Nda : La France n’a jamais été avare en musiciens de talents et en session men respectés. Des soldats de l’ombre qui, à eux seuls, savent magnifier des morceaux qui contribuent à la renommée des artistes qui les interprètent. Parmi eux figure Jean-Yves D’Angelo, fin pianiste de formation classique, qui s’est rapidement engouffré dans l’univers du rock’n’roll et du blues avant de devenir l’inséparable accompagnateur de grands noms de la chanson française. En plus de cela, ce virtuose a également composé une bonne quinzaine de musiques de longs-métrages, presque autant de B.O de films de télévision et de séries documentaires…sans omettre d’enregistrer des albums sous son propre nom. Après 40 ans de carrière, 4 Victoires de la Musique (et même une paire de 7 D’Or), le musicien continue de tracer avec succès un itinéraire qui n’en fini pas de l’emmener vers les sommets. C’est, par exemple, en compagnie de Michel Jonasz (pour les concerts « Piano-Voix) qu’il sillonne depuis 4 ans la plupart des salles de France et de Navarre. Toujours « Unis Vers L’uni », les deux hommes ont récolté un nouveau triomphe le 26 mai 2018, à la Salle de Spectacles Europe à Colmar. C’est là, dans sa loge et juste avant les balances, que Jean-Yves D’Angelo m’a reçu afin de revenir sur son parcours...
Jean-Yves, tu es issu d’une famille de musiciens et tu as suivi de brillantes études dans un registre classique. Cependant, ce sont tes travaux au sein de la scène blues française, ou du groupe Magnum, qui t’ont fait connaitre auprès d’un public de connaisseurs en musiques américaines. Comment es-tu passé d’un registre à l’autre ?
Avec ma famille, nous habitions dans une cité H.L.M assez semblable à celle où se trouve la salle dans laquelle nous enregistrons cet entretien. J’avais, effectivement, fait des études de piano classique… L’été, nous jouions fenêtres ouvertes et, un jour, un groupe de mecs est monté frapper à notre porte. La moyenne d’âge des gens qui constituaient cette bande devait être de 18 ans alors que, pour ma part, j’en avais 14 ou 15. Ces derniers m’ont dit qu’ils avaient formé un groupe de rock et m’ont proposé de les rejoindre. Comme je n’avais jamais fait cela de ma vie, ils m’ont filé la partition du morceau « A whiter shade of pale » du groupe Procol Harum. Je l’ai déchiffrée et ils m’ont engagé dans la foulée. Je me suis donc retrouvé membre d’un combo à l’âge de 14 ans, aux côtés de mecs qui étaient déjà des adultes. Je me souviens que nous répétions chez un curé. Chez ce dernier, il y avait un orgue, mais aussi un ampli de guitare. Il s’agissait là de ma première relation avec une musique autre que le registre classique. Il s’agissait du rock de l’époque et nous reprenions des titres de nombreux groupes tels que Led Zeppelin, Deep Purple…ainsi que des standards d’Eddie Cochran ou d’autres. J’ai donc été baigné dans ce milieu alors que j’étais très jeune. C’est devenu ma deuxième culture même si, par la suite, j’ai été amené à aborder de nombreux registres différents en tant que musicien de studio. J’ai donc côtoyé d’autres musiciens auprès desquels j’ai appris à jouer du jazz, de la musique des Caraïbes etc. En conclusion, ma vraie base professionnelle est le rock. D’ailleurs Michel Jonasz, avec qui je suis actuellement en tournée, le dit sur scène. Nous possédons tous les deux les mêmes racines qui sont le blues et le rock.
Durant tes études tu as, évidemment, acquis une grande technicité. Est-il facile pour un musicien, de formation classique, d’acquérir le feeling propre au blues ou au rock ?
Ce sont des univers très différents. L’avantage d’avoir pu jouer du rock très tôt m’a amené à côtoyer des gens qui m’ont fait écouter des disques. Ces derniers ont complètement contribué à ma formation de musicien. Je possède donc une formation classique (technique, solfège etc.) et une formation autodidacte pour le reste…car personne ne m’a jamais appris à jouer du Jerry Lee Lewis. J’ai appris le rock’n’roll à l’oreille, en écoutant des albums.
Te souviens-tu des premiers pianistes de blues ou de boogie-woogie qui t’ont marqué ?
