Nda : Inspiré par des faits réels et de nombreuses rencontres, l’album « Drugstore » de Jewly est emprunt d’émotion(s). Les 10 plages qui le constituent (relevées par le talent de pointures musicales issues des scènes anglo-saxonnes et françaises) narrent des histoires de stars et de gueules cassées. Celle de Melody Gardot (vedette internationale de la chanson, miraculée d’un grave accident), ou celle d’un clochard qui a un jour sauvé un enfant après avoir hésité, de peur de devenir un héros provisoire…ne parvenant pas à gérer le fait de retrouver sa triste situation quotidienne (et qui, au final, a regagné l’estime de lui-même grâce à cet enfant), ou encore celle de ces gamins déjà blessés par la vie (un frère et une sœur, invités à danser sur scène sans que Jewly sache, à ce moment-là, qu’ils venaient d’être séparés d’un père extrêmement violent).
Un disque qui bouleverse l’auditeur et qui, au fil des écoutes, devient addictif. En tout cas presque autant que la personnalité de Jewly, dont l’aura est chargée d’humanité, d’intelligence et…de féminité. Des éléments qui étaient, bien sûr, présents lors de la venue de l’artiste dans l’émission Route 66 le 12 juillet 2017…
Jewly, afin de débuter cet entretien, peux-tu revenir sur ton premier souvenir lié à la musique ?
Je me souviens du violon de mon grand-père…En effet, c’est cette personne qui m’a donné goût à la musique. Forcément, par le biais de cet instrument, j’ai été dans un premier temps confrontée au registre classique…
C’est, d’ailleurs, le premier instrument que tu as pratiqué. Est-ce ton grand-père qui t’en a enseigné les rudiments ?
Non mais c’est lui qui, un jour, ma offert son alto alors que j’étais toute petite. J’en ai joué pendant 2 ans, puis j’ai switché naturellement sur le violon. J’en ai pratiqué jusqu’à mes 15 ans…donc cet instrument m’a longuement accompagnée. Malheureusement, par faute de temps, je l’ai mis de côté mais j’aimerais bien m’y remettre…
Le violon est un instrument très riche, utilisé dans de nombreux registres musicaux. As-tu été, de ce fait, rapidement confrontée à d’autres styles ?
Quand on entend ce que je fais aujourd’hui, il peut sembler surprenant d’apprendre que j’ai commencé la musique par le violon. De par mes parents et mes grands-parents, mon éducation musicale a pris forme dans des domaines diamétralement opposés au rock, au blues et au jazz. Ma famille était, en effet, davantage immergée dans la variété française ainsi que dans la musique classique. J’ai eu une révélation, lors de mon adolescence, alors que je me trouvais dans un magasin de musique très connu. A une borne d’écoute, je suis tombée sur un CD de Janis Joplin (je m’étais, alors, déjà immergée dans le jazz) et j’ai découvert sa version de « Summertime » de cette dernière. Le choc a été grand et je me suis dit « Ok, pour moi la musique c’est cela ! ». A partir de ce moment-là, je me suis intéressée à d’autres univers musicaux et j’ai ouvert une vanne…que j’ai bien fait d’ouvrir (rires) !
Du jazz à Janis Joplin, tes goûts musicaux se sont donc affinés à cette période. As-tu, par exemple, cherché à « creuser » jusqu’à retrouver les sources d’influences de Joplin ?
Pas spécifiquement les sources d’influences mais, plutôt, la personnalité de cette artiste. Son parcours cabossé par exemple… Elle m’a rendue consciente de ce qu’est vraiment un artiste et, petit à petit, j’ai commencé à me construire musicalement parlant. L’étape fondamentale, en ce qui me concerne, a été la scène où j’ai débuté par le jazz. Puis, j’y ai rapidement interprété mes premières compositions. Cet élément a été, mon « appel du rock » et a créé en moi un besoin de faire quelque chose d’encore plus viscérale et de plus écorché.
Est-ce parallèlement à ta découverte de Janis Joplin, puis de tes premiers concerts, que tu t’es lancée dans l’apprentissage de la guitare ?
Oui, d’autant plus que le fait de chanter et de jouer simultanément du violon n’est pas une chose évidente (rires) ! Je souhaitais absolument utiliser un instrument qui me permette de pousser ma voix, tout en jouant… Il fallait, également, qu’il soit facilement transportable. J’ai donc choisi la guitare et, si je suis consciente de ne pas avoir le niveau d’un grand instrumentiste en la matière, j’ai ainsi pu m’accompagner au chant.
