Jean-Michel Kajdan
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : La sortie du nouvel album, « In A New Light », de Jean-Michel Kajdan (enregistré sous le nom du Kajdan Rough Trio) représente un véritable évènement pour tous les admirateurs de cet  éminent musicien, trop méconnu du « grand public ».Egalement sociétaire de la SACEM et Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, ce guitariste (mais aussi bassiste, batteur, compositeur, arrangeur et directeur musical) peut pourtant se prévaloir d’avoir travaillé, sur scène comme sur disques, avec de nombreux artistes issus de milieux musicaux variés (Eddy Mitchell, Michel Jonasz, Didier Lockwood, Eddy Louiss, Larry Carlton, Louis Bertignac, Lionel Richie, Jean-Jacques Milteau, Jim Mc Carty des Yardbirds et des dizaines d’autres…).  En outre, il a prêté son talent à des bandes originales de films (« Subway », « Le Grand Bleu », « Clara Et Les Chics Types », « Trait D’Union »…) et a (co)produit des albums pour certains de ses camarades (« My America » de Demi Evans pour ne citer que celui-ci).

Jean-Michel, avant de commencer à évoquer ton nouveau groupe, le Kajdan Rough Trio, j’aimerais parler avec toi de ta découverte de la guitare, liée me semble-t-il à la musique manouche. Peux-tu revenir sur les circonstances exactes de cette « rencontre » ? 
Cela remonte à très loin…   J’étais petit puisque j’étais alors scolarisé en classe de CM2. J’habitais rue des Orteaux dans le XXème arrondissement et, à cette époque-là, il n’y avait pas encore de périphérique.
Beaucoup de manouches habitaient du côté de Montreuil, Bagnolet et dans toute la partie est de la banlieue parisienne. Durant la journée, ces gens-là venaient dans les quartiers les plus proches de chez eux (XXème et XIème arrondissements). De ce fait chaque matin, quand je me rendais à l’école, il y avait des manouches qui se trouvaient sur la Place de la Réunion. Bien sûr, ils y jouaient de la guitare… Compte-tenu de la puissance émotionnelle de leur musique, le môme que j’étais s’est pris ça en pleine figure. J’ai donc craqué et j’ai dit à ma mère que je voulais commencer à jouer de la guitare.  Je ne savais pas vraiment ce que c’était mais je voulais faire la même chose, restituer et transmettre cette émotion…  jmk
Finalement, c’est ma grand-mère qui a cassé sa tirelire et qui m’a offert mon premier instrument. Il s’agissait d’une guitare « injouable », probablement achetée chez Paul Beuscher, avec des cordes qui se situaient à 3 centimètres du manche (rires). Ceci-dit, j’avais enfin ma guitare alors que je devais avoir 8 ans. Je l’ai essayée, me suis fait mal aux doigts puis l’ai mise de côté. Ma mère n’ayant pas d’argent, elle n’a pas pu m’inscrire au Conservatoire. De ce fait, j’ai davantage appris dans la rue, en voyant mes potes qui jouaient. Ils me montraient des trucs et c’est comme cela que j’ai commencé à en maitriser les rudiments. C’était un peu à l’arrache…

