Peux-tu te présenter sommairement à
nos auditeurs ?
Je suis un joueur de blues un peu particulier parce que j'appelle ça
du " world blues music ". Donc du blues du monde entier,
entre Hawaï, l'Inde et le Mississippi, l'Afrique de l'Ouest l'Afrique
du Sud, Madagascar, la Réunion, l'Irlande et la Scandinavie. Principalement
des peuples qui ont en commun ; soit d'avoir été colonisés,
soit d'avoir beaucoup souffert, comme les Tziganes en Europe de l'Est.
Je prends toutes ces musiques et je les mélange dans ma tête
pour en faire une musique uniquement acoustique. Parce que c'est là
qu'on arrive à donner le plus d'émotions.
Je suis passionné par tout ce qui ressemble de près ou
de loin à une guitare slide. Que ce soit une guitare National
resonator, une guitare hawaïenne ou une guitare Weissenborn.
Tous ces instruments sur lesquels ont fait glisser quelque chose dessus,
je les trouve aussi intéressant que d'écouter chanter un
oiseau qui s'envole. C'est joli, ça peut être sexy ou bien
violent.
C'est là qu'est le blues, pour moi. Une expression sublimée
des sentiments du musicien. Pas besoin d'être né au Mississippi,
de reprendre Robert Johnson de manière classique ou de jouer du
pop blues à la Eric Clapton, c'est juste exprimer ses sentiments.
Bon, j'utilise des guitares typiques du blues. Mais si je savais jouer
un peu mieux de l'orgue, je jouerai la même chose à l'orgue.
Comment t'es venu cet amour du blues ? Pourquoi
d'être orienté spécifiquement vers les instruments
à corde ?
Je n'en sais rien. Récemment, j'ai vu une photo où je posais
chez mes grands-parents avec une guitare dans les bras - je devais avoir
cinq ans. La guitare appartenait à ma grand-mère qui, malheureusement,
n'a jamais pu en jouer. Elle a voulu s'y lancer à cinquante, soixante
ans. Elle a été découragée par mon père
et son mari qui se moquaient un peu d'elle. Tout ce qu'elle voulait, c'était
jouer " Jeux interdits " au fonds de son jardin.
Après, j'ai eu la chance de pouvoir récupérer sa
guitare. Vers cinq ans, je gratouillais n'importe comment. J'accordais
comme ça sonnait. C'était déjà de l'open tuning,
mais je ne le savais pas.
A douze, treize ans, des copains du collègue jouaient du Nirvana
à la guitare. Je n'en ai jamais joué, mais ça m'a
donné envie de prendre la guitare. J'ai appris à en jouer
et très rapidement, j'ai posé la guitare à plat sur
mes genoux pour faire glisser un bout de métal dessus.
Le blues est venu après. C'est la musique qu'écoutais mon
père, ainsi que beaucoup de musique country comme Johnny Cash.
Mais pas la country de Nashville avec le Hillbilly et son Stetson fluorescent,
la chemise à paillettes et la cravate texane
J'écoutais
aussi du Neil Young qui joue pas mal en slide.
J'ai découvert le blues à travers la collection de 78 tours
de mon grand-père. Entre le jazz des années 30, la musique
hawaïenne (Tao More, Saul Opi) puis des gens tels que Bob Brozman
m'ont permis d'aller un peu plus loin.
Il t'a fortement influencé et tu l'as rencontré.
Peux-tu nous parler du bonhomme ?
Bob est un gars extrêmement sympathique et un musicien exceptionnel.
Il se décrit lui-même comme " musicien anarchiste
et anthropologiste ". Son approche de la musique est vraiment
très intéressante. Il étudie aussi bien les peuples
que leur comportement (la plupart du temps, il s'agit de peuples colonisés).
Au travers du blues, il effectue des mélanges. Il a joué
avec des gens tels que Debashish Bhattcharya qui vient d'Inde (il
joue de la guitare slide indienne à 22 cordes), René
Lacaille de la Réunion, Tao More d'Hawaï, des gens
venant du Japon et de partout.
J'ai eu la chance de suivre un de ses stages de musique cette année
à Toulouse. C'était la première fois de ma vie que
je suivais un cours de guitare. Je dois dire que mon approche de la musique
n'est pas basée sur la technique mais sur l'expression maximale
de ma sensibilité, de mes sentiments et sur le rythme.