A partir de quand Julie est-elle devenue Jewly, l’artiste que nous connaissons aujourd’hui ?
Si on m’avait dit, il y a 3 ou 4 ans, que j’allais faire du chant mon métier…je ne l’aurais pas cru. C’était une chose inconcevable pour moi… Je me suis cherchée musicalement, j’ai essayé de trouver mon univers. J’ai avancé pas à pas jusqu’à sortir un premier album, « Behind The Line » (2009), sous mon vrai nom (Julie Claden, nda). Ce disque ne se situait absolument pas dans l’univers musical qui est le mien aujourd’hui. Progressivement, la scène m’a amené un côté rock et m’a musique a « bifurqué ». J’ai pris une direction beaucoup plus anglo-saxonne, à la fois rock et bien axée blues.
Au départ, je voulais conserver mon véritable patronyme pour faire carrière. Cependant, une personne très proche de moi m’a, un jour, envoyé un courriel. Sur ce dernier, elle m’a écrit « ça va Jewly ? ». Cela m’a parlé… Ce terme est proche de mon véritable prénom et il représente un trait d’union avec une chanteuse qui s’appelle Jewel. Cette dernière m’a apporté beaucoup de choses, surtout d’un point de vue personnel. Le patronyme Jewly, qui sonnait bien avec ma bifurcation musicale, a donc été une évidence. C’est ainsi que Julie est devenue Jewly…
Tes débuts ont donc été marqués par le jazz, ton premier album en est le reflet. En dehors de l’apport de la scène, y-a-t’il eu d’autres faits qui t’ont confortée dans ton choix de faire du rock ?
Durant mon évolution musicale, il y a clairement eu un fait capital…Mon premier album est sorti sous mon vrai nom puis il y a eu un 6 titres (faisant office de trait d’union), qui a été édité sous le pseudonyme de Jewly. Par la suite, je me suis lancée dans l’écriture de l’album suivant…
C’est à ce moment-là, qu’avec mes musiciens, nous avons eu l’occasion de partir aux Etats-Unis afin d’y faire une tournée. Cette dernière a débuté dans un club new-yorkais, un endroit comme on en rêve (rires) ! Quelques jours avant de partir, je me suis posé des questions quant au fait de se produire devant des américains, alors que l’on est qu’une « petite frenchy »...
En fait, ces 6 concerts (3 à New-York et 3 à Philadelphie et dans les environs de cette ville de Pennsylvanie) ont représenté une « expérience de dingue ». Au terme de notre premier gig, les gens sont venus nous voir pour nous féliciter…en nous faisant part de leur surprise de constater que des français pouvaient faire du rock et du blues de cette manière. Leurs réactions étaient tellement dithyrambiques que je craignais qu’ils soient tous payés pour tenir de tels propos (rires) !
Cela s’est reproduit après chacun des 5 concerts qui ont suivi. C’est là que je me suis rendu compte que j’étais dans la bonne direction. Même si mes influences sont très anglo-saxonnes, je sais que je possède ma propre patte et ma propre personnalité. J’étais donc très déterminée pour rentrer en studio et pour sortir mon premier vrai album sous le nom de Jewly. J’ai très rapidement constitué une équipe, suite à cette rencontre décisive avec le public américain.
Tu as donc poursuivi ta carrière dans cette veine plus rock et blues rock. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes se réclament du blues…souvent sans connaitre le sens et l’histoire de cette musique. Ils mettent cette référence en avant, car elle est peu médiatisée et jouit d’un côté « underground ». Pour toi, que représente-t-elle vraiment ?
Pour moi le blues est la musique des tripes. Souvent, derrière les styles musicaux, on a tendance à vouloir mettre des étiquettes mais, pour moi, il s’agit davantage d’une question d’attitude. Dans le blues, il y a évidemment des accords qui lui donnent son identité. Cependant, lorsque l’on voit des artistes tels que Nick Cave, on constate qu’ils arrivent à donner un esprit blues ou une transpiration propre à ce registre…tout en interprétant des morceaux qui ne sont pas du blues dans leur forme. Pour moi c’est cet état d’esprit qui prime. Lorsque l’on produit une musique qui vient du plus profond du corps, on flirte avec le blues.
Ton album « Bang Bang Bang » (paru en 2014), bénéficiait déjà d’un joli casting. Peux-tu revenir sur ce disque qui a été un tournant dans ta carrière ?
