A l'heure à laquelle nous parlons, quelle
est la situation exacte à la Nouvelle-Orléans et comment cela
s'est-il passé pour vous ?
La Nouvelle-Orléans " redémarre " et recommence
à vivre. Pour ma part je n'y ai pas perdu que mon Club mais aussi
ma maison et quelques autres propriétés. J'ai absolument tout
perdu, mais je ne suis pas la plus durement touchée car il y avait
un des quartiers les plus pauvres et anciens de la ville, dans lequel vivaient
beaucoup de musiciens, où les maisons ont été arrachées
de leurs fondations et emmenées par les eaux. Ce lieu avait déjà
été touché il y a quelques années par un autre
ouragan mais cela n'avait pas été aussi dur qu'avec Katerina.
Ces gens ont tout perdu et ont été déplacés
un peu partout aux Etats-Unis. Ce sont ces gens qui avaient créé
le son de la Nouvelle-Orléans. Au point où en sont les choses
aujourd'hui il est à craindre que l'on ne retrouve jamais cette vivacité
et cette originalité propres à la musique de cette ville.
Qu'avez-vous pensé de la réponse
du Gouvernement Fédéral ?
Personne ne s'attendait à une catastrophe d'une telle force, ni
l'administration ni qui que ce soit d'autre. Ils étaient prêts
à affronter une tempête mais pas un ouragan de cette force
et surtout pas une inondation comme celle qui a suivi le passage de Katerina.
Ils ont fait certaines choses comme déplacer les habitants dans
des lieux couverts afin de les mettre en sécurité. Il s'est
avéré que ce n'était pas une bonne idée mais
cela fait partie de l'apprentissage. Ils font de leur mieux compte tenu
des circonstances
Quelle place occupe exactement la musique de la
Nouvelle-Orléans dans votre uvre puisque vous avez enregistré
dans beaucoup d'endroits différents aux USA ?
Absolument toute la place (rires) !
Je suis la musique de Louisiane. Le fait d'avoir enregistré dans
plusieurs villes des USA ne change rien au fait que je suis Irma Thomas
de la Nouvelle-Orléans en Louisiane.
Que pensez-vous de votre collaboration avec Scott
Billington (célèbre producteur de disques de Blues, notamment
pour le label Rounder, Nda) ?
C'est une collaboration qui a duré 20 ans sans que nous ne devenions
spécialement proches. Scott allait chercher des chansons et me
les proposait. A partir de celles-ci je faisais ma propre sélection,
choisissant les morceaux que je préférais et ceux dont je
pensais pouvoir faire des versions " décentes ". Je rendais
ma sélection à Scott Billington qui donnait son approbation.
Tout cela pour faire des disques qui ont toujours été très
corrects.
Quelle différence avez-vous ressentie avec
Joe Henry pour " I Believe to my Soul " ?
C'est le frère de Joe Henry qui m'avait entendu chanter au Festival
" Jazz Heritage " de la Nouvelle-Orléans alors que je
me produisais avec d'autres chanteuses pour un hommage à Sister
Rosetta Tharpe. Il avait aimé et m'a proposé de faire partie
du projet, ceci avec l'autorisation des disques Rounder. J'ai deux chansons
sur cet album
Il y a aussi eu dernièrement des rééditions
de vos faces ACE produites par Jerry " Swamp Dogg " Williams
Il est très différent des autres producteurs avec lesquels
j'ai travaillé. Il voulait toujours que je hurle, notamment pour
un morceau sur lequel je devais le faire pendant 6 minutes. Ceci n'est
pas mon école, hurler n'est pas ma façon de chanter. Mais
puisque c'était l'argent de la maison de disques et des producteurs
je me suis pliée à leurs règles, d'autant plus que
j'étais payée pour le faire.
Je n'ai même pas crié autant en accouchant (rires) !
Vous êtes depuis 20 ans sur le même
label, Rounder, comment expliquez-vous cette longévité ?
Pendant toutes ces années j'ai eu d'autres propositions qui étaient
toutes du même niveau. C'est à dire que c'étaient
des propositions inférieures aussi bien financièrement qu'artistiquement
par rapport à ce que j'ai chez Rounder.
En plus, même si Scott Billington me propose des projets, je peux
garder mon indépendance tout en tentant parfois de nouvelles expériences
musicales. Le label Rounder et Scott Billington sont loyaux envers moi.
Ils me respectent comme artiste, donc je ne vois pas pourquoi je ne leur
apporterais pas la même loyauté. Je n'ai peut-être
pas la même promo que sur une major mais Rounder fait le maximum
pour m'assurer tout de même une promotion efficace.
N'est-ce pas cruel de constater que c'est "
grâce " à l'ouragan Katerina, que de nombreux artistes
de Louisiane se retrouvent en tournée en Europe cet été
?
Chacun le ressent d'une façon différente
Je suis quelqu'un d'optimiste, je vois toujours le verre à moitié
plein. Cette catastrophe naturelle était très cruelle
D'un autre côté, en ce qui me concerne, la dernière
fois que j'ai chanté en France c'était en 1988. Après
l'ouragan les gens me croyaient disparue et décédée
et se sont rendu compte, alors, que j'étais quelqu'un de talentueux,
que j'étais capable de chanter, de danser, de vous divertir
Cela a donc provoqué une relance de ma carrière de ce côté-ci
de l'Atlantique même s'il est vrai que c'est cruel que cela soit
lié à Katerina.
Y a-t-il une chance de voir votre club, le Lion's
Den, ré-ouvrir, de vous y entendre chanter à nouveau et
de pouvoir y déguster votre gumbo ?
(Rires) En fait la priorité pour mon mari et moi est d'abord de
retrouver un foyer et de pouvoir faire bâtir une nouvelle maison.
Une fois que cela sera fait, soit nous construirons un nouveau "
Lion's Den " ailleurs, soit nous ré-ouvrirons celui de la
Nouvelle-Orléans, si c'est possible.
Si cela arrive, je ne changerai rien, je ferai encore mon riz et mes haricots
rouges ainsi qu'à l'occasion, mon gumbo.
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