Jeffrey Lewis
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Nda : Touche à tout de génie, né en 1975 à New-York, Jeffrey Lewis est un chanteur-guitariste, songwriter et auteur de bandes dessinées appartenant au mouvement anti-folk américain. Sa carrière, débutée en 1997, est déjà riche de plus d’une vingtaine d’albums et EP’s (auxquels il faut ajouter une dizaine de singles) et d’autant de comics. Malgré cette œuvre conséquente, le jeune homme trouve régulièrement le temps d’aller à la rencontre de ses admirateurs européens. De ce fait, il donne inlassablement des concerts accompagné par deux musicien(ne)s dont le nom de groupe change aussi régulièrement que les artistes qui le composent. C’est juste après un soudcheck, et une dizaine de minutes avant de monter sur scène, qu’il a accepté de répondre aux quelques questions qui suivent…

Pete Seeger vient de nous quitter en ce début d’année 2014 (le 27 janvier à l’âge de 94 ans). Cet artiste a-t-il exercé une influence sur toi ?
 Oui, Pete Seeger était un personnage important pour l’ensemble de ma famille. Tout le monde (qu’il s’agisse de mes parents, grands-parents ou oncles) a pris part au mouvement folk de son époque et aux questions sociales qui en découlaient. Il était une figure importante pour tous les gens possédant, alors, une sensibilité politique portée vers la gauche. Ceci, plus particulièrement, au sein de la gauche new-yorkaise…Il était un véritable héros pour ma mère… et pour tous les autres !66

Tu es originaire de New-York. Peux-tu me parler de l’ampleur actuelle de la scène folk dans cette ville ?
 Aujourd’hui, New-York City est une ville où se croisent 10 millions de personnes. Chaque jour, tu peux y découvrir de nombreuses musiques issues de tous les genres. Cela va du jazz au rap, en passant par la techno, le punk et bien sûr la folk music. Ce dernier genre ne représente qu’une partie de la scène locale et on y trouve toujours différents clubs spécialisés dans ce domaine.Depuis quelques années, il y a un regain d’intérêt pour le mouvement folk traditionnel. Beaucoup de gens se remettent à porter des bretelles et des vieux vêtements. Ils jouent de la mandoline et des instruments de ce type. Ce n’est pas vraiment la scène dont je me sens le plus proche…Tu sais, il se passe toujours beaucoup de choses à New-York mais je ne me considère vraiment pas concerné par le type de folk que l’on y retrouve aujourd’hui. Il est beaucoup trop traditionnel à mon goût, avec tous ces violons, ces mandolines et ces manières de chanter qui sont, pour moi, trop ancrées dans les origines de cette musique…

Tu es donc issu du mouvement anti-folk. Qu’évoque exactement ce terme pour toi ?
 Toute personne se produisant régulièrement au SideWalk Café depuis les années 1990 s’est, automatiquement, vu affublée de cette étiquette. Qu’il s’agisse de moi-même, du groupe The Moldy Peaches ou encore de Regina Spektor, nous avons tous ce qualificatif qui nous colle à la peau. Pourtant si tu écoutes la musique de cette dernière, tu te rends compte qu’elle est très différente de la mienne ou de celle de Nellie McKay qui est devenue très populaire aux USA et qui est aussi considérée comme une figure emblématique de la scène anti-folk. Ceci, tout simplement parce que nous avons tous joué au SideWalk Cafe... C’est dans ce lieu, que nous avons tous « grandi » et que toutes nos personnalités sont entrées en contact. Il n’y a pas vraiment d’autre raison ou de définition à donner à ce mouvement. Pour moi, ce terme décrit tout simplement une manière nouvelle d’aborder le travail d’écriture d’une chanson et de la manière de l’enregistrer par la suite…

Lorsque tu as commencé à jouer de la musique. Quels sont les artistes et les disques qui ont eu le plus d’impact sur toi ?
De manière définitive, je te réponds Daniel Johnston. Il est probablement l’artiste le plus important à mes yeux. Il a changé mon regard sur ce qu’est la musique et sur ce qu’une chanson et un enregistrement doivent être. Il a donné sa propre définition à toutes ces choses. Personne avant lui n’avait autant marqué mon esprit. Il a été l’élément le plus important en ce qui concerne mon façonnage musical. Avant lui, c’est Donovan qui m’a donné envie de jouer de la guitare par le biais de ses premiers disques qui étaient acoustiques. Je pense notamment à l’album « Fairytale » paru en 1966 et à quelques autres de cette veine. Le groupe de folk psychédélique Pearls Before Swine est aussi très important à mes yeux…Tout cet éventail musical m’a permis de forger le style qui est aujourd’hui le mien. A mes débuts, j’écoutais des arrangements de cordes, des musiciens spécialistes du finger-picking et d’autres guitaristes dont les sons peuvent être revisités à ma sauce au sein de mes propres enregistrements. Dans les disques des artistes que je viens de citer, j’ai pu puiser les fondations de ce qu’est devenue ma manière de jouer de la guitare. Parmi les artistes plus récents, je tiens également à évoquer Mike Rechner qui est le guitariste du groupe Prewar Yardsale. Lui aussi a fait évoluer mon concept ! Il est pour moi la dernière pièce du puzzle car il a su m’orienter sur ma manière de me servir d’une pédale de distorsion avec une guitare acoustique. Grâce à lui, j’ai pu comprendre que tu peux tout faire à partir de deux cordes et d’une pédale de distorsion (une fois allumée, une fois éteinte).Tout ce qui tourne autour du rock’n’roll, de la folk music ou du mouvement punk a ce pouvoir de se reposer sur des éléments basiques. C’est la simplicité qui fait le charme de ces musiques. Mike Rechner est quelqu’un de simple, qui utilise la même guitare et la même pédale de distorsion depuis de nombreuses années. Il a vraiment eu une influence notable sur mon style actuel.

