Jacky Chalard
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Jacky, le terme "d'enfant du rock" peut paraître galvaudé de nos jours, cependant si il y en a un qui peut se prévaloir de cette étiquette c'est bien toi. Alors peux-tu me parler de ton cursus et des circonstances dans lesquelles tu es "tombé " dans la musique ?
J'ai commencé à jouer vers l'âge de 13 ans ½ - 14 ans à l'école où j'étais, c'est à dire dans le 1er Arrondissement à Paris. Nous répétions dans les Halles avec ce groupe de l'école dont le chanteur est devenu connu sous le nom de Gérard Brent (chanteur français du milieu des années 60, connu à l'époque pour son succès "La fille qui me plaît " adaptation du "Hippy Hippy Shake" du groupe anglais Les Braid, Nda).

A partir des années 1964-1965 j'ai quitté l'école pour commencer à galérer de groupe en groupe. Je suis alors passé par le Golf Drouot puis j'ai eu la chance de nager dans de " bons bains " en devenant l'accompagnateur d'artistes tels que Noël Deschamps, Christophe, Ronnie Bird et déjà de Vince Taylor.
Après cela il y a eu la mode des groupes des années 70, c'est à dire la deuxième génération des groupes pop français. Ces derniers étaient comme moi des mecs élevés à Eddie Cochran ou Gene Vincent - bien que la mode à cette époque était paillettes, cheveux longs etc….

J'ai, par la suite, intégré un groupe qui allait devenir Dynastie Crisis....
Nous jouions au " Rock'n'roll Circus " qui a disparu depuis. Nous avons aussi fait une tournée avec Freddy Meyer qui passait par Monte-Carlo où nous avons joué toute une saison. Pour des raisons contractuelles dont je ne me souviens plus, Freddy avait dû repartir d'urgence aux USA, nous plantant là avec le matériel.
De ce fait avec mes collègues musiciens, dont Jacques Mercier, nous avons décidé de répéter dans ce cadre en bord de mer avant de jouer le soir nos propres titres. A la fin de la saison nous étions devenu les Dynastie Crisis….

Certains journalistes de Radio Monte-Carlo venaient nous voir jouer tous les soirs. L'un d'entre eux était Pierre Lescure, nous avons sympathisé. Ces gens là ont décidé de nous donner un coup de main à la rentrée en produisant notre premier album.
Il y a eu par la suite la rencontre avec Michel Polnareff...

Après cela, comme dans tous les groupes, il y a eu la lassitude et l'usure de la cohabitation qui ont fait leur œuvre au bout de 7 ou 8 ans. Cela s'est fait simplement, sans drame car tout le monde était fatigué, il n'y a pas eu de haine. Je suis donc reparti à la case départ après avoir connu l'Olympia et toutes ces choses là….

J'ai dû faire des bals car j'avais une femme, des enfants et des traites à payer.
Pour l'anecdote : quand je me rendais à des auditions pour des orchestres de bal, les mecs qui étaient là croyaient que je déconnais. De ce fait, j'avais un mal fou à me faire accepter.

Par la suite, vers 1979, avec Patrick Verbeke et toute une équipe de musiciens, nous avons sorti Vince Taylor de la galère. A partir de là, j'ai voulu produire les disques de deux ou trois groupes français qu'une revue nommée Big Beat m'avait fait connaître en m'envoyant des cassettes d'eux. Il s'agissait des Alligators et de Jezebel Rock….

J'ai produit ces groupes au départ, non pas avec de l'argent car je n'en avais pas à l'époque, mais grâce à des heures de studio que l'on me devait. C'était au studio Davout qui demeure un des plus grands studios français.
J'ai donc permis à ces groupes de faire leurs premiers albums 25cm Big Beat que tu connais. Ceci dans des conditions optimales de qualité et sans une tune. Mon but était de les aider pour qu'ils puissent par la suite intégrer des labels tels que EMI ou Warner Music.

Ceci dit quand nous avons terminé le boulot les groupes m'ont dit " Nous ne connaissons personne : c'est à toi d'y aller ". J'ai donc fait le tour des maisons de disques où tous les gens me disaient : " C'est génial, mais des français qui chantent en anglais cette musique des années 50, c'est impossible à sortir ", au bout d'un moment ça m'a gonflé….

