Ilene Barnes
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Ilene, on voit de plus en plus d'affiches de vous dans les rues sans vraiment vous connaître, alors qui êtes-vous ?
(rires) Vous me mettez dans une position délicate car ma réponse pourrait paraître narcissique, oh la la quelle question...

Je suis née à Detroit (Michigan) et j'ai été élevée en Jamaïque et au Surinam car mon père, de par ses fonctions, voyageait beaucoup.
Toutes ces sources se sont mélangées dans ma musique, que ce soient les musiques des îles ou celles d'Amérique du Sud.
Il faut ajouter à cela mes héritages africains, indiens américains, indiens de l'Inde et irlandais.
Mais je crois que tout cela ne répond pas vraiment à votre question (rires).

Ma musique est constituée de nombreuses influences liées aux voyages et à mes héritages spirituels.
J'ai aussi eu la chance de fréquenter des personnages très marquants. Mon premier choc musical a été un concert de Miriam Makeba qui était une amie de mes parents et qui venait souvent à la maison, au même titre que Roberta Flack ou Nina Simone. La fille de cette dernière a même vécu un long moment chez nous car sa mère était toujours en tournée.
A cette époque la Barbade venait d'obtenir son indépendance et le premier ministre de l'époque, Errol Barrow, venait, lui aussi, très souvent chez nous.

De ce fait, dès mon enfance, j'ai eu l'habitude d'entendre des discours et des conversations sérieuses entre les personnalités politiques et les artistes.
Cela a influencé le regard que je porte sur le monde aujourd'hui et cela se ressent à travers ma musique.

Qu'évoquez-vous à travers vos textes ?
Suite à cette éducation et aux expériences qui en ont découlé, je parle forcément des problèmes sociaux.
J'évoque les faits quotidiens tels que mes amis qui ont du mal à payer leur loyer, qui sont au chômage, sont malades ou ont des soucis familiaux ou professionnels.

Je parle aussi d'amour, de pouvoir...
Sur mon premier disque, j'ai fait une chanson "Victory song" qui dit que lorsque tu montres quelque chose ou quelqu'un du doigt, il y en a 3 autres qui se tendent vers toi.
Mes thèmes évoluent en fonction des albums, par exemple sur le deuxième cd j'évoque le temps. Il y a une chanson qui parle des gladiateurs et de la façon dont les gens achetaient des places pour regarder des scènes horribles dans les arènes et voir, par exemple, des hommes se faire dévorer par des animaux.

Aujourd'hui c'est la même chose, sauf que cela se passe devant la télévision. On peut y voir, en direct, une guerre qui se passe à l'autre bout du monde. Je parle donc de la façon dont on utilise le temps et de ce qui a changé à travers les époques.
J'essaye aussi de faire ouvrir les yeux des gens face aux situations qui sont graves. Parfois les auditeurs dansent sur mes mélodies sans savoir de quoi je parle...

Parfois ils trouvent choquant d'aborder des sujets si grave sur une telle musique. Je leur dit que le Blues était comme ça et que le Calypso était comme ça...
Quand les bluesmen chantaient "Une main m'a tapé et m'a volé mon argent", ils parlaient de leurs maîtres et de l'esclavagisme. Les chansons étaient très subtiles, ce n'était pas si léger que ça.

Cela m'a beaucoup influencée...

Quelles sont vos influences musicales ?
En Amérique du Sud, à la maison nous écoutions Mahalia Jackson, Nat King Cole, Roberta Flack, Aretha Franklin, Stevie Wonder etc...
Ma mère m'a même fait écouter ABBA (rires)...
Ma soeur, quant à elle, m'a fait découvrir les Rolling Stones, Led Zeppelin, Jethro Tull, Leonard Cohen...
Les styles écoutés étaient donc très variés.

Etant sur une Île et en Amérique du Sud j'avais un rapport profond avec la nature et les animaux. D'autant plus que pour aider mon père dans ses recherches, je l'aidais à attraper les animaux.
Pour cela il fallait que je les imite et j'utilise toujours cela dans ma musique aujourd'hui.

Lors d'une tournée, nous nous sommes arrêtés dans un zoo. J'y ai vu un singe que j'ai imité, il a tout de suite réagi. Mon agent était très étonné (rires)...
Les musiques de la Jamaïque m'influencent aussi beaucoup.

Vous parlez très bien le français, ne voudriez-vous pas chanter dans cette langue ?
J'ai essayé et tous mes amis m'ont dit "Tu as dû fumer la moquette quand tu as fait ça" (rires)...
Du coup ils sont contents que j'écrive en anglais, comme ça ils ne comprennent pas (rires)...

J'ai parfois du mal à reconnaître les mots français lorsqu'ils sont écrits. C'est une gymnastique que je ne maîtrise pas encore assez. Il y a une subtilité dans le langage français et j'ai tendance à oublier les "a" et les "e", sinon je trouve que ça ne colle pas au niveau du rythme (rires).

Il faut que je trouve un moyen plus efficace et que j'affine plus mon écriture pour être capable de faire plus honneur à votre langue.

C'est pour cela, que sur scène, vous expliquez d'abord la chanson en français ?
Oui c'est exact...

Je passe beaucoup de temps en France, il est donc important pour moi de parler la langue. Ceci me permet de mieux comprendre les réactions des gens. Pour revenir à la question précédente, c'est difficile de chanter le français et c'est peut être pour cela que vous avez une tradition d'auteurs alors qu'aux Etats-Unis c'est plutôt la musique qui est mise en avant.

