casser, mais j’essaye toujours d’aller un peu « à côté » afin d’amener autre chose.

Une telle diversité au sein de votre registre aboutit à un son qui n’appartient qu’à vous. Est-ce un avantage ou est-ce que cela peut constituer une difficulté (puisque les français aiment bien mettre les musiques dans des cases) ? Pour vous, cela doit être frustrant d’avoir droit à cette étiquette « rock blues » qui ne veut plus rien dire ?
Mathieu Cazanave : C’est un peu cela… Lorsque nous démarchons, afin de trouver des concerts, soit nous ne sommes « pas assez », soit nous sommes « trop ». Nous faisons fi de ces étiquettes et nous continuons d’avancer. Pour moi, la musique reste de la musique…il faut, simplement, s’intéresser à ce que fait l’artiste.

On sent de nombreuses influences ou « hommages indirects » dans ce disque (souvent dans les introductions, qui peuvent sonner comme des work song ou « Sympathy for the devil » des Stones)…
Mathieu Cazanave : Exactement ! Thibaut et moi somment fans d’un groupe de Manchester nommé The Stone Roses. Ce dernier m’a fait découvrir la technique du slide avec l’un de ses morceaux. C’est aussi l’une des influences présentes sur l’album…

De quelle manière la conception du disque « The Mesmerizing Mix Up Of The Diligent John Henry » (2017) s’est-elle déroulée ?
Marie Rieffly : C’était très laborieux ! Dans le sang, dans la douleur et les larmes !
Mathieu Cazanave : Ce disque est dédicacé à Eric Bichon qui était l’un de nos amis, décédé au début de notre travail de composition. Par la suite, il n’y a eu que des galères. Nous n’avions pas d’endroit pour pouvoir travailler sur ce disque. Ce sont les grands-parents de Thibaut qui nous ont accueillis chez eux. Il faisait très froid… Cette période était assez bizarre. Nous avons « maquetté » les morceaux pour savoir où on allait. Une fois en studio, chez Lospider à Toulouse (qui est le roi du garage et un fervent défenseur du son live), nous avons commencé par les prises guitare-batterie.
Thibaut Czmil : Nous avons passé trois semaines intensives sur l’écriture des morceaux (en plus des deux mois préalables) et rien n’était vraiment figé à notre arrivée au studio. Le dernier mois était, particulièrement, intense.
Mathieu Cazanave : Notre « cadeau de Noël » était le fait d’enregistrer chez Lospider car, durant cette semaine, nous n’avons mangé que des plats du sud-ouest. C’est, aussi, la première fois que nous avons invité des gens sur un disque. Cela nous a fait plaisir car, au départ, Marie et moi étions complètement dans notre bulle. Avec l’arrivée de Thibaut, tout s’est ouvert !

Quels sont les artistes qui interviennent sur l’album ?
Mathieu Cazanave : Nous avons eu « Les Petits Chanteurs à la Gueule de Bois » (Julien, Jérôme et Lospider) sur le morceau « Oh lo no mo ». Pour l’anecdote, Jérôme est chanteur d’opéra…ce qui ne l’empêche pas de faire du « gros garage rock » ! Il venait de temps en temps dans le studio de répétitions de Lospider et nous a entendus. Du coup, nous lui avons demandé de participer à l’aventure, ce qu’il a fait avec sa grosse voix de basse !Lospider a, aussi, fait quelques parties d’orgue et de basse.

John Henry, que vous citez, est un personnage légendaire qui est porteur de nombreux messages pour les américains (notamment pour la classe populaire et ouvrière). Que souhaitiez-vous faire passer à travers ce disque ?
Marie Rieffly : Je ne sais pas si nous voulions faire passer quelque chose de particulier. Notre premier album était très axé sur les sentiments, ce qui n’est absolument pas le cas dans celui-ci. On y trouve, en effet, que des morceaux relatifs à notre « malléabilité » en tant que personnes qui vivent dans une société…et sur le fait qu’on se laisse beaucoup faire. L’individualisme transparait également à travers nos textes. Soit c’est très positif, soit c’est beaucoup plus sombre.
Mathieu Cazanave : L’image de John Henry est, aussi, un clin d’œil pour dire que l’homme sera toujours meilleur que la machine. Même s’il cela doit lui coûter la vie. C’était donc un clin d’œil par rapport à l’arrivée de Thibaut (rires) ! Puis, « John Henry » est un titre de Mississippi Fred McDowell. Il reflète, également, la politique de gauche américaine…chose qui nous tient à cœur.