Heureusement que j'ai rencontré dans un bar un type, Michel Bachelet, qui distribuait des disques de folklore canadien. Il a trouvé mon travail très sérieux, bien qu'il ne connaissait rien au Rock'n'roll. Je n'avais pas d'oseille et lui était prêt à avancer l'argent des pressages.
J'ai donc eu cette idée - car je revenais d'Angleterre où j'ai vu qu'il y avait des rééditions d'albums 33 tours en 25 centimètres. J'ai repris l'idée et relancé ce format en France. J'en ai parlé à Michel qui ne savait même pas que ça existait.
Convaincu par mon idée, j'ai commencé à faire chier tout le monde pour obtenir une presse. J'ai été chez Vogue où une dame, Madame Robic - qui était la directrice de la firme - m'a dit qu'elle avait une vieille presse à 25cm. De ce fait, j'ai pu sortir ces disques et ça a été le début de Big Beat.

Au départ je faisais cela pour aider deux groupes. À la fin, je me suis retrouvé à la tête de 30 groupes dont Vince Taylor, Crazy Cavan et tous les mecs qui étaient en mal de maison de disques.
Bref tu connais l'histoire de Big Beat qui est devenu, je crois, un label mythique. Ce label ne m'appartient pas à moi tout seul, il appartient aussi à tous les mecs qui aiment cette musique et qui ont contribué à la notoriété de ce label.

J'avais un peu laissé tomber dans les années 2000 après avoir pris quelques coups dans la gueule avec le show business. Le label avait été distribué par des multinationales que je ne suis pas là pour démolir car l'état du marché du disque est là pour parler mieux que moi.
Aujourd'hui nous sommes toujours vivants. Nous existons, vendons sur Internet et sommes idéalement distribués. Nous sommes présents partout où il y a de la musique de manière à vendre au meilleur prix, sans intermédiaires et dans les meilleures conditions.

Cependant le fait de créer ton propre label ne t'a pas empêché de continuer à jouer de la basse…
Oui, il y a quelques années j'ai accompagné Chuck Berry en tournée. J'ai aussi joué avec Freddie Fingers Lee, Crazy Cavan, Jack Scott, Vince Taylor cela va sans dire, Gene Summers, Little Tony, Bobby Solo en Italie.
Partout où il y a du Rock'n'roll et des gens biens, je viens avec ma basse !

Tu parlais tout à l'heure de tes rapports avec le show buzzines. On sait que tu es ami de grandes personnalités de la musique, comme Eddy Mitchell par exemple. Est-ce des gens qui continuent à te soutenir et qui suivent ce que tu fais à travers Big Beat ?
Eddy, c'est mon pote - même si nous ne nous voyons pas tous les jours. Il flippe toujours quand je lui dis que c'est le plus grand chanteur du monde parce qu'il a été LE chanteur des Chaussettes Noires. C'est par ailleurs ce groupe qui m'a donné l'envie de faire de la musique.

Ce qu'il fait aujourd'hui est différent. Je ne dis pas que j'aime pas mais ce n'est pas mon truc. Il reste Monsieur Eddy Mitchell….

J'ai édité avec le fan-club d'Eddy le DVD des Socquettes Blanches. Ce groupe chante le répertoire des Chaussettes Noires peut être mieux que les Chaussettes elles-mêmes. Cet hommage devait être fait et quand j'ai dit à Eddy de nous cautionner sur cette affaire là, il a répondu ok. De ce fait à l'arrière du DVD il y a une bénédiction de Monsieur Eddy Mitchell.
Je tiens à préciser à tous tes auditeurs et lecteurs qui aiment le Rock'n'roll qu'il y a sur ce DVD 2 morceaux, " Monsieur Schmoll " et " Notre histoire ", dont les paroles sont de Paolo Coccina et Daniel Delannoy que j'appelle " Daniel of the nut ". Ces chansons sont des hommages très chaleureux et très tendres envers Eddy….

En tout cas Daniel Delannoy, le chanteur des Socquettes Blanches, est fou de joie d'avoir la griffe d'Eddy sur son DVD…
Je l'avais promis à Daniel. Il croyait que je le faisais marcher….
Cependant Eddy l'a fait parce que ça lui a plu. Si ça ne lui avait pas plu - bien qu'étant son ami - il ne l'aurait pas fait.