Peux-tu être plus précis concernant cette « puissance émotionnelle » qui tu ressentais en écoutant de la musique manouche, comment se traduisait-elle chez toi ? 
C’est difficile à expliquer, c’est un ressenti tellement personnel… en plus j’étais môme.  Je restais des heures dans la rue à écouter ces sons. Ma mère me cherchait partout…   
Je voyais ces mecs jouer et j’étais très impressionné. Je ne possédais pas beaucoup de références car chez moi on écoutait que très peu de musique. C’était l’émotion à l’état brut.  Nous n’avons pas tous la même sensibilité et ces gens-là sont les premiers à m’avoir fait ressentir des émotions aussi fortes, je suis incapable de dire pourquoi…  Cette musique, que je n’ai jamais jouée, représente pour moi l’émotion. J’étais très pudique par rapport à cela et je n’ai, de ce fait, jamais eu envie de la pratiquer à mon tour. Je préférais garder en moi que cette puissance émotionnelle, je ne voulais pas en savoir davantage.
Tu sais, quand tu commences à entrer à l’intérieur des choses et des situations, elles finissent par perdre de leur âme et de leur magie. Moi, j’ai voulu conserver ce truc magique sans en savoir plus.
Il y a quelques années, je suis allé avec mon fils (qui devait avoir 14 ou 15 à cette époque) dans une cave afin d’assister à un concert du genre (à savoir Tchavolo Schmitt). A un moment, j’étais tellement ému que j’ai senti les larmes monter en moi.
J’ai des origines slaves et je considère cette musique comme le blues de l’est. Je ne sais pas s’il y a des « trucs » dans les gènes mais, tout comme moi, mon fils était très ému. Il ne parlait pas et il avait les boules en écoutant la puissance de cette musique tsigane. On devait passer une soirée sympa ensemble mais, du coup, on était « plombés » tous les deux (rires) ! Il y a deux ans, pour le centenaire de la naissance de Django Reinhardt, Jean-Marie Salhanie qui produisait le spectacle Django 100 m’a appelé afin de me demander de lui donner un « coup de main » dans l’élaboration de son projet. Mon rôle était de coacher les musiciens sur scène. Le principe du spectacle était d’entourer quelques vedettes (Tchavolo Schmitt, Dorado Schmitt, Angelo Debarre, David Reinhardt, Romane, Boulou Ferré etc…) par 100 guitaristes, afin de conclure le spectacle par deux morceaux en compagnie de tout ce beau monde. Un rideau s’ouvrait et découvrait ces 100 guitaristes… l’ambiance était alors au paroxysme dans la salle… 
Mon rôle consistait à partir la veille de chaque show, dans la ville qui le recevait, afin de faire répéter les guitaristes qui allaient se produire avec les têtes d’affiche. C’était génial ! Un excellent luthier, Olvier Pozzo, m’avait fait une guitare afin que je sois crédible. Il faut dire que si je m’y étais rendu avec ma Fender Stratocaster, on m’aurait regardé d’un drôle d’œil (rires) !
J’allais donc faire répéter les mecs en suivant les instructions que Romane m’avait données auparavant. Il faut dire que 100 guitaristes qui font « la pompe », cela représente une certaine organisation pour que tout soit ordonné… sinon ça devient vite le bordel ! Comme il s’agissait d’un spectacle acoustique, ces 100 guitaristes jouaient forcément beaucoup plus fort que le type qui interprétait le thème devant. C’était très intéressant d’organiser les répétitions pour cette tournée, qui a du se répartir sur 15 ou 20 dates.

Par la suite, comme beaucoup, tu es « tombé » dans le british blues boom. Comment cette musique est-elle exactement venue à toi ?
La musique manouche est restée ancrée en moi sur le plan émotionnel
Puis, au Lycée, j’avais un pote dont la mère était anglaise. De ce fait, il allait souvent à Londres et revenait avec des disques (en majorité des 45 tours). C’était aux alentours de 1966, à la fin de la grande époque des Yardbirds. Par ce biais, j’ai découvert Fleetwood Mac, Chicken Shack, John Mayall… Ce dernier était accompagné par de grands guitaristes tels que Mick Taylor, Eric Clapton, Peter Green etc… 
Parallèlement à ça il y avait Mauro Serri qui, comme moi, habitais à Meaux. C’était quelqu’un qui avait déjà complètement assimilé cette musique, aussi bien intellectuellement que techniquement (tiré de cordes, saturation etc…). Il n’était pas beaucoup plus vieux que nous mais il avait déjà le « truc »…Du coup, il a été un modèle pour beaucoup d’apprentis guitaristes de cette région (comme Pat Boudot-Lamot). C’est aussi lui qui, pour la première fois, m’a fait écouter des groupes comme The Allman Brothers Band et de la musique du sud des USA.  
Un jour, chez lui à Saint-Denis, il m’a fait écouter un guitariste dont il trouvait la manière de jouer très intéressante. Il a alors posé un album des Crusaders (sur lequel Larry Carlton tenait la guitare) sur sa platine. Cela a été une véritable révélation pour moi, je me suis dit « oh putain, c’est génial ! ». Ce mec avait la sensibilité et le son du blues mais avec les harmonies du jazz. J’ai eu envie de « creuser » puis, de moi-même, j’ai suivi une voie parallèle à ce qu’il faisait. De leurs côtés, Mauro et Pat sont restés des musiciens de blues… c’est vraiment leur « truc ».Personnellement, j’ai eu envie de faire un tour ailleurs, ce qui ne veut pas dire que j’ai délaissé le blues.  J’ai juste besoin de satisfaire ma curiosité…