J'avais de gros problèmes pour trouver le rythme. Il a su m'apprendre
à comprendre le rythme de façon toute bête. Il m'a
appris les techniques pour comprendre le rythme et comment évoluer
dans la variation du rythme.
Tu es autodidacte, ce qui est formidable car le
blues est avant tout une musique de feeling.
Je ne suis pas un bon guitariste. Certaines choses que je produis sont
extrêmement simples, au niveau de la main gauche. A la main droite,
c'est plus comique. Je n'aime pas du tout les tablatures. Je ne supporte
pas d'avoir à les apprendre. Le solfège, je l'ignore.
Après, il faut ouvrir sa sensibilité et un peu ses oreilles.
Leur cur doit être grand ouvert. Ensuite, comme dirais Bob
Brozman, allons-y à donf !
Taj Mahal a été un des premiers
à incorporer à son blues des éléments venant
de la " world music ".
C'est assez marrant de remarquer que tous ces gars (Bob Brozman, Taj
Mahal ) jouent sur des guitares National resonator. On retrouve cette
tendance à l'ouverture chez la plupart des guitaristes slide. Bien
sûr, certaines personnes traditionnelles restent fidèles
à leur style. L'approche - quand on joue de cet instrument - permet
d'aller très loin dans la recherche de sons. Taj Mahal et Toumani
Diabaté ont fait un superbe album ensemble avec la kora du
Mali.
Tu n'hésites pas à reprendre des
poèmes de grands écrivains pour les mettre en musique. D'où
cela t'est venu ?
Pour commencer, je suis un grand fan de Léo Ferré.
Je ne l'écoute plus en moment car Léo Ferré est autant
beau qu'il est triste. N'ayant pas envie d'être triste actuellement,
je ne l'écoute plus. Néanmoins, sa poésie et ses
textes sont magnifiques. Pas son biais, j'ai approfondis des gens tels
que Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Apollinaire et Aragon.
Je prends les textes de ces poètes romantiques et je fais mon
petit mélange pour inventer une musique.
Des fois, c'est heureux, d'autres fois, non. Ma démarche consiste
à choisir un poème au hasard, ainsi qu'une guitare, au hasard
également, parmi mes différentes guitares. Je joue, je laisse
aller
Si une idée intéressante apparaît, je la mets de
côté et j'approfondis ensuite. Si, par contre, ça
ne marche pas du tout - comme ça arrive plus souvent qu'on ne le
veuille - je laisse tomber. Tant pis, un beau texte est avant tout fait
pour être lu, pas forcément pour être chanté.
A l'inverse, as-tu déjà repris des
thèmes musicaux pour y rajouter tes propres textes ?
Non. J'écris certains textes, même si je suis dans une période
plus créative au niveau musical, pour le moment. J'ai déjà
écris entre trente et cinquante textes avec une musique plutôt
folk, genre douze cordes.
Il est rare que je reprenne de la musique existante. Bien entendu, j'adapte
des chansons d'Hawaï du style " my kaino kahaoï
". Les textes en hawaïen sont extrêmement difficiles à
chanter.
En plus, la voix de tête est toujours très aigue, avec en
plus une voix de baryton. C'est très ardu de chanter les deux voix
quand on est tout seul. Je reprends l'idée générale,
sans pouvoir m'empêcher d'y mettre ma sauce.
Tu es aussi proche de la musique venant de Madagascar
Madagascar possède l'une des musiques les plus belles et les plus
complexes avec celle de l'île de la Réunion. Le rythme est
très compliqué, tout est syncopé. C'est tellement
balaise - plus dans les sentiments que dans la technique. Je me moque
de la technique. Je trouve leurs rythmes balaises à mon oreille
de " bon français ". Ça ne rentre pas tout à
fait, mais en même temps, je vibre vraiment.
Des gens comme Eric Manana de Madagascar sont sublimes. En plus,
sa voix est si belle. J'ai vu René Lacaille en concert.
Quand il joue de l'accordéon, il est génial.
Quelle est l'histoire de la guitare slide ?
Pour jouer en slide dans le sud du Mississippi, les premiers trucs sont
basés sur le " diddley bo' ". C'est tout con,
vous pouvez le fabriquer chez vous sans aucun problème :
- Prenez une barre en bois, une planche d'environ cinq centimètres
de large sur soixante-dix de long.
