L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST | ||
Jean-Jacques, quand avez-vous découvert le Marine Band ? Ah ! c'est une bonne question. Vous savez, quand j'ai commencé à jouer de l'harmonica dans les années soixante, il n'y avait pas encore de Marine Band en Europe. Le Marine Band était un modèle fabriqué spécialement pour les Etats-Unis. A l'époque on appelait " Super Vamper " le modèle européen qui était exactement le même, sauf qu'ils avaient changé le nom. La maison Horner, qui fabrique les harmonicas, a toujours eu une politique très appropriée aux lieux et aux cultures régionales, étant eux-mêmes une culture régionale. J'ai donc découvert cela en 64 ou 65. Par la suite, pouvez-vous nous expliquer quels furent vos premiers groupes (Bill Deraime, Long Distance Call) ? C'était déjà même avant ça. En fait, j'ai commencé à jouer dans les années soixante. J'ai longtemps collaboré avec un garçon qui s'appelle Laurent Jérôme, puis ensuite avec Alain Giroux. On faisait du blues très traditionnel tendance Sony Terry et Brownie McGhee. On a effectivement rencontré Bill Deraime. A la fin des années soixante, début soixante-dix, on a commencé à sillonner les routes ensemble. C'était assez folk blues à l'époque. Je suis allé aux Etats-Unis pour la première fois en 1970. Là j'ai découvert Paul Butterfield et tous ces gens dont on avait un peu de mal à trouver les disques en France. Comment en êtes-vous venus à intégrer le groupe d'Eddy Mitchell à l'Olympia en 1975 ? En fait, j'ai commencé avec Eddy Mitchell en 1977. En 1974-75, il a dû venir avec Charlie Mc Coy après l'album " Rockin in Nashville ". J'ai évidemment beaucoup apprécié. Cela m'a permis de rencontrer Charlie et les musiciens qui étaient avec lui. Moi, je suis un fan de musique sudiste. Tout ce qui vient du sud des Etats-Unis, blues, soul, country ou jazz. Je crois que c'est le berceau de la musique du XX° siècle, en ce qui me concerne en tout cas. J'apprécie vraiment tout ces styles musicaux. Donc j'aimais beaucoup Charlie Mc Coy et ça m'a donné l'occasion de la rencontrer. La première fois que j'ai joué avec Eddy, Charlie était revenu et on a joué à deux harmonicas. J'ai déjà commencé à travailler avec Mitchell et il a été extrêmement sympa, il m'a gardé. On a fait le Palais des Sports en 1977, je crois. En parlant de country, je crois que vous avez joué à Nashville au Grand Ole Opry. Ça doit être une expérience assez intéressante, vous pouvez nous en parler ? J'ai joué plusieurs fois aux Etats-Unis. En fait, les américains n'ont pas vraiment besoin de nous parce qu'ils ont tous les musiciens qu'il faut sur place. En même temps, ce sont des gens qui sont ouverts et assez participatifs; à la fois musicalement et en tant que public. Un petit peu comme dans la partie Nord de l'Europe. Ils sont très vifs à faire la fête. Si en plus, ils voient qu'on s'intéresse à une culture qui leur est chère, c'est une clef pour ouvrir les portes. J'ai trouvé cela dans d'autres pays, aussi bien la Chine que l'Irlande. On se retrouve avec des gens et si on leur joue un morceau qui est dans leur répertoire et qu'on vient de loin, pour eux c'est une forme d'hommage. Par la suite, comment et pourquoi avez-vous décidé de mener une carrière solo ? Bonne question ! Parce qu'en fait, il s'est trouvé un moment où je gagnais mieux ma vie en jouant de l'harmonica (qui était la chose que j'aimais bien) qu'en faisant des choses que j'aimais moins. Tout simplement. Je ne suis pas quelqu'un de particulièrement ambitieux ou carriériste, mais c'est venu comme cela. A force de faire des séances d'enregistrement, de jouer avec des artistes ; il s'est trouvé que je pouvais avoir un " decent living " (comme disent les américains) à jouer de l'harmonica. Je me suis lancé et c'est parti comme ça. Je ne conseillerais à personne de le faire, parce que ce s'est un peu risqué. Vous menez depuis quelques années un programme de lutte contre la mucoviscidose par le biais de l'harmonica. Comment cela se passe ? Il m'est arrivé plusieurs fois de jouer dans des hôpitaux. En discutant avec un médecin du Nord de la France qui traitait particulièrement les maladies respiratoires, j'ai vu que les enfants utilisaient un espèce de tube en plastique. Je me suis dit : tiens, l'harmonica avec son système de jouer en aspirant, tout ce qui est altérations, mouvements de la mâchoire, de la glotte ; si ça se trouve ça peut être un truc utile. Alors j'en ai discuté avec des kinés. J'ai eu la chance de participer aux Etats généraux de l'association " Asthme " et de rencontrer quelques professeurs. Puis on a commencé à mettre au point des choses. Plutôt en général vers les maladies respiratoires, parce que le cas de la mucoviscidose est encore plus grave et délicat. Ce que je voulais, ce n'est