Comme tu le disais, tu es un musicien autodidacte. De ce fait, peux-tu revenir sur tes premières expériences de groupes… qui ont probablement affiné ton jeu ? 
C’est en faisant des séances de studio que je me suis rendu-compte de mes limites. J’ai donc souhaité me perfectionner dans la lecture des grilles, comprendre l’harmonie, savoir comment sont organisés les accords, les gammes, les modes etc…  Si, aujourd’hui, je ne me considère pas comme une flèche… je peux me sortir de presque toutes les situations. Cependant, il est vrai que si j’avais commencé plus tôt… je serais probablement plus à l’aise avec tout cela. Quand je vois la manière dont Laurent David ou Jean-Christophe Calvet (respectivement bassiste et batteur du Kajdan Rough Trio, nda) lisent la musique, je suis impressionné. Ils  sont vraiment très rapides !   
Je n’ai pas cette facilité que l’on obtient que si on commence à l’âge de 10 ou 12 ans. Par contre, cela m’a permis de développer le travail de l’oreille… c’est-à-dire l’écoute.   Quand j’ai commencé à faire des séances je lisais mal, donc il fallait que je m’en sorte en essayant de comprendre très vite ce qui se passait. Les séances de studio coûtent cher, si on met les doigts à côté on est vite mis dehors et on fait appel à quelqu’un d’autre. J’ai toujours réussi à me sortir des situations périlleuses même si on ne peut pas dire que j’exerce mon art dans le « pays de la difficulté harmonique », sauf lorsqu’on joue avec un orchestre symphonique. Par exemple, pour jouer avec Eddy Mitchell, cela n’a jamais été un handicap.
Dans ce type de travail, la guitare est utilisée comme un instrument d’accompagnement. Elle a un rôle particulier, elle n’intervient qu’à petites touches et ne donne que des couleurs. La musique est plus souvent à base de claviers sauf, évidement, dans les groupes de rock.
J’ai enregistré mon premier album en 1978 alors que je n’étais pas encore vraiment prêt pour en faire un sous mon propre nom. Je l’ai fait mais je t’avoue que j’ai du mal à l’écouter aujourd’hui car j’entends tous les défauts inhérents à une telle première expérience. Au moins, cela m’aura permis de me tester dans l’univers de l’enregistrement et du studio, car jouer avec un casque n’est pas une chose aisée au premier abord.  
Le fait d’évoluer dans un certain contexte, avec d’autres musiciens, n’est pas évident au niveau de son placement rythmique et sonore. Il faut dire que la guitare est un instrument assez intrusif puisqu’il suffit de monter le volume pour que l’on soit plus fort que tout le monde. Il faut pouvoir se « reposer » sur les autres sans les vampiriser, c’est intéressant…   
Le fait de faire des séances en tant que musicien de studio m’a apporté l’éducation dont j’avais besoin (fonctionnement de l’outil d’enregistrement). C’est une chose qui me sert énormément aujourd’hui, lorsque je travaille pour moi. Sur mon nouvel album, j’ai enregistré moi-même (dans mon studio) tous les musiciens invités. J’ai aussi refait certaines parties de guitare à la maison (pas tout l’album car aucune réverbération ne pourra surpasser la hauteur de plafond des studios, qui permettent de positionner les micros aux endroits les plus judicieux).   Mon nouveau disque a été enregistré aux Studios MidiLive (ex Vogue/Sydney Bêchet) où on a pu réunir tout l’espace nécessaire, l’air qu’il nous fallait et l’ambiance rock que nous souhaitions. On peut aussi enregistrer de façon aseptisée dans un endroit tel que celui-ci (il suffit de mettre la batterie dans une pièce recouverte de moquette et de tenture, avec des micros de proximité et sans aucun micro d’ambiance). Dans notre trio la guitare peut être dominante car c’est cet instrument qui a servi à composer les morceaux. Cependant le son, les fréquences et les harmoniques permettent à chaque musicien de trouver la place qu’il doit s’approprier.
Si le trio n’a pas le son, t’as vite l’air d’un « Mickey » car tu n’as pas de clavier ou de chanteur pour amplifier le truc. Quand tu envoies le boulet au sein d’un trio instrumental, il faut que le son puisse restituer l’intention que tu mets dans ta musique à ce moment-là. Cette intention et le son, dépendent de l’espace dans lequel tu enregistres. De plus Laurent David aime bien avoir son ampli de basse qui sature, un peu comme Jack Bruce à l’époque de Cream. Ce dernier jouait sur une EB3 Gibson qui était la bête noire de tous les amplis. Elle avait un tel niveau de sortie que tous les HP se décentraient. A l’inverse de ce groupe, lors de l’enregistrement, nous n’avions pas les moyens de changer du matériel à chaque fois qu’il cramait. Laurent aime bien quand le son de sa basse rejoint celui de la guitare. On est très loin des subs, des infrabasses et des extrêmes aigues. Nous nous situons dans une bande passante qui est beaucoup moins large en termes de restitution.  Il fallait donc occuper le terrain…jmk