- Clouez un clou devant, un autre derrière, tendez une corde
de guitare.
- Accordez comme vous voulez : en ré, en mi ou en sol.
- Glissez deux petits bâtons d'eskimo pour faire les silex.
- Jouez avec une bouteille de bière, un morceau de verre ou un
tube de métal pour slider dessus.
C'est tout !
Tu pourrais nous parler des différents
instruments avec lesquels tu te produis ?
J'ai d'abord une guitare de chez National. Ils ont inventé la guitare
à résonateur dans les années trente. Le principe
est assez simple. La caisse est en métal. Trois cônes en
aluminium strié sont placés dedans. Ils servent d'amplificateurs
acoustiques.
Ces instruments sont joués principalement en slide, c'est-à-dire
en faisant glisser sur les cordes un objet soit en verre, soit en métal.
Se faisant, on crée ce glissando aussi appelé slide dont
le volume sonore possède une amplitude assez impressionnante.
On peut jouer à un niveau très faible et quand même
arriver à un volume très fort, ce qu'une guitare acoustique
ou une guitare électrique ne peuvent pas produire.
Pour la guitare électrique, prenons l'exemple des guitares Les
Paul Gibson. Si on gratouille les cordes comme un malade, le son sera
fort, mais pas tant que ça. Après, quand on ajoute une pédale
de volume et l'ampli poussé à bloc, ça crache les
watts. L'instant d'après, il est impossible d'être discret
et féminin.
Sur la National, on est garanti d'obtenir une touche féminine très
douce, aussi bien que le son d'un gorille en rut ! Sur cette guitare National,
je joue en position normale.
En 2004, j'ai construit une guitare. Elle est du style Weissenborn, dont
le joueur le plus connu est Ben Harper. Pour faire cette guitare,
j'ai utilisé du koa, un acacia d'Hawaï. Sa particularité
est d'être totalement en bois. Son manche est creux jusqu'au bout.
On la tient uniquement à plat sur les genoux.
Pas mal de bluesman s'inspirent de leurs racines
pour trouver leur instrument. Tu fais pareil car tu joues aussi de l'épinette
des Vosges !
Mes racines ne viennent pas de là. A la base, je suis savoyard,
d'une bonne famille de paysans qui possèdent un alpage. L'épinette
est l'instrument des paysans des Vosges.
La première guitare que j'ai construite, c'est elle. Seul problème,
depuis qu'elle est tombée, je l'ai réparée à
la va-comme-je-te-pousse. Je me refuse également à mettre
des micros à l'intérieur de mes guitares. Je n'aime pas
entendre le grain au travers d'un ampli. J'utilise uniquement des micros
placés devant les instruments. Aucun n'est facile à amplifier.
Peux-tu nous parler d'un de tes morceaux ?
Je l'interprète sur la guitare hawaïenne Weissenborn. Ce morceau
de ma composition s'appelle " Taghashree". Il est fortement
influencé par la musique classique venant de l'Inde du Nord. A
la base, c'est parti d'une expérimentation.
Une guitare acoustique est limitée par la longueur des cordes
et par la façon de jouer. En principe, peu de variations sont possibles.
Je viens tout juste de recevoir une nouvelle barre d'un gars qui me fait
l'immense plaisir de me fournir en slide. Il s'agit d'Ian McWee.
Un anglais considéré comme le luthier du bottleneck.
Cette barre de slide en cristal s'appelle " Diamond Bottleneck
" est disponible sur le site : http://www.diamondbottlenecks.com).
Pour ceux qui jouent de la guitare, il fait du matériel magnifique.
Par moments, vous n'aurez pas l'impression d'entendre une guitare mais
soit un tabla, la percussion d'Inde, soit un cithare indien, soit une
guitare hawaïenne. J'utilise un accordage en double do. C'est-à-dire
que ma première corde est accordée en do, après :
un sol, un do et deux do. La particularité de la basse de ce do-là
est de vibrer à 63 hertz, ce qui fait vibrer les femmes "
intimement " .
Ce n'est pas aussi puissant que vous pouvez le croire. Il faut remarquer
à ce sujet que les filles ont une perception propre à elles.
Je les observe quand je joue ainsi. Elles portent leur attention sur le
rythme. Les mecs sont plus concentrés sur le jeu de la main droite.
