Jacky, le terme "d'enfant du rock" peut
paraître galvaudé de nos jours, cependant si il y en a un qui
peut se prévaloir de cette étiquette c'est bien toi. Alors
peux-tu me parler de ton cursus et des circonstances dans lesquelles tu
es "tombé " dans la musique ?
J'ai commencé à jouer vers l'âge de 13 ans ½
- 14 ans à l'école où j'étais, c'est à
dire dans le 1er Arrondissement à Paris. Nous répétions
dans les Halles avec ce groupe de l'école dont le chanteur est devenu
connu sous le nom de Gérard Brent (chanteur français
du milieu des années 60, connu à l'époque pour son
succès "La fille qui me plaît " adaptation du "Hippy
Hippy Shake" du groupe anglais Les Braid, Nda).
A partir des années 1964-1965 j'ai quitté l'école pour
commencer à galérer de groupe en groupe. Je suis alors passé
par le Golf Drouot puis j'ai eu la chance de nager dans de " bons bains
" en devenant l'accompagnateur d'artistes tels que Noël Deschamps,
Christophe, Ronnie Bird et déjà de Vince Taylor.
Après cela il y a eu la mode des groupes des années 70, c'est
à dire la deuxième génération des groupes pop
français. Ces derniers étaient comme moi des mecs élevés
à Eddie Cochran ou Gene Vincent - bien que la mode à cette
époque était paillettes, cheveux longs etc
.
J'ai, par la suite, intégré un groupe qui allait devenir
Dynastie Crisis....
Nous jouions au " Rock'n'roll Circus " qui a disparu
depuis. Nous avons aussi fait une tournée avec Freddy Meyer
qui passait par Monte-Carlo où nous avons joué toute une
saison. Pour des raisons contractuelles dont je ne me souviens plus, Freddy
avait dû repartir d'urgence aux USA, nous plantant là avec
le matériel.
De ce fait avec mes collègues musiciens, dont Jacques Mercier,
nous avons décidé de répéter dans ce cadre
en bord de mer avant de jouer le soir nos propres titres. A la fin de
la saison nous étions devenu les Dynastie Crisis
.
Certains journalistes de Radio Monte-Carlo venaient nous voir jouer tous
les soirs. L'un d'entre eux était Pierre Lescure, nous avons
sympathisé. Ces gens là ont décidé de nous
donner un coup de main à la rentrée en produisant notre
premier album.
Il y a eu par la suite la rencontre avec Michel Polnareff...
Après cela, comme dans tous les groupes, il y a eu la lassitude
et l'usure de la cohabitation qui ont fait leur uvre au bout de
7 ou 8 ans. Cela s'est fait simplement, sans drame car tout le monde était
fatigué, il n'y a pas eu de haine. Je suis donc reparti à
la case départ après avoir connu l'Olympia et toutes ces
choses là
.
J'ai dû faire des bals car j'avais une femme, des enfants et des
traites à payer.
Pour l'anecdote : quand je me rendais à des auditions pour des
orchestres de bal, les mecs qui étaient là croyaient que
je déconnais. De ce fait, j'avais un mal fou à me faire
accepter.
Par la suite, vers 1979, avec Patrick Verbeke et toute une équipe
de musiciens, nous avons sorti Vince Taylor de la galère. A partir
de là, j'ai voulu produire les disques de deux ou trois groupes
français qu'une revue nommée Big Beat m'avait fait
connaître en m'envoyant des cassettes d'eux. Il s'agissait des Alligators
et de Jezebel Rock
.
J'ai produit ces groupes au départ, non pas avec de l'argent car
je n'en avais pas à l'époque, mais grâce à
des heures de studio que l'on me devait. C'était au studio Davout
qui demeure un des plus grands studios français.
J'ai donc permis à ces groupes de faire leurs premiers albums 25cm
Big Beat que tu connais. Ceci dans des conditions optimales de qualité
et sans une tune. Mon but était de les aider pour qu'ils puissent
par la suite intégrer des labels tels que EMI ou Warner Music.
Ceci dit quand nous avons terminé le boulot les groupes m'ont dit
" Nous ne connaissons personne : c'est à toi d'y aller
". J'ai donc fait le tour des maisons de disques où tous
les gens me disaient : " C'est génial, mais des français
qui chantent en anglais cette musique des années 50, c'est impossible
à sortir ", au bout d'un moment ça m'a gonflé
.