Pour ton retour discographique, pourquoi avoir choisi de monter ce trio instrumental ?  
En dehors d’un album, ma discographie est uniquement constituée d’enregistrements instrumentaux. Je suis à l’aise dans ce registre et, depuis le début, c’est le registre dans lequel je peux le mieux m’exprimer.   
A une époque, j’ai eu envie d’écrire des textes mais sans forcément avoir envie de les chanter. Je m’étais donc mis à la recherche de chanteurs mais sans en trouver. Du coup, le temps d’un disque live (ce qui apportait une difficulté supplémentaire), c’est moi qui ai chanté. Même si je dis des choses avec l’instrument, à partir du moment où tu te frottes aux mots… tu te retrouves confronté à un problème de vocabulaire (lequel utiliser et comment se positionner en tant qu’auteur). La façon dont tu écris et organises les mots donne une image et une couleur. Tu défends un personnage, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Puis, une fois sur scène, il faut veiller à ne pas oublier les textes et tu ne peux pas chanter aussi bien lorsque tu es chanteur-guitare qu’uniquement chanteur. Le cerveau ne peut pas faire deux choses à la fois, ce qui est restrictif pour ta manière de jouer. Au final, cette expérience ne m’a pas apporté beaucoup de plaisir et n’a été qu’une succession de contraintes. Si j’ai mené ce projet à son terme, je ne renouvellerai jamais une telle expérience… sauf ponctuellement. Il vaut mieux laisser cela aux gens qui veulent et savent le faire car, à titre personnel, ce n’est pas une chose importante. Je suis conscient du fait que je l’ai juste fait pour toucher un maximum de monde, mais on ne peut pas se forcer à faire les choses !