Encore une petite chose assez marrante !
Tu as aussi repris " Cypress Grove "
de Skip James ?
Je suis parti aux confins du Mississippi avec une chanson " Cypress
Grove " de Skip James. Ce titre n'est pas des plus gais.
L' " allée des cyprès " de Skip James évoque
le cimetière. Cette chanson m'a beaucoup touché, surtout
la dernière strophe.
" When your knee bone's achin' and your body cold ",
c'est-à-dire quand les os de tes genoux te font mal et que ton
corps est très froid. En 2004, j'ai subi une grosse crise de poly-arthrite
qui m'a immobilisé complètement. Mes genoux, mes chevilles
et mes coudes étaient gonflés. J'étais handicapé,
tel une loque. A présent, tout va bien mieux. J'ai repris le ski,
je marche en montagne. Pas de soucis.
Cette chanson m'a tellement touché que j'en ai fait une version
plus personnelle. Normalement, elle se joue avec un accordage en ré
mineur, soit donc une tonalité très triste. Je l'ai accordé
en ré majeur. J'incorpore petit à petit des sonorités
d'Inde.
Ce qui est assez pénible pour les auditeurs quand on joue de la
guitare slide, c'est qu'on utilise les accordages complètements
différents de la guitare conventionnelle. L'accordage standard,
impossible de me le rappeler car je ne l'utilise pas. Tout le monde se
base sur la grosse corde : mi, la, ré, sol, si et mi. Si on fait
sonner les cordes à vide, cela donne un mi onzième diminué
ou quelque chose dans le genre - ce qui est inaudible.
Pour jouer de la guitare comme ça, il faut bouger les doigts dans
tous les sens. Les bluesmen d'Hawaï, d'Afrique et tous les pays colonisés
qui ont reçus la guitare dans les bras, ont utilisé une
technique différente. Le moins de mécanique possible pour
régler les cordes (et donc le minimum de clefs et de tours). Ils
ont trouvé ce qu'on appelle l'accord ouvert de sol (alias "
open tuning " NDLR). C'est un sol naturel qu'on obtient en grattant
les cordes.
J'utilise ces accordages. Ils sont parfaits pour jouer en slide. D'un
point de vue émotionnel, ils sont plus directs.
As-tu un projet de disque en cours ?
J'ai fini le mixage de ma maquette. Mon disque s'appellera, je vous le
donne en mille, " Blues around the world ". Quatorze
titres en solo où j'utilise plusieurs guitares, d'autres où
je suis accompagné par un ami norvégien : Kyrre Slind
qui joue de la guitare baroque. Il va m'accompagner sur un concert à
Paris. Maintenant, il fait du chant grégorien et il joue même
du luth !
On va mixer la musique baroque du moyen âge avec le luth et la
musique hip hop blues. Un violoniste, David Van Haaren, joue de
la mandoline sur une chanson en indien, alors qu'il est plutôt spécialisé
dans le violon manouche. J'ai également la chance de disposer d'Aurélie
Jung, du groupe Iona, qui est actuellement en Inde pour apprendre
le chant. Une chanteuse exceptionnelle.
Ces gens me font l'honneur de m'accompagner de temps en temps. J'adore
jouer avec des musiciens beaucoup plus forts que moi. Quand on est tiré
vers le haut, on peut aller de l'avant !
As-tu quelque chose à ajouter pour terminer
?
En ce moment, je suis vraiment sur une courbe. La pente n'est pas raide,
mais je sens que je progresse. Disons que j'arrive - bien que pas complètement
encore - à reproduire sur mes guitares ce que j'ai dans la tête.
Après, le plus difficile est d'être suffisamment détendu
au niveau musculaire pour que ça vogue tout seul.
J'aimerais vraiment que l'instrument fasse partie de mon corps. Que mes
muscles ne connaissent pas seulement ce phénomène physiologique
: O/1, fermé/ouvert. Que je puisse être juste en dessous
de l'ouverture, juste en dessous de la fermeture. Pour que - hop ! - d'un
seul coup, je puisse sortir une note ou une harmonique cachée et
créer de l'étonnement et de la subtilité. Pour que
le blues progresse et moi également. Que je puisse vraiment m'exprimer.
Ce qui me tient vivant, c'est la musique.
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