Heureusement que j'ai rencontré dans un bar un type, Michel
Bachelet, qui distribuait des disques de folklore canadien. Il a trouvé
mon travail très sérieux, bien qu'il ne connaissait rien
au Rock'n'roll. Je n'avais pas d'oseille et lui était prêt
à avancer l'argent des pressages.
J'ai donc eu cette idée - car je revenais d'Angleterre où
j'ai vu qu'il y avait des rééditions d'albums 33 tours en
25 centimètres. J'ai repris l'idée et relancé ce
format en France. J'en ai parlé à Michel qui ne savait même
pas que ça existait.
Convaincu par mon idée, j'ai commencé à faire chier
tout le monde pour obtenir une presse. J'ai été chez Vogue
où une dame, Madame Robic - qui était la directrice
de la firme - m'a dit qu'elle avait une vieille presse à 25cm.
De ce fait, j'ai pu sortir ces disques et ça a été
le début de Big Beat.
Au départ je faisais cela pour aider deux groupes. À la
fin, je me suis retrouvé à la tête de 30 groupes dont
Vince Taylor, Crazy Cavan et tous les mecs qui étaient en mal de
maison de disques.
Bref tu connais l'histoire de Big Beat qui est devenu, je crois, un label
mythique. Ce label ne m'appartient pas à moi tout seul, il appartient
aussi à tous les mecs qui aiment cette musique et qui ont contribué
à la notoriété de ce label.
J'avais un peu laissé tomber dans les années 2000 après
avoir pris quelques coups dans la gueule avec le show business. Le label
avait été distribué par des multinationales que je
ne suis pas là pour démolir car l'état du marché
du disque est là pour parler mieux que moi.
Aujourd'hui nous sommes toujours vivants. Nous existons, vendons sur Internet
et sommes idéalement distribués. Nous sommes présents
partout où il y a de la musique de manière à vendre
au meilleur prix, sans intermédiaires et dans les meilleures conditions.
Cependant le fait de créer ton propre label
ne t'a pas empêché de continuer à jouer de la basse
Oui, il y a quelques années j'ai accompagné Chuck Berry
en tournée. J'ai aussi joué avec Freddie Fingers Lee, Crazy
Cavan, Jack Scott, Vince Taylor cela va sans dire, Gene Summers, Little
Tony, Bobby Solo en Italie.
Partout où il y a du Rock'n'roll et des gens biens, je viens avec
ma basse !
Tu parlais tout à l'heure de tes rapports
avec le show buzzines. On sait que tu es ami de grandes personnalités
de la musique, comme Eddy Mitchell par exemple. Est-ce des gens qui continuent
à te soutenir et qui suivent ce que tu fais à travers Big
Beat ?
Eddy, c'est mon pote - même si nous ne nous voyons pas tous les
jours. Il flippe toujours quand je lui dis que c'est le plus grand chanteur
du monde parce qu'il a été LE chanteur des Chaussettes Noires.
C'est par ailleurs ce groupe qui m'a donné l'envie de faire de
la musique.
Ce qu'il fait aujourd'hui est différent. Je ne dis pas que j'aime
pas mais ce n'est pas mon truc. Il reste Monsieur Eddy Mitchell
.
J'ai édité avec le fan-club d'Eddy le DVD des Socquettes
Blanches. Ce groupe chante le répertoire des Chaussettes Noires
peut être mieux que les Chaussettes elles-mêmes. Cet hommage
devait être fait et quand j'ai dit à Eddy de nous cautionner
sur cette affaire là, il a répondu ok. De ce fait à
l'arrière du DVD il y a une bénédiction de Monsieur
Eddy Mitchell.
Je tiens à préciser à tous tes auditeurs et lecteurs
qui aiment le Rock'n'roll qu'il y a sur ce DVD 2 morceaux, " Monsieur
Schmoll " et " Notre histoire ", dont les paroles
sont de Paolo Coccina et Daniel Delannoy que j'appelle "
Daniel of the nut ". Ces chansons sont des hommages très
chaleureux et très tendres envers Eddy
.
En tout cas Daniel Delannoy, le chanteur des Socquettes
Blanches, est fou de joie d'avoir la griffe d'Eddy sur son DVD
Je l'avais promis à Daniel. Il croyait que je le faisais marcher
.
Cependant Eddy l'a fait parce que ça lui a plu. Si ça ne
lui avait pas plu - bien qu'étant son ami - il ne l'aurait pas
fait.