Cherches-tu, malgré tout, à faire véhiculer des messages au sein de tes compositions ?  
Tu sais, c’est toujours le grand problème… savoir pour qui on joue. A titre personnel, je n’ai jamais voulu faire de la musique pour les autres. Je me considère comme mon premier public, il faut que je me fasse plaisir. Après, si des gens s’approprient mon « truc », je trouve cela vachement bien… sinon je pourrais rester chez moi.  Pour que je sois crédible auprès de ces gens, il faut déjà que je sois en phase avec ce que je pense. Je ne veux pas être une image ou la représentation de ce que l’on aimerait que je sois. Le leitmotiv de mon nouvel album était de ne me donner aucune contrainte et de partir dans une direction radicale (manière d’enregistrer, choix du trio instrumental, de ne pas mettre de photo sur la pochette…).  J’ai voulu créer un positionnement artistique…  
D’ailleurs, j’aime bien les passerelles entre les différentes formes d’art. C’est pour cela que j’ai demandé à une artiste peintre, que je trouve intéressante, de me proposer l’une de ses œuvres. Dans les années 1980, j’appréciais ce que faisais le guitariste new-yorkais Steve Khan. C’est l’artiste belge Jean-Michel Folon (1934-2005) qui signait ses pochettes. C’était à chaque fois des œuvres très particulières, très aérées et planantes avec des couleurs pastelles et des personnages filiformes et dont les bras ressemblaient à des ailes. A l’époque, la chaine de télévision Antenne 2 avait même demandé à ce mec de réaliser le générique d’ouverture et de fermeture de ses programmes (entre 1975 et 1983, nda), qui représentait des bonhommes bleus s’envolant sur fond de musique mélancolique (signée Michel Colombier, nda). Je m’étais toujours dit que je travaillerai à mon tour avec un artiste de cette trempe.
Puis un jour j’ai rencontré Acko qui, par le plus grand des hasards, habite dans le même immeuble que moi. J’ai vu son travail et lui ai demandé s’il elle avait, parmi ses toiles, quelque chose qui correspondrait à mes envies. Elle a fait mieux que cela car elle m’a proposé de réaliser une œuvre originale tout spécialement pour ce projet.
 Sur celle-ci, j’y suis représenté avec une marinière puisque c’est un vêtement que je porte toujours comme tu peux le constater. Cette artiste, qui a vécu au Viêt Nam, a utilisé des calendriers chinois, des canettes de coca et de bière découpées etc… Le tableau est, à la base, moins contrasté que sa photo sur la pochette.
Un soir, l’été dernier, alors qu’il était posé sur mon canapé… un rayon de soleil s’est mis à l’éclairer d’une certaine manière. J’ai trouvé cela splendide et j’ai pris une pauvre photo avec mon smartphone. Je lui ai montrée en lui demandant si le fait de trouver un photographe, qui pourrait la « shooter » avec ce type d’éclairage, lui poserait un problème. Elle a été formidable et m’a dit que non,  qu’elle trouvait même cette « relecture » géniale. C’est donc Luca Nicolao qui a pris la photo et, en voyant le résultat final, on s’est dit « oh la vache ! ».  Il faut dire que les personnages semblent vraiment sortir du fond et descendre d’un vaisseau spatial, avec leurs cheveux qui font penser à des antennes et à des gens en réception.
C’est une œuvre d’art très inspirée. Chacun peut s’approprier le « truc » comme il l’entend…   J’aime tellement cette représentation que j’ai décidé de ne pas mettre mon nom sur le devant de la pochette. On le retrouve simplement à l’arrière avec la photo du trio. Je tiens à ce que les gens puissent uniquement identifier l’album via son visuel. Cela lui donne beaucoup plus de force…  Avec une telle pochette, ce disque est vraiment bien mis en valeur !

En tout cas, si on ne retrouve pas de chanteur sur ce disque, il y a tout même quelques invités (Sylvain Luc, Greg Zlap…) qui sont venus te prêter main forte. Sur quels critères as-tu sélectionné ces musiciens ?
Je voulais que ce soit un album de guitares, chose que j’assume complètement. Au départ je voulais donc inviter des guitaristes. Il y en a avec lesquels j’avais vraiment envie de partager cette aventure. Offrir quelques minutes de son disque à un autre musicien est un peu un cadeau. C’est une manière de le remercier de t’avoir inspiré à un moment donné. Ils ont tous été très réceptifs…   
Je connais Sylvain Luc depuis très longtemps. Il a sa carrière et son public car c’est un musicien exceptionnel, il aurait très bien pu me dire non, compte tenu de toutes ses occupations. Au contraire, il m’a avoué être touché par ma demande. Olivier Louvel de l’Orchestre National de Barbes et Romane ont eu la même réaction.  
Cela m’a aussi mis la pression car, avec de telles pointures à mes côtés, il fallait vraiment que je sois bon afin de leur offrir un playback harmonique digne de ce nom. Ceci pour qu’ils puissent tous se sentir à l’aise et s’exprimer comme ils le veulent.  
Greg Zlap, en tant qu’harmoniciste, est un peu passé entre les gouttes. Il avait déjà rejoint le trio sur quelques radios et lors d’un concert au Baiser Salé. C’est un mec que j’adore tout comme sa manière de jouer. Il a beaucoup de goût et j’avais vraiment envie qu’il soit là… et ne pas me contraindre parce qu’ il n’est pas guitariste. Au départ, je voulais aussi me contenter d’inviter des artistes de la jeune génération. Je suis rapidement revenu sur cette décision qui m’aurait privé de quelqu’un comme Romane qui a, à peu près, le même âge que moi. J’ai juste gardé le concept de la guitare. C’est d’ailleurs cet aspect qui est mis en avant dans notre démarche promotionnelle. C’est une chose que je n’avais jamais faite auparavant car je ne voulais pas mettre un instrument spécifique en avant en me disant « je suis guitariste, pas musicien ». Il faut dire que je compose parfois aux claviers et que je joue aussi de la batterie et de la basse. D’ailleurs, j’adorerais faire un album de bassiste… 
Du coup, j’ai toujours préféré dire que je suis musicien plutôt que guitariste.   Aujourd’hui, cela ne me pose plus de problème… sachant que l’on peut être guitariste ET musicien (rires) !