Ce disque a été enregistré d’une manière totalement différente que « Drugstore ». Il est assez brut et nous avions testé, au préalable, les chansons en live. Son réalisateur (le directeur artistique du projet) est venu vers moi de son propre chef. Il s’agit d’Hervé Koster que je connaissais, au préalable, pour ses formidables qualités de batteur (Trust, Louis Bertignac…). Il m’a présenté à l’ingénieur du son, l’anglais Steve Forward (Paul McCartney, Ray Charles & Dee Dee Bridgewater…), qui a réalisé le mix de l’album et qui, lui-même, m’a proposé de faire appel au bassiste Phil Spalding (Mick Jagger, Seal…). Ce dernier, après avoir écouté une maquette, était très enthousiaste et a souhaité rejoindre le projet. L’enregistrement, réalisé à Paris, s’est fait rapidement en compagnie d’une équipe incroyable avec laquelle je me suis immédiatement entendue. Le feeling était tel que tous ces gens sont, d’une manière ou d’une autre, présents sur « Drugstore ».
Pour une jeune artiste, telle que toi, il doit être extrêmement gratifiant de se voir adoubée par la « crème des musiciens »…
Oui, c’est dingue ! A leurs côtés, je me sentais toute petite… Ils ne m’ont pas fait ressentir nos différences en termes d’expérience. Aucontraire, ils se sont complètement mis à mon service et ont fait en sorte que nous soyons tous au même niveau. Ils avaient toujours des anecdotes à raconter au sujet de leurs prestigieuses collaborations, mais il n’y avait aucune barrière entre nous. Ce sont des gens dotés d’une grande humilité. Ils aiment partager leurs expériences et ne s’estiment pas supérieurs aux autres…
Ils voient, avant tout, des artistes avant de voir des stars ou des chanteurs (et chanteuses) débutants…
Absolument et c’est ce qui m’a scotchée durant nos collaborations. Surtout pendant l’enregistrement de « Drugstore » qui a été plus long (entre les arrangements et les sessions, un mois s’est écoulé en Angleterre). Là, pour le coup, je me suis retrouvée avec deux réalisateurs qui étaient complètement à mon écoute. Si j’estimais que 15 prises étaient nécessaires jusqu’à obtenir la bonne, ils ne disaient rien et privilégiaient mon propre ressenti. C’était hallucinant…
Tu as donné énormément de concerts depuis tes débuts. En ce qui te concerne, la scène semble être un véritable moteur…
Oui, complètement… D’ailleurs, c’est surtout pour la scène que je fais ce métier. Créer et enregistrer représentent de belles expériences mais je ressens le besoin d’avoir des contacts avec les gens. Ces derniers n’imaginent pas ce qu’ils m’apportent. Le retour du public nous nourrit et nous en avons besoin.
Février 2017 a été marqué par la sortie de ton dernier album en date, « Drugstore », dont le titre évoque ton passé qui s’est déroulé dans le milieu pharmaceutique. On y trouve des produits ou des ingrédients bien différents…et on y fait de nombreuses rencontres. Ce disque est, en fait, une véritable officine !
C’est absolument cela et j’aime à dire que ce disque est la pharmacie de mon âme. C’est une rencontre entre des personnes qui viennent de tous les univers. Ces dernières possèdent différents profils, différentes addictions, différents espaces temporels (puisque certaines histoires sont plus anciennes que d’autres). Le drugstore à l’anglaise n’est pas une simple pharmacie, on y délivre plein d’autres choses.
Quelle a été la genèse de ce disque ?
Je suis quelqu’un de très instinctif et je fonctionne au feeling. Je n’aime pas calculer ce que je fais, au risque de ne pas devenir une artiste « commerciale ». Je me consacre à ce qui me parle…Quand j’ai commencé à élaborer les titres, j’ai souvent commencé par les textes même si, parfois, ce sont les lignes musicales qui me sont venues t en tête en premier lieu.
Lorsque j’écris, j’ajoute toujours le titre en dernier…
Au moment d’enregistrer les textes dans mon ordinateur j’ai, inconsciemment, mis des prénoms pour les titrer. Lorsque je me suis rendue compte de la chose, j’ai également constaté que je n’évoquais que des histoires de personnes qui m’ont bouleversée. Le fait de conserver ces prénoms est devenu une évidence. Pour que les gens qui ne sont pas très attentiffs aux textes comprennent les histoires que je relate en musique, j’ai eu l’idée de faire un clip par chanson. Ceci afin de leur proposer une double lecture (soit une interprétation libre via l’album, soit une immersion totale dans la psychologie et l’histoire des personnages via les clips).