Toi qui vois tant de groupes, y'en a t'il dans la nouvelle génération qui te touchent plus particulièrement ?
Il y a Thierry Le Coz, l'ancien leader des Teenkats, qui est le seul, toutes générations confondues, à avoir pris sa guitare pour aller vivre aux Etats-Unis. Il n'a pas explosé la baraque là-bas mais il y a appris le métier. Aujourd'hui, si tu parles de Thierry Le Coz à Austin : tout le monde le connaîtra, idem à Los Angeles.
Il n'a pas connu de succès en tant que Thierry Le Coz là-bas, mais il y est très demandé. Il y a travaillé pour Dick Rivers quand ce dernier est allé faire ses séances à Austin. Il est pote avec Brian Setzer etc….

Pour des raisons familiales, il est revenu en France et a reformé les Teenkats. Je peux te dire qu'au niveau européen il n'y en a pas beaucoup qui tiennent la comparaison. Ce type est un petit Setzer. De surcroît, ce qui est bien c'est qu'il n'a pas perdu la fibre française.
Lorsqu'il joue " Somethin' else " ou des morceaux comme cela, il n'a pas peur d'y inclure des séquences de " Elle est terrible ". Il ne renie pas du tout ses origines. De plus il le fait avec une classe purement " ricaine "…..
Niveau guitare et voix il est probablement ce qui se fait de mieux aujourd'hui sur la scène française.

Aujourd'hui, en 2006, tu es toujours là et tu as l'air toujours aussi passionné. Tu es de tous les Festivals, de toutes les conventions etc….Comment peux tu expliquer que cette passion soit toujours intacte après tout ce que tu as déjà vécu ?
Parce que je pense que le Rock'n'roll c'est la vie, c'est un témoin. Regarde : tu es plus jeune que moi et il y a des mômes qui sont plus jeunes que toi qui viennent aux concerts….

On organise un Festival cet été sur la Côte pour les pompiers du Var ("Rock Brune Attitude" les 4 et 5 Août 2006 - Les Issambres/Roquebrune sur Argens, Nda). Je dis sur l'affiche que le Rock'n'roll est la seule musique qui couvre les tranches d'âges de 7 à 77 ans, comme le journal de Tintin !

Moi mon môme il a 14 ans et il a commencé à jouer de la guitare depuis 6 mois. Il bosse Chuck Berry et me demande comment faire l'intro de tel ou tel titre. Je lui ai dit que s'il voulait faire parti du club il devait, comme chaque mec qui aime le Rock'n'roll doit le connaître, savoir jouer l'intro de " Johnnie B.Goode ". L'intro de " Johnnie B.Goode " est un message d'enfer, même si vous ne savez pas jouer de guitare, demandez à des potes de vous l'apprendre, c'est moins con que de faire " Jeux interdits " quand il y a du monde.
Faîtes l'intro de " Johnnie B. Goode ", même mal mais faîtes-la!

Pour toi ce serait l'hymne du Rock'n'roll ?
Oh, il y en a plein, il n'y a eu que des bons trucs en fait….
Surtout ce qui me réjouis le plus, c'est qu'en aucun cas c'est la musique du passé.

Tu vois par exemple ici il y a des légendes vivantes du label SUN qui viennent (Sonny Burgess et Johnny Powers, Nda), mais moi ce n'est pas mon combat. Mon combat c'est le groupe russe qui va passer en ouverture (The Spootnicks, Nda).
Putain un groupe russe qui fait du Rockabilly, il faut arriver en 2006 pour voir ça. Le mur de Berlin, il a explosé il n'y a pas si longtemps, tu vois ce que je veux dire ?

Ces mômes ont les mêmes couilles qu'Elvis à l'époque. La même démarche Rock'n'roll….
A partir du moment où tu y crois, que tu joues juste et que tu envoies le truc ça suffit !
C'est ça qui plaît aux gonzesses, de toute façon on a fait de la musique pour les gonzesses !

Après tout ce temps, as-tu un regret artistique, un groupe à côté duquel tu serais passé par exemple ?
Je suis passé en pure conscience à côté de Jesse Garon...
Ceci parce que je ne suis pas un homme d'affaires contrairement à ce que certains pensent. Je suis passé à côté de beaucoup de tune et j'ai toujours réinvesti pour argent dans de nouveaux groupes.
Je l'ai fait en toute honnêteté….