Toi qui vois tant de groupes, y'en a t'il dans
la nouvelle génération qui te touchent plus particulièrement
?
Il y a Thierry Le Coz, l'ancien leader des Teenkats, qui
est le seul, toutes générations confondues, à avoir
pris sa guitare pour aller vivre aux Etats-Unis. Il n'a pas explosé
la baraque là-bas mais il y a appris le métier. Aujourd'hui,
si tu parles de Thierry Le Coz à Austin : tout le monde le connaîtra,
idem à Los Angeles.
Il n'a pas connu de succès en tant que Thierry Le Coz là-bas,
mais il y est très demandé. Il y a travaillé pour
Dick Rivers quand ce dernier est allé faire ses séances
à Austin. Il est pote avec Brian Setzer etc
.
Pour des raisons familiales, il est revenu en France et a reformé
les Teenkats. Je peux te dire qu'au niveau européen il n'y en a
pas beaucoup qui tiennent la comparaison. Ce type est un petit Setzer.
De surcroît, ce qui est bien c'est qu'il n'a pas perdu la fibre
française.
Lorsqu'il joue " Somethin' else " ou des morceaux comme
cela, il n'a pas peur d'y inclure des séquences de " Elle
est terrible ". Il ne renie pas du tout ses origines. De plus
il le fait avec une classe purement " ricaine "
..
Niveau guitare et voix il est probablement ce qui se fait de mieux aujourd'hui
sur la scène française.
Aujourd'hui, en 2006, tu es toujours là
et tu as l'air toujours aussi passionné. Tu es de tous les Festivals,
de toutes les conventions etc
.Comment peux tu expliquer que cette
passion soit toujours intacte après tout ce que tu as déjà
vécu ?
Parce que je pense que le Rock'n'roll c'est la vie, c'est un témoin.
Regarde : tu es plus jeune que moi et il y a des mômes qui sont
plus jeunes que toi qui viennent aux concerts
.
On organise un Festival cet été sur la Côte pour les
pompiers du Var ("Rock Brune Attitude" les 4 et 5
Août 2006 - Les Issambres/Roquebrune sur Argens, Nda). Je dis
sur l'affiche que le Rock'n'roll est la seule musique qui couvre les tranches
d'âges de 7 à 77 ans, comme le journal de Tintin !
Moi mon môme il a 14 ans et il a commencé à jouer
de la guitare depuis 6 mois. Il bosse Chuck Berry et me demande comment
faire l'intro de tel ou tel titre. Je lui ai dit que s'il voulait faire
parti du club il devait, comme chaque mec qui aime le Rock'n'roll doit
le connaître, savoir jouer l'intro de " Johnnie B.Goode
". L'intro de " Johnnie B.Goode " est un message
d'enfer, même si vous ne savez pas jouer de guitare, demandez à
des potes de vous l'apprendre, c'est moins con que de faire " Jeux
interdits " quand il y a du monde.
Faîtes l'intro de " Johnnie B. Goode ", même
mal mais faîtes-la!
Pour toi ce serait l'hymne du Rock'n'roll ?
Oh, il y en a plein, il n'y a eu que des bons trucs en fait
.
Surtout ce qui me réjouis le plus, c'est qu'en aucun cas c'est
la musique du passé.
Tu vois par exemple ici il y a des légendes vivantes du label
SUN qui viennent (Sonny Burgess et Johnny Powers, Nda),
mais moi ce n'est pas mon combat. Mon combat c'est le groupe russe qui
va passer en ouverture (The Spootnicks, Nda).
Putain un groupe russe qui fait du Rockabilly, il faut arriver en 2006
pour voir ça. Le mur de Berlin, il a explosé il n'y a pas
si longtemps, tu vois ce que je veux dire ?
Ces mômes ont les mêmes couilles qu'Elvis à l'époque.
La même démarche Rock'n'roll
.
A partir du moment où tu y crois, que tu joues juste et que tu
envoies le truc ça suffit !
C'est ça qui plaît aux gonzesses, de toute façon on
a fait de la musique pour les gonzesses !
Après tout ce temps, as-tu un regret artistique,
un groupe à côté duquel tu serais passé par
exemple ?
Je suis passé en pure conscience à côté de
Jesse Garon...
Ceci parce que je ne suis pas un homme d'affaires contrairement à
ce que certains pensent. Je suis passé à côté
de beaucoup de tune et j'ai toujours réinvesti pour argent dans
de nouveaux groupes.