J’aimais beaucoup Jerry Lee Lewis qui était, davantage, estampillé rock que blues. Je n’ai appris le blues que bien plus tard, vers la fin des années 1970 lorsque j’ai rencontré les musiciens avec lesquels j’ai formé le groupe Magnum. Il s’agissait de Patrick Verbeke (guitares), Jacky Chalard (basse) et Jean-Pierre Prévotat (batteur, également membre du groupe Triangle). Patrick Verbeke était le vrai bluesman de la bande. D’ailleurs il l’est toujours et je reste en contact avec lui. Je me souviens que lors de nos tournées, il lui arrivait de sortir son Dobro et de chanter des trucs auxquels je ne comprenais rien. J’ai donc appris à travers lui, avant de travailler avec Jean-Jacques Milteau qui est devenu l’harmoniciste que nous connaissons tous. Lui aussi m’a fait découvrir cette musique et m’a fait écouter des choses. Je viens donc davantage du rock que du blues qui a été une musique que j’ai découvert plus tardivement. Cependant, aujourd’hui, mon cœur balance équitablement entre ces deux registres.
Cette connexion avec (notamment) Patrick Verbeke t’a conduit à fréquenter l’équipe Big Beat Records et à accompagner Vince Taylor. Peux-tu revenir sur cette expérience ?
Vince Taylor était une véritable icône du rock de l’époque… Je l’ai découvert alors que je ne connaissais pas très bien ses chansons. C’est par l’intermédiaire de Jacky Chalard, le fondateur du label Big Beat Records, que j’ai joué avec lui. A cette époque, Vince n’était pas dans un très bon état. Cependant, il lui arrivait d’avoir des fulgurances sur scène. Dans ces moments là, il bougeait comme à la grande époque et ça devenait un vrai délire. Nous avons fait quelques dates tous ensemble et, quelques années plus tard, j’ai reçu un coup de téléphone chez moi. C’était le propriétaire d’un restaurant de la Rue Mouffetard. Il m’a annoncé que Vince était présent dans son établissement et qu’il le nourrissait. En échange, il souhaitait que l’artiste chante. De ce fait, il m’a sollicité pour que je l’accompagne. Je lui ai répondu que je n’avais pas le temps et le restaurateur m’a répliqué que, de ce fait, il allait le virer. Du coup, j’y suis allé malgré tout et je me suis retrouvé à accompagner Vince un ou deux soirs par semaine afin qu’il puisse bouffer. C’est dire s’il était alors dans une passe difficile. Par la suite, j’ai croisé pas mal de copains pianistes qui l’ont aussi accompagné et il les appelait systématiquement Jean-Yves (rires). Il avait complètement « buggé ». C’est un personnage que j’ai beaucoup aimé… Franchement, c’était un mec très touchant même s’il était un peu à l’ouest.
Tu es, rapidement, devenu un session man très recherché au sein du spectre musical français. Parmi des dizaines de collaborations prestigieuses je retiens, plus particulièrement, ton travail aux côtés d’Eddy Mitchell et de Michel Jonasz. Que représentent ces deux artistes à tes yeux ?
Je suis content que tu cites ces deux artistes car ils sont très importants pour moi. C’est avec eux que j’ai intégré le « haut niveau ». En effet, après avoir joué avec Jean-Jacques Milteau j’ai rejoint Bill Deraime qui, au départ, était un « petit chanteur ». Nous ne nous produisions alors que dans des petits clubs… C’est le groupe de ce dernier qui a été choisi afin d’accompagner Eddy Mitchell à l’Olympia en 1980. Je me suis donc retrouvé sur cette scène mythique pour ce qui reste une expérience très marquante. A la suite de cela, j’ai continué avec Eddy. Cependant, Michel Jonasz (que j’aimais déjà beaucoup car j’essayais de m’ouvrir à de nouvelles musiques) m’a contacté parce qu’il m’avait vu en concert avec Bill Deraime ainsi qu’avec Eddy dont il partageait le producteur pour ses tournées. Cela m’a, particulièrement, fait plaisir car il a toujours été mon chanteur français préféré… Je me suis donc mis à enchainer les concerts auprès de ces deux artistes, c’était sans fin ! J’étais jeune et je me produisais aux côtés de mes deux chanteurs français préférés. J’estime que j’ai eu beaucoup de chance…
Es-tu toujours en contact avec certains musiciens que tu as connus auprès de Bill Deraime (Mauro Serri…), avant que vous ne vous retrouviez à travailler ensemble pour Eddy Mitchell ?
Nous ne nous voyons pas beaucoup car nous ne tournons pas forcément dans les mêmes circuits. Je joue beaucoup avec Michel Jonasz, ainsi qu’avec Eddy de temps en temps. J’ai, également, eu le privilège de faire Les Vieilles Canailles avec Johnny et Dutronc… Je sais, par exemple, que Luc Bertin se produit dans des clubs et participe à des festivals de blues ou de country music. Donc nous nous croisons mais c’est, malheureusement, trop rare. Nous nous aimons beaucoup et nous nous respectons beaucoup d’un point de vue artistique. Je croise davantage le batteur Christophe Deschamps puisqu’il a également participé à l’aventure des Vieilles Canailles. Bien sûr, il m’arrive toujours de voir Jean-Jacques Milteau. Grâce à Facebook, j’ai pu reprendre contact avec Patrick Verbeke. Il a eu un problème de santé et était bloqué chez lui pendant un long moment. Aujourd’hui, nous nous envoyons des choses à écouter et je prends des nouvelles de son fils Steve qui est un excellent harmoniciste de blues. C’est vraiment sympa !