Jesse, quand il est arrivé à Paris, il a dormi dans mon bureau. Je lui donnais de la tune tous les jours. Il pleurait pour que je l'enregistre. Malheureusement, c'était aux débuts de Big Beat et je n'avais pas assez de pognon pour le faire.
Par honnêteté vis à vis de lui, alors que je connaissais le potentiel du morceau " C'est lundi " que j'entendais tous les matins dans mon bureau, j'ai préféré qu'il enregistre sur un autre label. Cela car je ne suis pas un mec qui fait signer un contrat à un musicien avant de le mettre au frigidaire pour éviter qu'il ne parte ailleurs.

De plus à l'époque j'avais les Alligators à l'Olympia en première partie d'Eddy et plein d'autres choses sur le gaz. Je me suis donc dit qu'il n'était pas honnête de bloquer ce môme là. Il est parti et ça a marché pour lui avec des morceaux que je connaissais par cœur. Cependant je ne dis pas que chez moi ça aurait fonctionné de la même manière….

Je savais que c'était un grand Jesse et c'est un grand. On peut toujours dire qu'il a pété les plombs mais tout le monde pète les plombs un jour, nul n'est parfait.
Je le répète Jesse est un grand, si en France il y a un grand mec c'est Jesse Garon !

Il m'est arrivé la même chose avec les Forbans, Bébert le chanteur était un ami. Il n'arrêtait pas d'insister pour que je vienne les voir répéter. Tous les soirs, à cette époque, ils étaient au premier rang à l'Olympia pour voir les Alligators et voulaient absolument signer avec moi.

Je suis donc allé les voir à Ivry. À ce moment-là, techniquement parlant, ils étaient beaucoup moins affûtés qu'ils ne le sont maintenant mais ils avaient les mêmes morceaux. Je trouvais cela très bien mais je n'avais pas le temps de leur produire un disque. Je ne voulais pas leur signer un contrat pour les mettre au frais. Ils y sont arrivés par eux mêmes, ils ont réussi leur coup, bravo !

Une fois de plus je ne dis pas que s'ils l'avaient fait avec moi ça aurait marché autant. Peut être parce que je suis trop puriste et que je n'aurais pas accepté un morceau comme " Chante ", trouvant cela trop variète….
Ils restent des amis. D'ailleurs, quand j'ai édité sur Big Beat la compilation à la pochette dessinée par Franck Margerin " L'école du Rock ", j'ai demandé à Bébert d'y participer.

Il m'avait demandé au moment de la séparation des Forbans de travailler avec moi. A l'époque il adorait Shakin' Stevens, donc nous sommes allés en Angleterre enregistrer avec les musiciens de Shakin' Stevens le morceau " Cry just a little beat " devenu en français " Toi recherches l'amour ".

Aujourd'hui nous réserves-tu de nouvelles surprises, as tu des choses sous le coude ?
J'organise, comme je te l'ai dit, un Festival cet été pour venir en aide aux pompiers du Var.

Dans le cadre de ce Festival, je vais faire passer les Leroi Brothers, Gene Summers ainsi que les Teenkats. Il y aura aussi Jesse Garon (aujourd'hui devenu Jessé Garon', Nda) qui va faire un concert purement Rock'n'roll accompagné par des invités surprise. Je vais, de plus, monter une tournée avec Memphis Rockabilly Band.

Je sors aussi toute une série de DVD avec par exemple Crazy Cavan etc….

Voilà, j'ai 59 ans et suis toujours prêt… il faut que cela dure parce que la vie est trop courte. Il faut que des gens comme toi et tous ceux qui viendront derrière continue à faire vivre la flamme.
C'est votre vie les gars, c'est la notre et avec le Rock'n'roll nous sommes les plus forts au monde, personne ne peut nous avoir….

PS : La vie de Jacky est si riche que, bien sûr, ce qu'il dit dans cette interview n'est que la face apparente de l'iceberg. Il a par exemple aussi monté le groupe Magnum à la fin des années 70 aux côtés de Patrick Verbecke et Jean-Pierre Prévotat et participé à bien d'autres aventures (télévisuelles et radiophoniques par exemple). Je tiens à le remercier, keep a rockin' Jacky!

 

 
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Les liens :

Le site de Jacky Chalard

Interview réalisée au
Festival " Good Rockin' Tonight " -
St Denis-Bourg en Bresse -
25 mars 2006

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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