La guitare est très présente sur l’un des derniers morceaux de l’album « In a new light –Epilogue 2 », sur lequel tu as regroupé 300 guitaristes différents. Comment cette idée t’est-elle venue ?  
C’est un délire… Ce n’est pas du tout « marketé »…  
En fait, je suis un accroc des réseaux sociaux. J’aime cette possibilité qui est donnée aux gens, d’entrer en contact avec des artistes qu’ils apprécient. Du coup, j’y donne des conseils et y passe une heure et demie par jour.   
Je me suis donc dit qu’il serait bien de faire participer à ce projet tous les gens qui me suivent.   Je voulais que, ceux qui le souhaitent puissent s’investirent à mes côtés, même si je ne les connais pas personnellement. Je ne voulais pas, pour autant, que cela soit contraignant pour eux, au point de les faire se déplacer jusqu’à un endroit précis. Même si cela peut sembler anecdotique et dérisoire, je leur ai donc demandé de me jouer un seul accord. C’est une proposition qui a fait très plaisir à toutes ces personnes et je pensais récolter une cinquantaine de réponses positives… avec dix, j’aurais eu l’air d’un «  Mickey » (rires) ! Au final, j’en ai reçu 320 ou 330… c’est incroyable !
La benjamine n’a que 5 ans, c’est la fille d’un guitariste… je trouve cela très mignon. Il y a aussi un professeur du Conservatoire de Vernon qui en a parlé dans sa classe et qui a recueilli l’accord de tous ses élèves (avec l’autorisation des parents pour les mineurs). Je te laisse imaginer le travail de mixage pour l’ingénieur du son, d’autant plus que certains sols (je cherchais un accord simple et fédérateur) n’étaient pas très justes. Ceci dit, c’est comme dans un orchestre symphonique. Plus il y a de violons, mieux cela sonne car l’effet de masse peut cacher certains défauts liés, par exemple, à un mauvais accordage.  
Pour valoriser ces participants, j’ai eu l’idée de faire apparaitre tous leurs noms sur mon site internet et surtout sur la pochette intérieure du disque.  Le fait de voir son nom imprimé sur un album est toujours gratifiant, c’est une chose qui reste. Pour tirer le « truc » vers le haut, j’ai aussi demandé à des pointures d’y participer. Ainsi, la petite Mélodie qui a 5 ans, voit son nom apparaitre à côté de ceux de Norbert « Nono » Krief, de Louis Bertignac ou de Ben King qui est le guitariste des Yardbirds. Tout le monde est à égalité, je trouve cela génial. Tour le monde a joué le jeu…Quant à moi, j’ai complètement été dopé par la chose. Le fait d’écrire tous ces noms m’a couté très cher mais j’y tenais vraiment, je ne pouvais pas laisser ça en plan. Au final, tous les participants sont contents car ils sont considérés et, de surcroît, ils savent qu’ils ont participé à un projet fédérateur… en voyant que je n’ai pas fait cela pour m’enrichir.  La guitare est fédératrice car il s’agit d’un instrument populaire !