Puisque nous parlions de Michel Jonasz, nous allons nous attarder sur son « cas » puisqu’il t’a permis de côtoyer d’illustres musiciens internationaux (Steve Gadd, Abraham Laboriel…). Quelle était l’approche de ces immenses instrumentistes face aux artistes français que vous êtes ?
Michel m’avait demandé de réaliser un album qui a été enregistré à Los Angeles (« Où Est La Source », WEA 1992, nda). En évoquant les musiciens qu’il aimait beaucoup, il s’est mis à me parler de Steve Gadd et d’Abraham Laboriel dont j’étais un grand fan, puisque j’avais écouté toutes ses sessions des années 1980 (avec Al Jarreau et bien d’autres). Je lui ai dit que s’il pouvait les avoir, ce serait un rêve de réalisé en ce qui me concerne. C’est ce qui s’est passé et j’ai eu le bonheur de les diriger en studio, à Los Angeles. Comme tous les américains, ils sont très professionnels. Etant le directeur musical du projet, ils m’écoutaient attentivement et faisaient ce que je leur disais de faire. Bien que relativement introverti, Steve Gadd est formidable. Abraham Laboriel est, quant à lui, très rigolo. Il parle français, ce qui nous a permis de créer un lien plus rapidement. C’est un souvenir extraordinaire car il n’est pas donné à tout le monde pour pouvoir jouer avec de tels musiciens. C’était une très belle expérience. Ces années 1990, aux côtés de Michel Jonasz, resteront à jamais gravées dans ma mémoire…
Il y a 4 ans, avec Michel Jonasz, vous avez lancé le spectacle « Piano-Voix » qui est quasiment devenu une espèce de « Never Ending Tour » à la Bob Dylan. Vous arrive-t-il encore de vous surprendre sur scène, voire de vous faire des private jokes sans que le public s’en aperçoive ?
Pour ce qui est de la genèse de ce spectacle, Michel m’a appelé il y a 5 ans en me proposant d’essayer un concept piano-voix…puisqu’il ne s’était jamais lancé dans une telle configuration auparavant. J’étais assez indécis car j’avais peur que nous nous ennuyons ou que le public s’en lasse rapidement. Je lui ai donc proposé de faire un essai et, dès le premier concert, nous nous sommes rendu compte que cela allait être une aventure extraordinaire. Je pense qu’il s’agit de l’un des plus beaux spectacles que j’ai pu faire dans ma vie. Nous y revenons à l’essence même des chansons qui ont été composées de cette manière. Je suis donc le seul instrumentiste sur scène, alors que Michel est seul avec sa voix. Il en résulte un dialogue constant et un aspect musical que j’adore. Puisque tu parles de private jokes, il faut savoir que Michel possède un solide sens de l’humour. Il écrit des sketchs qui agrémentent chacune de nos prestations. Nous en sommes à la Saison 3, avec un répertoire qui évolue au fil du temps. Nous laissons, également, la part belle à l’improvisation. Nous sommes tellement rodés que je peux, maintenant, me permettre de lui faire des blagues sur scène. Nous sommes libres et fascinés par les réactions du public. Ce concept est vraiment « flottant », c’est incroyable…il faut que vous veniez tous ! Je pense que nous en avons encore pour une année et, après, je ne sais pas ce que nous ferons. Parallèlement à ce duo, nous avons monté quelques dates en compagnie du batteur Manu Katché et du contrebassiste Jérôme Regard. Cela nous permet de diversifier les plaisirs et d’aborder un nouveau répertoire en formule quartette. C’est tout aussi agréable et, en plus, j’ai retrouvé mon vieux pote Manu avec lequel j’ai partagé beaucoup d’expériences musicales dans les années 1980. Avec l’apport de Jérôme Regard, nous pouvons dire que nous avons une rythmique de feu…
Pour former ce duo, vous êtes-vous inspirés de celui qui était formé par Maurice Vander et Claude Nougaro dans la première partie des années 1990 ?