Le livret du disque permet, également, d’être submergé d’images qui nous conduisent dans un univers cinématographique…
Une fois que les chansons ont été écrites, j’ai vraiment souhaité que l’on ressente la psychologie des personnes et j’avais les films de David Lynch en tête. En me lançant dans l’aventure « d’un clip par chanson », je pensais que personne ne me suivrait dans cette idée. De plus, je tenais à ce que chacun d’entre eux soit soigné. Si l’équipe musicale du disque et américaine et anglaise, pour les vidéos j’ai fait appel à une société alsacienne. Il s’agit de BLOZfilms, située à Colmar, qui a été aussi dingue que moi pour me suivre dans cette idée. Les clips ont été enregistrés en 7 jours, avec une équipe formée par des gens qui ont compris où je voulais aller. Ils se sont mis au service du projet, pour aboutir à un résultat remarquable.
Sur les photos du livret, avant de voir des visages…on voit des expressions.
C’est ça… Jérôme Coquelin, le photographe, a su capter les expressions des gens. Ces photos et ces personnages sont magnifiques. Je suis vraiment fière d’avoir trouvé des personnalités qui ont pu faire ressortir tout cela. En live, nous projetons des vidéos et ces portraits qui sont devenus indissociable du disque. Nous essayons de proposer davantage qu’un concert au public, c’est-à-dire un véritable spectacle.
« Drugstore » a, lui aussi, été enregistré avec une impressionnante équipe musicale. Quelle est-elle ?
Je voulais que cet album soit plus travaillé, moins brut que « Bang Bang Bang ». Du coup, je me suis mise à la recherche d’une équipe pour le réaliser. Le bassiste Phil Spalding m’a proposé ses services en compagnie du guitariste américain Matt Backer. Ils ont fait un essai sur un titre et le résultat était génial. Du coup, j’ai décidé de travailler avec eux et ils se sont mis à mon écoute. Pour cette occasion, nous avons travaillé avec l’ingénieur du son des Stranglers. Nous avons passé un mois, dans un studio d’enregistrement anglais, afin de construire les chansons puis de les enregistrer. Nous travaillions, environ, deux jours par titre pour chercher des arrangements. J’ai, également, souhaité mettre à contribution les musiciens qui ont l’habitude de m’accompagner sur scène. C’était une chose importante à mes yeux et ils sont présents sur deux titres. Avant les sessions, nous étions en tournée en Angleterre. Ils sont donc restés quelques jours de plus pour me rejoindre en studio. A la batterie, on retrouve également le réalisateur de l’album précédent, Hervé Koster. Ses parties ont été enregistrées à Paris, après les séances anglaises. La cerise sur le gâteau est le fait d’avoir pu compter sur tout le talent de Dominic « Dom » Brown (entre autres guitariste du groupe Duran Duran), qui a souhaité se joindre à l’aventure le temps de deux solos.
Ce disque est constitué de beaucoup de prénoms, mais quels en sont les messages ?
On y trouve un fil conducteur, qui est la lutte contre les jugements hâtifs et les limites que l’on fixe à la normalité. Des personnes peuvent être magnifiques, même si on considère qu’elles peuvent paraitre différentes. Les gens que j’ai inconsciemment (ou consciemment) choisis m’ont touchée car ils n’ont pas eu un parcours facile.
Cet album est sombre, profond, mais aussi très lumineux…parce qu’il y a toujours une issue positive à trouver à toutes les situations.
Ton approche de l’autre est extrêmement touchante. Je sens en toi une vraie femme de cœur… D’ailleurs, depuis tes débuts, tu soutiens certaines associations. Peux-tu me parler de cet engagement ?
J’ai été très proche de l’UNICEF et depuis trois ans je suis la marraine de l’association SOS Hépatites. Cette dernière lance, actuellement, une campagne nationale pour l’incitation au dépistage de l’hépatite C. C’est une chose capitale, il faut que les gens sachent s’ils sont atteints ou pas. Ceci parce que l’on peut facilement guérir de cette maladie et il est incroyable que personne ne veuille en parler…en pensant qu’il s’agit d’une tare honteuse. Une simple prise de sang suffit pour vérifier si on a ou non le virus…
Quelle conclusion souhaites-tu apporter à cet entretien ?
J’ai envie d’inviter les auditeurs (et lecteurs) à me rencontrer. Qu’ils viennent nous voir en concert et que l’on boive tous un coup ensemble ! Ce serait bien ça, non ?
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