Le titre de l’album « In A New Light » est tiré d’une phrase de John Coltrane, « I’ve found you’ve got to look back at the old things and see them in a new light », pourquoi as-tu décidé de la mettre en exergue ?
J’aime bien cette phrase car elle veut dire qu’il ne peut pas y avoir de futur sans connaissances du passé. C’est, malheureusement, un peu symptomatique de beaucoup de choses qui se passent aujourd’hui. Les musiciens actuels ont beaucoup de chance de pouvoir compter sur les outils informatiques et pédagogiques qui existent. Moi-même, je passe mes nuits sur un célèbre site de partage de vidéos, afin de redécouvrir des sons que j’avais entendus sur vinyle et dont je n’avais jamais vu d’images. Ainsi, j’ai redécouvert l’album « Casino Lights », enregistré lors d’une édition du Festival de Jazz de Montreux. Je connaissais un solo de Robben Ford par cœur mais je n’en avais jamais vu les vidéos. Grâce à internet j’ai vu l’image qui allait avec la musique, c’était un moment très émouvant pour moi. jmk
 Le problème majeur des mômes, c’est qu’ils ne savent pas quoi faire de toute cette info. Ils ont une technique formidable, comme je peux le constater lorsque je donne des master-classes dans les écoles, mais ils ne produisent qu’un copier-coller. Ce sont des paternes qu’ils mettent bout à bout et ils manquent de références. C’est donc une façon de dire que ce n’est pas la peine d’enfoncer des portes ouvertes puisque, le plus souvent, ce qu’ils proposent a déjà été fait par d’autres auparavant. Il vaut mieux s’en inspirer afin de proposer quelque chose de nouveau. Pour moi c’est cela « a new light », une nouvelle lecture de ce qui s’est fait avant. Il faut rester humble par rapport à tout cela car il y a déjà eu les Beatles, Joe Pass, Charlie Christian, BB King, Eric Clapton, Jimi Hendrix, Jeff Beck etc…
Donc restons humbles et essayons de proposer quelque chose de différent en nous inspirant de notre culture. Ce n’est pas la peine d’essayer d’être le nouveau Jimi Hendrix, ça ne sert à rien !   A titre personnel, j’essaye de mettre toutes mes influences dans un shaker et d’en sortir quelque chose qui me soit propre, sans avoir la prétention de dire que c’est original. Ma démarche est simplement d’essayer d’être en phase avec ma façon de penser la musique. C’est-à-dire quelque chose qui soit axé sur le son, la dynamique de jeu, l’improvisation et surtout l’écoute des autres et du temps réel.

Coltrane était à l’avant-garde du jazz. Quels sont aujourd’hui, pour toi, les artistes qui sont à l’avant-garde de la musique ?
Il y en a…. Dans le domaine de la guitare, par exemple, j’admire Scott Henderson, Wayne Krantz qui fait une musique difficile d’accès mais qui est d’une grande richesse. Il y a aussi Oz Noy qui n’est pas encore très connu. C’est un israélien qui est arrivé à New-York il y a quelques années. On commence à beaucoup parler de lui… Son approche instrumentale se rapproche de ce qu’aurait pu faire Robben Ford durant ses périodes instrumentales. Il joue sur une Stratocaster avec un côté un peu plus incisif que Robben Ford, qui garde en lui le son californien très « mélo » à la Larry Carlton. Oz Noy a un truc plus rugueux, plus « rough »… C’est à écouter !  C’est un mec plus jeune que les autres et il a une parfaite connaissance des pédales et des effets. Il s’en sert admirablement bien et d’une façon très intelligente ! 
Après il y a des gens plus âgés qui restent à l’avant-garde, comme Herbie Hancock dont chaque nouvel album reste à la pointe.   Sur un autre plan, je pense  que l’avant-garde est aussi une espèce de mépris vis-à-vis de certains médias, qui ont des pouvoirs décisionnaires sur ce qui va se passer dans ton avenir…