pas devenir thérapeute, je reste un musicien qui fait de la scène. Par contre, je travaille avec une association " Musique et Santé ". On a réalisé un petit disque " Manque pas d'air " avec l'aide de France Musique pour apprendre à jouer de l'harmonica avec des conseils. Ce qui fait que les enfants ou les grands qui travaillent avec un kiné respiratoire, peuvent travailler certains morceaux selon ce qu'ils veulent faire. Des choses longues, aspirées, soufflées, alternées. mais ce sont des morceaux. Cela va de " Suzanna ", " Au temps des Cerises ", un gigue irlandaise, un petit blues. C'est un peu plus ludique que le fait de souffler dans un tuyau. L'harmonica est un instrument profondément humain. C'est un compagnon de tous les jours. C'est un instrument sans prestige. Il n'y a pas d'harmonica héros, que des ''guitar hero''. Quand on le choisi et qu'on s'en sert, il est très prêt du corps et de l'âme aussi. Dans le sens où on respire à travers. Comme dans le blues, on joue beaucoup en aspirant ; la musique, on l'a dans la bouche. C'est très intime et sensuel. Quand on joue sur un harmonica grave, on profite des vibrations de l'accord. C'est quelque chose que j'aime beaucoup et que j'essaye de partager avec les gens. Sur un certain nombre d'enfants avec lesquels on bosse dans les hôpitaux, parfois quelques uns sont rapidement mordus. On le voit parce que lorsqu'on revient, les harmonicas sont faux tellement on a joué dessus. On va parler du dernier album qui a été enregistré à Memphis. Comment en est venue l'idée et comment avez-vous pu la concrétiser ? C'est sûr que c'était un vieux rêve que de travailler aux Etats-Unis. Eventuellement d'enregistrer avec des gens comme ceux qui sont sur cet album. En fait, j'ai rencontré un journaliste qui avait écris un article sur moi. Ce qui est très rare, c'est que j'avais l'impression que la personne avait compris ce que je disais. Il avait traduit ce que j'avais dit, tout en mettant sa patte personnelle. Je l'ai rappelé pour le remercier et on a sympathisé. Sébastien Danchin est un journaliste de Jazzman qui vient notamment de sortir un bouquin extraordinaire " l'Encyclopédie du Rythm'n Blues et de la Soul ". Un pavé que je me suis pris dans le train. J'ai déjà l'épaule froissée tellement s'est lourd ! En même temps, c'est un type d'une culture absolument formidable, particulièrement la culture noire nord-américaine. Donc, on a commencé à discuter et à mettre en place ce projet, parce qu'il se proposait de m'aider à le monter. La réflexion finale était : nous avons des rêves, Universal a les moyens, unissons-nous ! On a contacté Universal Jazz, la dernière structure de jazz dans une major. Il faut la soigner parce qu'il n'y en a plus beaucoup. Dans les autres majors, il n'y a plus qu'un pauvre type derrière un bureau qui essaye désespérément de faire tout ce qu'il peut sans beaucoup de moyens. On a réunis Little Milton, Mighty Mo Rodgers, Mighty Sam McClain et en plus William Brown qui était l'ingénieur du son sur place. D'abord on voulait aller à Memphis pour avoir le son de Memphis. Comme je le disait tout à l'heure, je suis amoureux de la musique du Sud. Memphis est le carrefour du Sud. Quand on parle de blues les gens pensent à Chicago qui est le bout de la ligne. C'est aussi un style de musique et un endroit où les gens ont été enregistrés depuis les années 40. Le Sud à Memphis, c'est le croisement de tous les styles. On est d'accord, B.B. King et moi pour dire que le blues, c'est Memphis. Lui en plus vient de la région et il a suffisamment sévit dans le coin pour savoir de quoi il parle. Je pense qu'il a raison parce que Memphis est à la fois : Memphis Jug Band, Howling Wolf, tous les gens du Delta qui venaient, Otis Redding, Isaac Hayes, Elvis et tout un tas de gens. Pour moi, le blues est une musique-mère, contrairement au jazz. C'est quelque chose d'où sont venues d'autres musiques. Je crois que le blues est quelque part figé dans une époque, dans un lieu. C'est tout à fait extraordinaire, un monument. C'est pour cela qu'il est très difficile de le faire évoluer. Ce qui se passe en réalité, c'est que le blues fait des enfants. Une musique-mère, comme toutes les mamans, vieillit un jour et à ce moment ce sont les enfants qui prennent la relève. En parlant les quatre chanteurs qui sont sur le disque. Chacun a un parcours assez différent, est-ce que leurs réactions vis-à-vis de vous étaient différentes en raison de ce parcours ? On a fait une sélection, un casting où il y avait un peu plus de participants. Après, c'est plus un problème de disponibilités, de savoir si les maisons de disques et les agents sont d'accord. C'est la paperasserie, tous ces coups de téléphone qui se passent avant. On a réussit à avoir quatre personnages qui sont symptomatiques