C'est aussi pour cela que je veux vraiment m'améliorer avant d'écrire en français. J'ai déjà chanté en français, c'était pour France 5. Les titres interprétés étaient "Les vieux amants" et "Les mots bleus", mais mes interprétations étaient un peu plus rock (rires)...

Vous avez dû être très influencée par les protest-songs, en vivant en France avez-vous aussi découvert des artistes engagés qui vous ont marquée au niveau des textes ?
Auparavant j'étais dans le Jazz, donc enfermée dans un style. En changeant de genre musical j'étais encore cataloguée, mise dans une boite.
Dans les Festivals je n'ai pas eu le temps de rencontrer et d'écouter d'autres artistes engagés, ce qui est dommage.

Ceux que je connais le plus sont Brel et Brassens qui sont d'une autre génération. J'aime bien les textes de Mauranne, bien quelle soit plus une interprète et que les textes qu'elle chante soient plus légers.

Dernièrement j'ai découvert Grand Corps Malade dont les textes sont très réussis. Ce sont tous des artistes que je commence à découvrir, tout comme Gainsbourg avec ses jeux de mots et ses doubles sens.

Il y a encore un décalage entre les chansons et mon niveau en français. C'est à dire que je suis encore handicapée quelque part (rires).

Pour vous y a-t-il une différence fondamentale entre le Jazz, le Blues et toutes les autres musiques, ou est-ce la même chose ?
Pour moi c'est la même chose, d'ailleurs Led Zeppelin ou les Rollings Stones étaient influencés par tous ces styles.
Il est important de faire tomber ces barrières que je juge inutiles. C'est juste bon pour le marketing car tu sais dans quelle rubrique trouver tel ou tel artiste.

Certains artistes devraient se lâcher, ils se rendraient compte qu'il y a un fil conducteur qui lie toutes ces musiques.
Cela permettrait aussi aux gens de découvrir d'autres cultures. Ce que j'ai vécu tout au long de ma vie m'a ouvert les oreilles et les yeux...

Parlez-vous beaucoup d'autres langues ?
J'ai quitté les USA à l'âge d'un an pour vivre au Surinam (ancienne Guyanne hollandaise, Nda). J'ai donc parlé le hollandais avant de parler en anglais (rires). Je n'ai commencé à parler l'anglais qu'à partir de l'âge de 6 ans. Après j'ai appris le français "sur le tas". Je parle aussi un peu le japonais et le grec. J'adore les langues et j'aimerais en apprendre de nouvelles.

D'ailleurs il y a de nombreux bluesmen actuels qui mélangent la musique à leurs origines, cela donne des mélanges formidables.
On le voit bien dans la série de films produits par Martin Scorcese. D'ailleurs les musiques américaines sont souvent issues d'Afrique et on en ressent encore les subtilités.

Aux USA on dit qu'il y a 2 styles de musique, celle qui te fait taper des pieds et celle qui ne te fait pas taper des pieds.
C'est comme cela que je réagis en écoutant des disques même si je ne connais pas la langue.

Les problèmes sociaux au Surinam vous ont-ils marquée ?
Oui, au même titre que ceux que j'ai rencontrés au Pérou ou en Argentine. En voyageant avec mon père j'y ai vu des dizaines de kilomètres de bidonvilles. J'étais choquée par la différence entre les quartiers riches et les quartiers pauvres.

J'ai aussi vu à Antigua une petite fille mourir devant mes yeux, renversée par une voiture. Il n'y avait aucun moyen pour faire venir des secours et il n'y avait pas d'hôpital à proximité. C'était horrible, j'ai vu toute la scène avec la mère en pleurs...
J'ai aussi vu des maladies comme l'éléphantiasis alors que j'étais très jeune...

Si vous deviez retourner aux USA, dans quels Etats aimeriez-vous vivre ?
Dans ceux qui m'accepteraient avec mes textes (rires). Par exemple je ne crois pas que Washington m'accepterait facilement, ni le Texas (rires).

Aujourd'hui où vivez-vous ?
Je partage ma vie entre la France, la Hollande et Londres.

Avez-vous besoin d'une atmosphère particulière quand vous écrivez ?
J'essaye de me mettre dans les situations. Par exemple j'adore prendre le métro à Paris aux heures de pointe. Ceci me montre la vraie vie et me permet d'être dans la réalité des gens.

Après je vais dormir et réfléchir là-dessus. Souvent je me réveille vers 3 heures du matin, 3h49 pour être exacte, c'est systématique (rires), même mes chats le savent maintenant et se réveillent à la même heure.

Je commence donc alors à écrire dans mon salon en retranscrivant tout ce que j'ai absorbé dans la journée. Parfois j'y pense en dormant donc je m'oblige à me lever pour aller écrire.
Je dors aussi avec un magnétophone à côté du lit au cas ou je n'ai pas la force de me lever.

Que cela vous fait-il de participer à la clôture d'un Festival de Blues ?
Le seul problème que cela me pose est que j'aurais voulu rencontrer Isaac Hayes qui était aussi prévu aujourd'hui (Isaac Hayes a annulé sa venue à Cognac suite à des problèmes de santé, Nda).

Cela m'était déjà arrivé avec David Bowie au paléo Festival...

Sinon ça ne me pose aucun problème, sauf si vous voulez que je flippe maintenant (rires)!

www.ilenebarnes.com

 

 
Interviews:
Les photos
Les vidéos
Les reportages
 

Les liens :

ilenebarnes.com

Interview réalisée au
Cognac Blues passions
le 30 Juillet 2006

Propos recueillis par
David BAERST

 

Le
Blog
de
David
BAERST
radio RDL