Nous évoquions la Factory, chère au Velvet Underground, alors que vous êtes vous-mêmes impliqués dans l’association L’Est Underground. Pouvez-vous me parler de cette dernière ?
Mathieu Cazanave : Avec Marie, au tout début de l’aventure HOboken Division, nous trouvions que Nancy manquait de concerts programmant notre style de musique. Avec des amis arrivés de Metz (ayant la même volonté de promouvoir les groupes alternatifs), nous avons décidé de mettre en place une structure nous permettant d’accueillir des groupes. La musique étant synonyme de rencontres et de partages nous avons mis en place l’association L’Est Underground. Elle existe depuis deux ans et nous permet de produire beaucoup de concerts. Le plus gros à ce jour est celui des danois de Power Solo. Ce sont des gens adorables qui ont travaillé avec le Jon Spencer Blues Explosion et Heavy Trash. Cela permet de mettre en avant des ensembles qui ne bénéficient pas, forcément, d’une grande promotion de la part des médias nationaux. Il est très important de pouvoir continuer à faire vivre le circuit indépendant…

J’aimerais, également, que vous me parliez de votre label La Face Cachée…
Marie Rieffly : La Face Cachée fait partie de notre famille. C’est un excellent disquaire de Metz, très impliqué dans la scène locale. Il a fondé son propre label. C’est grâce à lui que notre scène est très vivante et que les groupes peuvent presser des vinyles tout en étant distribués.
Mathieu Cazanave : C’est devenu un point de rendez-vous à Metz. Tous les amateurs de musique s’y retrouvent dans le plus grand des respects. Je pousse, par ailleurs, à inciter les gens à soutenir les disquaires indépendants !

Vous tournez dans toute la France, sentez-vous qu’un « tissu alternatif » se développe de ville en ville ou cela reste-t-il cantonné à des exceptions locales ?
Marie Rieffly : Je trouve que cela dépend des villes. Dans certaines c’est inexistant, alors que d’autres sont très actives dans ce domaine. Les groupes s’aident entre eux. De ce fait, il est possible de faire de belles tournées.
Mathieu Cazanave : Il existe une vraie entraide. Ce phénomène se développe et de vraies initiatives perdurent à travers les années. Je pense à Grand Guru à Rouen, Lospider à Toulouse, Alex Cyprine qui s’est installé au Québec mais qui a fait beaucoup de choses à Marseille. Cela existe et c’est très encourageant !

Autre fait notable, en ce qui concerne votre œuvre, c’est l’apport d’un grand illustrateur auquel il faut rendre hommage…
Mathieu Cazanave : Tout à fait ! Jean-Luc Navette est devenu un ami… Il nous appelle les « culs-terreux blueseux de l’est » (rires) avec beaucoup d’affection et d’amour. Pour notre premier album, il nous a fait une pochette en nous disant qu’il n’avait pas trop le temps. Quand on voit le résultat, on peut se dire que ce n’est pas trop mal pour un « truc » fait à la « va vite » (rires). Pour le deuxième, nous lui avons envoyé les masters de l’album et il avait carte blanche. Cela lui a inspiré une idée de voyage aux USA.
Marie Rieffly : Le résultat ressemble à un véritable thriller. Notre seule condition (qui n’était pas la moindre pour le « seigneur des ténèbres » qu’il est) était de faire un fond blanc. Nous désirerions l’inverse que ce qui a été fait sur le premier. Il fallait que ce soit noir sur blanc et non blanc sur noir. C’était la seule condition… Il est donc parti sur un « trip » consacré à un « diner », une espèce de scène de crime… Il a fait des tas de petits dessins qui collent entre eux. En farfouillant dans l’album, chacun peut se faire sa propre histoire. C’est une belle idée…

Qu’attendez-vous de ce disque, que vous aurait-il déjà apporté ?
Mathieu Cazanave : J’attends que ce disque nous aide à trouver des concerts plus facilement…et de pouvoir jouer avec d’autres personnes. Avec Thibaut, nous sommes de plus en plus à l’aise. Nos tournées se déroulent à merveille et nous souhaitons voyager davantage !

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Interview réalisée au
Studio RDL - Colmar
le 1er décembre 2017

Propos recueillis par David BAERST

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