C’est marrant que tu dises cela… C’est, en effet, la crainte que j’avais. J’avais vu ce spectacle (« Une Voix Dix Doigts », nda) qui, pour moi, était un summum de musicalité. C’était incroyable car la symbiose était parfaite entre Vander et Nougaro. De ce fait, quand Michel m’a proposé ce projet j’ai immédiatement eu cette image en tête. Je me suis dit que je ne pouvais pas me comparer à cela, tant Maurice Vander était un pianiste extraordinaire. Cela m’a même fait un peu peur… Puis, avec le temps, je me rends compte que j’ai l’impression de bien jouer lorsque je suis avec Michel. Ça « matche » bien entre nous ! C’est l’ensemble de nos personnalités qui nous permet d’obtenir un tel résultat. Sincèrement, nous ne pouvons pas dire que nous nous sommes inspirés de Maurice Vander et Claude Nougaro mais je dois t’avouer que j’ai beaucoup pensé à eux lorsque le concept « Piano-Voix » est né. C’était tellement beau…
Après toutes ces années passées sur tant de scènes, tu as du vivre des moments très forts. Quels sont ceux que tu pourrais qualifier d’exceptionnels et qui te resteront à jamais en tête ?
J’en ai, évidemment, pas mal. Je me suis fait plaisir avec beaucoup de gens. Le spectacle « Piano-Voix », s’il est le plus récent, peut déjà être qualifié d’exceptionnel. Je conserve, également, des souvenirs de plein de concerts d’Eddy Mitchell qui étaient formidables. Bien sûr, Les Vieilles Canailles demeure un souvenir particulier et très fort émotionnellement avec Johnny qui était malade. C’était très intense… Je conserve aussi de bons souvenirs des moments passés avec Bill Deraime que, bizarrement, je n’ai jamais revu depuis. C’était mes premières scènes blues avec des participations à de gros festivals où la communion avec le public était très forte. Je n’ai fait que quelques dates avec Alain Chamfort, que je considère comme un très bon compositeur, et je me suis régalé… Comme tu parlais de Steve Gadd et d’Abraham Laboriel, je tiens aussià évoquer cette période de la carrière de Michel Jonasz (dans les années 1990) qui était très intéressante. Cependant, comme je vis au jour le jour, je ne peux que t’affirmer que ce spectacle « Piano-Voix » est mon préféré…
Nous n’allons pas omettre d’évoquer ta carrière sous ton propre nom, puisque tu as enregistré quelques disques sous ton patronyme. Parmi ceux-ci, il y a « Tee Blues » auquel tu dois l’une de tes Victoires de la Musique. Souhaiterais-tu, à nouveau, proposer quelque chose de personnel dans l’avenir ?
Je me suis posé la question… Si je suis aussi bien à l’aise sur scène qu’en studio, il faudrait que je trouve une idée qui soit intéressante. De pianistes qui jouent bien ou mieux que moi, il y en a beaucoup… Je pense donc que je le ferai si j’ai une idée qui tient la route. Il faut, simplement, que je trouve le concept. Depuis 5 ans, avec Michel, nous sommes très pris. Nous devions enregistrer son nouvel album et nous n’avons toujours pas pu le commencer. C’est dire si le temps me manque… Ceci dit, fort de cette expérience « Piano-Voix », je pense que c’est plutôt un concert sous mon propre nom que j’aimerais faire. De toute façon, aujourd’hui, le disque est devenu l’instrument promotionnel des concerts. Bref, par rapport à avant, c’est devenu l’inverse…J’aimerais, en toute humilité, trouver le concept d’un petit spectacle. J’y pense actuellement…je te ferai signe (rires) !
Avant cet entretien, je t’avais promis de ne pas dépasser les 15 minutes et je vais m’y tenir ! De ce fait, puis-je te demander une conclusion…y’a-t-il quelque chose qui te tienne à cœur et que tu souhaiterais ajouter ?
J’ai commencé ma carrière professionnelle à l’âge de 17 ans avec les gens que tu citais…ceux du groupe Magnum. Aujourd’hui, j’en ai 40 de plus… J’ai abordé des tas de styles différents et, comme Michel Jonasz, je reste passionné par la musique. Elle est toujours en nous. Nous ne faisons pas du show business, nous faisons d’abord de la musique. Même si nous montons de gros spectacles, il faut rester animer par notre art et lui « donner à manger ». Il faut nourrir sa passion pour que tout se passe pour le mieux. Je ne m’emmerde jamais en faisant mon métier. Je suis toujours heureux sur scène. J’espère que les jeunes musiciens pourront entendre cela. Il faut prendre la musique avec sérieux…Je suis, souvent, consterné. En effet, j’ai des amis qui travaillent dans des maisons de disques et je vois, à travers eux, que la production française ne se résume plusqu’au fait de faire des coups. Ce n’est pas comme cela que ça marche. A titre personnel, je ne me suis jamais dit « Tiens, je vais essayer de faire marcher quelque chose ». Au contraire, c’est la musique qui me dit comment jouer. C’est un peu mystique mais j’y crois (rires) !
www.jeanyvesdangelo.com
|
|
Interviews: |