de ce qu'on voulait. Little Milton est effectivement la tradition, il est là depuis les années cinquante. C'est vraiment le chanteur pour dames, avec la guitare qui lui réponds. Il a cette aura de charmeur, de crooner et en même temps une vraie crédibilité. On a commencé les séances avec lui parce que je voulais justement que les musiciens aient conscience qu'on faisait du sérieux. Mighty Mo est le représentant d'une évolution actuelle du blues. A la fois des textes incisifs et une vision résolument moderne. Il y a eu une époque " Robert Cray " qui était un très bon songwriter. Des gens comme lui amènent ce qui pérennise le blues. Mighty Mo a une culture et une lecture du blues qui sont passionnantes, en ce moment c'est très intéressant. Mighty Sam est quelqu'un qui a eu des hauts et des bas. C'est une des plus belles voix, peut-être avec Bobby Bland, de tout le soul blues. Le côté soul me tentait beaucoup. Ce qui a été fait dans le blues traditionnel l'a été fait tellement bien à l'époque, qu'il est presque impossible de faire mieux. En tant qu'harmoniciste, je ne me vois pas faire mieux que Sonny Boy ou Little Walter. Par contre, dans les enfants du blues, le blues mâtiné de soul, un petit peu jazz, rock. En prenant des aspects de notre culture, on peut amener une couleur plus originale. Sinon on ne fera que de la redite. Enfin William Brown était l'ingénieur du son en titre du studio Royal. Il a commencé sa carrière en allant chercher les cafés aux studios Stax. Il a fait de l'assistanat chez Stax, en chantant dans les " Madelets ", un groupe vocal comme il y en avait énormément dans la région. Il a vu passer pas mal de gens en faisant des séances avec Otis Redding, Albert Collins, Isaac Hayes. On a sympathisé assez vite, il est très ouvert. Il a dirigé et participé aux chours. On a commencé à discuter et finalement Sébastien et lui ont écris une chanson vite fait. Un petite rythmique d'harmo, il a chanté et voilà. La légende des studios Stax a-t-elle engendré des fantômes, vous avez trouvé de vieilles bandes ? Les studios Stax ont été détruits, c'est un parking à présent. Cela risquait soit disant de s'écrouler sur les gens. En fait, la communauté noire de Memphis (50% de la population) prétends que les blancs ne voyaient pas d'un très bon oil une entreprise noire florissante. On sent quand même à Memphis quelque chose de pesant qui date de l'assassinat de Martin Luther King en 1968. Je crois que cela a profondément marqué cette ville pendant des décennies. Contrairement à l'assassinat de Kennedy à Dallas où les gens ont tout de suite produit le feuilleton " Dallas " pour qu'on oublie. Memphis a été marquée, c'est très bizarre et on le sent. Le studio Royal, où on a enregistré, appartenait à Bill Black, le contrebassiste de Presley. Il avait monté une société, " High Records " qui devait enregistrer Al Green plus tard. Il s'est ensuite associé avec Willie Mitchell, trompettiste et chef d'orchestre sur Beale Street. Ce dernier est le propriétaire actuel du studio Royal. C'est un ancien cinéma, le Royal, un genre de ruine avec des toiles d'araignées partout. Quand on est arrivé, ils essayaient de retaper vaguement l'ensemble. Je ne pense pas qu'ils ont des séances tous les jours. Le fait qu'on joue dans ce studio a contribué à rendre les participants très volontiers, parce qu'ils se retrouvaient dans un lieu où ils avaient vécu des moments intenses. On a vu la planche avec laquelle Al Green a tapé l'intro de " Love and Hapiness ". C'est un espèce de musée qui se barre en brioche. Les musiciens tels de Michael Toles, le guitariste qui a joué dans tous les albums " Shaft ", avec Albert King, Isaac Hayes. Lester Snell, le clavier pareil. A la batterie, on avait Steve Potts qui est maintenant le batteur de Booker T and the MG's avec Steve Cropper. On avait quelques cuivres sympas comme Andrew Love au saxophone, Uncle Jack Hale au trombone qui fait aussi partie de la légende. Finalement, on traverse une sorte de musée mais il y a une vie réelle. Dès qu'on commence à jouer, il y a un son qui est là. C'est un assemblage de petits sons, c'est-à-dire que les sons s'emboîtent les uns dans les autres, il n'y a pas de gros son. C'est ce qui donne le son de Memphis. Après avoir réalisé un projet aussi ambitieux, qu'allez-vous faire ensuite ? Je vais aller au Vatican enregistrer un disque avec Jean-Paul II, parce que là, il va prendre sa retraite ! Je plaisante mais il reste plein de choses à faire. Moi, si vous voulez, j'ai des rêves. Si Universal a les moyens, allons-y !
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Les liens : Interview réalisée à La nuit du Blues de Sarreguemines - le 18 mai 2002 Propos recueillis par Jean-Luc & David BAERST |
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