Je l'ai fait en toute honnêteté
.
Jesse, quand il est arrivé à Paris, il a dormi dans mon
bureau. Je lui donnais de la tune tous les jours. Il pleurait pour que
je l'enregistre. Malheureusement, c'était aux débuts de
Big Beat et je n'avais pas assez de pognon pour le faire.
Par honnêteté vis à vis de lui, alors que je connaissais
le potentiel du morceau " C'est lundi " que j'entendais
tous les matins dans mon bureau, j'ai préféré qu'il
enregistre sur un autre label. Cela car je ne suis pas un mec qui fait
signer un contrat à un musicien avant de le mettre au frigidaire
pour éviter qu'il ne parte ailleurs.
De plus à l'époque j'avais les Alligators à l'Olympia
en première partie d'Eddy et plein d'autres choses sur le gaz.
Je me suis donc dit qu'il n'était pas honnête de bloquer
ce môme là. Il est parti et ça a marché pour
lui avec des morceaux que je connaissais par cur. Cependant je ne
dis pas que chez moi ça aurait fonctionné de la même
manière
.
Je savais que c'était un grand Jesse et c'est un grand. On peut
toujours dire qu'il a pété les plombs mais tout le monde
pète les plombs un jour, nul n'est parfait.
Je le répète Jesse est un grand, si en France il y a un
grand mec c'est Jesse Garon !
Il m'est arrivé la même chose avec les Forbans, Bébert
le chanteur était un ami. Il n'arrêtait pas d'insister pour
que je vienne les voir répéter. Tous les soirs, à
cette époque, ils étaient au premier rang à l'Olympia
pour voir les Alligators et voulaient absolument signer avec moi.
Je suis donc allé les voir à Ivry. À ce moment-là,
techniquement parlant, ils étaient beaucoup moins affûtés
qu'ils ne le sont maintenant mais ils avaient les mêmes morceaux.
Je trouvais cela très bien mais je n'avais pas le temps de leur
produire un disque. Je ne voulais pas leur signer un contrat pour les
mettre au frais. Ils y sont arrivés par eux mêmes, ils ont
réussi leur coup, bravo !
Une fois de plus je ne dis pas que s'ils l'avaient fait avec moi ça
aurait marché autant. Peut être parce que je suis trop puriste
et que je n'aurais pas accepté un morceau comme " Chante
", trouvant cela trop variète
.
Ils restent des amis. D'ailleurs, quand j'ai édité sur Big
Beat la compilation à la pochette dessinée par Franck
Margerin " L'école du Rock ", j'ai demandé
à Bébert d'y participer.
Il m'avait demandé au moment de la séparation des Forbans
de travailler avec moi. A l'époque il adorait Shakin' Stevens,
donc nous sommes allés en Angleterre enregistrer avec les musiciens
de Shakin' Stevens le morceau " Cry just a little beat "
devenu en français " Toi recherches l'amour ".
Aujourd'hui nous réserves-tu de nouvelles
surprises, as tu des choses sous le coude ?
J'organise, comme je te l'ai dit, un Festival cet été pour
venir en aide aux pompiers du Var.
Dans le cadre de ce Festival, je vais faire passer les Leroi Brothers,
Gene Summers ainsi que les Teenkats. Il y aura aussi Jesse
Garon (aujourd'hui devenu Jessé Garon', Nda) qui
va faire un concert purement Rock'n'roll accompagné par des invités
surprise. Je vais, de plus, monter une tournée avec Memphis
Rockabilly Band.
Je sors aussi toute une série de DVD avec par exemple Crazy
Cavan etc
.
Voilà, j'ai 59 ans et suis toujours prêt
il faut que
cela dure parce que la vie est trop courte. Il faut que des gens comme
toi et tous ceux qui viendront derrière continue à faire
vivre la flamme.
C'est votre vie les gars, c'est la notre et avec le Rock'n'roll nous sommes
les plus forts au monde, personne ne peut nous avoir
.
PS : La vie de Jacky est si riche que,
bien sûr, ce qu'il dit dans cette interview n'est que la face apparente
de l'iceberg. Il a par exemple aussi monté le groupe Magnum
à la fin des années 70 aux côtés de Patrick
Verbecke et Jean-Pierre Prévotat et participé à bien
d'autres aventures (télévisuelles et radiophoniques par
exemple). Je tiens à le remercier, keep a rockin' Jacky!
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