Tu évoquais Daniel Johnston, quels sont les relations que tu entretiens avec lui ?
 La première fois que j’ai entendu la musique de Daniel Johnston, c’était au milieu des années 1990 alors que j’étais étudiant au Purchase College… ce devait être en 1996 ou quelque chose comme ça…Auparavant, j’étais un grand fan de Syd Barrett. J’adorais les premiers enregistrements de Pink Floyd, lorsqu’il était membre de ce groupe. J’avais lu, dans des revues musicales, que Daniel Johnston était considéré comme une version américaine de Syd Barrett. De ce fait, je me suis intéressé à lui et j’ai écouté son album « Fun », qui est devenu très important pour moi et pour mon frère Jack (qui est également musicien et poète, nda). Nous nous sommes mis à écouter ses premières cassettes puis Jack a mis la main sur le dernier album de Daniel Johnston et Jad Fair (artiste culte de la scène underground new-yorkaise, nda). Un disque réunissant musique et art visuel… Je l’ai trouvé fantastique, très drôle, créatif et à la fois très beau et sale. Daniel Johnson est donc devenu, pour moi et pour mon frère, notre plus grand héros. Puis j’ai, à mon tour, commencé à faire de la musique et à enregistrer. En 1999, j’ai eu la chance de pouvoir, pour la première fois, partager la scène avec lui au Sidewalk Cafe. Il n’avait pas joué à New-York depuis une dizaine d’années et c’était le concert de son grand retour dans cette mégapole. Il y avait beaucoup de ses fans et ce moment reste un grand souvenir pour moi. Par la suite, j’ai souvent rejoué avec Daniel Johnston au fil des ans. Que ce soit en Angleterre, en France et en Amérique bien sûr. Il ne se souvenait jamais de moi, bien entendu, car son esprit est toujours à « un autre endroit »… Son frère Dick est vraiment très gentil et il joue un rôle très important à ses côtés (il est notamment son manager, nda). De plus, les dessins de Daniel m’impressionnent également beaucoup…

Comme Daniel Johnston (qui est dessinateur et qui s’est lancé tardivement dans l’art du comics en 2012 avec « Space Ducks »), tu es un dessinateur de bande dessinée. Pour toi, y-a-t-il beaucoup de différences entre le fait d’écrire une chanson et un tel ouvrage ?66
Oui, pour moi une chanson est plus immédiate et me viens plus naturellement à l’esprit. Mes bandes dessinées me prennent plus de temps de réflexion… c’est un travail de plus longue haleine qui me demande beaucoup plus de patience.

La France est un pays qui regorge de talents en ce qui concerne la bande dessinée. Connais-tu beaucoup d’auteurs français dans ce registre ?
 Je connais Lewis Trondheim et me suis intéressé aux publications de la maison d’éditions L’Association. Sinon, bien évidemment, tout le monde connait Moebius et les artistes issus de la revue Métal Hurlant. Cependant, je sais qu’il y a beaucoup de dessinateurs français de grand talent que je ne connais pas encore. C’est une scène énorme dont la plus grande partie me reste encore inconnue… et que j’espère découvrir rapidement.

Aujourd’hui, tu es signé sur le label Rough Trade Records. Comment cette connexion s’est-elle opérée ?
 En 2000 ou 2001, Rough Trade Records a souhaité signer certains artistes de New York qui commençaient à avoir du succès et à se forger une petite notoriété comme The Strokes, The Moldy Peaches etc… Ce sont d’ailleurs les membres The Moldy Peaches qui ont conseillé à Rough Trade de s’intéresser à moi. J’ai donc, à sa demande, envoyé une cassette à ce label qui a fini par me proposer un contrat. Je considère cela comme une grande chance pour moi et je remercie vraiment le groupe The Moldy Peaches pour sa générosité.

Qu’aimes-tu évoquer à travers tes chansons ?
 Je crois que je ne cherche pas à évoquer quelque chose en particulier. Les chansons viennent à moi de manière spontanée et reflètent du moment présent. Je ne m’inquiète pas de savoir ce que je vais écrire, rien n’est prémédité…

Quels sont tes projets ?
Je travaille sur une nouvelle édition de quelques-unes de mes anciennes bandes dessinées. Des BD qui datent des années 1998, 1999, 2000 et2001. Je tiens à les réimprimer afin de pouvoir les proposer dans la meilleure des qualités qui soit.

Tiens-tu à ajouter une conclusion à l’attention de tes admirateurs français ?
Merci d’être toujours fidèles aux rendez-vous de mes concerts depuis tant d’années ! Cela fait maintenant douze ans que je tourne régulièrement dans ce pays et que j’y reçois systématiquement un très bel accueil. Les gens sont formidables ici et ils font preuve d’un véritable intérêt pour mon travail. Ils me suivent fidèlement de concert en concert… C’est très gentil et je considère cela comme une relation intime entre nous… J’adore venir en France !

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Interview réalisée
au Libellule Café
à Colmar
le 3 février 2013

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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