Qu’attends-tu de ce nouveau disque ?
Mon premier espoir est, bien sûr, de pouvoir faire des concerts.
Ce ne sont pas les musiciens qui ont inventé le disque. Ce procédé est simplement un moyen de véhiculer, de manière rapide et internationale (surtout dans le cadre de musiques instrumentales), un travail artistique. C’est une carte de visite géniale qui est, malheureusement, dépassée par le numérique aujourd’hui. C’est encore plus rapide mais le son est loin d’être meilleur…  Si mon objectif n’est pas de vendre des disques à la pelle, j’aimerais simplement ne pas perdre trop d’argent. Ce projet m’a coûté cher… Je suis mon propre patron, mon propre producteur, je compose les morceaux,  je les joue…  En ce moment je mets même les timbres sur les enveloppes afin d’expédier les CD, je fais faire des flyers et m’occupe de les faire distribuer dans les boutiques de Pigalle. En même temps même Scott Henderson, lorsqu’il fait une tournée en Europe, conduit lui-même le camion. Nous avons si peu de structures adaptées pour la promotion que les musiciens sont bien obligés, pour faire bouger les choses, d’aller au charbon. Le but est donc de faire un maximum de concerts afin d’aller à la rencontre des gens et de leur proposer en live une nouvelle lecture de ce qui est gravé sur les disques.

As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Je suis rempli d’énergie et suis en recherche constante de gens qui, comme moi, ont envie de faire des choses. La situation est très compliquée actuellement pour les musiciens, qu’ils enregistrent ou non. C’est très difficile, le plus souvent ils se produisent dans des bars, car tout le monde subit des contraintes budgétaires.
Il faut systématiquement tirer vers le haut, même si les endroits dans lesquels on se produit nous obligent à faire des reprises connues afin de ne pas prendre de risques et de désorienter le public. Les artistes ne doivent, cependant, pas se sous-estimer. Au contraire, c’est à eux de se valoriser pour qu’ils le soient également par les autres. Si on ne se valorise pas soit même, ce n’est pas la personne qui nous programme qui va nous demander de sortir des sentiers battus. C’est à nous de trouver un bon compromis, la balle est dans notre camp, il ne faut pas lâcher prise et baisser les bras.
Il m’arrive aussi, parfois, de me lever le matin et d’avoir envie de tout envoyer balader…  Je suis dans des conseils d’administrations et dans des commissions de sociétés civiles et je sais, de ce fait, très bien que pour faire bouger les choses (ne serait-ce que de quelques millimètres) il faut déployer une énergie incroyable. C’est donc un combat de tous les jours mais, lorsqu’on a des convictions et qu’on est prêt à se battre contre ou à côté des bonnes personnes… il faut y aller !  C’est très difficile et le numérique peut être une issue pour nous les « petits artistes non bankables ».  
Ceci dit, la démarche reste identique et sans attaché de presse on ne peut pas se démarquer. Il faut dire qu’actuellement tout le monde sur-communique, y compris pour des non-évènements. Aujourd’hui, si on s’absente une journée de Facebook ou de Twitter on meurt numériquement. C’est ce qu’il m’est arrivé lorsque j’ai modifié mes pages respectives. Du coup, des gens m’ont envoyé des e-mails en me demandant où j’étais et si j’avais disparu. Pendant 48 heures, j’étais donc mort numériquement…Des personnes pensaient que je les avais « blacklistées » et ça a pris des proportions énormes. J’ai été obligé de répondre aux gens pour les rassurer, c’était incroyable…Il y a le virtuel et il y a le réel. Il ne faut pas tout mélanger… et utiliser les bonnes passerelles qui existent entre les deux. Pour un musicien, le plus important sera toujours de se produire sur une scène et de pouvoir s’adresser au plus grand nombre, avec sa propre forme d’expression musicale…

Remerciements : Chantal du magasin « La Pédale » (boutique mythique de Pigalle, courue par tous les guitaristes) pour son accueil et le prêt de son bureau, Lionel Aknine (AK9 Promotion).

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Interview réalisée au
Magasin La Pédale
le 22 mars 2013

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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de
David
BAERST
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